Ca ne peut pas être pire. • Te Hari

DAG
• 2 ans et demi •
F A E I

Il faisait froid. Il faisait sombre. Autant le climat que le coeur du Viking. Il était assis sur un rocher, la tête rentrée entre les épaules, son poil d'hiver épais hérissé pour lui tenir chaud. Ses prunelles ambré d'habitude si pétillantes semblaient cette fois, éteintes. En parfaite harmonie avec le ciel bas et chargé de nuages, le poids sur son esprit était lourd. Autour de lui, la voûte céleste déversait des flots de flocons qui tapissaient tout autour de lui. A force de ne pas bouger, lui-même fût vite recouvert d'une légère pellicule immaculée. Il s'ébroua vigoureusement, plissa les yeux pour voir à travers la neige un mouvement. Une ombre derrière le rideau pâle et derrière les troncs, là-bas. Il haussa les épaules, ça ne l’intéressait pas. Il était morose. Dag sauta au bas de son promontoire et son pas craqua dans la poudreuse. Le vent forcit, ainsi que le froid. Ses gênes de loup nordique lui permettait de ne pas du tout subir le temps, mais de s'en accommoder facilement. De toute façon, il aurait attraper la crève que ça ne l'aurait même pas gêner. Il avait plus important à penser. Comme ce su'il avait ressenti en trouvant Te Hari et Etna, comme ce qu'il avait souffert de ces mots échangés, comme de ce qu'il avait peur de comprendre au travers de ses réactions disproportionnées.
De rage, le mâle frappa dans ce qu'il pensait être une pomme de pin enneigé. Il su tout de suite quelle erreur il venait de faire : une douleur puissante dans sa patte répondit à son geste, tandis que la pomme de pin n'avait pas bougé d'un poil. L'apprenti Panseur grogna en s'éloignant de son ennemi de rocaille pour grimper plus haut dans la montagnes et s'éloigner plus encore vers la solitude. Il ne voulait voir personne. Il voulait simplement... Arrêter cette tempête dans sa poitrine. En parlant de tempête... Le vent devint plus violent encore, et les innombrables flocons devinrent des billes de glace. La grêle s’abattie sur lui.
Génial.
Ça ne pouvait pas être pire.

• 2 ans et demi •
F A E I

Ça ne pouvait pas être pire. Et pourtant...
Sortant de nul part, une bête énorme se posta comme une gargouille sur un rocher le surplombant. Fascinante créature hybride ressemblant à un gros fauve de la savane portant des cornes d'antilope drôlement longues et plus tournées comme celle d'un taureau, une queue de scorpion et des grandes ailes de chauve-souris. Il émanait de la bestiole un calme assez rassurant pour qu'il reste à la fixer quelques secondes. Le Viking réalisa soudain la frappante ressemblance de pelage avec sa sœur, si on excluait les tâches de lycaon, les mèches bleues et les yeux vibrant d'orange. L'attitude même de cet observateur en hauteur indiquait une confiance partagée. Et l'idée fit son chemin jusqu'à ses souvenirs, où il revoyait Te Hari lui parler de sa capacité nouvellement découverte. C'était cependant la première fois qu'il l'a voyait en chair et en os, sous cette forme mythique. Lorsqu'elle rugit doucement, le mâle sortit de sa torpeur, secoua le museau comme pour se réveiller et planta à nouveau son regard doré dans celui de la disciple de Dairo. Qu'il était tenté de fuir, qu'il avait envie d'échapper à cette discussion qu'il faudrait avoir avec sa soeur sur son comportement inapproprié, sur sa façon d'agir et de parler à la jeune louve... Mais il ne le pouvait pas, pas maintenant alors qu'il sentait que quelque chose chez lui n'allait pas, que tout ça n'était qu'une petite partie de l'iceberg...

« Non. »

Quelle que fût l’interrogation de la bête, il n'avait pour elle qu'une réponse négative à donner. Serrant les crocs, l'apprenti Panseur se détourna et bondit en avant pour courir plus loin entre les hauts arbres, plus loin de Te Hari, et de toutes ces émotions qu'elle déclenchait en lui et qui lui faisait peur. Il ne pouvait pas. Pas maintenant.

• 2 ans et demi •
F A E I

[i]Bien sûr elle n'abandonnerait pas. Bien sûr, elle ne le lâcherait pas. Parce qu'ils étaient une famille, parce qu'ils étaient frère et sœur et parce qu'ils avaient toujours été là l'un pour l'autre jusqu'à récemment. Et c'était exactement là tout le problème. Tout le putain de problème qui lui retournait la cervelle et le faisait être tant en colère. Contre elle, mais surtout envers lui. Sous son regard d'or assombris, l'énorme bête redevint louve tachetée aux ailes de cuir. Dag détourna les yeux, trop honteux de tout ce chaos qu'il avait engendré à cause de ses émotions en pagaille, trop coupable de ce qu'il ressentait.

« Je n'ai pas le choix. »

Souffla le Viking les crocs serrés. Parce qu'il ne pouvait pas faire autrement que de repousser ses pensées inavouables, parce qu'il n'avait pas d'autres solutions que de s'éloigner volontairement pour ne pas que la situation ne devienne insurmontable pour lui comme pour elle. Il ne cessait de penser à Tawana et au regard meurtri qu'il lui jetterait s'il venait à savoir ce qui se tramait dans son encéphale. Il ne cessait d'imaginer la réaction de rejet et de dégoût de te Hari également. Non, il était bien plus préférable de jouer à l'abruti entêté et de s'éloigner progressivement plutôt que de tout briser en quelques mots. Peut-être même qu'il devrait fuir plus loin encore, ailleurs, pour être sûr et certain qu'il se quitte plutôt en terme cordial qu'en haine réciproque non ?

• 2 ans et demi •
F A E I

[i]Il le vit à sa mine, à son regard si doux, qu'elle n'abandonnerait pas. Il devina à cet air qu'il lui connaissait tant, que la détermination de Te Hari prévalait largement la sienne. Il allait pourtant tenter d'objecter encore une fois, lorsqu'elle bondit vers lui, souple et féline. Elle s'approcha si prêt de lui, lui offrant le beau spectacle des flocons se mêlant à ses cheveux dans une danse fugace et harmonieuse. Et elle avoua sa souffrance, aussi désespérée que lui de l'absence de leur seul parent, aussi désemparée que lui de cette situation qui les éloignait l'un de l'autre. Le Viking vacilla, alors que ses crocs se desserrèrent pour laisser place à la réponse qu'elle exigeait... La réponse qui viendrait ajouter du poids à sa peine alors qu'il abdiquait face à la louve tachetée. Le regard de miel du beige vint s'ancrer dans celui de celle avait qui il avait grandit. Son poil d'hiver gonfla sous l'effet de l'angoisse, le rendant complètement imperméable au froid et aux bourrasques de neige tant son coeur battait fort dans sa poitrine.

« Je... T'aime Te Hari. »

Et avant qu'elle ne puisse comprendre de travers et mélanger son sentiment avec de la tendresse fraternelle -ce qu'il aurait dû ressentir après tout, ce qui aurait simplement du être- il ajouta d'une voix brisée :

« Pas comme ma soeur. Pas comme ma meilleure amie. Comme la plus belle et charmante louve que j'ai pu rencontrer. Comme la plus douce et généreuse louve que j'ai pu côtoyé. »

Là était tout le problème. Là était tout son vice. Aimer sa soeur, sa petite soeur. Honte sur lui et son âme perfide, honte à ses sentiments pervers. La culpabilité le consumait, et il lâcha son regard pour fuir, pour courir lui, aussi vite que possible. Il ne voulait pas entendre une quelconque réponse. Il ne pouvait rien écouter maintenant. Il devait disparaître, au moins quelques heures, et l'éviter à tout prix, maintenant que son crime était avoué.