Tant de choses, tant d’évènements auxquels il n’était pas préparé. Mais quelque part, n’était-ce pas ce que le destin décidait sans cesse pour lui ? En 3 ans de vie, il avait vu ses parents avoir d’autres enfants, et à son tour il en avait eu un. Momon se demandait bien si tout venait de lui, ou bien si c’était simplement le hasard. Mais le hasard n’avait pas sa place, pas ici, pas maintenant, car il devait passer son épreuve. Sous son cuir épais, il sentait qu’il était temps et son mutisme naturel n’avait pas été si contraignant. Car ce jour, il voulait le vivre seul. Le loup sombre, au manteau pareil à celui qui recouvrait la plaine, se souvenait fort bien de l’église de la déesse, il reconnaissait même très bien sa roche lisse pour l’avoir vu de très près. Un sourire s’esquissa derrière ses défenses qu’il peinait encore à accepter. La Corneille serait certainement bien plus indulgente que lui à leur encontre après tout.

Le coeur léger, il entra dans l’église qu’Ajani lui avait montré en long en large et en travers. Devait-il être le père qui lui manquait tant ? Sûrement, et Yurai veillait sur lui de manière privilégiée. En ferait elle autant pour le borgne qui s’avançait en son temple ? Ce dernier espérait, car si il était la pierre sur laquelle sa famille pouvait s’appuyer sans que jamais elle ne défaille, lui ne tenait que parce qu’il était en mesure de protéger. Un soutien de plus ne lui serait jamais de trop. Même si ses tourments amoureux lui occupait assez la cervelle pour qu’il ne pense à ses autres soucis. Une fois à hauteur de la statue, il leva son œil mordoré et d’une voix claire lança :

 « Bonjour Déesse Yurai. »

Non pas qu’il s’attendait à beaucoup de mots en réponse, il continua après une brève inspiration :

« Je pense qu’il est temps pour moi de passer votre épreuve. Si vous me le permettez. »

Il ne l’avait jamais vu prendre vie, jamais l’oeil mordoré n’avait pu se délecter d’un tel spectacle. Il prit quelques secondes pour contempler l’apparition. Bien que la déesse lui fut décrite par diverses loups, le mâle sombre sentait la bienveillante corneille comme si elle le protégeait de ses ailes pourpres. Une simple histoire qu’elle demandait, mais les histoires ne sont jamais simples. En silence, Momon s’assit face à l’apparition divine.

« Je suis Momon Déesse, fils d’Eva, d’Octavia et de… Yersine. »

Ce nom lui râpait encore la langue même après plusieurs années.

« J’ai vu le jour sur les terres Nakhus il y a quelques années, j’y ai rencontré mainte personnes, hautes en couleurs. Petites et grandes, étrangères ou non. De nombreux visages me sont familiers malgré mon œil mort. Je ne peux vous conter tous les détails car je ne pense pas que ma vie soit fort palpitante. Cette vie qui ne devait même pas voir le jour mais mes rencontres m'ont sauvé du désespoir qui m'emplissait dès la naissance. »

Et malgré tout, il n’était plus le même que la première fois qu’il avait posé une patte en cette église.

« Ajani, votre oracle, fut mon mentor, il est ce que l’on pourrait appeler une figure paternelle pour moi. Il m’a enseigné comment prendre soin des autres. Pierre, la mère de mon fils, m’a apprit à découvrir les autres sans porter de jugement hâtif. Ma mère, Eva, m’a apprit la patience et la confiance en moi. Ma mère, Octavia, m’a apprit l’amour dans toutes ses formes. Narancia m’a apprit que le monde était vaste et que nous avions tous une place ici bas. Mon fils, il continue de m’apprendre ce que c’est que d’aimer. Mes frères et sœurs aussi. »

Les noms lui revenait au compte goutte, les histoires aussi, mais pouvait-il toutes les raconter ? Momon reprit :

« J’ai aimé, j’aime et j’aimerai sans doute encore beaucoup de monde. Ma famille s’agrandit un peu plus avec les années, mon cœur a trouvé une forme de paix auprès des miens. Pourtant je ne pense pas que le mérite a à voir avec toutes mes rencontres, je ne mérite pas d’être le représentant d’aucun d’entre eux. Car ils sont tous unique et ils sont tous maître de leur vie. Mais puis-je prétendre être un bon père si je ne peux les protéger et les aider quand ils font appel à moi ? »

L’inquiétude forma une boule dans sa gorge.

« Je souhaite pouvoir les protéger et les accompagner à mon tour, leur rendre ce qu’ils m’ont donné. Ce que l’enseignement de nos préceptes m’ont offert. Je veux transmettre ma force et mes convictions aux générations futures. »

Plongeant son regard déterminé dans celui de la déesse, il bomba légèrement le torse et acheva son discours.

« Je pense pouvoir faire tout ceci, si vous êtes à mes côtés ! »

Les mots de la déesse, son odeur douce et sucrée, sa voix et sa bienveillance, c’était comme un cadeau. Le don d’une déesse mère, la corneille pourpre donnait à cet instant plus qu’un pouvoir. Le loup le savait bien. Lorsqu’elle eut fini, sa silhouette éthérée rejoignit la statue à son effigie, se fondant peu à peu avec la roche sculpté. Et un dernier regard s’endormit enfin sur le loup au blanc manteau. Ce dernier pencha la tête en signe de salut et murmura :

« Je vous remercie Déesse Yurai. »

Des remerciements qui n’était pas suffisant au goût du mâle. Il espérait faire davantage en la représentant plus tard.

La cérémonie close, Momon se releva et partit sans mot dire, longeant les bancs éparses qui définissaient l’allée centrale.