Chérir ceux qui restent [Lestat]

Avant de sortir de sa grotte, Kerguelen attrapa sa cape de Couturière. Elle jeta un regard nostalgique sur ces autres vêtements. La cape offerte par Dame Libellule, celle donnée par Knut et sa toute première cape de Sortcelière. Trois tissus qui lui étaient précieux pour tous les souvenirs liés. Trois objets qui prouvaient sa progression dans son objectif de devenir meilleure. Elle leur adressa un sourire avant de passer l'épais rideau de végétation. Son chez-elle restait toujours son jardin secret, caché des regards. Un jour, peut être, accueillera-t-elle des visiteurs.

Son écureuil roux dégringola de son épaule et s'élança joyeusement dans l'herbe. La Sans-Oreille le suivit, partageant son plaisir de gambader dans la vallée qui semblait sans fin. Impression de liberté et d'insouciance. Plus de pression sur les épaules. Plus de tristesse à porter. Rien que le vent sur son museau et les traits de rosée sur son pelage.

Jusqu'à ce que son regard doré accrocha une silhouette au pelage sombre mais illuminée d'un vert particulier. Un émeraude divin. Elle ne connaissait qu'une seule personne à arborer la couleur de Mido : Lestat ! Son ami d'aventures dans le Monde Oublié. Elle bifurqua pour aller à sa rencontre. Toujours heureuse de croiser par hasard un être cher à son cœur. Surtout qu'il ne lui en restait plus beaucoup. La majorité de ses amis avaient disparu les uns après les autres.

Elle ne se soucia pas de Waffle. Elle avait confiance en lui. Il reviendra après avoir grignoté quelques graines. Elle focalisa son esprit sur son camarade. Elle ne l'avait pas revu depuis qu'ils avaient fait équipe avec Lyn et Eva pour attraper une Renarde. Elle avait hâte de s'enquérir de sa santé et de ses dernières recherches. Parce qu'elle connaissait son goût pour les voyages en solitaire. Un grand sourire fleurit sur son visage et arrivée assez près, elle salua chaleureusement son ami tout en l'enlaçant.

"Coucou Lestat ! Je suis super contente de te revoir ! Comment vas-tu ? Alors, où tes pas-t-ont conduit cette fois-ci ?"

Regard brillant de joie et de curiosité. Elle avait l'attitude d'un louveteau au retour de ses parents à la tanière. Toujours aussi naturelle et expressive. Malgré les années qui s'écoulaient, elle ne changeait pas.

Leur mission sur les terres oubliées avaient pris fin depuis quelques temps déjà. Loin des tumultes, le loup noir avait pu se remettre à l’étude de la botanique et aux voyages, retrouvant peu à peu son indépendance. On aurait pu croire que rien n’avait changé, que sa vie avait repris son cours comme si elle ne s’était jamais interrompue. Mais la broche dorée qu’arborait sa cape grise anthracite confectionnée par Kerguelen, témoignait du contraire. Fort de nouvelles responsabilités, il avait endossé le rôle de guide parmi les sortceliers., un rang qu’il avait accepté sans trop de difficulté et qui l’avait incité à se montrer un peu plus présent envers la meute et ses camarades malgré son besoin d’indépendance qui lui divisait le cœur encore et toujours.

Ainsi s’accordait-il parfois des pauses entre ses expéditions par acquis de bonne conscience, le moyen de renouer le lien qui l’unissait aux siens et à la meute des Nakhus. L’occasion de parcourir de nouveau ce territoire du nord encore hésitant entre printemps et hiver. Les champs couvert de brume de la vallée des murmures lui semblaient inchangées malgré les années écoulées depuis ses escapades d’enfance, depuis sa rencontre avec Yersine sous la neige, celle avec Hayndriel, sans sœur d’adoption, toutes ces personnes qui semblaient l’avoir abandonné ou bien avoir disparu depuis un moment, sans qu’il ne puisse vraiment l’expliquer, ces liens s’étaient seulement rompu, le rendant quelques peu mélancoliques lorsqu’il se surprenait à penser à eux. Perdu dans ses pensées, il errait dans les champs comme une ombre, il ne cherchait rien, ni personne, il était seulement présent.

Jusqu’à l’imprévisible, la rencontre avec la colombe grise qui vint le tirer de sa torpeur. Il accueillit son approche et ses familiarités d’un sourire léger qui vint s’esquisser sur ses lèvres, la laissant enfouir son museau dans la fourrure de son poitrail comme elle

« Bonjour Couturière Kerguelen, je partage ce sentiment, heureux que nos chemins se croisent à nouveau. » Il remua légèrement passant son poids d’une patte à l’autre.

« J’ai repris mes recherches en botanie médicale, actuellement j’observe l’influence des astres sur la croissance des plantes. Certaines périodes se montrent plus propices que d’autre à faire pousser les racines, les feuilles, les fleurs ou les fruits. Ainsi nous pourrions augmenter le rendement du jardin. » Il marque une pause, prend le temps de s’asseoir, afin de pouvoir discuter plus posément. « Et toi ? Ton nouveau rang te convient ? Tu n’es pas trop sollicitée depuis que tu es devenu le bras droit d’Ajani ?»

Il connaissait son goût pour l’excès lorsqu’il s’agissait de prendre soin des autres, se voir confier un rôle important au sein de la meute, c’était l’exposer au surmenage. Il ne fallait y voir aucun reproche, seulement l’inquiétude qu’une fois de plus, elle s’oublie au profit des autres. Le loup sombre se garda bien d’afficher son opinion pensant que dans tous les cas, rien ne ferai changer la louve argentée et ça, il le savait.

Elle termina son câlin de bienvenu et recula pour lui redonner sa liberté de mouvement. C'était quand même mieux de pouvoir se regarder dans les yeux lorsque l'on se parlait. Et les mots de Lestat l'intéressèrent beaucoup. Tout ce qui avait trait aux plantes provoquait un fort intérêt chez elle.

"C'est fascinant ! J'ai hâte de lire le résultat de tes recherches et que l'on mette en place des expérimentations. Tu es si dévoué ! Ajani a bien choisi. Tu portes ton rôle à la perfection."

Toujours ce 'on' qui montrait sa spontanéité à prêter main forte. A épauler pour toutes sortes de tâches. Son quotidien n'était jamais identique d'un jour à l'autre. Un avantage de se montrer si serviable. L'ennui ne la guettait jamais. A ses questions, son sourire s'épanouit un peu plus.

"Oh oui ! Je partage mon temps entre le Jardin et la couture. Et la lecture aussi ! Même si ma passion première reste les soins."

Prendre soin des autres, n'était-ce pas un merveilleux sentiment d'utilité ? Que ne fera-t-elle pas pour voir cette lueur de vie briller dans les yeux de ses camarades. Et puis, elle tenait ses talents de guérisseuse de sa mère. Jamais elle ne dénigrerait ce savoir hérité. Elle agrandissait ses connaissances avec joie.

"C'est devenu beaucoup plus calme depuis la fin des Quêtes et le départ des Etelkrus. Certains des nôtres sont partis."

Son sourire se fana et son regard se perdit dans le liquide vert de Mido. Elle eut une pensée pour Sachiel, Serket, Pierre, Noé et Junlahdwiin. Des êtres qu'elle avait rencontré et aimé. Mais qui lui avaient été enlevé, soit par la Faucheuse soit par leur volonté propre.

"Il est si difficile de bâillonner son cœur... Mais ne parlons pas de choses tristes ! Ton voyage a du te donner faim. Les poissons sont revenus au ruisseau. Çà te tente ?"

Il aurait apprécie ne pas se montrer flatté des paroles réconfortantes de la louve argentée, mais ne pouvait nier la chaleur qui lui montait des joues jusqu’aux oreilles, faisant rougir son poils sous l’épaisse fourrure beige de ses oreilles. Même s’il faisait toujours de son mieux pour ne décevoir personne ni Mido qui lui avait accorder un peu de son pouvoir, ni les siens qui lui faisaient désormais confiance et le traitait comme guide, toujours, il pensait ses efforts insuffisants et son esprit toujours aussi vagabond. Un manque de confiance envers lui-même qui bien trop souvent avait déçu son dieu et son entourage par son inconstance et son égoïsme, qui depuis avait tenté de se racheter sans jamais vraiment se sentir pardonné.

« J’essaie de faire au mieux » On ne peut satisfaire tout le monde. Il ne peut-être aussi dévoué qu’elle. Lui était insatisfait. Mais peu importait. Si tous semblaient s’en satisfaire alors sa mission était réussie. Il fut soulagé d’apprendre que pour elle, tout semblait bien se passer. Les terres de la déesse Yurai avaient retrouvées leur calme d’antan. C’était le principal, le reste n’avait que peu d’importance. Mais sa réjouissance intérieure fut de courte durée, lorsque le regard de la louve s’assombrit en évoquant les départs de certains de leurs camarades.

Il ne comprit pas tout de suite. Resta interloqué, l’observant perdre son regard dans le glow émeraude que lui avait confié Mido. Immobile, la gueule a demi ouverte, il chercha une réponse dans ce regard vide qui pourtant n’exprimait que tristesse. Le Départ. Le voyage, cela lui faisait de la peine ? Pourquoi ? c’était là une chose qui lui échappait encore. Dans sa propre famille percée de magie et de nécromancie, tout était si différent. Jamais personne n’était définitivement parti, tous pouvaient revenir à un moment donné sous une forme ou une autre. La mort, le départ, le voyage, ce n’était plus un tabou pour personne, ni une tristesse. Seulement un chemin. Il faillit dire quelques mot mais les paroles suivantes eurent l’effet d’une pierre au fond du cœur.

*Il est si difficile de bâillonner son cœur... * Il est vrai. Il le savait que trop bien. Pour d’autres raisons qui faisaient qu’il étouffait ses sentiments plutôt que de les avouer. Le tumulte de ses émotions déversées sans proportion lui avait déjà attiré nombreux ennuies, hors de question de les déverser comme un torrent. Et de tout détruire. Pas aujourd’hui.

« Mais ne parlons pas de choses tristes ! »

« Parfois, s’ils doivent partir, c’est pour mieux nous revenir sous d’autres formes. Il n’y aurai de vie sans changement ou transformation. La mort, le voyage, n’en est que le prolongement. Il ne faut pas se montrer triste de cela. » Il couche les oreilles, ne sait comment l’expliquer, car il sait qu’il est difficile d’imaginer sans expérimenter ce que voit les nécromanciens comme lui. Alors il veut se montrer réconfortant, lui donne un coup de truffe sur la joue brièvement avant de s’éloigner à nouveau.

Ton voyage a du te donner faim. Les poissons sont revenus au ruisseau. Çà te tente ?"

Il acquiesce d’un mouvement de tête.

« Bien sûr. »

Il se met en marche jusqu’au ruisseau. En approchant les abords, il peut de son regard glacial scruter les poissons qui s’y agitent. Truites dorées brillantes sous le soleil, alors il tente sa chance, plonge sa mâchoire dans l’eau encore fraîche, mais ses crocs se referment contre le courant. Et c’est la gueule vide qu’il releva la tête.

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Les mots et gestes de réconforts avaient toujours cette douceur presque magique. Celle qui apaisait les blessures internes, cachées des regards. Celle qui ne se faisait plus sentir seule, mais aimée et soutenue. Ah, les amis étaient un magnifique trésor ! La reconnaissance fit briller son regard doré.

"Merci d'être là."

Sa proposition d'aller titiller les poissons fut acceptée. Elle mêla joyeusement ses pas à ceux de Lestat. Elle prit le temps de savourer la musique de l'eau. Tout était si tranquille dans la Vallée. Une bulle de répit après toutes les péripéties des semaines passées. Un retour au calme grandement apprécié par notre petite louve. Elle observa la tentative de son camarade. Malheureusement la truite fut plus rapide.

"Coquins poissons ! A mon tour d'essayer !"

Aurait-elle plus de chance que son ami ? Elle suivit le ballet aquatique des yeux. Elle se déplaça doucement et fit attention à ne pas créer d'ombre avec sa silhouette. Elle allait essayer la discrétion. Doucement, elle prépara son attaque. Elle attendit le bon moment et lança vivement une patte en avant. Un coup par surprise qui fit valser une truite hors de l'eau. Mais elle n'avait pas bien calculé la trajectoire. Elle l'avait envoyée trop loin de sa position. Voilà la proie sautillant énergiquement pour retourner d'où elle venait. Mince.

"Vite Lestat, rattrape-là !"

Il était plus proche du poisson qu'elle. Il serait plus à même de l'empêcher de rejoindre l'eau. Et si il échouait, ce n'était pas grave. Ils recommenceraient. Parce que cette journée était belle et qu'ils avaient du temps devant eux.

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Infortuné, la fourrure humide sur ses joues et sa gueule, alors que perlait l’eau goutte à goutte de sa fourrure, il releva la tête et observa la colombe du coin de l’œil. Elle se montrait plus patiente que lui, attendant le moment opportun pour frapper, se délectant du clapotis de l’eau et de son onde claire. La patience paya et d’une patte agile, la louve atteignit sa prise.

Fauché, le poisson argenté valsa sur la rive, roulant dans l’herbe longue et verte. Créature aquatique ainsi extirpé de son élément naturel qui luttait encore, tentant désespérément de glisser vers le cours d’eau si proche et si loin à la fois.

"Vite Lestat, rattrape-là !"

à l’ordre donné par la louve, il ne répondit pas, se contentant de s’exécuter. D’un bond un peu lourd, il s’immobilisa au dessus de la prise qui s’agitait encore en vain. D’une patte, il immobilisa la proie. Ses mâchoires se resserrent sur la chaire ferme du poisson. Prisonnier des crocs, d’une pression, il mit fin à son agonie. Une fois son œuvre exécutée, il porta la truite fraîchement pêcher au près de la louve la déposant non loin d’elle.

« On partage ? »

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Le mâle réagit au quart de tour. Il parvint à rattraper la truite avant que celle-ci ne retrouva son milieu. Notre Colombe apprécia le choix d'une mise à mort rapide. Elle n'aimait pas faire souffrir ses proies. Même les poissons méritaient d'être respectés. Comme tout être vivant en fait.

"Bien joué ! Jolie coopération !"

Elle était contente de leur succès. Lestat la rejoignit et elle observa leur belle prise. Elle était de bonne taille et ses écailles étincelaient sous l'effet des rayons du soleil. A sa question, Kerguelen releva un visage souriant. Elle secoua doucement la tête de droite à gauche.

"Une demi-truite ne te suffira pas. Tu reviens d'un voyage, tu as besoin de plus. Je te l'offre de bon cœur !"

Un petit sacrifice qu'elle ne considérait pas comme tel. Elle prenait simplement soin des siens. Elle se redressa et retourna promptement sur la rive. Prête à tenter une deuxième session de pêche. A nouveau, elle fouilla la surface de l'eau du regard. Des truites, elle n'en vit plus la trace. Sa précédente intervention avait du les faire fuir un peu plus loin. Temps pis. Elle pourrait se contenter de grenouilles ou même d'escargots d'eau. Elle n'était pas bien difficile. Elle haussa les épaules, en amorçant un demi-tour. Mais un léger remous attira son attention. Tiens, il y avait quelque chose ! Elle plongea sa gueule en direction de la silhouette floue. Quant elle la remonta, entre ses crocs dégoulinant d'eau, se tenait un poisson inanimé. Un gardon. Plus petit qu'une truite, mais suffisant pour elle.

La queue fouettant l'air, elle retourna près de son ami. Elle s'allongea de toute son long dans l'herbe et déposa sa proie sur ses pattes. Elle la contempla brièvement avant de tourner son museau vers le loup. Regard rieur, amusé par cette partie de pêche.

"Et voilà ! Bon appétit !"

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La truite argentée à ses pattes, n’émettait plus aucun mouvement, se contentant de scintiller au soleil dans son manteau d’écailles brillantes comme le faisait en miroir la surface de la rivière toute proche. Un cadeau de Kerguelen, encore un, elle qui refusa son envie de partage et alla se quérir d’autres poissons à la rivière. Ainsi, le mâle resta pantois, un instant, pendu au dessus du poisson sans oser y toucher et se contentant d’en observer les motifs. Honteux intérieurement. D’avoir lui-même échoué sa première tentative et de n’avoir à offrir que la truite qu’elle avait tiré hors de l’eau. C’était par sa faute qu’elle s’éloignait à nouveau. Se mettait en chasse d’un nouveau poisson et risquant au final de ne rien avoir à manger.

Ce n’était pas digne et pourtant, il la laissait, s’éloigner, retourner sur la rive, se remettre en position de pêche de nouveau au dessus du lit. Il était pas intervenu. Peut-être aurait-il du, intervenir, insister pour qu’ils partagent cette prise maigre peut-être pour deux, mais qu’ils auraient pu partager. Relevant la tête, il l’observa. À quelques longueurs, si proche et si loin à la fois, comme si une distance s’était établie, une distance qu’il avait lui même forgé dans son esprit. Il l’admire une fois de plus, son calme, sa patience, sa gentillesse à son égard.

Lorsqu’elle revint vers lui, portant un maigre gardon entre ses crocs. La honte se fit plus forte encore, il coucha les oreilles contre son crâne laissant retomber quelques mèches le long de son visage. Il serra les crocs, tenta de ravaler son amertume tandis qu’une question trottait inlassablement dans sa tête. Une question peut-être stupide qu’il tentait de chasser chaque fois qu’elle se montrait gentille envers lui. Elle qui désormais s’étendait dans l’herbe, toujours joyeuse, toujours souriante.

Il se pencha vers l’avant., détourne son regard de la louve et engloutit le poisson précédemment pêché en quelques bouchées rapides sans prendre vraiment la peine de mâcher. Puis, tout en se léchant les babines, il tenta d’articuler des paroles maladroites.

« Kerguelen, je ….euh ... » Parler était trop difficile. Penaud, il s’approcha de la louve, lui glissa un coup de langue rapide sur la truffe, avant de filer. Oreilles basses. Sans plus d’explication, il fit demi-tour et se hâta de disparaître parmi les roseaux direction l’île chuchotante.

Elle décortiqua tranquillement son poisson, mettant de côté les écailles. Peut être qu'elle garderait certains arrêtes pour en faire des aiguilles de couture. Elle prenait son temps, décidée à apprécier ce moment de partage d'un bon repas aux côtés de son ami. Ils étaient si rares ces petits instants de bonheur. Elle les chérissait tant. Elle voulait les garder aussi longtemps que possible dans ses souvenirs.

Du coin de l’œil, elle aperçut la voracité du mâle. Elle avait bien fait de lui laisser la truite entière. Son voyage l'avait vraiment affamé. Son sourire s'élargit. Elle avait le bon choix, guidée par sa générosité naturelle. Elle était heureuse d'avoir pu lui offrir ce petit plaisir.

A l'appel de son nom, elle tourna délicatement sa tête vers lui. Regard interrogateur. Mais prête à engager la discussion. Parce que certains de ses congénères aimaient parler tout en mangeant. Cela ne la dérangeait pas. Mais l'hésitation remplaça les phrases. Puis le silence. Et un geste muet, mais pas dénué de sens. Étonnement et ravissement furent les deux sentiments qui défilèrent dans son être. Un clignement de paupières et voilà la silhouette de Lestat avalée par les roseaux. Incompréhension.

Non. La bulle de bonheur ne pouvait pas être si rapidement détruite. Pas comme çà. Elle bondit sur ses quatre pattes notre Colombe. Elle n'était pas sûr d'avoir bien compris ce qu'il s'était passé. Mais cette expression coupable sur le museau de son ami, elle l'avait bien vue. Elle refusait de le voir triste. Elle refusait de le laisser partir avec son cœur lourd. Son amour la poussa à abandonner son poisson aux corneilles. Il y avait bien plus important à faire. Elle devait aller consoler le loup sombre, lui apporter un peu de son côté solaire. Elle ne voulait pas subir une énième perte. Alors, elle se mit à courir de toutes ses forces. Cherchant à retrouver le disparu.

On ne laissait pas un être aimé partir comme çà. Jamais. Çà faisait bien trop mal.

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