Ante Diem - Libre.

• Malédiction : Sans visage. •
De bric et de broc, le corps de Justice n'est plus loup. Bien que ramené dans le monde de PW, en plus de son apparence difforme, il dégage désormais une aura chaotique qui effraie ses interlocuteurs et les condamne à devoir lancer un dé réussite pour pouvoir lui parler.

Après la plage et la dernière image de la petite louve blanche qu’il aurait jamais, Justice avait erré. Longtemps.

Combien de temps ?

Il était incapable de le dire.

Tout ce qu’il savait était qu’il avait vu l’hiver peu à peu mourir depuis le coeur des montagnes dans lesquelles il s’était retranché, survivant de manière plus précaire que jamais à l’impitoyable saison qui élimait son corps comme un vieux tissu. Le printemps salvateur lui avait finalement succédé, laissant l’environnement se piquer de fleurs et s’éveiller de faune, jusqu’à ce que l’étirement des jours n’appelle l’été à son tour.
Il n’avait pas tout à fait regagné son poids et sa musculature, et ses côtes demeuraient parfaitement visible sous sa peau noire, mais elles n’étaient qu’un détail mineur que l’on ne remarquerait pas tant elles s’intégraient parfaitement au tableau horrifique de sa nouvelle apparence.
Car cette dernière ne l’avait pas quitté, dans tous ces mois d’isolement.
Elle était changeante, fluctuante ; cela il l’avait appris en croisant de temps en temps son reflet sur la glace ou son ombre découpée un jour de soleil. Les contours irréguliers de sa chaotique silhouette n’étaient jamais tout à fait les mêmes.

Mais ils ne revenaient jamais à la normale.

Qu’avait-il espéré, au juste ?
Beaucoup de choses.

Qu’il ne s’agisse que d’une affliction temporaire qui finirait par refluer au bout de quelques jours, comme certaines maladies.
Voyant que ce n’était pas le cas, il se prit à imaginer que la solitude qu’il s’imposait ennuierait le spectre qui l’avait maudit, le frustrerait ; même, et que dans un nouvel accès de colère il supprimerait sa magie pour s’intéresser à un autre.
Quelque part il espérait l’énerver suffisamment pour le revoir, aussi, et cette fois lui montrer avec quels crocs il avait tué une Bête du Monde Rouge.

Mais rien de tout cela n’avait abouti à quoi que ce soit, si ce n’était à plus d’abattement et d’obscurité.
Sa connaissance accrue de le montagne l’avait mené à s’y retrancher plus encore, s’éloignant soigneusement de toute âme qu’il ne désirait croiser.
Il l’avait parfois senti s’approcher, Joaquin, sans certitude aucune mais avec l’intime conviction qu’il ne pouvait y avoir que lui pour tenter de s’approcher du coeur des Monts Célestes. Car le Lien qui avait retrouvé ses fonctions habituelles s’agitaient doucement dans ses entrailles à chaque fois, et Justice faisait toujours en sorte de s’éloigner en direction opposée.
Jamais ils ne se croisèrent, durant ces longs mois.

Et durant ces longs mois, rien ne se passa.

L’attente n’apportait rien.

Telle était la conclusion qu’il portait aujourd’hui, alors que l’esprit vide et le corps toujours autant en vrac, il descendait des flancs de sa montagne.
Il aurait presque pu se transformer en l’une des pierres qui la formait à force d’y rester, aussi se sentit-il éboulis en se fondant dans la brume, à progresser toujours plus bas, s’arrachant de la rocaille avec lenteur.
Le fil de ses pensées, quand il s’animait soudain, était imprécis et chaotique - comme sa silhouette.
Mais il savait où il allait.

Couvert par la nuit qui laisserait bientôt place à l’aurore, le loup gagna les vallées nappées de brouillard.
La dernière fois qu’il s’y était rendu, c’était après le crépuscule. Aujourd’hui, ce serait avant le jour.

Il progressa en silence dans l’herbe généreuse et mouillée de rosée, d’un rythme toujours lent mais régulier, sans jamais dévier de sa trajectoire.

Puis il la vit.

Enclavée entre ces deux autres montagnes plus froides encore.
Le cri des corneilles résonnait comme un clairon, et aurait chassé ses doutes quant à l’arrivée de sa destination s’il n’avait pas déjà été certain d’être revenu précisément au bon endroit.

L’Eglise de la Corneille.

Et comme la première fois, après de longues minutes à en avoir scruté les pierres, silencieux et immobile quelques mètres devant l’entrée et son obscurité pourpre, il s’assit.

• Echec des dés •
Justice ne vous inspirera que effroi et répulsion, comme si l'objet de vos phobies se trouvait là, devant vous. Il ne sera pas possible de relancer de dé pour tenter d'initier un dialogue. L'épouvante sera donc votre sentiment primaire et il ne vous viendrait pas à l'esprit de raisonner avec cette Chose ; à vous de voir comment cela s'exprime chez votre personnage et quelles en seront les réactions.

Les minutes passèrent, dans le silence et la quiétude, comme la première fois.

Ses pas avaient beau l'avoir mené à son but sans faute ni hésitation, il ne savait toujours pas ce qu'il y ferait.
Quelque part, l'évidence de ce qu'il était censé faire avait été dite, bien des années plus tôt, quand déjà l'hésitation l'avait effleuré. Derrière l'encadrement de pierre se trouvait une puissance supérieure, la Déesse de la sagesse et de la tempérance.
Tout ce qu'il n'était pas - tout ce qu'il n'était même pas certain de comprendre, dans les lacunes évidentes qu'il possédait au sujet des notions complexes de personnalité.

Et cette décision de franchir ces quelques mètres lui paraissait aujourd'hui moins accessible encore que la dernière fois.

Alors peut-être qu'une partie de lui avait espéré que la marche à suivre se révèlerait soudainement devant l'édifice, dans une épiphanie brillante qui soulèverait le poids de ses épaules.
C'était un peu ce que les mots d'Eva avaient fini par lui faire espérer à force de se répéter en écho jusqu'à se déformer, dans ce tunnel sombre et sans issu qui l'engloutissait.
Mais rien ne vint. Rien d'autre que la solitude qu'il s'était imposée et qu'il continuait de traîner, rien d'autre que les battements de son cœur qui résonnaient dans sa poitrine du même rythme nerveux. Comme s'il n'était jamais tranquille.
Il ne l'avait jamais été.
Ses mâchoires constamment crispées et douloureuses, son sommeil morcelé, ses sursauts à chaque bruit qu'il n'avait pas anticipé et à chaque ombre attrapée du coin de l’œil en témoignaient.

Il lui vint d'un coup l'idée saugrenue que son horrifique apparence aurait au moins le probable avantage de repousser ceux qu'il fuyait, si même ils parvenaient à le reconnaître.

Quelques tressautements agitèrent son corps en même temps que le faible son de trois hoquets dissonants qui auraient pu ressembler à un rire.

Puis il se figea et redressa le museau d'un mouvement sec.

Ses oreilles avaient toutes deux bifurqué dans un même élan en entendant le son caractéristique d'ailes de plume froissant les airs non loin de lui.
Le schéma de sa première venue se répétait et il s'attendit à voir la louve pie se poser - quand bien même il doutait fortement que son accueil serait aussi chaleureux et animé dès lors que ses yeux se seraient posés sur son corps en vrac.
Mais ce ne fut pas Eva, qui posa ses fines pattes sur le sol.
C'était un mâle d'une masse bien plus imposante que la frêle louve, au pelage clair rehaussé de couleurs vives et dont la chevelure n'était en réalité que d'autres plumes plus souples que celles de ses ailes. A vrai dire, il pouvait trouver bien des ressemblances avec la louve noire et blanche malgré tout, au-delà des rémiges que tous deux arboraient. Il aurait pu se concentrer dessus quelques secondes de plus pour établir la certitude d'un lien, si seulement il n'y avait pas eu autre chose pour distraire son attention.

La peur.

Elle émanait de tous ses pores, cette peur. De son regard pétrifié aux pupilles en mydriase, de son corps tétanisé au pelage gonflé rejoint peu après par la crête duveteuse.

Et il ne fit rien, l'inconnu. Rien d'autre que de rester figé face à lui.
Bien qu'il ne porta pas de lumière, son flair l'informa qu'il était Nakhu lui aussi.

Alors quoi ?

A son tour il le fixa sans mot dire, les yeux crépusculaires -l'étaient-ils aujourd'hui, ou avaient-ils changé d'apparence ?- dans ses iris dorés.

N'importe quel membre t'apportera soutien.
Nous serons toujours là, si le besoin se fait sentir.

C'était ce qu'elle avait dit, Eva. C'étaient les phrases qui tournaient en boucle dans ses pensées brumeuses pendant qu'il observait le loup terrifié en face de lui.
Alors pourquoi il ne l'aidait pas ?
Oh, il savait pourquoi, bien-sûr. Il avait toujours été pragmatique. Tout comme il était lucide sur l'effet que devait provoquer son apparence. C'était la première fois qu'il se confrontait ainsi au regard d'un autre. Il ne savait même pas de quoi elle se composait aujourd'hui, il n'avait pas pris soin de s'observer en-dehors des confins de sa vision classique.
En tout cas, il savait qu'en se voyant, il aurait lui-même mal réagi. Il aurait probablement attaqué. Il en était même certain.

Et voilà qu'à son tour maintenant, il était devenu l'un de ces énièmes monstres à peupler ce Continent.

Il sentit le feu de la colère commencer à se ressusciter au fond de ses entrailles.

C'était... Injuste. Lui n'était pas une de ces abominations. Il avait besoin d'aide.

Ses griffes s'enfoncèrent dans la terre et d'un spasme musculaire, il quitta sa position assise pour faire un pas vers le loup blanc.

L'Eglise aux Corneilles était une deuxième maison : Ysée s'y rendait souvent.
Se sentant capable d'endurer le voyage, aujourd'hui, elle honorait cette habitude, cette promesse silencieuse eue envers cette Déesse qui deviendrait peut-être sienne, un jour, à moins que l'on ne la destine à ne porter aucune couleur. Sourire aux babines, elle avait apporté, avec elle, quelques fleurs communes rassemblées en un joli bouquet.
Ses cadeaux n'étaient jamais grandioses mais la foi qu'Ysée portait à Yurai l'était.

La femelle claire haussa les sourcils en sentant des présences diverses autour de l'édifice.
Elle s'avança, curieuse, jusqu'à ce que ses yeux vairons se posent sur cette... chose et qu'elle n'aperçoive Violette se jeter contre lui.

Ses oreilles se couchèrent sur l'arrière de son crâne et elle se sentit, soudainement, bien embêtée par la situation. La créature présente ne lui inspirait rien de bon, bien au contraire, mais, sans marque d'agressivité de sa part, était-il correct de faire preuve de violence à son égard ?
Et ce, si proche de la maison de Yurai ? Était-ce seulement dans les valeurs de la Déesse Corneille, de s'en prendre à une âme venue la trouver ?

N'était-ce, surtout, pas inconscient de foncer tête baissé contre un ennemi qu'ils ne connaissaient pas ?

- Att... Attends Violette !

Elle déglutit.
Hors de question de s'approcher du monstre, pour elle.
Peut-être qu'il viendrait, lui, comme il avait voulu le faire avec son frère. Son frère qui pleurait, tout en demeurant immobile.
Ysée reporta son attention vers la créature, implorante.

- Ne lui fait pas de mal ! ... S'il te plait.

• Réussite du dé  •
Justice inspirera toujours l'effroi et le dégoût, mais le dialogue est à portée et il vous sera possible de l'identifier en tant que loup et non créature surnaturelle.

Les paroles de Justice infligeront davantage encore de peur aux individus ayant fait un Echec et leur parviendront comme brouillées, non reconnaissables comme des mots mais plutôt comme une série de cris, grondements et autres sons désagréables.  

Le grand loup blanc s'était mis à pleurer.
Doucement d'abord, puis en torrents.
Voir les larmes dévaler ses joues envoya un frisson électrique et désagréable dans son échine.

Arrête !
Arrête de pleurer.

De l'irritation plus que de l'empathie fit monter la tension dans son corps.
Cela faisait des années que sa simple approche n'avait pas provoqué telle terreur et telle réaction chez un autre individu.
Justice ne cessa pas son approche pour autant, comme si... Comme si d'une manière complètement absurde venir se planter devant l'autre pouvait communiquer une forme d'apaisement, tout du moins le convaincre qu'il n'était pas ici pour faire du mal.
Il n'était pas comme ça, lui !
Il n'avait jamais eu le choix, avant.
Ici, il n'avait jamais recommencé. Il n'avait jamais blessé sans raison.

Il n'était pas comme ça.
Il ne voulait pas qu'on le voit comme ça.

Puis vint l'attaque.

Le choc d'un corps noir contre le sien plus noir encore de cette chape d'ombre qui ne le quittait plus.
Son regard vrilla vers le nouvel arrivé, un autre mâle qui s'était lancé contre son épaule et s'interposait désormais entre lui et le loup ailé.
Les babines retroussées et le regard assassin.

L'agacement de ne pas l'avoir vu arriver, lui qui ne pouvait se permettre de se laisser surprendre, déferla à l'intérieur de lui avec une froideur punitive.
Suivi juste après d'une bulle de colère brûlante qui enfla bien trop vite et éclata.

Un grondement monta du fond de ses entrailles, ses doigts s'enfoncèrent dans leurs appuis pour le dresser de quelques centimètres supplémentaires et lui permettre de toiser, menaçant,  l'inconnu qui s'était probablement senti utile et héroïque à intervenir alors qu'il n'y en avait pas besoin.

Il voyait bien dans ses yeux violets, à lui, qu'il n'y avait que du rejet et aucun espoir, qu'il ne comprendrait pas , qu'il n'était là que pour se battre et le faire partir.
Qu'il le regardait déjà... Comme l'un d'entre eux.

Cette simple pensée envoyait des gerbes de flamme rugir dans chacun de ses muscles.
Il sentit sans pouvoir les retenir ses propres babines se relever sur des crocs qu'il savait bien trop nombreux, protubérant de ses gencives à des endroits grotesques.

Il n'était pas un monstre.
Il ne voulait pas en être un.

Mais quand on ne voyait que ça en lui, qu'on l'y réduisait, qu'on le provoquait,  qu'on ne lui laissait pas le choix...
Il savait très bien tenir le rôle.

Toute la logique et légitimité de la réaction du mâle en face filaient à un rythme alarmant de son esprit brouillé.  Sa lucidité s’éclipsait sans prévenir.

Le reste devenait instinctif, quand son cœur ne devenait plus qu'une machinerie affolée aux battements incontrôlés, quand chacun des nerfs et des tendons de son corps lui criaient qu'il pouvait le mettre en pièces pour qu'il le laisse tranquille.

La suite d'actions à venir aurait presque été certaine, alors qu'il se sentait déjà ouvrir les mâchoires de ce museau entièrement tourné vers l'adversaire, le mâle blanc et le reste du monde oubliés et plongé dans un flou lointain.
S'il n'y avait pas eu le son de cette nouvelle voix, fluette et hésitante, pour faire éclater les murs du tunnel dans lequel il s'était jeté.
Ses oreilles comme sa tête se redressèrent d'un geste brut. Le contact rompu avec le regard de l'autre mâle lui donna à voir le nouvel arrivant.

Ou plutôt, la.

Blanche et maigre, à quelques mètres de la scène, pétrifiée elle aussi -  mais pas assez pour avoir été privée de parole, contrairement aux deux autres, quand elle s'adressa à l'un des deux Nakhus.
Un instant il crut voir la Colombe et son cœur se serra douloureusement d'une émotion différente de la colère et de l’apitoiement.
Mais ce n'était pas elle.
La détresse dans ses yeux suffit cependant à le captiver, assez longtemps pour se reculer d'un pas et ne toujours pas ramener son attention sur le loup à la crête. Revinrent dans son corps ces émotions mêlées d'agacement, d'agitation, de rejet.
Elle lui rappelait trop Misiek pour ne pas détester la façon dont actuellement elle le fixait, la façon dont elle le suppliait.
Et il ne savait pas quoi faire, tiraillé d'autre part par l'échauffement croissant de son corps qui réagissait mal à voir tant d'étrangers l'encercler, quand bien même certains gardaient leur distance.
C'était instinctif, ça aussi.
Une réponse automatique qui n'aurait besoin que de peu de stimuli pour s'enclencher.

Museau tourné vers elle il rouvrit la gueule, cette fois sans en dévoiler les crocs.
De sa gorge éraillée sortit plutôt une voix rauque, abîmée et étouffée de n'avoir pas servi pendant si longtemps. Il en avait presque oublié le son.

—  Fais-les partir.

Il ne savait même pas si les paroles que lui pouvait clairement entendre le seraient à ses oreilles, à leurs oreilles. Brouillée, massacrée, carrément inaudible ? Il n'avait aucune idée d'à quel point le spectre avait entouré sa présence de noirceur et à quel point il avait souhaité le voir semer discorde et déroute parmi ceux de sa propre espèce.
Peut-être ne comprendrait-elle pas, peut-être se mettrait-elle à trembler comme une feuille. Peut-être qu'ils entendraient complètement autre chose et que l'un d'entre eux lui sauterait de nouveau à la gorge.

Dans sa voix grave les quelques mots n'avaient pas été agressifs, mais leur dureté était habituelle et la menace était sous-jacente.

Fais-les partir, sinon je ne sais pas ce qu'il pourrait arriver.
Fais-les partir, sinon je risquerais de tuer le prochain qui attaquera.

Le conflit débuté prit rapidement fin, au grand soulagement d'Ysée.
Elle lança un regard reconnaissant aux différents partis, y compris à cette créature qui ne l'était pas vraiment.
Les idées plus claires, mais l'effroi toujours présent, il lui semblait même reconnaître un congénère. Ce qui, bien sûr, ne manquait pas de soulever de nombreuses questions.
La louve blanche n'eut, cependant, pas le luxe de s'y attarder bien longtemps, avant qu'un ordre vienne. Elle hocha la tête, soucieuse d'apaiser les tensions.

- Je reste.

Ce n'était pourtant pas faute d'avoir entendu les paroles de son frère qui, malgré la peur, souhaitait rester à ses côtés.
Elle lui offrit un sourire qui se voulut rassurant.

- Nous sommes dans la maison de Yurai : il ne peut rien m'arriver, ici. Ne vous inquiétez pas pour moi. Vous devez partir, je vous rejoindrai lorsque tout ceci sera terminé.

Cette entrevue, du moins.
L'inquiétude de Cheza était compréhensible : Après tout, ils ne connaissaient pas ce loup et rien, chez lui, n'était là pour leur inspirer confiance. Aussi, elle-même était bien frêle et serait, clairement, incapable de se défendre contre lui, si il venait à l'attaquer.
Mais il ne l'avait pas fait, jusqu'à maintenant. Alors pourquoi après ?

Ysée délaissa son frère pour reporter son attention vers l'inconnu.
A coup, sûr, cette présence ici n'était pas liée au hasard.

- Avez vous besoin d'aide ?

C'était peut-être pour obtenir celle de Yurai, qu'il était venu jusqu'à l'église.
Elle ne voyait, dans l'immédiat, pas d'autre explication.

Ils étaient toujours trois, trois qu'il surveillait tour à tour, trois parmi lesquels seule une avait l'air de comprendre et sur elle il posait chaque fois son regard plus longtemps.
Il ne savait pas pourquoi elle et pas eux restait calme, pourquoi elle et pas eux entendait ses mots sans être paralysée par la terreur.
Si c'était une idée de l'être qui l'avait maudit pour créer encore plus de dissension, c'était une idée brillante.

De toute évidence son apparence n'était pas moins monstrueuse pour ses yeux à elle, mais sa réaction trahissait qu'au fond elle savait qu'il y avait aussi un loup derrière cette enveloppe détraquée.
Le mâle noir à la crête violette recula d'un pas en abandonnant juste ce qu'il fallait d'agressivité pour que la tension redescende également chez Justice - ne serait-ce que d'un tout petit cran.
Mais il ne put pas s'empêcher de vouloir agir comme le chevalier protecteur pour autant, demandant à la louve et au mâle blanc de partir.
Justice secoua la tête d'un mouvement presque imperceptible, une babine retroussée sur un rictus informe.
L'irritation qui pulsait en lui se trouvait diluée d'une forme de compréhension, enfouie sous sa colère et son impuissance. Ce moment de flottement et de relative paix ramenait encore assez de lucidité pour qu'il comprenne la réaction de Violette - comme il l'avait entendue l'appeler, conscient qu'il n'aurait pas fait mieux et aurait peut-être fait pire.
S'imaginer face à une créature dont l'aura puait le danger avec à ses côtés une Colombe à protéger suffisait à dresser le scénario, même pour lui qui ne savait pourtant pas concevoir des scènes fictives.

Il n'aurait sans doute pas hésité plus de trois secondes.
Pour elle, il se serait abandonné aussi souvent qu'il l'aurait fallu à ce noir héritage de violence irraisonnée. Parce qu'à cela au moins il se savait bon, quitte à n'en devenir que plus mauvais.

A peine entendit-il les paroles rassurantes qu'elle leur adressa - il en comprit néanmoins la substance et la foi qu'elle portait, comme Eva, à cette Yurai. Assez forte pour qu'elle ne voit pas en lui une menace mais une âme à aider, et c'était peut-être cela et pas même autre chose qui expliquait en quoi sa réaction se fit différente. La frêle louve que le mâle blanc nomma Ysée croyait en quelque chose de plus puissant que la frayeur dont l'avait accablé le spectre.
Et ça la rendait forte.
Il fit un pas en arrière au moment même où elle s'adressa à lui en le regardant avec ce visage si blanc, si pur, si...

La déferlante de sentiments qui s'abattit en lui le fit reculer d'un autre.
Bien incapable de dire s'il s'agissait de tristesse, de désespoir, d'amertume ou peut-être même de honte ; il savait juste qu'il avait perdu le contrôle plus sûrement que s'il avait cédé à la colère.
Tout comme il avait compris que rien ne s'améliorerait ici.

— Ils ne te laisseront pas.

Ses yeux n'allèrent même pas dans les siens quand il parla de sa voix rauque, basse et résignée tandis que se balançait sa tête de gauche à droite dans une négation marquée.

Ils ne me feront jamais confiance, même si cela veut aussi dire qu'ils ne te font pas confiance à toi.

Il le savait, Justice, parce qu'il n'aurait jamais laissé seule la Colombe dans cette situation, même si elle lui avait demandé. Parce qu'il n'avait pas sa force.
Leur force.

Son regard éteint finit par croiser les yeux clairs de la louve et il s'y suspendit un court instant.

Avant de faire volte-face et de s'éloigner à longues enjambées sans un dernier coup d’œil vers les deux mâles.