La dernière page

Le ciel se teintait d'un beau levé. Avant dernier jour avant que ses yeux ne se ferment à jamais. Avant dernier jour avant que Vie ne l'habite plus. Bientôt il ne serait plus. Bientôt il appartiendrait au passé et ne serait plus nommé. Il deviendrait l'un de ces Oubliés. Un loup dont la disparition ne déclencherait que hochement d'épaule à l'annonce. Personne pour le pleurer. Personne pour se recueillir. Un constat triste qui lui arracha un sourire. Il allait partir sans le regret de s'en aller en laissant un proche derrière lui. Oh il avait quelques 'amis' même s'il ne savait s'il pouvait les nommer ainsi. Sans doute même aurait-il pu aimer l'Etelkrus ? Sans doute aurait-il pu mieux se lier avec la Licorne, l’entraîner dans un nouveau rite ? Oui, sans doute. Il leva les yeux vers le Ciel.

Il allait mourir et il en était heureux.

Bientôt il ne serait plus seul. Bientôt il siégerait auprès de sa Mère et de son Aimée. Bientôt il rencontrerait aussi ses grand-mères. Il allait retrouver sa famille qu'on lui avait arraché. Il allait connaître un Amour qui lui avait manqué parmi les Vivants. Une solitude qu'il avait appréciée, qui ne serait plus qu'un souvenir qui s’effacerait. Il allait pouvoir de nouveau s'ouvrir. De nouveau pleurer. Il allait pouvoir sourire et rire, éteindre le corps parfumé de sa Mère.

Une larme coula … La dernière de cette Vie.

Heinly se leva. Avant dernier jour qui ne serait pas vain. Il allait exécuter un dernier Rituel. Un dernier hommage à la Vie. Un cadeau d'adieu. Alors il se mit en marche. Il commença par se rendre dans la Bibliothèque, étudiant quelques livres, griffonnant quelques croquis. Ainsi se termina sa matinée. Il venait de lire les derniers ouvrages de sa Vie. Il put paraître nostalgique tandis qu'il s'approcha de quelques Nakhus sur le départ. Il les salua, se montra poli, sympathique. Il allait mourir alors autant s'ouvrir une dernière fois. Il leur montra ses croquis, son projet. Il leur expliqua pendant de longues minutes ce qu'il souhaitait faire. L'idée sembla les enjouer, les intriguer. Certains posaient des questions auxquelles Heinly parvint à répondre.

Une dernière Bénédiction au Savoir.

Il quémanda leur aide et avec joie, il la reçu. Il regarda ses aides filer chercher ce qu'il lui fallait tandis que lui, prit un autre chemin. Il quitta île pour récolter d'autres éléments. Il trouva des pins, il leur tourna autour, repérant ceux qui étaient abîmés. Il s'en approcha, il récolta quelques gouttes de résine par-ci par-là. Il y en avait peu mais suffisamment. Il n'avait guère besoin de grande quantité. Il glissa le bocal qui lui avait servi dans une de ses sacoches. Il récolta des branches, les plus sèches puis il retourna à la bibliothèque. Les Nakhus étaient déjà là, ils discutaient et le saluèrent en lui montrant tout ce dont il avait besoin. Roseaux, fleurs séchées, d'autres branchages … Et de l'osier.

Assez pour ce qu'il devait faire.

Il les remercia et quand les loups ne furent plus, il commença son ouvrage. Il fit plusieurs tas. Cinq pour être exacts dont un plus épais que les autres. Vannerie lui avait été inculpé par sa Mère alors, il attrapa de quoi tresser et doucement, il sculpta une drôle de créature. Ronde, petite, elle ressemblait à bien des créatures mythiques sans que nom puisse lui être donné. Il ne la ferma pas, laissant la petite statuette sans tête. Il attrapa un autre tas et le voilà recommençant, encore et encore. Il ne lui fallut que deux heures pour tresser les cinq inachevées. Il était tant de les remplir. Il coupa plusieurs branches et il glissa comme un nid au centre de la composition. Il regarda son travail avec satisfaction.
Il sortit enfin son bocal contenant la résine de pin. Il huma son doux parfum, fort, entêtant, marquant. Avec un étrange sourire, il renifla les plantes. Certains sentaient plus que d'autres alors, il les mit de côté. Les moins odorantes furent badigeonner de résine puis glisser au centre du nid. Et enfin, il disposa les fleurs plus odorantes sur le dessus, leur fumet se mélangeant à la résine et provoquant un parfum plus doux. Puis il termina de vanner les statuettes et, content de ses ouvrages, il les emmena à la bibliothèque.

Certains loups le regardèrent étrangement disposer les statuettes. L'une au Nord, une au Sud. Une à l'Ouest, une à l'Est quand la dernière, la plus grande, pris place au Centre. Elles étaient exposées aux yeux de tous. Les Loups vinrent les voir pour assouvir leur curiosité et Heinly répondit aux questions.


«  Je vais bénir ce lieu d'une magie ancienne. Les quatre point cardinaux seront appelés à la protection quand Centre permettra la stabilité de ce lieu.


Des mots qui semblèrent convaincre son auditorium, puis, il continua. Il attrapa des bougies qu'il disposa autour. Il n'en prenait jamais des grandes. Elles avaient toutes un point commun : la flamme était au même point. Il les positionna sans qu'elles touchent les statuettes pour éviter tout accident incendiaire. Il disposa aussi quelques livres autour, une petite muraille qui couperait le vent des passages incessants des autres loups pour que flammèches ne soient éteintes.

Il ne restait plus qu'à attendre la Nuit.

Le soir était proche quand il eut fini de les disposer. Il somma les autres loups de ne rien toucher et il sortit prendre l'air. Il l'avala goulûment puis il s'installa, attendant le moment venu pour faire sa bénédiction. Il fallait que la Nuit soit bien avancée, que le Jour passé vide la Bibliothèque. Il ne voulait faire son rite avec plein de regards curieux. Il voulait le calme et la sérénité. Il en aurait besoin pour appeler Magie Élémentaire en ce lieu.

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Ses yeux se levèrent quand le ciel devint étoilé. Un Temps radieux pour une avant dernière nuit complète. Alors, il se releva, l'esprit calme, le visage de marbre. Il s'aventura dans la Bibliothèque. Vide étaient les nombreuses rangées. Quelques loups traînaient, certains dormant quand d'autres lisaient encore. Il discuta avec certains, les conseillant de rentrer chez eux. Certains obtempérèrent quand d'autres refusèrent.

Qu'il en soit ainsi.

Il fit le tour des statuettes, elles étaient toutes au bon endroit. Elles n'avaient pas été déplacées. Bougies étaient proches de la dernière flammèche. Parfait. Il attrapa quelques coulures de cire sur d'autres bougies qui ne lui étaient d'aucune aide. Il forma comme un nid autour de celles utilisées pour son rite. Quand dernière cire tombera du corps, le feu prendra sur le nid, perpétuant l'éclairage jusqu'à l'Aube.
Heinly fouilla dans ses sacoches et il en sortit une bouteille d'alcool issue d'un vieux troc. Cela lui faisait mal de voir pareil achat utilisé dans de telles circonstance mais bientôt il ne serait plus et c'était le seul liquide qu'il possédait sur lui pour exécuter le dernier acte. Alors, pourquoi ne pas l'utiliser ?

Ainsi commença la fin du rite. Il commença à psalmodier des mots étranges. Langue inconnue, langue incompréhensible pour beaucoup mais qui demeurait pleine de sens pour lui. Sous son murmure d'outre-tombe, il dessina de drôle de symbole avec la liqueur, reliant les nids de cire à la statuette qu'il bénit en y envoyant plusieurs gouttes dessus. Il marquait une pause entre chacune puis il reprenait les mêmes mots à quelques nuances près, les mêmes gestes, face à chacune des statuettes.

Lorsqu'il s'approcha de la dernière, il sut que cela allait être la fin. Mot et geste furent répétés tandis qu'il leva la tête vers le Ciel. Il lui restait un fond d'alcool. Alors, il traça une ligne entre le Centre et la statuette la plus proche de la sortie. Il eut juste assez pour les relier, et il remarqua. La finalité venait de commencer. Flammèches venaient de quitter le corps principal pour embraser le nid. Du nid brûlant doucement, flammes naquirent au contact de l'alcool. Elles suivirent le chemin, rencontrant les statuettes. Rencontrant de quoi bien les alimenter, de quoi les exciter. Il attrapa quelques bougies proches qu'il coucha sur les tables, sur des livres, flammes commençant à poser pied sur ce nouveau support appétissant.
Le loup esquiva un sourire puis il se dirigea vers la porte tandis que fumée commençait à se répandre. Il ouvrit la porte qu'il bloqua. Non pour permettre aux autres loups dedans de vite sortir mais pour aider l'oxygène à venir, à alimenter plus rapidement l'incendie qu'il venait de déclencher.

Et il s'en alla, sans un regard en arrière, juste un grand sourire aux babines. Que feu prenne ou non, certains ouvrages étaient déjà perdus. Sans doute que Mort viendrait récolter quelques âmes brûlées ou intoxiquées. Mais qu'importe. Heinly était fier. Fier de son dernier rite. Il venait de bénir le Savoir en le privant des autres. Ils étaient tous trop Sots pour le recevoir. Tous trop imparfaits. Ils ne savaient rien, espéraient apprendre entre ces livres alors, il avait voulu leur rappeler leur condition. Leur rappeler qu'ils n'étaient que des Merdes quand le Savoir restait l'apanage des Érudits. Ils ne méritaient pas de poser patte sur tels trésors.

Alors, Feu devait consumer le maximum. Feu devait laver le Savoir sali.