Bourgeons - Anita et Nirvana

Elle était heureuse, Holly.
Mais aussi fatiguée.

Ce n'était pas facile de concilier la grossesse, l'éducation d'une enfant en bas-âge et sa fonction d'Alpha et elle se sentait, bien vite, sur les rotules. Ce serait, cependant, quelque chose qu'elle mènerait par ce qu'elle n'avait pas le choix et que, maintenant qu'elle l'avait choisi et que les enfants étaient là, elle n'allait certainement pas faire machine arrière.
L'organisation était surtout différente : oubliées, les chasses à rallonge après avoir rempli son devoir d'Alpha, son temps libre se résumait à s'occuper de sa fille et à dormir avec elle.
Enfin, ça ne durerait qu'un temps, elle ne s'inquiétait pas vraiment pour ça.

Ce qui ne l'empêcherait pas de continuer à prier pour que les petits à naître fassent leurs nuits rapidement.

Il y avait quelque chose d'étrange dans le fait de mener cette grossesse seule. Si elle ne le vivait pas comme un échec, ce n'était, pourtant, pas ce qu'elle s'était imaginée faire il y a encore quelques années.
Pour être honnête avec elle même, elle devait bien avouer ressentir, parfois, un peu d'appréhension, maintenant qu'ils étaient là. Saurait-elle être une bonne mère ? Son propre modèle parental avait été désastreux, est-ce qu'il aurait des répercussions sur l'éducation qu'elle aurait à offrir à ses propres enfants ?
Bon, elle ne s'en sortait pas trop mal, avec Nini, il lui semblait. Mais entre gérer une enfant, toute mignonne qui plus était, et plusieurs, c'était tout de même... différent, oui.
Enfin, elle pensait ?

Et la naissance, comment se passerait-elle ?
Est-ce qu'elle aurait mal ?
A quel point, surtout ?

Est-ce que les enfants vivraient bien, sans père ? Est-ce qu'elle leur suffirait ?

C'était des questions qui s'imposaient et auxquelles elle ne trouvait pas encore de réponses, mais elle possédait encore du temps pour y réfléchir. Elle préférait ne pas trop s'en préoccuper, pour le moment, et profiter de l'instant.

Allongée à l'extérieur du Castel, puisqu'elle s'était décidée à profiter du soleil, la louve bleue roula sur le dos et rejeta la tête en arrière... Ce qui lui permis de remarquer, à l'envers, certes, une louve bien connue.

Il y avait des jours meilleurs que d’autres.

Ce jour était l’un des bons, où son esprit lâchait un peu prise avec ses tourments et où elle appréciait davantage les rayons du soleil sur son dos.

Ces derniers temps, Anita s’allongeait fréquemment dans les grottes où exerçaient les panseurs. Oh, elle n’était pas malade, non. Mais elle… Se fatiguait. D’une fatigue de l’esprit qui ternissait davantage les couleurs de ses journées, pourtant radieuses et estivales.
Elle savait que ce n’était que temporaire, qu’il n’y avait pas de quoi s’inquiéter et qu’elle aurait pu simplement ignorer ces signes de faiblesse et affronter son état pour les jours ou les semaines qu’il durerait encore.
Mais elle écoutait.
Elle écoutait les mots des panseurs, de Tawana qui ne manquait jamais de lui rappeler de se ménager. Les mots de sa mère - de ses mères - et les promesses qu’à toutes deux elle avait faites.
Elle écoutait, et comme faire semblant pour plaire n’était pas dans ses habitudes ; elle appliquait.

C’était ainsi qu’elle s’était retrouvée à passer de quelques minutes à parfois quelques heures, selon les jours, au milieu de ceux qui avaient besoin de soins ou de repos.
Toujours en retrait, elle ne quémandait jamais vraiment l’attention des soigneurs, au fond.
Son apaisement, elle le trouvait avec simplicité dans les sourires et les quelques regards qu’elle attrapait, dans ces voix et cet affairement, dans ces présences qui se pressaient.
Dans ce fourmillement de vie qui l’entourait et lui faisait un peu oublier le vide.

Et quelques jours auparavant, parmi les rumeurs qui défilaient en nombre sur des lèvres plus ou moins discrètes, elle en avait appris une qui l’avait réchauffée.
Qui expliquait aujourd’hui sa présence au coeur d’une prairie fleurie, après son passage quotidien à la Moere, et après celui à la plage pour voir sa mère. Elle avait remplacé son passage maintenant routinier chez les panseurs pour aller ici, à la place.
Son emploi du temps devenait de plus en plus structuré, elle en était à deux doigts de les compter en créneaux.
Elle sourit.

La louve s’affaira encore quelques minutes à ramasser les plus belles feuilles, puis s’allongea sur un rocher tiède pour assembler de ses longues griffes les différents éléments entre eux.
Liane, coquillages, bruyères et pierres percées… De quoi faire un gri-gri un peu informe, à mi-chemin entre un collier trop ample et un harnais sans structure, mais coloré et odorant. Et robuste, un minimum.
Lorsqu’elle fut satisfaite de sa drôle de guirlande, elle s’envola.

Celle qu’elle cherchait ne fut pas bien compliquée à débusquer, ventre à l’air à la sortie des tunnels. Anita inclina souplement le corps et piqua, atterrit non loin, puis franchit la distance restante en quelques mètres, un immense sourire sur le visage.
Avant de jeter sa confection sur Holly, la capturant dans un filet hétéroclite - et l’instant d’après, elle sautillait autour de son amie en la taquinant des poils de sa queue qui passaient sur son visage.

— Alors ! Combien sont-ils ? Tu as déjà des noms ?

La vie n’avait pas été facile pour Holly non plus, ces derniers jours. Elle le savait bien, même si elle essayait de cacher toute la douleur qu’elle ressentait.
Alors porter enfin la vie, satisfaire ce besoin viscéral d’enfants… Elle devait être si heureuse.

Cela se voyait déjà, après tout, sur son visage plus apaisé.

L'objet qui lui fut jeté la surpris un peu, et la louve bleue roula rapidement, afin de se remettre droite sur ses quatre pattes.
Son regard tomba sur ce cadeau... un gri-gi ? Mais pourqu...
Oh.
Elle savait, alors.

Les doigts de sa patte se serrèrent un peu, tout en prenant garde à ne pas l'abîmer, autour du gri-gri et un sourire franc vint fendre son visage.
Un sourire comme elle en avait rarement eu, par ce qu'elle était heureuse, là, maintenant, et touchée de cette attention qu'avait eue son amie envers elle et ses petits.

- Merci beaucoup ! Les nouvelles vont vite, on dirait.

Sans doute l'avait-elle appris grâce aux panseurs chez qui elle se rendait régulièrement, afin de s'assurer que tout allait bien pour ces petites vies qui se développaient en elle.
Elle ne pouvait envisager de les perdre. Donc ça n'arriverait pas. Mais la vie n'avait pas été tendre avec elle et, malgré sa volonté d'être optimiste, pour cette fois, Holly ne pouvait s'empêcher de craindre que quelque chose vienne lui voler son bonheur.

Comme il le lui avait volé, Lui, en partant après lui avoir donné tant d'espoirs.

- Ils sont deux... Normalement. Mais on est jamais à l'abri d'une surprise, apparemment. Enfin, je t'avoue que deux, ça me va, c'est bien. Sinon, si ils sont plus nombreux, ils risquent d'être en mesure de me faire la misère, avec Nini à leurs côtés.

Elle rit.
Même à deux, donc trois enfants en tout, elle avait conscience que les choses risquaient de ne pas toujours être simple. Ce serait épuisant mais, en même temps, tellement plaisant de voir cette famille dont elle avait tant rêvé.
Holly espérait, de tout son cœur, les voir soudés. C'était pour cela, aussi, qu'elle les avait souhaités d'âge rapproché.

- Ca va te surprendre, mais je n'ai pas encore d'idées arrêtées... Peut-être des noms de fleurs.

Durant des années de relation, elle s'était imaginée mourir sans avoir pu donner la vie.
Maintenant que les choses étaient différentes, elle peinait encore à réaliser ce qui arrivait, ce qu'elle avait provoqué.
Tout avait été si vite : C'était venu d'une envie qu'elle avait, d'abord, considérée comme étant un peu déraisonnable, tant elle différait de l'idée même, de l'idéal, surtout, qu'elle se faisait d'une famille.
Puis elle s'était convaincue, et le jour même de cette conclusion -elle voulait vraiment des enfants- elle s'était arrangée pour porter la vie.

- Il me tarde de les rencontrer. J'espère être une bonne mère.

A défaut d'avoir été une bonne compagne.

L’hybride s’assit dans l’herbe en se laissant tomber sans grâce, hochant vigoureusement la tête.

— On compte les naissances sur les doigts d’une patte, ces dernières années, forcément que ça se saurait !

Elle lui tira la langue, rejetant au loin toute possible allégation au sujet de ses grandes oreilles un peu trop indiscrètes. Son corps se relâcha un peu plus encore et elle finit par s’allonger au milieu de l’herbe grasse aux côtés de la future mère, profitant de l’agréable sensation qui enveloppait son corps. Le bonheur qui irradiait de chez Holly -enfin- était contagieux, un sourire aussi sincère et porteur d’espoir que celui qui illuminait son visage pâle était probablement ce dont elle-même avait le plus besoin ces derniers temps.
Pour réapprendre à les laisser revenir sur ses lèvres à elle.
Elle hocha du museau en apprenant leur nombre, et son esprit s’emballa à tenter de s’imaginer à quoi ils ressembleraient.
Mais c’était une tâche ardue sans l’image du deuxième parent.
Les pelages qui prenaient forme dans ses pensées étaient soit d’orange et de bleu avec des ailes de dragon, soit mouchetés de brun sombre et pailletés d’or.
Elle secoua doucement la tête et les chassa d’un clignement de paupières.

La surprise n’en serait que plus grande, de les découvrir sans anticipation.

Au moins avait-elle une indication pour les noms, même si ce n’était pas très précis. Malheureusement, elle ne connaissait pas suffisamment les noms des différentes fleurs pour pouvoir s’imaginer mille variants. Les savoirs qu’elle grappillait dans les livres qu’elle subtilisait plus ou moins discrètement chez les panseurs, plus jeune, se concentraient surtout sur la faune.
Pour la flore, elle se contentait en général de l’admirer lors de ses sorties et de ses observations, mais restait le plus souvent dans l’ignorance totale des noms des divers genres et espèces.

Son cou se tendit néanmoins vers l’une des oreilles de la bleue, sur le ton d’une fausse confidence.

— Promis, je ne dirai pas à Narcy que tu veux voler son nom pour le donner à un gosse.

Un rapide sourire découvrit ses crocs, avant qu’elle ne redevienne un poil plus sérieuse pour poser une patte sur celle de son amie.

— Bien-sûr que tu le seras ! Tu feras de ton mieux, et ce sera très bien comme ça. Tu les as tellement voulus, alors tu ne pourras que les aimer, c’est l’essentiel.

C’était sincère. Elle doutait que beaucoup de parents aient jamais suivi des formations ou des cours sur l’éducation et la façon d’être un parent parfait - elle imaginait que tout cela était assez instinctif, et que le plus important était de faire de son mieux. Et puis, Holly serait entourée - d’autres parents, notamment. Quelle situation serait plus idéale ?
A part être accompagnée du deuxième parent, évidemment, mais cela…
Un mouvement d’oreille chassa cette réflexion du fil de ses pensées, et elle embraya sur quelque chose d’autre.

— En parlant de Nirvana, où se cache-t-elle ?

Cela avait aussi été une bonne et inattendue nouvelle. Quelque chose qui n’aurait pas pu mieux tomber que d’arriver à Holly à ce moment précis.
Et voilà que l’adorable créature aurait bientôt des frères et soeurs.

Il était vrai que les naissances s'était faites rares, ces derniers temps. Les Etelkrus ne semblaient pas vraiment avoir la fibre parentale et, quelque part, c'était quelque chose qu'elle regrettait et qui l'inquiétait : Qu'allaient-ils devenir, si les loups mourraient de vieillesse sans avoir engendré de descendance ? Est-ce que cela pourrait causer la mort de leur meute ?
C'était, sûrement, ce qui avait poussé Pepper et Anette à organiser le tournoi de reproduction. Le problème ne remontait donc pas d'hier.

La plaisanterie d'Anita lui arracha un gloussement. Ca faisait du bien, de la voir ainsi : Elle savait que les derniers évènements n'avaient pas été faciles pour son amie, ainsi que pour sa fratrie, avec la perte de leur mère et... Et à défaut de pouvoir les aider avec ce deuil à faire, elle ne pouvait que leur souhaiter d'aller mieux rapidement.

- Le pauvre, quand même. Je vais éviter de commettre un tel outrage.

Elle n'était pas certaine que Narcisse apprécie.

- Oh, pour ça, je sais déjà que je les aimerais de tout mon cœur. C'est pour ça, aussi, que je suis un peu nerveuse malgré toute la joie que me procure leur existence... Mais j'imagine que c'est normal !

Rares étaient les parents et les schémas de famille classique, parmi les Etelkrus : Elle n'avait pas vraiment de référent en la matière à part... Anette.
Mais Anette était si fatiguée et elle ne souhaitait pas la déranger avec ce genre de choses. Alors elle verrait, le temps venu, en s'inspirant de ce qu'elle avait pu voir et peut-être en y mettant un peu d'instinct.
Il n'y avait, sûrement, pas une seule façon de faire.
Les paroles d'Anita, en tout cas, avaient quelque chose de rassurant.

A la question posée sur sa fille, elle pointa, du museau, l'une des grottes juste derrière elle.

- Elle dort. Ca fait un moment, d'ailleurs, je pense qu'elle ne devrait pas tarder à se réveiller.

Ok, Nirvana avait dormi. Vraiment bien dormi. Puis en se réveillée, elle avait pas vu sa mère et s’était donc mise à sa recherche.
Puis elle avait croisé Perrine. Sa nourrice qui lui avait rapporté quelque chose de la plage. Un super coquillage aux douces couleurs nacrées. Tenant fièrement son présent, Nirvana s’était lancée à la recherche de sa maman, bien décidée à lui montrer. D’habitude elle s’éloignait pas trop… peut-être faisait-elle de l’exercice à cause de son gros ventre ?
Maman mangeait beaucoup aussi en ce moment, c’était pour ça.
De sa démarche pataude, Nirvana traversa le camp, hésitant à s’aventurer à l’extérieur. M’man aimait pas trop… C’est pas que la sirène était effrayée, mais elle voulait pas désobéir…
Mais elle sentit son odeur, et la suivit. Y’avait Anita avec elle.

« — Maman ! »

Nirvana vint se glisser entre les pattes de la bleue, sa petite queue remuant de gauche à droite, alors qu’elle finit par glisser sa tête entre les pattes avant d’Holly pour l’observer d’en dessous.
Elle montra le coquillage.

« — Regardes Perrine elle m’a ramené un coquillage ! On ira en ramasser dis ? »

S’il te plaît. Comme ça en plus tu pourras faire de l’exercice, on pourra jouer dans l’eau, ce sera trop bien, hein ?
L’enfant s'avança vers Anita, un sourire aux babines, alors qu’elle lève son museau (z’étaient tous trop grands).

« — Bonjour Anita ! »

.

L'hybride sourit de plus belle.
Elle était convaincue qu'aimer ses enfants était à peu près la seule chose nécessaire pour paver le chemin de la réussite. C'était une lumière faite d'amour qui éclairait au moins une partie de la voie, qui guidait vers l'amélioration en voulant fournir le meilleur. Après tout, elle imaginait que ses propres mères n'avaient pas eu d'autre guide mis à part le lien profond qui les unissait l'une à l'autre, terreau fertile à l'amour né ensuite pour leur portée.
Enfin, bien évidemment, on pouvait réussir même sans cela.
Holly le prouverait. Ces enfants qu'elle portait sans partenaire à ses côtés n'étaient pas le fruit d'une déconvenue, mais un premier sacrifice de sa part pour leur permettre de voir le jour et d'entrer dans ce monde, baignés de toute l'attente et l'affection qu'elle devait sûrement déjà avoir pour ces vies à naître.

Et même sans deuxième parent... Elle ne serait pas seule.
Arrivait justement à point nommé un morceau de cette famille en construction, juste après qu'elle se soit questionnée à son sujet.

— Eh bien, quand on parle du microbe...

On en voit les antennes.
Son rictus taquin dévoila la pointe de ses crocs avant de se muer en mine attendrie quand la jeune enfant s'approcha de sa mère pour montrer son joli coquillage nacré.
Probablement ramassé sur les plages qu'arpentait encore sa mère quand la deuxième ne le pouvait plus.
Un clignement des yeux pour chasser le pincement au cœur qui la prit, puis elle reporta son attention sur la minuscule louve.
Elle lui offrit son plus radieux sourire quand elle s'approcha pour la saluer, se penchant vers l'avant pour être davantage à son niveau.

— Salut, Crevette !

Bon, elle protesterait peut-être, mais c'était affectueux - et aussi un peu fait exprès pour l'embêter. Et puis on ne pouvait pas tout à fait nier une certaine ressemblance.
Une patte se leva pour se poser sur la tête de l'enfant sans mettre de poids, ébouriffant quelques mèches.

— C'est comment d'avoir bientôt des petits frères ou sœurs à embêter la nuit ?

Pour varier un peu, même si ça n'offrirait pas davantage de repos à sa pauvre mère qui devrait bientôt gérer des chamailleries à plus grande échelle.

En tout cas, pas une seule fois la possibilité que la bleue n'ait pas encore annoncé la grossesse à la petite ne lui traversa l'esprit.
Alors il serait bienvenu que le sujet ait déjà été abordé.

Il suffisait de parler de Nirvana pour que l'intéressée fasse son apparition.
Un sourire sur les babines, Holly pencha la tête en avant pour admirer le coquillage ramené par son enfant, un cadeau de Perrine.

- Il est magnifique ce coquillage, ma puce. Oui, on ira, bien sûr, c'est promis.

C'était prévu, en tout cas : elle trouverait bien comment libérer du temps pour sa fille, ça allait de soit.

...
Aie, Anita et le sujet qui fâche.
Holly perdit immédiatement son sourire, au profit d'une petite grimace. Par ce qu'évidemment, sa consoeur ne pouvait pas savoir que son aînée n'était pas particulièrement ravie, et encore, c'était un euphémisme, d'accueillir d'autres louveteaux dans leur famille, qu'elle craignait les moqueries, qu'elle avait même souhaité les donner à quelqu'un d'autre, à Perrine.
C'était vraiment un sujet un peu délicat, pour le moment, et elle espérait sincèrement que ce soit là une réaction normale pour tous les enfants en bas-âge qui connaissaient, dans leurs petites vies, tel bouleversement.

M’man lui promet de l’emmener bientôt ramasser des coquillages, ce qui couvre de bonheur la p’tite.
Nirvana sourit en entendant le surnom. Crevette. Ok c’était petit, mais c’était plutôt joli… en plus ça lui rappelait la plage, quand Perrine leur montrait les mares résiduelles. Puis vient le fameux sujet. Ah.
Oui avoir des frères et soeurs… quelle plaie. C’était un cauchemar et Nirvana espérait qu’en se pinçant elle allait se réveiller. Plus de sourire sur ses babines, alors que sans aucune gêne elle croise le regard de la disciple du serpent.

« — C’est nul. »

Parce que vraiment ça craignait grave.

« — Tu veux pas les prendre dis, Anita ? »

Une pointe d’espoir dans la voix de la gamine.
M’enfin fallait pas rêver.
Nirvana essaya de chuchoter pour pas que M’man entende.

« — Je te donne même mon coquillage si tu dis oui… »

Avant que quiconque n’ait le temps de répondre, Anita eut le temps de surprendre le visage apaisé de Holly se changer en grimace pincée.
Un sourcil se haussa, sans comprendre où elle pouvait bien avoir pêché – mais la réponse ne fut pas longue à surgir d’une voix enfantine et boudeuse.
C’est nul, affirma Nirvana qui avait perdu son sourire elle aussi.
Même pas le temps de réagir pour l’Alpha que la petite enchaînait et lui proposait de… les adopter, somme toute, avec une intonation au fond de la voix et une lueur dans les yeux qui ne pouvait qu’exprimer la sincérité de son désespoir.

Anita ne put s’empêcher de rejeter la tête en arrière et de laisser éclater un rire clair. Ah, les enfants et leurs caprices.
Elle lui offrait même son beau coquillage ! Quelle chance.
Il était vrai que la situation de la petite louve était un peu particulière, à voir une fratrie poindre le bout de son nez après avoir été la petite reine et seul trésor de l’attention de sa mère pendant plusieurs semaines. La plupart des familles n’avaient pas eu à se poser de question : tout le monde venait en même temps dans le même colis et il n’y avait d’autre choix de faire avec, puisque c’était de toute façon normal.
L’hybride se calma et vint entourer les fines épaules de l’enfant avec sa patte, puis colla son front au sien.

— Mais non, c’est pas nul ! Moi j’en ai, des frères et même une sœur ! Et c’est super génial.

Elle lui fit un clin d’œil.

— Et non, je peux pas les prendre, parce que ça rendrait ta maman triste, et j’ai pas envie qu’elle soit triste. Et toi non plus.

C’était pas une question – quel enfant de son âge voudrait rendre son parent triste, enfin ?!
La louve tourna le visage vers Holly et fit la moue en imitant un air triste et apitoyé pour simuler la grande tristesse qui submergerait la bleue si elle se retrouvait à céder ses enfants à quelqu’un d’autre. Très convaincant.
Puis, tout comme l’avait fait la jeune enfant à son attention, c’est directement dans son oreille qu’elle chuchota ensuite.

— Mais j’ai une idée : tu n’as qu’à réclamer à ta maman un quelque chose que tu adores et que tu veux garder rien qu’entre elle et toi, pour toujours.

Un lien indéfectible qui les unirait et lui permettrait de prendre confiance à l’arrivée de ces deux – ou plus – petits bouleversements.

La réaction de sa fille ne se fit pas attendre.
Holly espéra, alors, de tout son coeur, que les paroles de sa consoeur sauraient rassurer la petite louve. La situation n'était pas facile, et un peu différente de ce que l'on avait l'habitude de voir -rares étaient les parents qui adoptaient puis enfantaient dans un délais aussi court- mais il faudrait faire avec.
Et dire qu'elle avait pensé qu'il serait bien, qu'ils puissent grandir tous ensemble.

- Tu vois ? Tu verras, c'est mieux de grandir avec des frères et sœurs.

Enfin, elle aurait aimé que ce soit le cas, pour elle.