La douce jeunesse † Aerondight

Une chose était certaine : les filles d'Hedwige seraient des enfants de l'été. Des enfants qui ne souffriraient pas des fortes chaleurs, qui apprécieraient le soleil, qui étaient nées sous le climat tropical de l'atoll et de ses blanches plages. Peut-être était-ce pour cela qu'elles étaient toutes de pelisse claire, maintenant qu'elles revêtaient leurs robes d'adultes. Aerondight ne faisait pas exception et trottinait ce matin-là sans gêne le long de la mer, songeuse. Sur ses épaules, des petites plumes de verre attrapaient la lumière et projetaient autour d'elle des couleurs étonnantes. Une beauté née de cette souffrance qu'elle endurait chaque jour depuis qu'elles avaient commencé à pousser. Elles devenaient un peu moins plumes éparses et un peu plus ailes tous les matins, mais ses nuits et ses journées étaient ponctuées de moments de sanglots et de moues attristées que rien ne pouvait vraiment consoler.

Ce matin-là, ça allait. Elle courait pour distraire son esprit des piqûres qui brûlaient ses épaules. Soudain, une voix familière fit tressauter ses oreilles, venant des ombres. Elle s'arrêta et il lui fallut un instant pour que ses prunelles s'habituent à la pénombre et qu'elle puisse distinguer où exactement se trouvait celle à l'origine de cet appel. Déjà une expression joyeuse commençait à se dessiner sur son jeune visage, et se transforma en un franc sourire lorsqu'elle aperçut enfin la silhouette rose, striée par les ombres des feuilles de palmiers. A petits bonds enthousiastes, elle quitta ele aussi la lumière crue du soleil pour la rejoindre.

"Miraj !" s'exclama-t-elle de sa voix encore un peu fluette, en s'approchant pour frotter sa tête contre le cou de l'adolescente.

Miraj était celle de ses soeurs qui était la plus différente. Dans le drôle de schéma qu'était leur famille, il y avait Maman, il y avait ses trois "petites" soeurs sur lesquelles elle se devait de veiller - d'(ailleurs où étaient-elles en ce moment ? Est-ce que quelqu'un les surveillait ? -, il y avait leur tante Freya. Et il y avait la grande soeur Miraj. Même si elles n'avaient pas la même maman, Aerondight la côtoyait depuis sa naissance et la classification s'était faite rapidement. Elle était trop jeune pour être leur tante comme Freya, et pas asse zpour être mise dans le même sac que les trois petites.

"A quoi tu joues ?" Demanda-t-elle en se reculant d'un pas, sa queue touffue s'agitant doucement derrière elle.

La jeune louve appréciait le côté tactile et câlin de Miraj, qui ressemblait un peu à l'attitude que Maman avait souvent avec elles. Ses oreilles remuèrent alors que son aînée lui exposait le jeu dans lequele lle souhaitait l'entraîner, et aussitôt ses prunelles dorées brillèrent d'excitation. Elle la suivit sur les quelques pas nécessaires à les rapprocher de l'endroit où elle avait dessiné des arabesques et des angles sur la plage ombragée. Au milieu se trouvait la statuette de Chat. Elle avait déjà entendu Miraj parler de ces statuettes, avait déjà partagé quelques jeu avec elles qui les impliquaient - même si maman avait eu la fâcheuse tendance à se montrer très prudente et à rapidement éloigner les pattes maladroites des cadettes des jolis jouets de Miraj. Elles étainet jolies, ces figures de pierre rutilantes. Ses yeux d'enfants ne voyaient pas les petites rayures et les à-coup qui les striaient, inévitables pour tout objet au statut de jouet d'enfant. Pour elle, elles étaient magnifiques.

Elle s'aplatit à terre pour mettre son museau au niveau du sable, le menton frôlant le sol et la queue en panache derrière elle. ses yeux virevoltèrent d'un jouet à l'autre pour finalement s'arrêter sur la chauve-souris. Elle avait des ailes elle aussi, comme Maman et comme ses petites soeurs. Comme elle, un jour, peut-être. Elle tendit une patte précautionneuse vers elle et la poussa en direction de l'entrée du labyrinthe, comme si elle marchait.
Une lueur malicieuse passa dans son regard.

"Aurore garde ses ailes cachées, pour que le labyrinthe ne sache pas qu'elle peut s'envoler avec Chat." Souffla-t-elle, complètement prise dans le jeu, sur un ton de confidence.

Le labyrinthe ne devait pas entendre, pour ne pas comprendre le stratagème. Elle reposa les yeux sur Miraj, dans l'expectative.

La queue de la petite louve battit l'air mollement de droite à gauche, expression irrépressible de son enthousiasme alors même qu'elle tentait d'afficher une façade calme pour ne pas alarmer le Labyrinthe. Dans son esprit, elle n'était plus vraiment Aerondight. Elle n'avait plus de poils, mais une peau lisse, des ailes membraneuses et des yeux qui voyaient la nuit - elle était sûre que les chauves-souris voyaient la nuit, sinon comment pouvaient-elles voler la nuit ? Elle avait légèrement plissé les yeux et son museau affichait une moue à mi-chemin entre le sourire et la concentration.

Il n'y avait plus vraiment Miraj non plus, le miaulement la changea en Chat. Il demandait qui était là. Aurore avança de quelques pas, ses ailes soigneusement repliées autour de son corps de manière à ce qu'on ne les voie pas. Les épaules du corps pelucheux de la joueuse se crispèrent légèrement, comme si elle le spossédait, ces ailes, et qu'elle les cachait elle aussi. Chat vint jusqu'à Aurore et la salua. La voix de chat était aigüe, celle d'Aurore était un mrumure. Puisque la nuit il ne fallait pas faire de bruit, il paraissait évident que les chauves-souris ne pouvaient que chuchoter.

"Parlons bas, Chat." Souffla la chauve-souris. "Je crois que le labyrinthe nous écoute. Mais j'ai un autre plan."

Elle s'approcha de chat - les figurines se retrouvèrent presque tête-bêche pour que le museau de l'ailée se trouve environ à l'oreille du chat - et dit plus bas encore :

"Si je m'envole en te prenant dans me spattes, tes bons yeux verront où est la sortie et nous pourrons sortir pour retrouver la forêt !"

Aerondight s'était penchée un peu en avant pour le murer à Miraj, son petit corps tendu dans le suspense du moment.