Les vagues étaient violentes ce soir... était-ce un signe de mauvais présage ?

Le noir de ses pupilles brillaient face à la petite lanterne qu’elle fixait depuis un moment déjà. Les pattes de la louve étaient bien enfoncées dans le sable, elle qui n’arrivait pas à bien dormir depuis si longtemps… Uma avait développé une routine, où elle allait voir le levé du soleil en fixant l’horizon, guettant une silhouette familière... une silhouette qu’elle voyait parfois en version plus menue, arborant un pelage de jais.  Elle inspira l’odeur de la mer et éteignit la lampe avant de retourner dans sa grotte, en silence.

Aujourd’hui allait être différent. Sans vraiment savoir ce que son futur allait être être une fois la nuit tombée, Uma savait cependant qu’elle allait devoir se transformer en le meilleur d’elle-même. Parmi ses centaines de trouvailles, un miroir était à sa disposition. La croque-mort regarda son reflet, dégoûtée par l’absence de maquillage, une vision qu’elle ne donnait personne le malheur de voir… elle se mit au travail aussitôt.

Entre les pommades et les poudres colorées qui se superposaient, l’astre solaire était à présent bien haut dans le ciel et la louve faisait ses finitions sur son visage, concentrée comme jamais. Satisfaite - à un certain degré, Uma restait Uma, la voilà qui s’approchait d’une boîte afin d’y prendre un tout nouveau costume qu’elle n’avait encore jamais portée, un habit d’un magenta foncé, terminant avec un sombre drapé. Elle avait prit beaucoup de temps à le confectionner, lisant plusieurs livres de la bibliothèque afin de bien savoir ce qu’elle faisait et prenant le temps de trouver les meilleurs tissus et matériaux.

Ne voulant pas salir sa toute nouvelle création lors de sa traversée vers l’île aux roses, elle plia le vêtement et apporta quelques poudres afin de se remettre des retouches en chemin, puis elle s’en alla enfin de chez elle, le cœur battant plus que jamais.

***

La nakhu se concentra sur les détails des paysages, sur les sons et les odeurs qui se présentaient à elle, essayant de son mieux afin de ne réfléchir qu’au présent et de ne pas être divertie par des pensées négatives… c’est donc avec cette concentration de fer qu’Umaïma était surprise d’être arrivée aussi vite dans le temple, mais il était trop tard pour faire demi-tour. Habillée de sa robe et son visage de fée, elle n’avait qu’un objectif en tête, celui d’impressionner la déesse rose.

Ou plutôt, d’arborer le rose, elle aussi.

Sans devoir attendre plus longtemps, la figure rose se présenta à elle, ressentant son appel silencieux.

Toujours sans mots, Umaïma regarda le spectacle visuel que la déesse lui offrait, aussi brève que son apparition était. Le tigre était à présent à l’horizon, semblant presque regarder la scène avec amusement. Avant qu’elle puisse les saluer et faire sa demande, Moiro avait déjà compris la raison de sa présence aujourd’hui. Voilà qu’un nuage de fumée s’installa dans la pièce, la louve bicolore regardant autour d’elle, ignorant quelle était l’épreuve qu’elle allait devoir passer… il était définitivement trop tard pour reculer.

« Séduis-le. »

Elle avala sa salive, son regard se posant alors sur l’entité qui était face à elle. Si elle n’avait pas été aussi nerveuse, elle aurait réagit plus violemment, effrayée par ce qu’elle voyait devant elle. Sauf que la louve était paralysée par le dégoût et sa curiosité morbide. Jamais n’avait-elle vu un loup aussi repoussant. Alors qu’elle tentait de voir en cette créature un détail spécifique qu’elle appréciait, elle était horrifiée par l’absence de jalousie qu’elle éprouvait pour son physique. Elle qui passait son temps à se comparer, se rabaisser et se cacher sous une tonne de costumes et de maquillage…

C’est là qu’elle comprit et qu’une illumination se fit en elle.

Cette créature était le reflet d’elle-même, ou du moins, comment elle se percevait depuis toujours.

Cette entité méritait probablement - ou plutôt fortement, de se sentir bien, d’être mise sur un piédestal pour une fois dans sa misérable vie. Uma ferma ses yeux, tentant de se remettre dans le moment présent, avant de les réouvrir, son langage corporel complètement différent. Sa queue était haute et balayait le vent avec une timidité douce, mais sa posture était plus confiante.

Elle lui sourit.

Puis elle s’approcha un peu plus, lui faisant la révérence.

« Enchantée tendre inconnu… Je me nomme Umaïma. Peut-être détenez vous un nom aussi ? » elle pencha la tête, curieuse. « Même si ce n’est peut-être pas le cas, je suis si contente de vous rencontrer. »

Elle attendit un moment, mais sans grand espoir que la conversation soit réciproque.

« Il fut un temps où je ne m’aimais pas, tellement que j’évitais ma réflexion partout, ne sortant qu’une fois la nuit tombée, évitant toute présence. Me dissimuler était mon talent. »

Elle déposa son sac sur le sol, sortant ses accessoires divers et son maquillage.

« Il m’en faut beaucoup, pour être satisfaite. Le fait de me changer l’apparence chaque jour m’apporte un réconfort, est-ce malsain d’être son propre canevas ? Si ce l’est, eh bien… j’assumes mes péchés. »

Elle laissa ses paroles se reposer sur les murs du temple, avant de reprendre son monologue.

« Je m’inspire des autres, de ce qu’il y a autour de moi, peut-être ne suis-je pas encore ce que je veux être, mais j’aspire tout les jours à être le meilleur de ce que je peux devenir. »

Elle prit un pinceau entre ses doigts, avant de le passer délicatement sur le visage du loup. Elle ne faisait que mimer l’action de maquiller, sans toutefois changer quoi que ce soit. Car pourquoi vouloir changer qui on était pour plaire aux autres ?

C’était là bien sûr une problématique qui la stoppait chaque jour, un cercle vicieux qui n’allait pas la quitter de sitôt…. Mais peut-être avait-elle fait un bon pas en avant aujourd’hui.

« Je suis honorée de pouvoir être constamment témoin de la beauté de ce monde, ce spectacle qui n’arrête jamais, celle qui me pousse continuellement vers une perfection inaccessible que je tentes d’atteindre à tout prix. Sauf qu’aujourd’hui, je réalises que les défauts peuvent être tout aussi magnifiques. Je ne l’oublierai pas de sitôt. Merci. »

Son nez toucha le museau de l’autre pendant une fraction de seconde, avant de reculer. Quelques larmes coulèrent sur ses joues, mais Umaïma n’en fit rien.

Elle s’offrait telle qu’elle à la déesse Moiro.

Ses deux billes noires étaient fixées sur la lueur rose qui s'approchait d'elle, sa lueur rose. Elle prit l'objet délicatement, le berçant presque comme un jeune enfant. Elle allait en prendre grand soin, ce n'était pas tout les jours qu'une déesse faisait ce genre de cadeau. Elle écouta aussi, bien que son cœur battait encore fort dans ses oreilles.

Ses... fréquentations ? Alors qu'elle essayait de voir contre qui qu'elle avait une dent contre parmi les nakhus, Uma comprit soudainement : les pirates.

Qu'est-ce que Moiro savait qu'Uma ignorait ?

Avant qu'elle puisse lui poser la question, la beauté s'en était allé, elle qui semblait en avoir terminé avec Uma pour aujourd'hui. La louve toucha le glowstick et puis, une drôle de texture en sortie, puis s'inséra rapidement dans sa peau. Intéressant.

Il lui fallait à présent découvrir son nouveau don, mais peut-être pas aujourd'hui.

Elle se laissa tomber lentement au sol et expira bruyamment, le stress de l'épreuve terminée...

... mais son parcours en tant que disciple lui, ne faisait que commencer.