Ces étoiles ✩ Nocera

Chassée par Lestat, à qui elle ne peut se résoudre de désobéir... Nocera entrevoit Sobieski.
Elle repense à la madeleine, à la réflexion qu'elle s'est faite qu'un moment viendrait où les tentatives d'aide lui étant adressées ne seraient plus valables, périmées. Aller contempler les étoiles, c'est ce qu'il lui propose. Elle se rappelle de ses paroles à Cendres, la confession qu'elle lui a faite. Elle ferme les yeux en baissant le cou ; écoute Sobi la rassurer. Elle prend sa décision.

Réparer et renouer, aller parler aux étoiles au côté de celui qui en vient également.
Oui, c'est peut-être est-ce ça, qu'elle peut faire, pour aller chasser le trop plein de frustration.

Elle s'approche et, chose qu'elle n'a pas fait depuis trop longtemps, se colle à son jumeau. Elle hume son odeur qui porte, quoi qu'il arrive, la trace de ses créations sucrées. Cette accolade ne dure pas, elle ne se sent pas de faire plus, pas pour le moment. C'est un premier pas, un premier effort. Le second pas est de manifester à voix haute, quand elle ne parlait plus beaucoup, son accord.

"Allons les admirer."

Elle croise le regard de la même couleur que le sien, hoche la tête, puis se met à avancer.
La guide navigue dans le dédale avec aise, bien malgré son esprit qui lui souffle encore d'une petite voix vicieuse qu'elle préfèrerait rester à l'intérieur. Elle l'ignore. Elle est douée, pour ignorer, il faut juste qu'elle ignore les bonnes choses, comme cette perfide peur qui reste.

L'extérieur les accueille, avec la voie lactée.
Elle choisit un endroit pas si éloigné de l'entrée, mais confortable pour s'installer. Sa tête se relève et elle se laisse aller à scruter chaque étoile qui peuple le bleu sombre. Une toile comme elle a vu encore et encore, dans laquelle elle se plait à penser que leurs quatre parents résident. Ces étoiles, auprès desquelles elle s'est consolée cent fois. Elle clos les paupières un instant et tout son corps se baisse quand elle s'allonge.

Quand elle rouvre les yeux, son museau est passé sur les étoiles que porte le corps de Sobieski.

"J'aurais dû accepter tes madeleines, ou l'affection de Yersine et Avalon. Je suis désolée."

Elle observe une petite étoile filante rosée.

"Elle est comme la lune, oui, je l'admire. Si peu affectée par ce qui lui est arrivée. Tout comme vous brillez tous, affectueux, inlassables, pour venir me chercher."

Ses yeux repassent sur la voute céleste, où une consœur passe, avant que ne viennent d'autres.
Une pluie commence et elle entrouvre la gueule, surprise. Cet évènement n'est qu'une coïncidence. Mais malgré toute la logique qui l'habite, là, cette nuit, avec son frère à ses côtés, et ce ciel qui semble vouloir lui répondre, elle se sent faire un pas de plus. Un sourire relève un peu ses babines.

"Les étoiles répondent parfois, je ne leur ai pas parlé récemment, j'aurais dû aussi."

Elle penche la tête pour l'écouter.
Il est tant persuadé qu'elle se relèvera qu'il voit ça comme le soleil qui se lève chaque matin. Sa foi lui fait honneur, il voit bien mieux ses progrès placé là où il est qu'elle-même.

Puis il est l'heure de parler aux étoiles, comme il le suggère. Un exercice qu'elle n'a pas refait depuis longtemps, peut-être parce qu'il y a quelques jours encore en parlant à Ysée, elle s'est dit que ce n'était pas son genre, pas pour elle. Une façon de comprendre les mécanismes, et elle est plutôt certaine de savoir pourquoi elle a du mal à lâcher le chevet de Séléné.

Elle a commencé à agir cependant, et si elle a pu partir cinq minutes, et obéir ainsi à Lestat au lieu de se lancer dans de la pure insubordination... Elle ressent frustration de première de la situation.

"Il s'agit toujours d'une histoire de contrôle. Distinguer ce que l'on peut changer ou non m'est totalement accessible, et pourtant... lâcher prise de ce qui ne se contrôle pas devient insurmontable."

Les griffes dans le sol, l'odeur de Sobieski à côté d'elle et les étoiles qui pleuvent par-delà sont autant d'éléments rassurants qui la couvrent d'une tendre façon. C'est un bon moment où elle respire un peu mieux et se permet de ressentir cette violente injustice en elle, ce bouillonnement insupportable.

"Je connais les progrès que j'ai fait dans le mentorat que j'ai suivit, comprendre mes sentiments ne m'a pas été inné. Je ne veux non plus les contrôler. Je les accumule juste, jusqu'à ce qu'ils deviennent douleur, brûlure. La sagesse me manque pour quand prendre le recul, relâcher cette pression qui monte."

Elle soupire. Elle s'est expliquée, elle résume désormais tout son sentiment dans la phrase qu'elle a pu se répéter maintes fois.

"J'ai beau savoir, je subis le sentiment tout autant. Je ne pense pas qu'il faille passer par le conscient."

Ce n'est pas le savoir, l'intelligence ou la logique pure qu'elle applique, penses-t-elle, qui l'y mèneront pour cette fois. Il faut transcender le sentiment non par la cognition, car ils sont leur raison. Il faut puiser dans un traitement apaisant, d'autres méthodes , pour restaurer un équilibre. Une application pure, un ressentit aussi.

Et dieu sait pourtant qu'elle s'est encore jamais tourné vers cela.

Elle écoute sa réponse.
Pour lui la réponse est simple, ce n'est que le lot de tout parent. La louve plonge les yeux vers le sol, pensive. Elle s'est préoccupée des blessures il est vrai. Mais bien moindre, le corps elle sait réparer. Leurs tourments du cœur elle a attendu, elle connait le sentiment et possède conseil. Les rébellions, une de Zephyr notamment l'ont blessé à la paralysée sans jamais atteindre le point de l'impardonnable. Elle a l'impression de pouvoir dire que les épreuves de la parentalité ne l'ont jamais tant secoué.

Peut-être parce qu'elle sait qu'elle pourra les surmonter.
Alors que perdre l'un d'eux, loin d'elle, sans même pouvoir le soupçonner c'est... insupportable.

"Non, je subis la peur, c'est similaire à la perte de Maman et Edmound."

C'est ce qui fait enfler ce sentiment d'injustice en elle.
Une blessure ancienne de la petite louve qu'elle a été, celle qui ne s'est pas autorisé à pleurer leurs seconds repères. La cicatrice de la jeune louve qui a décidé d'être le pilier de ce qu'il restait de leur famille. La marque de l'adulte qui a analysé et compris qu'elle pouvait laisser partir sa famille. C'est la louvette, qui hurle dans son cœur et l'empêche de prendre le recul.

Ce n'est pas son genre de parler.
C'est l'enfant, qui doit le faire.
C'est à elle qu'elle laisse la place.

Elle se recroqueville contre son frère, et d'une voix comme elle n'a jamais été, elle murmure.
Tout bas. Étranglé.

"Nous n'avons jamais pu leur dire au-revoir."

La jeune version d'elle-même, elle hurle et pleure, de si c'était arrivé à Séléné.

Il propose de le faire.
Et elle l'écoute, étranglée de ce qu'il prononce aux étoiles.
La douceur de ses paroles aimantes la guident dans cette nuit étoilée, ou du moins, aiguillent cette petite part d'elle enfantine et minuscule qui a envie de s'exprimer.

Dans le ciel, elle connecte étoile par étoile leurs visages intemporels.
Elle peint leur couleur à l'imagination, ombre leurs expression par la force de l'instant.

Elle ne sait pas quoi dire, cette petite Nocera, d'abord ; les bribes de phrases creusent un chemin hésitant l'espace d'un silence puis... puis elle abandonne d'essayer de donner un sens à tout ça. Elle doit laisser cette innocence bafouée qui remonte du creux de son cœur s'exprimer. Ne plus la retenir. S'autoriser, enfin, à lamenter ces pertes.

"Je vous aime."

Elle essaye de les imaginer lui sourire, de ressentir dans leur regards un jugement tendre où ils la trouvent un peu bête et attendrissante, ce petit bout d'elle qui les pleure. Elle vit cet adieu.

"Je suis polie, maman, toujours. J'innove comme les Lazulis voulaient faire, comme toi, ou j'essaye. Je- Je fais tout pour que tu sois fière de moi. J'espère que tu l'es."

Elle papillonne des paupières.

"J'ai appris tout un tas de choses pour te les raconter, je sais que tu es curieux. Pas sur les plantes, je suis moins douée pour ça même si c'est ton sujet préféré. J'espère que apprécie quand même... "

Elle baisse la tête et le sentiment s'extirpe, le hurlement ancien qui a toujours été réprimé au fond d'elle s'extirpe, il se bat jusqu'à la surface avec de lourdes larmes, au travers d'une mâchoire crispée.

"Ce que j'espère le plus, c'est que vous n'avez pas eu mal. Que vous étiez ensemble... Que c'était beau, où vous étiez. Et que ça se reflète, là où vous êtes. Qu'il y a milles livres, milles pierres où dessiner une famille, le compagnon qui attendait. Que avez eu tout, et plus encore."

Elle inspire comme elle peut.

"Merci, de nous avoir donné un si beau début de vie."

Elle chavire et termine enfin d'évacuer à grand hoquets la peine. Elle termine dans un murmure.

"Adieu."

Et pour chaque perte désormais, elle se promet que si elle ne peut pas être là, elle leur dira aurevoir en projetant leurs visages dans les étoiles.

L'eau se tarit depuis ses yeux aussi.
Sous le contact de Sobieski, Nocera se redresse et s'imprègne des compliments qu'il lui donne. Elle se sent... Connectée. À son frère, à la famille qui n'est plus et ravie d'entendre qu'elle tient d'eux, ainsi qu'à elle-même. Elle est plus stable.  Elle a compris ce qui n'allait pas, elle a évacué la tension avec la bonne méthode. Elle laisse l'enfant repartir, se rendormir au creux de son être là où elle préfère résider maintenant qu'elle a exprimé ce qu'elle devait.

Bibi a raison il faut maintenant aussi s'occuper des vivants, dont celui juste à côté d'elle. Elle pose les yeux sur lui et revient l'étreindre d'une différente façon. Elle le sert fort.

"Tu le sais déjà, mais je t'aime. Je t'aime avec la douceur que tu ne perd jamais, avec la détermination que tu possèdes, avec la sagesse que tu as acquis. Avec les passions que tu explores tous les jours, à travers les vies que tu éclaires. Tu distribue énormément de bonheur aussi."

Et elle est, bien au-delà du terme qui ne saurait englober la quantité qu'elle possède en elle, si fière de lui et admirative. Aujourd'hui elle se sent un peu plus comme lui. Il y aura encore bien des bas, elle continuera de lui emprunter jusqu'à la fin de ses jours... Mais elle se sent heureuse d'avoir un pas de plus vers le recul comme lui.

Un peu plus sage, un peu plus soulagée.
L'enfant à parler, et l'adulte réussit à sortir la tête de l'eau.
L'énigme est résolue, il est temps de rentrer.

Elle se lève et fait chemin avec lui vers le dédale, avec une dernière question.

"Pourrais-je encore avoir des madeleines ?"

Et après elle retournera auprès de Séléné. Après les madeleines seulement.