La bougie et le masque [Libre, Imaginaire]

-Iris-

La lune était nouvelle, et la lumière bien faible sur les Dents de Roc. La silhouette de la jeune louve se déplaçait sans bruit parmi les ombres, profitant du calme et de l'obscurité pour encore une fois prendre un peu de temps seule. La journée avait été longue, et une pensée lui avait trotté dans la tête : Emilitia. La louve au masque l'avait plus qu'intriguée, lors de leur rencontre. Elle était solitaire, mais avait quelque chose de plus, une aura dangereuse et attirante qui avait fasciné Iris la première fois.

Evidemment, Iris s'en était mordu les doigts le lendemain. Elle aurait pu se faire attaquer, ou pire, enlever par la louve aux grandes ailes étranges qui avait trespassé leurs frontières. Mais il ne s'était rien passé, rien à part un échange d'informations étranges, une discussion sur l'Araignées et les autres mondes, et la promesse de se revoir. Pour cela, il fallait qu'Iris suive sa trace. Mais cela voulait dire sortir en terres solitaires, ce qu'Iris n'était pas prête à faire pour le moment, pas encore une fois.

Il n'empêche que le tout lui trottait en tête, l'occupait presque autant que ses autres problèmes. Une idée avait alors germé dans sa tête, une idée qu'elle avait façonné dans son esprit, repoussé puis accepté. Une idée qui, le soir dans la tanière, l'avait maintenue éveillée assez longtemps pour qu'elle se décide à se hisser de sa couche pour aller la mettre en oeuvre.

Pour cela, il lui fallait du bois de sapin. Elle était allé vers des Dents de Roc, et avait cherché un morceau de bois sec assez grand. Avant, elle était passée chez les panseurs pour y prendre un couteau ... Enfin, subtilisé serait plus le mot. Une fois le morceau de bois trouvé, elle avait commencé à le tailler, d'abord de ses crocs, puis s'aidant de son couteau, à la bonne taille. La taille de son visage. Elle taille, de plus en plus finement, avec application sous la faible lumière lunaire suffisante pour ses yeux nyctalopes. Son travail la fatigue, mais elle a envie de le voir terminé.

Finalement, après un peu de temps, elle termine son œuvre : un masque de bois, taillé grossièrement. Elle sourit : elle en est fière. Il est loin d'être parfait, mais elle pourrait l'améliorer un peu demain. Elle se dirige vers une flaque, où réside sa lus grande peur : son propre reflet. Elle s'approche de la surface avec appréhension, et dépose son masque sur son museau, avant d'oser poser les yeux sur son reflet. Là ... Elle se trouve acceptable. Le visage caché, elle a l'impression de devenir quelqu'un d'autre. Evidemment, le masque manque clairement de raffinement, et il est mal ajusté. Mais l'idée est là.

Curieuse, elle passe à la phase deux de son projet. Evidemment, c'est un peu précoce encore, mais elle a envie de voir ce que ça donne. D'une petite sacoche, elle sort deux bougies et un silex. Elle doit s'y prendre à plusieurs fois avant 'arriver à allumer les bougies, mais bientôt, leur flamme jaillit, éclairant la forêt de pin d'un air lugubre et fantomatique. Peu lui importe : elle fixe les bougie entre trois roches, et approche son masque. La surface du bois se noircit, se rabougrit, comme prévu. La louve trace un tourbillon, un motif noir sur le bois de pin, avec application. Enfin, elle se redresse : son masque est terminé. Et elle l'aime bien.

-Iris-

Elle ne l'avait pas entendu arriver. La voix la fait sursauter légèrement, cachant son œuvre de son corps, avant qu'elle ne réalise qui était là : Désiré. Elle sourit devant son air endormi : elle ne l'avait jamais croisé la nuit, c'était une première, et il devait y avoir une raison. Certains étaient plus nocturnes que d'autre, et elle faisait partie de ceux qui aimaient l'épaisseur de la nuit pour se cacher. Un peu taquine, elle vient poser son masque nouvellement fait sur son nez :


Elle savait bien que c'était une blague, mais les doutes commençaient à affluer. Peut-être qu'il était moche, son masque, tout simplement. Déjà qu'elle n'oserait jamais le mettre en public, si en plus Désiré ne l'aimait pas, elle était mal partie. Mais elle savait au fond d'elle que lui, au moins, ne se moquerait pas. Du moins, elle l'espérait.

-Iris-

L'adolescente laisse faire le mâle avec une certaine curiosité. La proximité et la lenteur de ses gestes rendaient le moment étrange, comme suspendus dans le temps. Elle le laisse ôter son masque, ses cheveux boucles venant rebondir contre ses joues, tout en soutenant son regard encore endormi. Encore une fois, il lui montre qu'il n'y a en lui pas une once de méchanceté. Les compliments, elle ne sait pas vraiment comment les prendre. Elle reste silencieuse un instant, la nuit donnant aux deux loups une espèce d'intimité qu'ils n'avaient encore jamais eu. Intimité qui l'intimidait sans doute un peu trop.

Elle s'efface à son contact, à ses mots, pour se relever. Se saisit de son masque pour le placer sur son épaule : il faudra quelque chose pour l'attacher et ne pas le perdre. Elle tourne le dos au mâle un instant, noué rapidement une feuille tressée dans les encoches grossière et le porte à son épaule. Puis, revient vers Désiré, marchant avec souplesse pour le dépasser.

Il ne t'est pas destiné, de toute façon.

Avec ses amis, elle n'avait aucune peur à montrer son visage. Enfin... A certain de ses amis, dont Désiré faisait partie. Elle dépasse le mâle, effleure sa truffe de sa queue, légèrement joueuse. Teste les limites, un peu, avec une audace nouvelle qui lui fait autant peur qu'envie. Elle se retourne, le regard brillant sous la lune, et continue :

Qu'est-ce que tu fais debout si tard ?

-Iris-

Elle l'avait réveillé ? C'était amusant. Elle n'avait pas fait de bruit, pourtant. Peut-être qu'elle avait peuplé ses rêves ou ses cauchemars, jusqu'à l'en réveiller. Mais elle n'aimait pas cette idée, le souvenir de l'Araignée encore trop présent dans son esprit. Il lui semblait encore sentir les fils la manipulant pour la faire danser, virevolter devant les centaines d'invités … Elle frémit, repense à ce qu'Emilitia lui a confié : ils avaient fait un pacte, elle et l'Araignée. Elle était sa … représentation dans ce monde là. Soudain, un frisson d'une peur profonde : est-ce qu'elle manipulait Désiré ? Elle tourne un regard lunaire vers lui. Non, enfin, elle ne pensait pas. Elle ne voulait pas. Le jeu n'était pas manipulation, si ?

Elle se relève, un peu nerveuse. Mais la question la fit sourire. Un rituel satanique, peut-être un jour, si elle perdait foi en la vie et succombait à l'appel de la puissance des démons. Mais pas ce soir ! Ce soir, elle voulait vivre. Elle penche la tête :

Elle rit. Des mensonges, des semi-vérités, elle s'y baignait sans pouvoir s'en sortir. Tout était plus facile, lorsqu'on se cachait. Elle renifle : elle en a assez e parler de ce masque. Soudain, le regard dérive vers la droite et elle se souvient :


Il était tard, mais les Dieux ne dormaient pas. Enfin, elle croyait.

-Iris-

Il n'était pas à l'aise, Désiré, ça se voyait dans ses gestes plus saccadés, son regard plus fuyant. Mais il accepte, montrant un peu de courage : déjà, Iris savait que cela plairait à Aka. Elle sourit doucement, satisfaite que le mâle ai accepté, avant de tendre son petit doigt et de sceller leur pacte d'un geste.

D'un geste, elle se relève avant de l'inciter à la suivre. D'un pas allant, dans la nuit de la forêt et masque à l'épaule pour la première fois, Iris se dirige vers le temple d'Aka, sans peur. Sa première rencontre avec lui avait été, après tout, plutôt bonne, même si elle avait fini avec un combat. Alors cette fois-ci, cela devrait bien se passer ... Non ?