-Ted-
Le ciel était d’un gris morose, filtrant la lumière du soleil en privant les loups de ses rayons. Comme au bord des larmes, la neige menaçait de fleurir, sans pour autant se décider à tomber. Un temps d’attente, qui empêchait de prévoir quelque chose de concret tant la neige pourrait tout chambouler, mais qui se refusait à vraiment craquer. La lassitude de ces jours avait posé un calme froid sur le refuge, le silence comme seul témoin de la solitude des lieux lorsque peu y étaient.
Mais Ted était là. Lui restait au refuge la majorité de son temps, à dormir, se nourrir, s’occuper des lieux. Le reste du temps, il s’entraînait, se préparait pour son départ pour le Nord. Mais depuis peu, il y mettait nettement moins d’entrain. Parce que depuis peu, sa mère les avait quittés. Teddy l’avait enterrée, et ils s’étaient tous recueillis pour la pleurer, ensemble, mais Ted n’avait pas réussi à lui dire adieu. Il avait toujours du mal à y croire, qu’elle n’était plus là. Comme son père, elle avait toujours été une figure stable dans sa vie, malgré leur caractère assez nomade, et son absence était partout, imprégnant les murs du refuge, les traces qui perdaient son odeur peu à peu.
La lumière était déjà haute lorsque Ted émerge de son sommeil. Grognon, il s’assoit devant sa tanière, la truffe levée vers le ciel. Comme chaque matin depuis que Leikn était morte, le manque vient serrer son coeur. Il n’a jamais été si proche que cela de sa mère adoptive, mais elle était l’habitude, elle était la sécurité, la stabilité. Et surtout, elle était le couple avec Teddy. Le grand mâle cendré soupire, sentant ses muscles se tendre. En fait, il était terrifié. Terrifié que son père les quitte à présent que sa licorne avait ouvert la voie, terrifié qu’il ne tienne aussi que pour ses enfants, terrifié d’être aussi seul, de devoir se débrouiller. D’être adulte, en fait.
Et cette peur l’immobilisait, comme une cape de pierre posée sur ses épaules, l’empêchant de prendre des risques ou d’arrêter de penser anxieusement à l’avenir. Son regard se perd devant lui : il n’a pas vraiment l’envie de faire quoi que ce soit. Même son projet … C’est triste. Et surtout, c’est probablement pas ce que maman aurait voulu. La licorne bleue l’aurait probablement secoué un coup pour lui enlever cette mine déconfite du visage, elle se serait peut-être moquée gentiment, elle … Elle n’était plus que dans son absence.
Sauf que c’était faux. Elle avait transmis beaucoup à ses trois filles, et un peu à Ted. La vie l’avait emportée, mais elle avait laissé des traces solides sur le monde : ses projets, son travail, et évidemment, tout ceux qu’elle avait impacté, Teddy et ses enfants. Ted sent ses yeux se mouiller. Il a envie de retourner se coucher, de se rouler en boule pour pleurer, mais après ? Il a un héritage à faire perdurer, à présent. Une vie à faire fructifier. Alors, il se lève, et se décide : il faut qu’il se batte. Non, plutôt, il se battra.
Ses pas l’amènent vers les monts. Il arpente les terres avec un but vague, celui de trouver des herbes pour son voyage. Mais l’hiver est bien installé, et les plantes sont trop rares : l’heure tourne, et il ne trouve rien. La sensation d’échec l’emplit, vient augmenter sa fatigue, sa tristesse, sa frustration. Et il ne parvient pas à oublier sa mère, à voir son absence, partout. Jamais elle ne parcourra les chemins, jamais elle explorera de nouveau les terres avec Teddy, jamais, jamais jamais
Les pas s’arrêtent. Le ciel s’est ouvert pour déverser une fine neige sur les monts, en silence. C’est en silence aussi que les larmes se sont mises à couler sur les jours de Ted. La bataille est difficile, le combat presque perdu. Un sanglot vient faire ployer le cou de Ted, et il s’assoit, vaincu. La neige se dépose avec douceur sur ses poils, et soudain, le ciel s’écarte, laissant brièvement exposé le bleu d'entrenuage. Ted lève les yeux, captivé par le bleu, seule couleur sur le ciel gris, sur le jour gris. Le bleu de sa mère, d’Ao, de la persévérance et de la volonté.
Mais Ted n’est pas bleu. Il n’a pas la force de se relever après être tombé, n’a plus envie de continuer la bataille. Ses sanglots redoublent, enfantins, un peu pitoyables. Mais personne n’est là pour le juger, ni pour le relever. Rien, à part ce bout de ciel bleu qui l’attire vers le haut, dernier encouragement porté depuis le ciel. Incitation à continuer à s’élever, à se battre peut-être. Ou plus raisonnablement, un simple coup de vent découvrant un instant les nuages. Qu’est-ce que Ted préfère croire ? Il renifle. Il a un esprit cartésien, et sait que de signes des morts, il y a très peu. Mais il sait également qu’il ne peut pas rester là à se morfondre toute sa vie. Se battre n’est plus un choix,mais une nécessité. Il aime à se dire cependant que c’est pour elle qu’il le fait, en son honneur, mais à dire vrai il préférerait que sa mère ne le voit pas comme ça. Le ciel, aussi soudainement que tout à l’heure, se blanchit de nouveau, et la neige revient, plus épaisse.
Alors il se lève. Il abandonne les plantes, les recherches pour aujourd’hui, et choisit à la place d’avancer. De s’élever. Ses pas le guident à travers la montagne, le long des roches pour s’élever, toujours plus haut, plus proche des nuages comme s’il voulait les dévorer ou s’y plonger. Comme si le bleu l’appelait à travers le gris, comme si sa mère l’attirait vers elle, là-haut. Ses pattes le brûlent, ses muscles souffrent, mais son coeur moins. Son entraînement lui a donné les moyens de continuer, alors il continue et se bat, à chaque pas, pour continuer à s’élever. L’ascension est longue, et plus il avance plus elle est escarpée, l’obligeant à grimper avec précaution. Et plus il avance, et plus la fatigue s’allège, levant la chape lourde qui couvrait ses épaules. Enivré par les hauteurs, haletant de chaleur et glissant sur la neige, son regard est fixé vers le haut. La brume l’envahit alors lorsqu’il pénètre les nuages, perd ses sens. Mais le chemin est facile : vers le haut. Il continue, fébrile, épuisé et énergique à la fois.
Jusqu’à ce que sous ses pattes, la terre s’aplanit. Et sous ses yeux, les nuages se baissent pour former un tapis embrassant les montagnes. Encore quelques pas, et il sort de la chape nuageuse. Ici, il ne neige plus. Et le bleu est tout autour de lui, l’englobant, l'enlaçant. La crête court devant et derrière lui, fine ligne de vie brillante sous le soleil. Tout autour de lui, ce n’est plus l’absence de sa mère qui l’abat, mais sa présence qui l’entoure, ciel bleu à la saveur victorieuse. Il s’assoit épuisé mais apaisé. La bataille fut rude, mais son ascension est une victoire.
[Si quelqu'un veut se rajouter ça peut être plus bas dans les montagnes, quand Ted redescendra de la crête]