Loin vers la paix. | Libre.

Il avait chaud.
Le jour régnait de toute beauté sur le castel. Comme le printemps qui était là, le froid avait été banni, exorcisé de sa vie à jamais. Sa loyale lanterne brillait maintenant pour Horus, et il avait donné ses deux fidèles capes doublées au premier et la seconde à sa fille. Il laissa ses empruntes dans l'herbe qui avait remplacé la neige. Il sifflotait, égrainant les notes tout en se faisant chatouiller par les brins, avançait une patte tordue à la fois, à son rythme, car idiote aurait été l'idée de se presser.

Sa presbytie et cataracte n'entachaient même pas l'instant, il arrivait encore à voir assez les couleurs chatoyantes du paysage. Quel plaisir d'avoir sous le visage le splendide vert de la végétation épanouie, le gris chaud des montagne baignées par le soleil, le bleu du ciel qui taillait les plus hauts pics et qui portait en son sein le blanc des nuages moutonneux. Il y avait à quelques pas encore comme un siège fait de quelques rocs lisses, érodés par le nombre de vies s'y étant lovées pour des siestes sans doutes.
Quel agréable endroit ce serait.

Il avait tout fait.
Il n'y avait plus d'exigence.
Bien travaillé, bien fait un câlin à sa fille, une dernière histoire pour les piots, passé son rôle... Non, il avait bel et bien accomplis les dernières choses qu'il avait voulu faire. Il n'y avait plus que la sérénité désormais. Il avait même évoqué ce qu'il voulait pour ce qui viendrait après. Il ne voulait pas de la pierre la plus fine, ni ne voulait de façonnages aux structures complexes, ni même d'une inscription bouclée et trop détaillée. Tout cela il l'avait offert à Karigan car c'était ce qui l'avait représenté. Lui ne désirait rien d'ostentatoire, et avait plutôt chargé à son apprenti de choisir pour lui ; il aimait l'idée de ce cadeau. Tout ce qu'il avait demandé, était de résider aux côtés de sa douce et de partager avec elle les boutons d'or qu'il avait planté là-bas. Dans cet espace reculé, son préféré sans doutes du cimetière. Ce bel endroit, sous un arbre qui donnait quelques fleurs, de jolies feuilles, et ne périssait pas l'hiver.  

"Le coin 'peu moins moche, he."

Une citation, qui le suivait aujourd'hui aussi.
Dans le creux de ces pierres qui lui chauffaient le dos et soulageaient ses muscles fatigués, il s'installa confortablement. Il ferma les paupières en respirant une dernière fois les odeurs portées par le vent, et tira ses rides d'un sourire, amusé de sa citation et satisfait de profiter de la brise.
Il exhala et posa sa tête sur ses pattes.

Ça avait été une bonne vie.

Les oiseaux chantèrent une dernière fois à son oreille, et la brise agita l'herbe.
Puis emporta dans son sillon quelques perles de rouge.

Il était apaisé.

La journée était belle.
Anita était une enfant de l’hiver et bien qu’elle n’ait encore jamais connu l’été, c’était l’idée qu’elle se faisait d’un jour estival.
La température qui chauffait son corps sous ce ciel du plus pur azur, l’herbe verte qui bruissait sous une brise tiède, les chants des insectes cachés au sein de plantes ayant achevé leur croissance.
Tout comme elle aurait bientôt, d’ici quelques semaines, presque achevé sa croissance en atteignant sa première année.

Elle était sortie du Castel étirer ses hautes pattes, un éternel sourire sur les lèvres, profitant du paysage qui s’offrait à elle et à tous les autres loups de sortie en ce temps clément.
La plus si petite louve pouvait désormais s’aventurer seule sans réellement lever l’inquiétude, car on savait cette génération grandie, et bien qu’ils soient encore chéris et choyés on leur laissait de plus en plus la liberté de tracer leur propre chemin.
Trottinant à un rythme léger et inspirant l’air pur à pleins poumons, ses yeux violet finirent par tomber sur une tâche qui tranchait un peu avec le vert presque criard des herbes à cette saison, une tâche qui lui était familière et qui étira ses lèvres un peu plus encore.
Elle pressa le pas pour le rejoindre et sa longue queue se mit à se balancer, car déjà naissaient en son esprit les quelques taquineries avec lesquelles elle aimait gentiment embêter son grand-père et il lui tardait de se mettre à tournoyer autour de lui, vive tornade insaisissable qu’il essayait tout de même de chasser à gestes bourrus avec un rire tonitruant quand elle était plus jeune, sans jamais réellement y arriver – ce qui n’était pas grave, puisqu’ils venaient par la suite se lover d’eux-mêmes contre ses flancs rebondis pour venir y écouter les profondes vibrations de sa voix contant les histoires d’une vie bien remplie.
‘Clou s’était allongé contre un tas de rochers, confortablement installé. Son grand père devait être fatigué, aussi décida-t-elle finalement de ralentir la cadence et de simplement l’aborder d’une voix douce et guillerette.

— Salut, papy !

Elle parcourut les derniers mètres la séparant de l’épaisse silhouette de son grand père – et fut surprise de n’être accueillie que par le silence, là où d’habitude sa grosse voix bourrue les saluait chaleureusement avec une énergie qui en aurait fait trembler les montagnes aux alentours.
Elle voyait ses paupières closes, paisibles – le vieux croque-mort s’était assoupi.

— Papy Clou ?

Inclinant la tête, la jeune louve se rapprocha encore un peu et tendit le cou pour venir effleurer son museau de sa truffe pointue afin de le tirer de son sommeil.
Un sommeil si lourd, qui refusait d’être dérangé malgré la douce caresse de l’adolescente sur la peau rugueuse.

C’est seulement à cet instant, alors qu’un sourire toujours aussi doux mais plus ténu ornait encore son visage, que ses yeux tombèrent sur le bracelet de son grand-père qui lui paraissait bien insipide. Lui qui normalement brillait du rouge puissant du grizzly.
Lui qui était désormais vide et transparent comme un simple bijou de cristal, lui dont les dernières lueurs s’échappaient dans les airs en tâches écarlates qu’elle avait pris pour des pétales emportés par le vent.

Son souffle se bloqua dans sa gorge et le sourire fana comme si rarement de son visage.
Son Papy Clou, leur PiClou dormait d’un sommeil dont on ne se réveillait pas. Le sommeil qu’il avait côtoyé pendant tant d’années au cimetière en marchant aux côtés des âmes assoupies, qui en cette douce après-midi l’avaient invité à s’allonger à leurs côtés pour prendre du repos.

Pris dans un étau, le cœur de la jeune louve ne sut comment réagir.
Devant elle demeurait son grand-père et sa mine figée d’un éternel apaisement qui avait l’air si heureux, si paisible ; ce grand-père si vivant qui n’aurait pas voulu qu’ils soient tristes et qui aurait aimé qu’aucun d’eux ne pleure, qu’aucune face ne soit souillée de larmes – elle ne pouvait pourtant pas retenir celles qui creusèrent leur sillon le long de ses joues.
Quelques sanglots qu’elle tenta de garder en elle tant bien que mal secouèrent son corps aux pattes tremblantes et ses iris ne quittèrent pas la forme immobile de son grand-père, de peur qu’il disparaisse, de peur qu’il se sente un peu seul.
Anita se recroquevilla un peu plus sur elle-même pour aller lover sa tête dans le creux de son cou encore tiède, là où plus jeune elle se cachait dans la fourrure de son col à maintes reprises, frottant son front contre son encolure et murmurant quelques mots d’adieux et d’amour, une patte toujours aussi petite posée sur l’une des siennes toujours aussi large.

Mais ils devaient savoir, les autres.

De longues minutes passèrent avant qu’elle ne se détache de lui à contrecœur, rebroussant chemin après un dernier regard brouillé de larmes, retrouvant son énergie pour galoper jusqu’au Castel.

Elle ne prit pas garde à qui pouvait bien se trouver autour de sa famille à ce moment-là, à quelle discussion elle pouvait bien interrompre en zigzaguant entre les silhouettes pour aller trouver sa mère. Elle s’enfonça contre le poitrail musclé d’Anette, cachant sa tête sous la sienne, oreilles basses et épaules affaissées –elle qui habituellement était toujours si droite.
Les mots vinrent difficilement et quelque part elle savait qu’elle n’avait même pas besoin de les prononcer. Anette savait déjà et s’y attendait, à cette vérité impitoyable mais inévitable.

— Maman… Papy… PiClou, il est…

Elle ne parvint pas à conclure, laissa seulement un sanglot sec lui échapper en un hoquet.
Puis son museau pointa simplement vers l’entrée de la grotte, vers là d’où elle était venue.

Elle y retournerait, avec eux.
Elle les emmènerait et tous partageraient la dernière sieste de PiClou.

La journée s’annonçait pourtant si belle.

La voix de sa soeur tira Narcisse de son entraînement. Papy Clou. Piclou. L’adolescent serra les crocs, une partie de son esprit tentant de refouler la vérité. Ses familiers tous deux en train de s’amuser se stoppèrent également dans leurs jeux, le Koridé venant se frotter contre les pattes de son maître, comme si il ressentait la peine que ce dernier tentait de refouler. Soudain, le loup fit volte-face, avant de remonter la trace d’Anita, jusqu’au dit lieu, cherchant à être sûre de ses dires, certain qu’elle ne s’était pas trompée. L’erreur était possible près tout, non ?

Pourtant il n’y avait pas d’erreur.

Au fond tu t’en doutais Narcisse, hein ? Que Boîte à Clou quitterait sans trop tarder ce monde, cela faisait un moment qu’il vous avait mis en garde. Pourtant, l’enfance s’évertue de vous protéger de la vérité, c’est pour cela qu’elle est souvent si difficile à accepter…

Parce que Piclou était là, allongé paisiblement contre des rochers. L’on aurait presque pu croire qu’il se reposait, mais non. Aucune erreur possible. Car les flancs ne se soulevaient plus et que la lumière du grizzly l’avait quitté. Au moins ses traits étaient demeuraient calmes, comme si la mort ne lui avait infligé aucune douleur. C’était la meilleure des choses qu’aurait pu espérer Narcisse pour lui. Un départ sans douleur. Loin des souffrances qu’auraient pu lui offrir la vie.

« — Ce n’est qu’un au revoir. »

Parce qu’un jour, tous se retrouveraient, dans une autre vie, lorsque celle-ci serait achevée.

Narcisse posa son arrière-train sur le sol, un sourire calme venant étirer ses babines. Parce que Piclou n’aurait pas voulu de larmes pour sa mort, pas de mouchoirs, ni de gémissement. Alors le loup refoula les larmes qui menaçaient de couler, pour rendre ce dernier hommage à son grand-père, alors que sa patte vint effleurer l’épaule du vieux loup, en un dernier contact. Le dernier qu’ils ne pourraient jamais avoir tous deux. Le dernier qu’ils irait possible d’avoir avec lui.

« — Au revoir, Casto. »

Parce que sa mort méritait qu’on l’appelle par son vrai nom.

Parce qu’il méritait ce dernier hommage.

Alors reposes en paix, Casto. Que la vie te soit aussi agréable là où tu te trouves, que tu ne l’as rendu ici.

L’apprenti de Pepper releva la tête en entendant les pas de sa mère, ainsi que ceux d’Anita qui approchaient.

Elle aurait dû s'y attendre.
Elle avait su quand il lui avait donné sa cape. Sourire aux babines, trop heureux presque de le faire, il avait insisté en posant l’accoutrement plusieurs fois sur ses épaules. Elle n'avait pas pu s'acharner contre lui. Elle était certaine qu'il avait su et avait profité de cette connaissance.  Après une brève journée transformée en louveteau où il avait déambulé dans ses pattes en claironnant qu'il était comme son fils, elle l'avait trouvé plus fripon. Il l'avait toujours été, mais Anette avait pu sentir qu'il avait continué, exprès.
Il les avaient tous préparés.

Quand Anita s'écrasa contre elle, elle fut comme le reste.
Les mots qui résonnèrent amenèrent directement un goût de tristesse dans sa bouche, et elle ne se priva pas de s'enrouler autour de sa fille. Elle dressa la tête pour voir autour d'elle Narcisse et Alexandrine partirent devant, droit dans la direction de l'extérieur. Les paupières closes, elle gracia le sommet du crâne de Tita d'un contact du museau. Elle redressa la tête pour passer sur quiconque se tenait là un regard déjà reconnaissant de leur compréhension. Son corps se souleva avec peine face à la lourdeur de l'instant. Mais elle ne flancha pas, elle ne le ferait pas ; elle accompagnait aussi ses enfants face à ce qui arrivait ce jour là. Une impulsion vers sa fille et elle entama la route comme l'avait fait les autres, vers l'endroit de sa venue.

Dehors, elle ne put que laisser Alex partir en trombes, vers elle ne savait où.
La vision déchiqueta malgré tout un morceau de son cœur. L'autre vint ensuite quand elle posa les yeux sur son père. Narcisse le frôlait avec une solennité qui serra sa gorge. Elle inspira une grande gorgée d'air et se força à déglutir. Ses pas continuèrent et sa tête se maintint. Enfin, elle finit par rejoindre son fils.
Elle posa les yeux sur le loup qui avait été beaucoup.

Le sourire sur son visage incorpora enfin les bons souvenirs à la tristesse que l'annonce avait versé. Elle se pencha et noua un plein contact. Joue contre joue, elle frotta sa tête tendrement contre celle de son père. Son visage se fendilla, un sourire qui coupa son visage en deux comme il fit trembler ses yeux et en agita les rivières. Quel idiot, quel personnage avait-il été ! Un croque-mort, une forte voix, un père surpris mais comblé, un compagnon aimant, un grand-père amusant. Mais surtout lui. Casto. Qu'elle avait été bénie, heureuse et fière de l'avoir connue, d'avoir partagé tant de moments avec lui.
Il allait tant lui manquer, mais elle avait eu tellement de chance.

"Au-revoir, Casto." imita-t-elle, ayant trouvé cette formulation juste.

Quand elle délaissa enfin le corps, elle ramena son fils à elle et déposa aussi un baiser sur le haut de sa tête.
Elle conversa son sourire et ses larmes mélangées, comme pour l'autoriser à faire de même. Ils pouvaient être tristes et respecter aussi la volonté du vilain sacripant auquel ils faisaient leur salutation en ce jour.

Ne pas ignorer la perte, mais sourire d'avoir partagé fait un bout de chemin avec lui.

• 4 ans et demi •
F A E I

Il était au Castel, lorsqu'Anita était arrivée en trombes. Tout dans son attitude annonçait un malheur. De loin, Horus observa la scène, il avait eu une vision peu de temps avant. C'était la deuxième fois, et cela l'avait encore laissé sans voix et chancelant. Désorienté, il lui avait fallu quelques instants pour se remettre d’aplomb. Le temps qu'il rassemble ses affaires et disent au revoir à sa soeur aînée, très mal en point malgré son assurance que tout irait bien, la petite fille du défunt était déjà dans les pattes de l'Alpha, sa mère. Sans un mot, mais le coeur lourd, le beige suivi donc la petite procession qui déjà suivait les traces d'Alexandrine et Narcysse partis en amont. Le disciple de l'Anaconda avait vu exactement ce qu'ils trouveraient là-bas, aussi laissa t-il le temps aux proches, notamment les petits enfants de Clou, de lui dire au revoir. C'est avec patience et bienveillance qu'il attendit, en arrière. Sa présence, de part son rôle de Fossoyeur, pourrait heurter à ce moment précis. Son intervention ne se ferait que plus tard, lorsque le calme reviendrait autour de son mentor. Il était cependant non loin, au cas où quiconque aurait besoin de parler, car il était également de notoriété publique que le gardien du cimetière était une écoute et une épaule pour pleurer.
Silencieux, Horus fit sa prière à Kiro tout d'abord, car il était son dieu, puis il pria le Grizzli pour que l'âme de Clou trouve sans accroc la lumière d'un monde plus reposant que le leur. Il se promit qu'après avoir fait son office, il irait faire une offrandes à leurs deux divinités. La tristesse alourdissait les épaules du mâle beige, même s'il savait que Clou n'aurait pas voulu de ça. Il se força donc à rejeter cette douleur de l'absence à plus tard, lorsqu'on n'aurait plus besoin de lui, et avant de préparer l'enterrement, afin d'être à nouveau disponible à ce moment là, pour les autres.