Wolf Like Me - Libre.

«  Feeding on fever
Down all fours
Show you what all that
Howl is for

Hey, hey, my playmate
Let me lay waste to thee
Burned down their hanging trees
It's hot here, hot here, hot here, hot here

Got a curse we cannot lift
Shines when the sunshine shifts
There's a curse comes with a kiss
The bite that binds the gift that gives »

[ Monts Célestes - Sur un plateau au creux des sommets, non loin de la Passe Ventue]

Dans un sifflement puis une gerbe de sang, la lame s'enfonce dans la gorge de la créature.

Il y a un cri étouffé qui fait vibrer l'air, des mouvements saccadés qui agitent le corps noir avant qu'il ne s'effondre pour mieux se débattre au sol. Mais c'est trop tard.

A travers son sang à lui qui aveugle une partie de sa vision Grimalk dépense une injonction d'énergie à bondir de l'avant pour récupérer le couteau. Týr est toujours la priorité.

Ne le laisse jamais dans le corps d'un ennemi plus longtemps que nécessaire, de risque que l'action ne t'entraîne ailleurs et t'empêche de retourner le prendre, disait Azar à chaque entraînement.

Ses crocs se referment autour de la garde et d'un coup violent de la nuque il tire vers l'arrière. Le couteau se libère et Grimalk ne coupe pas l'impulsion - un postérieur après l'autre qu'il place dans une trajectoire qu'il spacialise à défaut de pouvoir s'épargner une seconde d'observation, il accomplit un quart de tour et il fait face à l'autre monstre.
Sa gueule s'ouvre - les crocs sont nombreux et fins - et il se jette de l'avant. C'est un mouvement banal, rien d'inattendu - il avait craint pire à la vue de ces corps reptiliens aptes à se tordre quand lui était bon à rester ancré sur ses appuis.

Tu laisses tes flancs trop ouverts ! Ton corps est solide, mais tes ennemis seront les ennemis agiles. Ceux qui peuvent t'atteindre là où rien ne te protège.

Le prédateur reptile ne rencontre que le cuir de son harnais lorsqu'il referme sa gueule. L'adolescent s'est baissé à temps pour passer sous le ventre qui lui parait mou. Pendant que les mâchoires de l'adversaire s'agitent à tenter de déchirer le cuir, lui retourne une nouvelle fois la garde d'un mouvement de langue et oriente Týr vers le haut.
La lame s'enfonce d'un coup sec dans l'abdomen, un cri résonne encore. Mais il n'a pas le temps de tirer sur le manche pour déchirer la peau et ouvrir un tunnel sur les entrailles : des dents plus petites et plus faibles perforent ses pattes, ses épaules, sa queue.

Grimalk gronde. Il déteste le fait de ne pas les avoir remarqués assez vite, il déteste sentir leurs crocs le toucher aux endroits qu'il n'a pas prévu. Il se secoue brusquement, violemment, de mouvements de plus en plus amples qui laissent libre court à la soudaine montée de colère et d'énergie qui le submerge.
A son tour il hurle, de frustration et par besoin d'évacuer plus que de douleur.
L'adulte s'est décroché de son harnais - il a fini par comprendre qu'il ne s'écharnait pas sur sa peau - et s'en prend à ses reins et à son échine.
Le loup pourrait avoir mal s'il n'était pas tant submergé par cette décharge incontrôlable de colère.

Arrête de t'emporter. C'est ta plus grande faiblesse. Si tu perds le contrôle à la moindre déconvenue, tu perdras aussi ton combat.

Grimalk ferme les yeux.

Il ressent chaque canine qui s'enfonce et qui fouille à travers son poil, chaque entaille faite à sa peau, chaque griffe qui fait couler le sang.
Ça l'obnubile.
Ça le démange comme une armée de parasites, il veut s'en débarrasser, il veut éliminer celui qui creuse à sa gauche, finalement celui qui s'accroche à son genou, avant que ne revienne une nouvelle douleur cette fois-ci à son coude-

Arrête.

Grimalk garde les yeux fermés quelques secondes de plus et au prix d'un plus grand effort que ce qu'il fallut pour cheminer dans les monts inconnus il impose le vide à son esprit.

Une respiration dans le chaos.

Puis il reprend le contrôle et réenclenche l'engrenage.

D'un spasme de l'arrière-train il déloge ses occupants et ramène ses postérieurs à son avant main pour regrouper son équilibre. En marche arrière il regagne quelques mètres de sécurité sans plus les quitter du regard.
Týrest rangé d'un geste précis dans son fourreau et Túrisaz sort du sien pour trouver relais dans sa gueule.
La posture de lancer est adoptée sans être parfaite, il n'a pas le temps de la travailler comme lorsqu'il est seul. Ça devra être assez bon. il le faut.

Le couteau de lancer fuse à la rencontre des monstres-serpents en même temps qu'eux s'élançaient à sa rencontre et l'union se scelle dans une gerbe de sang.
Celui-ci n'a pas le temps de pousser le moindre cri quand il retombe au sol une seconde plus tard, mort.
Úr vole à la suite mais manque la cible, rebondit au sol dans un claquement métallique qui hérisse son échine. Il n'a pas le temps de s'emporter : le second juvénile est à moins d'un mètre.
L'adolescent use de son corps pour le percuter en plein vol et le choc de son crâne encore fragile contre une paroi de pierre suffit à l'abattre.

Ne reste que le dernier.

Il siffle entre ses crochets ordonnés en rangées, son regard pâle et vide le défie.

Mais Týra retrouvé sa place dans les mâchoires du loup et le monstre lui livre son dernier souffle. A son tour son corps se contracte, s'agite de quelques spasmes ; puis retombe.
Mort.
Ils sont tous.
Morts.

Et lui est vivant, lui est debout, les côtes qui se soulèvent vite et fort en témoignent.

Le papillon fantomatique qui ouvre et referme ses ailes à un rythme irrégulier, posé sur la garde du couteau encore planté dans le cadavre, le prouve aussi.

[Quelques heures plus tôt]

De telles pentes ont le mérite de travailler son souffle.

Marcher beaucoup, marcher longtemps, Grimalk en a l'habitude. Mais c'est habituellement en ligne droite - ou presque - qu'il a progressé à travers ce monde.
Mais marcher vers l'altitude, se confronter à une montée qui masque en partie son champ de vision là où les steppes lui permettent de voir des kilomètres de paysage, c'est nouveau. A Arabahos les chaînes de montagnes n'étaient qu'une partie du décor, un bout de paysage qui côtoyait l'horizon et s'y mêlait tant en aspect qu'en idée : on n'essayait pas d'atteindre les montagnes.
Elles faisaient presque partie du ciel et il avait fini par ne plus les remarquer.

Mais ici...
Ici, les monts ont attiré chaque jour son regard. Ils sont si proches.
Tellement proches qu'il s'imaginait voir l'une des montagnes s'effondrer et tomber, tellement proches qu'il ne prit que peu de temps à commencer à s'en approcher et à réaliser qu'il pouvait être dans leur ombre.
Si proches.
Alors il les confronte.

Et il doit aussi les confronter, eux. Ces ombres qui rapidement l'encerclent, ces choses qu'il ne reconnait pas et qu'il se fige pour observer, souffle suspendu.

Il n'en a pas le temps quand s'élance sans attendre le premier des monstres noirs. Les serpents n'attaquent jamais en premier s'ils ne se sentent pas menacés : eux, si.

Sa vitesse surprend trop le loup pour qu'il ait le temps de réagir quand coule le premier sang.
Le sien.

Ses sourcils se froncent, sa vision se brouille, son esprit s'aiguise autant qu'il s'éclipse.

Battons-nous.

 [Une vingtaine de minutes après l'affrontement]

Son souffle est rauque et sa démarche est claudiquante alors qu'il redescend à travers le même sentier qu'il a emprunté pour venir.
Il n'aurait pas pris le même chemin s'il n'avait pas été si mal en point. Là, il ne pouvait prendre le risque de se perdre.

Il progresse un bon moment sans perdre de vue l'étroitesse du chemin, pose patte après patte sans que le sol ne se dérobe.
Mais quand ses yeux commencent à devenir flous et que la sueur s'associe au sang, que la fatigue s'extirpe de ses muscles pour prendre ses tempes, que le mal de tête perce son cerveau de milles aiguilles qu'il reconnaît... Il s'arrête.
Grimalk tangue et son épaule se heurte à la roche.

Il ouvre la gueule pour mieux respirer, respirer fort ; ferme les yeux pour éteindre les stimulis qui se multiplient et l'agressent.

Une crise guette, il le sait, il le sent.

S'il attend assez, s'il arrive à reprendre son souffle, si sa tête arrête de tourner... Ca passera.

Emilitia

« Vous n’avez pas l’air de bien aller »

C’était le genre de réflexion qu’on aimait sans doute pas entendre quand c’était aussi évident mais plus que pour l’être mal en point, elle était surtout utile pour celui qui la prononçait tout haut.
Emilitia dominait l’inconnu, pour avoir sans aucun doute pris un chemin plus haut, n’étant descendu qu’après avoir reconnu une silhouette canine, se retrouvant au dessus de cette roche contre laquelle l’inconnu s’était appuyé, penchant sa tête par dessus le vide pour le voir dans son entièreté. C’était plaisant d’ainsi dominer par la hauteur, elle qui ni très grande ni très forte, l’instinct dominant des démons dirait Drippir.

Il n’était pas si étonnant de croiser la louve noire dans ces montagnes, c’était là où elle évoluait le plus souvent, entre les terres Nakhus et celles Etelkrus. Chaque chemins auraient pu porter son odeur si elle avait pris le temps de les marquer, seuls quelques insectes à moitié noircis ou quelques plantes nécrosées témoignaient de son passage, si on acceptait d’y faire un peu attention. Le bruit du combat qui avait eu lieu ne lui avait pas échappé, aux corbeaux non plus, Emilitia transportait donc avec elle un demi cadavre délaissé qu’elle avait bien l’intention de transformer en déjeuner lorsqu’elle aurait rejoint un coin plus tranquille. Mais ça pouvait attendre, une nouvelle rencontre  s’était trouvé sur son chemin, le loup même qui lui offrait son repas du jour si on se fiait à l’odeur... et son état.

« Vous allez attirer les prédateurs si vous restez là, la piste partant de ce que vous avez laissé n’est pas si difficile à suivre. »

« T’inquiètes tu pour lui? »
« Pas vraiment, c’est un simple fait mais j’apprécie les rencontres diverses. »
« Si elles sont canines. »
« C’est les seules qui répondent et nous ne croisons pas de démons. »

Si elle parle moins fort lorsqu’elle s’adresse à Drippir, c’était parce qu’il était à côté. Comme toujours, elle l’inclue, même s’il ne pouvait être compris par la majorité.

Une crise guette.

Et une voix l'agresse.
Ses oreilles se plaquent sur son crâne et il s'efforce de l'ignorer alors même que son réflexe premier est de lever la tête vers le son.
Mais il s'agit d'un stimuli supplémentaire qu'il se doit de supprimer, il le sait, même si son esprit et son corps luttent tous deux pour répondre à des directives différentes.
Il y a son corps encore tendu par le combat qui souffre mais qui est prêt pour davantage, qui veut faire face à l'inconnue qui est peut-être une menace, perchée au-dessus comme un vautour.
Il y a l'esprit qui hiérarchie souvent mal les informations qu'il reçoit autour de lui s'il n'a pas créé de distance pour mieux observer, et qui cède à chaque injonction qui se fait un peu plus pressante que les autres.

L'envie de faire face presse, elle.
Mais le besoin de contrôler la crise aussi.

Il arrive à se convaincre que c'est plus urgent, et il lui semble qu'à force de respirer lentement il arrive un peu mieux à apaiser les signes et à faire diminuer les bourdonnements au fond de son oreille.
Mais il faut qu'elle parle encore.

— Tais-toi.

C'est un murmure à peine audible qui s'extirpe de lèvres serrées et déformées par l'inconfort alors que ses paupières se plissent plus fort, tirent sur les quelques blessures de son visage en un réveil désagréable de nouvelles sensations.
Il sent sa maîtrise s'éloigner.
Et elle parle encore.

— TAIS-TOI !

Sa voix cette fois explose et résonne dans les couloirs de roche.
Lui succède un grondement profond au fond de la gorge, des griffes qui crissent sur le sol et un corps qui se presse un peu plus sur la roche. Plus ; c'est désormais son crâne qu'il vient appuyer sur le bloc de pierre froid - dans un réflexe sans doute vain à vouloir écraser ce qui gonflait à l'intérieur.
Les mots qu'elle a prononcé sont entrés dans ses tympans et s'y sont bousculés dans le désordre, aucune de ses phrases ne fait de sens. Il tente d'éteindre son esprit mais il ne peut le forcer à cesser de fonctionner et comme une bête affamée, celui-ci se jette sur ces syllabes qui sont entrées pour les mâcher, les avaler et les recracher.

Un prédateur que j'apprécie a suivi votre piste, démon.

C'est ce qu'il reconstitue, son esprit secoué.

Alors ses muscles se tendent un peu plus et le grondement renait, s'engage une nouvelle lutte interne.
Quelle était la nouvelle urgence à traiter en premier dans ce flot hurlant de commandements ?

Les battements de son cœur et la respiration qu'il avait presque réussi à réguler se sont de nouveau accélérés.

La crise reste une priorité, décide-t-il.

Parce qu'elle rôde maintenant plus qu'elle ne guette et il en sent le contact froid contre les frontières de sa conscience, parce que sous son emprise il ne sait pas s'il sera capable de se battre.

Emilitia

La demande, ou l'ordre ? Emilitia à cet instant n'aurait pas trop su dire, est hurlée comme une explosion soudaine. La louve noire eut un petit sursaut de surprise, hésita un instant à répondre à cette demande ou à parler encore dans une petite vengeance puérile, se contenta finalement de simplement se coucher, la tête vers le vide pour continuer à observer l'inconnu en contrebas. La demi-démon ne parlerait pas, ou peu, elle restait être bavard, Drippir ayant cette même tendance afin de donner avis et commentaire à chaque situation.
Le mal qui rongeait le mâle brun avait l'air bien douloureux à la gestuelle de celui-ci. Essayait-il d'écraser son crâne contre la paroi rocheuse ? C'était... assez fascinant du point de vu d'Emilitia de le voir ainsi lutter, titubant et grondant contre une force invisible au regard extérieur de la louve noire.

« C'est comme s'il était possédé. »

Bavarde disait-on, Emilitia a cependant le respect suffisant pour chuchoter, ses paroles sont pour Drippir seul après tout.

« Je ne penses pas qu'il le soit. »
« Je me demande s'il va mourir. »
« Il a l'air encore bien vif. »
« J'irais bien prendre ses affaires si cela devait arriver. »

Pour le moment elle attends et observe comme un charognard de sa hauteur de falaise, les quatre yeux noirs du masques rivés sur le contrebas.

La voix ne ressurgit pas à son ouïe, il retrouve un silence relatif.
Seuls demeurent le contact de son front appuyé contre la pierre froide et humide, le son répétitif des gouttes qui s'abattent sur ses poils et dans ses cheveux, la sensation désagréable de chacune les sentir se frayer un chemin le long de sa peau.
Et le sang qui bat à ses tempes, toujours aussi fort, est un tambour assourdissant.
Mais peu à peu, sans nouveau stimuli qu'il ne sait maîtriser, l'orage dans sa tête reflue. Il passe peut-être bien une minute durant laquelle les seuls mouvements de son corps sont incontrôlés - et incontrôlables, spasmes musculaires qui agitent l'une de ses pattes avant en rapide répétition.
Lentement, cela s'efface aussi.
Grimalk parvient à laisser passer la crise sans qu'elle ne s'aggrave davantage.

Ses sens deviennent plus clairs même si tout ce qu'il a vécu les instants précédents demeure dans un brouillard épais.
Il sait qu'il y a la louve, il sait qu'il a entendu de ses paroles quelque chose qui était sans doute déformé quand bien même les mots que lui entendait étaient clairs dans son esprit.
La fatigue le gagne, envahissante et écrasante ; elle survient toujours après ces épisodes désagréables et n'est que décuplée par l'épuisement physique de son corps blessé et éprouvé.
Mais il ne peut pas se laisser aller au repos.
Il y a cette étrangère qui rôde comme un vautour autour d'une proie presque morte et vers laquelle il lève la tête, lentement, pour enfin découvrir de ses yeux dorés la voix qui le fit crier d'irritation.
Qui porte un masque.
Avoir la tête couverte pour une louve est une coutume qui est chez lui la norme, ce n'est pas ce qui le fait tiquer.
C'est plutôt l'aspect lisse et les quatre fentes, c'est la noirceur du pelage qui contraste, c'est les ailes de papillon noir qui s'érigent en arrière plan pour parachever la composition sur fond d'orage aux lourds nuages.

L'image le saisit.

Le flou de sa vue ajoute un peu de mystère à cette vision sinistre, brouillant les contours dans le ciel gris.

Ce n'est pas que pour la beauté lugubre de cet ensemble qu'il la fixe longuement.

Il la reconnaît, ça le frappe maintenant, malgré le temps qu'il mit à traiter l'information qui rôdait en pressentiment d'alerte.

— Tu étais dans le cauchemar.

Grimalk n'a jamais été très superstitieux. La superstition avait même desservi son existence pour la sentence qui lui fut porté et qui en découlait presque immédiatement.
En cet instant pourtant, il ne sait pas tout à fait décrire ce qu'il ressent, dans ce mélange d'exaltation bouillonnante qui s'entremêle à une crainte irrationnelle pour évoluer dans l'orgueil irrationnel d'une profonde envie de défiance.
Dans l'attente, dans ce moment figé durant lequel il la fixe toujours, il retient tout de même qu'elle avait été une menace.

Puis qu'à un moment, peu avant la fin, ils avaient été mélangés pour ne faire qu'un.

Emilitia

Chaque chose avait une fin et la crise du mâle trouva la sienne sans plus de conséquences, visibles du moins. Dans le doute, Emilitia resta pour le moment perchée en haut de ses rochers, observant toujours le loup en contrebas des quatre yeux du masque alors que ce dernier s'adonna à exercice similaire. Ses paroles cependant lui firent pointer les oreilles vers l'avant, vers lui, et incitèrent la louve à se relever.

« Vous y étiez ? »

L'intérêt était non dissimulé. A pas prudent, Emilitia descendit de sa hauteur, sautant de rochers en rochers, se laissant glisser lorsque c'était nécessaire dans une aisance liée à l'habitude des terrains montagneux.

« Ce rêve, c'est quelque chose dont je me suis remise. »

Elle l'avait un peu balayé d'un revers de patte après les émotions passées. Emilitia n'utilisait même plus le petit don obtenu en échange de cette nuit agitée depuis l'excitation de la nouveauté atténuée. Elle ne l'oubliait pas, saurait l'utiliser en temps voulu mais son ombre avait trop peu de répondant pour offrir une conversation intéressante.
Maintenant sur le même sol que le mâle, Emilitia resta tout de même à distance raisonnable. Curieuse et intéressée certes mais encore prudente.

« Je crois vous reconnaître aussi. Faisiez-vous parti des traîtres ? » Si elle laissa quelques secondes filés, elle répondit bien vite à sa propre question, décrivant de larges cercles autour de l'inconnu pour contenir son envie de se rapprocher. « Oui de toute évidences, les âmes alliées étaient toutes déjà connues mais je ne vous en voudrais pas pour ça. Je sais que les images étaient parfois vraies parfois mensonges. Une Etelkru du rêve a dit m'avoir vu trahir, ce n'est pas le genre de chose que je fais et Drippir est toujours vivant alors qu'il y avait été tué. »
Et sa mère n'était pas pas revenue à ses côtés.

Emilitia se stoppa, redressant la tête, les yeux du masque n'ayant jamais quitté le mâle. Elle lui laissa le temps d'assimiler les informations sur le rêve mais reprit à nouveau bien vite, sur un autre sujet.

« Que s'est-il passé à l'instant ? On aurait cru qu'on cherchait à  vous posséder. »
« Je suis sûr que ce n'était pas ça. »
« Mais Drippir n'y croit pas. »

L'image se trouble et mue quand le Papillon Noir bouge.
Ses mots ont piqué une curiosité réciproque et il l'observe perdre de sa superbe en descendant de son promontoire - elle ne s'approcha pas beaucoup, mais elle est désormais à la même hauteur que lui et il constate qu'elle n'est si très grande ni très épaisse, sans pour autant être frêle.
Comme les papillons de nuit, eux qui sont toujours plus solides que leurs comparses diurnes mais demeurent faciles à écraser.

Le Papillon Noir parle beaucoup. C'est la remarque qu'il se fait quand elle enchaîne paroles et questions, et lui ne répond pas tout de suite, sa concentration déployée à suivre des yeux et parfois du corps les cercles qu'elle décrit autour de lui -toujours comme un vautour- et à ne pas laisser d'autre faiblesse le gagner. Car s’accommoder à ce manège est une épreuve certaine pour son cerveau déjà occupé à se rétablir et il doit cligner des yeux plus fréquemment que d'habitude pour parvenir à garder ses pupilles suspendues sur elle, il doit aussi parfois se reprendre quand il oscille un peu trop et manque de trébucher au moment de placer ses pattes.
Autant de fautes qui se multiplient et qui font gonfler un agacement qu'il oblige à taire et à refouler plus loin.
Ce sentiment n'est pas important - pas autant que de s'accrocher à chaque information qu'elle livre et de faire en sorte de retenir ce qu'il pouvait avant de décider quoi en faire pour trier le pertinent de l'inutile.

Il profite qu'elle bouge un instant un peu moins - il lui semble - et que son image se soit stabilisée pour ouvrir la gueule.

— Je me souviens d'une attaque, oui, où tu as voulu me trahir. Je t'ai sans doute trahi aussi. Ensuite j'étais mêlé à toi et à plusieurs autres, et ça s'est terminé peu après.

Je sais que c'était faux, les rêves ne sont que des rêves.
Grimalk a cependant appris qu'il faut être prudent avec la magie de ces terres et tout ce qu'elle renferme, tout ce qu'on comprend d'elle mais surtout la vaste étendue de ce que l'on ne comprend pas.
Un cauchemar dans lequel on voit quelqu'un qu'on n'a pourtant jamais rencontré pour ensuite réaliser que cet individu existe, cela a d'autres noms.

Une vision, une divination, une intuition.

Tout ce qui est censé être fable mais qui est ici réel.

Le Papillon Noir se désintéresse cependant du cauchemar et préfère savoir quel mal cherchait à le posséder.
Grimalk fronce les sourcils - le terme ne lui plaît pas et remonte son échine dans un frisson, ça ranime ce sentiment puissant, vibrant et occulte qui l'envahit quand il posa pour la première fois les yeux sur la louve un peu avant - mais répond sans animosité dans la voix.

— C'est quelque chose de différent dans ma tête, quelque chose qui rôde et qui cherche à se battre avec moi si je lui laisse trop de place. Mais ce n'est pas de la magie, c'était là dès le début.

Dès sa naissance, dès son début de vie dans les steppes arides. Quelque chose qui n'a pas attendu qu'il foule les terres de son ancêtre pour se manifester, pas comme d'autres choses.

Pas comme ces spectres violacés de papillons de nuit qui ont commencé à apparaître non loin sans qu'il ne les remarque encore, posés sur des rochers, battant des ailes dans un rythme flegmatique.
Encore si légers et inconsistants qu'il semble suffire d'une brise pour en dissiper la lueur.
Le vent pourtant jamais ne les chasse.

Seul le temps les efface.

Emilitia

Emilitia hocha la tête. Oui, tout lui revenait maintenant, à la quasi perfection. Si le souvenir avait bien voulu s'effacer du quotidien pour un plus grand confort, il restait là, gravé au fond de sa mémoire et capable d'être rappelé avec quelques stimulation. Malgré ce qu'aurait voulu la mémoire, l'Araignée était tout de même parvenu à tisser un bout de toile au fond de son crâne.

« Juste avant l'asservissement, je me souviens oui.  Que comptes tu faire de ce fait maintenant que nous nous rencontrons au delà du rêve ?»

Et, n'oubliant pas aussi ses propres questions, le mâle brun y répondit. Lorsqu'il évoque une chose qui rode, l'intérêt d'Emilitia grandit de plus en plus, si elle se mouve pas d'avantage, c'est parce qu'elle ne veut pas risquer de briser son attention. Ce mal mystérieux lui rappelait vaguement le démon de sa mère tout en étant très différent. Les réponses font imaginer à la louve noire une bête tapis au fond du crâne et peu importe si le mâle dit que ce n'est pas magique, ça n'a pas forcément besoin de l'être concrètement pour qu'elle soit là, présente cette bête.

« Ce n'est pas une possession. »
« Je sais, tu l'as déjà dit. »

Emilitia chassa Drippir, balayant l'air de quelques coups de pattes pour l'inciter à aller voleter plus loin, se détournant du mâle un instant avant de revenir vers lui.

« Que se passerait-il si cette chose prenait le dessus ? »

Deviendrait-il une bête folle et sauvage ?

Emilitia ne les remarqua pas non plus ces papillons violacés qui petit à petit apparaissaient aux alentours. Au final, ce dut certainement Drippir qui constata leur présence en premier, se faisant surprendre par l'apparition d'un nouveau qui vint lui voler un rocher convoité pour venir s'y poser.

Ses yeux se plissent quand le Papillon Noir demande de qu’il compte faire de ce fait, comme s’il eut été chose normale de prévoir quelque chose à ce propos.
Mais Grimalk n’en sait rien. Lui avait cru que le cauchemar n’était rien d’autre qu’un cauchemar et constater qu’il avait d’autres implications était bien trop récent pour qu’il n’ait pu y réfléchir - surtout au vu de son état actuel.
Son esprit tourne vite pour chercher une piste mais le trouble demeure et il peut gagner le temps nécessaire d’y réfléchir encore - ainsi qu’un nouvel angle et d’autres informations - en retournant la question.

— Suis-je censé en faire quelque chose ? As-tu décidé d’en faire quelque chose, toi ?

La façon qu’il a d’appuyer sur le dernier mot est presque accusatrice. Si la rencontre l’interpelle et la situation qui les lie ne peut que attiser le feu de sa curiosité, il n’en oublie pas pour autant les sensations étranges qu’il a ressenti, la façon dont elle est venue à lui et l’imagerie qu’elle transporte dans son sillage.
Sans être une menace, il manque de bien trop d’éléments pour la comprendre et n’est clairement pas dans une position de force qui le rendrait serein. Il est blessé, il est fatigué.
Et la façon qu’elle a de chercher à savoir précisément de quelle façon une crise peut l’atteindre si elle prend le dessus n’aide pas à éteindre cette sorte d’alarme qui reste en veille au fond de lui.
C’est aussi à ce moment seulement que ses pupilles accrochent la petite créature qui gravite autour d’elle, une fois que d’un geste de la patte elle l’a chassé plus loin. Les éléments se connectent - cette façon qu’elle a de répondre à un moment où personne n’a parlé, l’individu inconnu qu’elle a mentionné à plusieurs reprises et dont il a entendu le nom - Drippir - sans réagir.
Sa posture amoindrie lui fait manquer beaucoup d’éléments qu’il aurait autrement noté et ce constat envoie un mouvement sec et agacé dans sa queue. La frustration transitionne rapidement vers davantage de questions et des curiosités qu’il voudrait éclaircir, mais il garde le fil initial.

Il est rare que Grimalk ne réponde pas à une question, même s’il arrive parfois que la réponse soit décalée par sa façon de différer un certain nombre d’informations.

— C’est déjà arrivé. Ça me fait perdre le contrôle de mon corps et je suis très fatigué une fois que c’est terminé. Et souvent je ne peux pas me souvenir de ce qu’il s’est passé.

Un flou volontaire est gardé sur les détails de la perte de contrôle et de la grande fatigue qui le mène avant tout, dans ces crises les plus graves qu’il décrit, à l’inconscience.

Emilitia

Emilitia se laissa distraire quelques instants pour aller fouiller dans ses propres réflexions, tombant légèrement sa tête sur le côté avant de la redresser pour reprendre la parole.

« Pas vraiment, ce n'est pas comme si ça devait être une obligation. Je ne me suis pas beaucoup intéressée au cauchemars, peut-être que j'aurais dû. »

S'il était lié à un démon comme elle avait voulu le croire, c'était une occasion ratée de se rapprocher de ce monde qu'elle voulait mieux comprendre et maîtriser pour y être profondément liée par la moitié de son sang et les tendances de sa famille. Ça ne s'était pas fait, Emilitia ne considérait pas ça comme quelque chose de grave ou de fâcheux.

« Mais je crois que j'ai rendu curieuse l'Etelkru du rêve que j'ai rencontré ensuite. Je le vois dans son regard lors de nos rencontres, elle pose aussi beaucoup de questions. »

Elle semblait porter un intérêt certain et réel sur ces choses auxquelles elle ne devrait pas s'intéresser. Ça ne dérangeait pas vraiment Emilitia, elle avait prévenu, ne possédait pas la sensibilité nécessaire pour s'inquiéter ou s'en vouloir au cas où l'Etelkru finirait par atteindre quelconque frontière à ne pas dépasser. Ce qui intéressait à l'heure actuelle la demi-démon, c'était la mal qui dormait à l'intérieur de l'inconnu brun.

« ça ressemble beaucoup à ce que vivait ma mère. A chaque nuit de pleine lune, elles ne lui appartenaient pas.
Mais c'est différent, je sais. »

Elle coupa Drippir avant même qu'il ne se répète.

« ça ne fait que ressembler, j'aurais sans doute été capable de le deviner aussi si ça avait été la même chose. Est-ce que cela vous transforme aussi en bête monstre ? »

Le Papillon Noir continue de beaucoup parler. Lui fait en sorte de se concentrer sur tout ce qu'elle aborde sans se laisser distraire par d'autres stimulis mais c'est de plus en plus difficile : s'il a évité la crise, la fatigue, elle, demeure. Tout comme son sang qui bat à ses tempes pour signifier l'effort que fournit son corps à cet instant pour le maintenir debout et concentré.
Le sang qui était lui sorti de ses plaies avait en partie séché sur son poil et la sensation en est désagréable : de plus en plus souvent une patte se lève pour gratter ces endroits qui le démangent, parfois avec plus de véhémence que nécessaire quand l'irritation s'injecte dans ses gestes et fait voler des poils bruns un peu partout.
Un certain nombre d'informations lui échappent dans cette perte de focus, mais ses oreilles se redressent régulièrement à certains mots qui résonnent plus que d'autres.

C'est surtout à la fin que Grimalk accorde son attention, quand elle continue sur le sujet de ce mal enfoui, ce qu'il avait toujours considéré comme une dysfonction et qu'elle s'évertue à vouloir attribuer à quelque chose d'autre.
Une forme de puissance occulte sans qu'il ne sache laquelle, une forme de magie sans doute.

L'une de ses babines se fronce un instant sur une moue un peu ennuyée.

— Ça ne me transforme en rien d'autre que je ne suis déjà. Et ça n'est pas régulier.

Aucune histoire de lune ou de soleil dans les manifestations disparates de ce mal.
Puis, comme il estime que le Papillon Noir a fait graviter assez longtemps la conversation autour de lui et ce qu'il se cache dans les profondeurs qu'il ne peut sonder, il ne laisse pas plus d'une seconde s'écouler avant de reprendre la parole pour adresser l'un des sujets qui l'intriguent.

— L'insecte qui te parle. Tu l'entends directement dans ton esprit ?

Car lui n'avait rien entendu excepté un léger vrombissement en provenance de la créature luisante.

Emilitia

Les similitudes s'arrêtent là, le mâle était loin le même genre de monstre qui avait hanté les nuits de sa mère et pousser à la nature de son existence. L'intérêt d'Emilitia disparu aussi rapidement que de la neige sous un soleil d'été et elle relâcha cette pression presque prédatrice que sa curiosité lui avait poussé à prendre.

« C'est assez décevant... mais attendu je suppose. »
« Tu mettais trop d'intérêt dans quelque chose qui n'en méritait pas. Ce n'est qu'un être dysfonctionnant. Et regarde un peu comment il se gratte, il doit être couvert de puces !»

Emilitia laissa parler Drippir sans s'y intéressé plus que ça, elle avait l'habitude de l'entendre râler, surtout lorsqu'elle laissait son intérêt prendre trop grande ampleur envers un loup. C'était la moitié que le petit démon aimait le moins chez Emilitia après tout.
D'autant plus que le mâle s'empresse à poser lui aussi une question, estimant sans doute qu'il était temps d'inverser les rôles. Ce n'était pas une chose qui dérangeait la louve noire.

« Non, c'est vous qui n'êtes pas capable de l'entendre. Oh, il ne faut pas s'en offusquer, il faut être un démon ou un initié pour être sensible à sa voix. Drippir n'est pas assez puissant pour se calquer aux langues de ce plan mais il les comprend. »

L'un de ses sourcils se hausse au mot décevant, les deux se fronçent une seconde plus tard.
Grimalk ne comprend pas ce qu'il y a de décevant dans ce qu'il a révélé en réponse à ses questions mais il a bien vu quelque chose refluer chez elle, comme si ce qui avait motivé cet échange à son sujet s'était brusquement dissipé.
Cela, il le comprend. Il fonctionne de la même manière. Mais il ne peut alors s'empêcher de déduire que ce qui dérange le Papillon Noir, c'est que son mal ne se conforme pas à ce qu'elle en avait attendu ou pensé parce qu'il n'était pas magique.
Et il estime qu'elle a tort de s'enfermer dans cette seule perspective. Tort de penser que seules les manifestations de pouvoirs qui changent les choses et qui créent des résultats inattendus, comme pratiquement tous ceux qu'il a vu par ici, ont de la valeur.
À force de retourner cette réflexion dans sa tête c'est presque comme une insulte qu'il finit par l'assimiler et son poil s'ébouriffe.

Si elle le croit inférieur aux créatures d'ici parce qu'il ne se transforme pas, si elle le pense moins puissant sans aide conférée par la magie... Elle se trompe.
Il peut devenir Bête sans aide aucune. Il peut devenir mieux : l'être que l'on craint sans laisser son esprit régresser au stade animal.
Et si elle ne le prend pas au sérieux... Il peut lui montrer.

Une chaleur bouillante se propage dans ses veines à mesure que ses pensées se développent et le regard d'or toujours posé sur elle a changé d'éclat - toujours aussi intense, mais maintenant plus affamé que méfiant et fasciné.
Après tout, en l'absence de meilleur choix, les papillons se mangent.

Mais ce feu ne se propage pas davantage et demeure au stade de braises étouffées sous la surface. Car s'il se sait orgueilleux, s'il n'aime pas ne pas être pris au sérieux... Il se sait aussi affaibli en la présente situation. Et cette seule fatigue physique suffit à ne pas alimenter ces pulsions dangereuses.
Alors le loup brun se contente de passer avec lenteur sa langue sur ses crocs d'or et d'émail, oreilles redressées pour se rendre attentif à la réponse de l'interrogation dont il fut cette fois l'origine.
Réponse qui fit naître sur ses lèvres un sourire quelque peu narquois alors que sa tête se penche sur le côté.

— Comment être sûre que ce n'est pas le résultat de ton esprit ?

Si cet endroit justifie beaucoup de choses, il peut aussi pousser à oublier que l'imagination et la folie savent se montrer aussi créatives que la magie.

Emilitia

Le mâle ne la croit pas, ça aussi, c'était sans doute attendu. Si Emilitia pouvait passer pour une  excentrique ou une louve lunaire, elle était cependant loin d'être une idiote, bien qu'elle ne relevait que rarement ces expressions de doute chez les autres, elle les remarquait.  D'une certaine façon, elle marquait durant les rencontres, peut-être, sans doute et cette idée l'amusait, elle qui savait ô combien étaient éphémères instants et existences.
Et la nouvelle question du mâle, narquoise, provocatrice peut-être aussi, plutôt que de vexer la louve lui provoqua un petit rire amusée.

« Oh, je me demande si ce n'est pas ce que pensent la plupart des rencontres faites jusque là. » Surtout les plus sceptiques et les plus hostiles à son égard, comme les Etelkrus. « ça serait presque amusant que ce soit le cas, tellement de choses en seraient changés, beaucoup de réalité deviendraient fausses. Elles sont bien vraies pourtant, Drippir connaît des choses que j'ignore et certaines ont pu être vérifiées. »

Comme certains sorts, comme celui qui l'avait lié à la Demoiselle Rose. Il était certain et évident qu'elles communiquaient bel et bien, une expérience concluante avait eu lieu.

Le doute qu'il émet au sujet de cette créature volante et de sa voix qu'elle serait seule à entendre ne la vexe pas. Au contraire, c'est un petit rire qui l'agite.
Oreilles toujours droites et yeux un peu plissés, Grimalk doit plusieurs fois faire des efforts de concentration pour ne pas se laisser distraire par le chaos de stimulis qui continue de l'agresser tant en son for intérieur qu'à travers l'environnement.
A la réponse qu'elle fournit, cependant, le mâle doit bien avouer la trouver lucide.

Il doit encore cligner des yeux pour chasser une nouvelle vague de fatigue et de vertige puis les rouvre plus intenses encore quand elle livre ce qu'elle a de plus proche d'une preuve.
Il stabilise ses pensées et plante son regard dans les fentes de son masque.

—  Par exemple ?

D'un pas plus chancelant qu'il ne le voudrait il se rapproche, presque prédateur. La fascination revient en fugace étincelle, enveloppée dans la curiosité et la convoitise. Il veut savoir, il veut que la petite créature fournisse une information qu'elle ne peut avoir.

Emilitia

Le mâle fatigue et faiblit, il essaye encore de tenir debout mais il chancelle, c'est une chose qui n'échappe pas à Emilitia -en soit c'était assez visible, aucun exploit ici- et ce fut sans doute la raison  pour laquelle elle ne s'inquiéta pas qu'il se rapproche.

« Oh, le plus récent sans doute c'est ce sort qui a été effectué avec la Demoiselle Rose. Je dois avouer que je n'en connais pas vraiment moi même. » Des complets. « Drippir quelques uns, il nous a aidé à réaliser celui qui nous lie maintenant la Demoiselle Rose et moi. Le lien est fragile mais il marche, nous avons déjà réussi à nous entendre sans être ensembles. »

Ce n'était peut-être pas une information à transmettre au premier inconnu mais ce fait, comme au premier jour de sa réalisation l'enthousiasmait tellement.

« Mais ce n'est pas une preuve n'est-ce pas ? J'aurais pu encore tout inventer. Sans doute que ça sera moins impressionnant ou sensationnel mais nous pouvons l'expérimenter maintenant. Je peux fermer les yeux et vous ferez un signe que seul Drippir verra donc, si je décris la bonne chose ensuite, ça prouvera bien que tout est réel. »
« On a rien à lui prouver. »
« En soit, c'est toi qui à ses yeux n'est qu'un simple insecte. »

Une preuve.
Grimalk désire une preuve, mais il n'obtient en retour que des mots. Trop nombreux, à l'enchaînement trop complexe.
Chaque nouveau nom que prononce la solitaire, chaque nouvelle situation qu'elle se met à décrire dans sa tirade enfonce des poignards dans son crâne.
Grimalk gronde.
Il reconnaît avoir trop ignoré sa fatigue, trop poussé son corps dans ses retranchements, si bien que celui-ci ne s'intéresse plus que très peu aux paroles de la louve masquée. Trop occupé à utiliser le peu d'énergie restante à le maintenir debout.
Passant de lumière à obscurité, sa vision clignote. Coups de couteaux dans l'arrière de sa nuque, sur le devant de son front et tout autour de ses tempes, la migraine pointe et s'acharne brutalement, intense.

Le mâle fait un pas en arrière, l'encolure basse, gardant encore en visu la louve et son insecte - mais désormais ils ne sont plus que tâches floues sur un décor tout aussi brouillé.

Le Nakhu doit vraiment partir, il le comprend. S'il avait cru quelques moments aller mieux, tout n'avait été qu'illusion temporaire et l'avait drainé de ses dernières forces.

Les pas en arrière se multiplient en même temps que monte sa frustration. Sa fatigue physique ne le priverait pas du feu de ses réactions primaires.
La colère de ne pouvoir mener l'échange à terme, l'insatisfaction de partir à un moment clé, la déception de tourner tête et de se retrouver avec l'amer goût en gueule de perdre quelque chose. Il a remporté une bataille avec des monstres et en était ressorti debout, mais cette victoire-ci est déjà avalée et oubliée.
Reste la piqûre de cet échec venu la remplacer, tout comme la certitude qu'il ne laisserait pas cette sensation être l'ultime souvenir de cette louve qui l'intrigue et de cet insecte qu'elle doit prouver être magique.
Il les retrouverait.

Et alors qu'il finit par emprunter malgré lui un chemin qui s'éloigne, s'appliquant à ne pas trébucher et chuter du haut de ses pattes tremblantes, incapable de prononcer un mot tant ses mâchoires sont serrées, il s'applique tout de même à ce que le message passe dans le regard brûlant qu'il maintient un moment ancré sur le duo.

On se reverra.