Solaire · Grimalk

Le pas empreint d'une certaine lourdeur mais rythmé par une régularité maîtrisée, le jeune mâle revient après plusieurs jours passés en excursion en-dehors des terres des Nakhus.
Même avec la saison froide qui se dissipe et recule jour après jour, il reste importuné par l'humidité de l'air et par les brises les plus fraîches qui s'immiscent entre les mèches de son pelage dense, et il part marcher vers les terres plus au Sud régulièrement.
C'est aussi comme cela qu'il entretient son corps presque adulte, par cette marche qui marquait son quotidien de là d'où il vient au point de devenir une constante nécessaire à son fonctionnement.

Mais son mouvement se fige quand son regard dérive de l'entrée du Dédale sur laquelle il s'est posé et qu'il rencontre non loin de celle-ci une silhouette allongée.
Grimalk s'immobilise, la tête tournée vers la louve qui profite des rayons intermittents du soleil.
Il la sait être la fille de Nocera, il la sait s'appeler Séléné.
Et lui se sait fasciné par son pelage auquel il n'a pas trouvé d'égal parmi tous ceux qu'il a pu voir.

Celui de la louve est une réinvention constante, une évolution permanente qui s'accorde à l'extérieur et la façon dont la magie s'exprime chez elle l'absorbe entièrement chaque fois qu'il la voit jusqu'à ce qu'elle disparaisse de son champ de vision.
Mais si jusque là il l'a toujours observée de loin, dans l'ombre de l'une des grottes du sanctuaire, elle est maintenant bien plus proche qu'elle ne l'a jamais été, à quelques pas de lui.
Et elle est allongée, alors elle ne quittera pas de sitôt sa vue.

Et lui la dévore littéralement du regard, sans se soucier de savoir ce que son comportement peut provoquer.

Si la tête de la louve se tourne vers lui, le bleu de son regard ne se révèle pas.
Mais c'est chose qu'il a de toute manière à peine remarqué. Ses iris sont trop concentrés sur les parties non blanches de son corps pour s'être intéressés à l'information de son mouvement, dans cette manie fréquente et presque incontrôlable qu'il a d'occulter le monde entier lorsqu'un élément se démarque.
Le son de sa voix qui s'élève est cependant chose qu'il perçoit cette fois, et ses iris effectuent un bref aller retour sur son visage avant de revenir se darder avec précipitation sur les tâches bleutées, comme si la crainte d'avoir manqué quelque chose durant ce bref écart l'avait saisi.
Si son poil s'accorde aux couleurs du firmament il lui faudra pourtant du temps pour changer et il y a peu de chances qu'il puisse saisir le moment opportun où s'opère une transition.
C'est comme vouloir regarder une fleur bourgeonner.
Et s'il n'y avait rien pour venir le déranger, il serait peut-être bien capable de se tenir immobile des jours durant jusqu'à obtenir satisfaction.

Grimalk arrive cependant de plus en plus à coordonner différentes réponses de sa personne face à pareille situation. Il parvient donc à ne laisser que quelques secondes de délai s'écouler avant de répondre, le regard toujours fixe sur les arabesques de couleurs qui la parcourent.

— Oui, tu es très belle. La magie s'exprime chez toi mieux que chez d'autres.

C'est la seule réponse qu'il a à fournir avant de se consacrer de nouveau entièrement à son observation méticuleuse.

La persistance qu’elle déploie à garder les yeux clos l’interpelle enfin.
Ca lui fait pencher la tête et froncer les sourcils alors que lentement, son regard doré se déporte vers son visage vers l’étudier. Il ne comprend pas pourquoi elle le fait et cela le perturbe. Ne pas savoir à qui exactement l’on se confronte est chose dangereuse - or on apprend énormément de choses en observant un autre individu. Grimalk est conscient du biais de perception entre les valeurs et les réflexes qui lui furent inculqués à Arabahos et ceux qui régulent cet endroit : Séléné n’a sans doute aucune raison de croire à une quelconque notion de danger, ici, juste devant leur foyer.
Il ne peut cependant trouver cela raisonnable.
Peut-être s’agit-il d’un exercice, en ce cas. La capacité de pouvoir juger et comprendre un autre aux seuls sons qu’il émet sans se reposer sur la vision, dans le cas où on en serait privés par une obscurité complète ou pire - la perte des yeux.

Le mâle peut bien mieux comprendre cette motivation et la trouve même maline - un pic d’intérêt resurgit dans son corps et le fait dresser tête et queue d’un même geste, cette fois dans une fascination différente de celle de son pelage.
Il répond cependant à la question qu’elle posa, car sa beauté irréelle - puisque magique - demeure au coeur de son attention pour la louve.

—  Oui, puisque c’est beau.

C’est une forme de réussite. La réussite est une bonne chose. C’est d’avoir réussi à contrôler la magie pour en faire quelque chose de valeur. Le contrôle est une réussite.
Et ainsi se complète le cercle.
Grimalk fait un pas vers elle et puisqu’il a cru comprendre qu’elle attend aussi de lui une question, il en a maintenant une à poser.

—  Que sais-tu de moi en ayant écouté ?

Encore un pas, avant de s’arrêter, les oreilles droites et pointées sur elle.

Lorsque la patte s’avance pour présenter les bijoux aux rayons du soleil, c’est plus que leur éclat qui fait virer son oreille dans leur direction puis ensuite son regard. Tout son corps se fige à nouveau quand ses iris accrochent les bagues qui dans le mouvement d’étirement sont venues s’entrechoquer l’une contre l’autre. Le son fut bref et très léger, mais il avait réveillé dans son esprit le souvenir intact quoi qu’enterré sous une pyramide de mémoires plus neuves du son que faisaient les anneaux de Boucle d’Ivoire quand elle bougeait la tête.
Le tintement est ancré dans sa mémoire, détail séparé du reste, qui s’invoque subitement à cet instant et résonne maintenant en boucle dans ses oreilles.

Il en manquerait presque ce qui vient ensuite, quand la louve au pelage changeant allume sur son visage une expression de renarde et qu’elle répond à sa question. L’air absent qui avait soudainement voilé l’or de ses iris se dissipe, et ses oreilles frémissent pour mieux capter les paroles de Séléné. La première déclaration fronce ses sourcils, mais la suite promet davantage de satisfaction et il attend qu’elle essaye de déduire.
Le début lui fait hocher la tête - l’âge est quelque chose que l’on peut en partie deviner à la voix, du moins pour certaines périodes de la vie, il s’en pense capable aussi. Ensuite… Son visage se fronce et s’ouvre alternativement, au fur et à mesure de ce qu’elle suppose et qu’il confronte avec ses connaissances de lui-même. Dans l’ensemble, elle n’a pas tort : il repère pourtant les imprécisions et quelques généralités qui pourraient s’appliquer à un certain nombre d’individus.
Son intérêt demeure cependant et il ne se dit pas déçu de la prestation : il y a en revanche un aspect qu’elle ne couvre pas du tout et qui lui l’intéresse particulièrement.

—  Et sur le physique ?

Sur tout ce qui pourrait être décisif dans un face à face.
A peine la question posée, Grimalk recommence à se mouvoir. Mais il ne bouge pas tout à fait comme d’habitude : il casse le rythme de sa démarche et décide de la contrefaire du mieux qu’il le peut. Il fait en sorte de ne poser que le bout des doigts, presque suspendu sur ses griffes comme il sait que font les animaux légers quand lui s’enfonce habituellement dans toute la plante large de ses pattes. Il rend son souffle moins profond, le fait passer entre ses crocs d’une manière sifflante. Il brise la régularité de son pas pour faire traîner sur le sol une patte un peu plus que les autres, comme si persistait une boîterie. Il gonfle le torse pour occuper au maximum l’espace libre de son harnais et tendre les chaînes qui le retiennent et ne pas les laisser tinter quand à l’inverse, il penche légèrement la tête et fait bouger ses oreilles pour faire s’entrechoquer les maillons qui relient ses deux oreilles.
Peut-être notera-t-elle des différences avec ce qu’elle a du entendre de lui avant que ne s’entame ce petit jeu, peut-être réussira-t-il à suffisamment la brouiller pour qu’elle ne puisse plus faire confiance à sa mémoire immédiate.

Saura-t-il la tromper sur ce qu’il y a de plus concret chez lui, ce physique qui ne peut pas mentir au regard et aux aptitudes, ce qui ne se cache pas derrière un crâne et la barrière des pensées libres à interprétation ?


[Lancer d’un dé réussite pour appuyer ou non la crédibilité de sa falsification]

L'expression de son regard et de son visage devient presque avide quand il se concentre sur sa réaction à elle. Elle s'est interrompue et il perçoit sa réflexion à travers les muscles qui se sont un peu plissés sous la peau claire de sa tête et ses arcades froncées.
Les secondes passent, l'agitation qui serre ses entrailles à attendre son analyse lui rappelle la sensation d'impatience vorace qui s'éveille lorsqu'un repas se fait attendre à un estomac affamé.
Vient le verdict pour satisfaire sa faim.

L'exclamation le surprend un peu et le fige dans son mouvement. Ses mots et son intonation se contredisent dans ce que son cerveau a associé par le passé - être traité de menteur n'avait jamais été positif , c'est pourtant une joie mélodieuse et surprise, comme un rire, qui éclate au fond de sa bouche.
Grimalk reste perplexe un instant en même temps que son corps s'anime de plusieurs réactions successives. D'abord cette impulsion musculaire née de la frustration vive d'avoir été découvert alors qu'il jugeait sa prestation plutôt satisfaisante - il n'avait jamais aimé échouer. Mais cette colère aussi brusque que passagère s'évacue dans la terre que ses griffes ont labouré et y est transférée, laissant la place libre pour un autre sentiment. Celui de l'intérêt qui renaît pour prêter toute son attention à ses explications qui vont davantage dans le détail pour valoir réponse à sa question.
C'est cette fois un sentiment de satisfaction qui court le long de son échine pour relever sa queue et inscrire un bref sourire sur ses babines quand elle reconnaît la structure de sa manœuvre - surtout, la complimente.

Et Séléné ne s'arrête pas là. À nouveau le poil de Grimalk s'ébouriffe d'un mélange de sentiments tandis qu'il laisse son regard sur le visage de la louve, en détaille les formes et les courbes décrites par son sourire - ses yeux, eux, restent fermement clos.

Désespérément clos.

L'envie pressante et entêtante de les voir le saisit alors, impérieuse, dure à réprimer.
Il trouve quand même le temps de répliquer d'une voix claire et presque enjouée.

— Surtout te surprendre.

Avant de soudain lever une patte d'un geste rapide, brusque et inattendu dans l'instant presque immobile. Elle frappe le sol devant lui dans un nuage de poussière et une explosion de petites particules envoyées tout autour, mais c'est avant tout le son produit et le dégagement d'air qu'il a recherché.

Une surprise, pour qu'elle n'ait plus le choix d'ouvrir son bleu regard.

Car n'était-ce pas instinctif et automatique pour tout individu que de réagir à ce qui surgissait sans prévenir pour pouvoir s'en protéger ?

Et il se dévoile, le pâle regard.
Sa réaction fut peut-être un peu plus excessive qu'escompté : Grimalk s'était attendu à un sursaut, peut être à un son d'étonnement, mais pas à une fuite immédiate et précipitée.
Finalement, ce n'est qu'après s'être éloignée qu'elle a ouvert les yeux, sans même prendre le temps de savoir s'il y avait un réel besoin de créer une distance. Sans savoir s'il y avait un danger.
C'est la réaction de quelqu'un qui a déjà eu une expérience dont la finalité ne fut pas sans conséquence, pense-t-il, pour la conformer ainsi à un évitement automatique - tout comme lui avait acquis certains réflexes seulement par vécu et répétition. Mais il ne creuse pas davantage sur cette piste ni ne se pose la question du tort qu'il a visiblement causé : il a obtenu ce qu'il voulait.
Et il se perd sans retenue dans la contemplation de ces iris plus beaux encore que dans son souvenir, plus riches que juste bleus avec cette teinte plus claire qui les réhausse.

Les mots qui éclatent ne le perturbent pas non plus et ne le déconcentrent pas de son observation : ils sont ceux provoqués par la peur et la surprise, peut être un peu aussi par la colère ; il les considère comme une suite à laquelle s'attendre et non pas comme quelque chose d'anormal.
Ce qu'elle dit ensuite, en revanche, l'interpelle assez - même s'il ne voit pas de quoi elle s'excuse précisément - pour qu'il ne se concentre plus que sur ses prunelles mais sur le reste de son visage. Il cligne des yeux comme pour reprendre conscience de son environnement et y inclure de nouveau la présence de la louve avant de répondre d'une voix cette fois aussi grave qu'au début de la rencontre.

— Je ne voulais pas te faire de mal.

Et s'il n'y a aucun mensonge à détecter dans ces quelques mots prononcés d'un ton neutre... Il ne semble pas non plus y avoir trace de remords.
Comme si son intervention valait davantage de clarification que d'excuse. Et après une courte pause, il reprend.

— Que s'est-il passé ?

Si dans son référentiel se faire attaquer n'a rien d'un événement exceptionnel qui vaut la peine d'être mentionné, il comprend bien qu'ici les choses sont différentes sur une plage de données bien plus vaste que ce qu'il put penser de prime abord.
Sur ces terres, les loups semblaient moins prompts à se sauter la gorge et à faire valoir leur survie par l'usage de crocs et de griffes envers un semblable.

Et dans cette meute plus que toute autre, le moindre éclat de violence paraîssait à même de s'inscrire en traumatisme.

Il a maintenant l'occasion de se faire une meilleure idée pour affiner ce constat préliminaire.

Son regard est immobile tandis qu'elle réfléchit à se livrer ou non. Pour lui, l'attente n'en est pas quand il y a matière à nourrir ses yeux dorés. Il est capable de s'absorber longuement dans les mouvements discrets et aériens qui se dégagent d'elle, d'admirer longuement son visage et la façon dont sa peau se plisse dans chaque expression qui se dessine.
La réponse qui tombe fait frémir son oreille et ses iris rejoignent ceux de la louve. Grimalk conserve le silence pour laisser s'étendre le récit, qui enfin se construit après une brève pause.

Ce qu'elle évoque éveille chez lui un ensemble fougueux de sensations. De l'intérêt pour cette autre vie vécue hors d'ici qu'il ne lui avait pas soupçonnée, de la curiosité et de l'ambition pour ces autres liens qu'elle mentionne.
Puis quelque chose d'un peu sombre et grondant qui d'abord reste au fond. Qui se développe et qui grandit quand elle dévoile cette importance cicatrice, qu'il n'avait encore jamais eu l'occasion de remarquer dans les observations relativement lointaines qu'il lui avait consacrées. Sa démarche parfois instable et imparfaite, elle, avait été l'une des choses qu'il avait noté le plus vite - mais qu'il avait vite relégué derrière tous les autres points d'intérêt qu'il lui trouvait, jusqu'à presque l'oublier.

Et ce sentiment qui gonfle et devient un peu colère c'est une frustration, il le comprend. C'est une irritation qui s'agrège autour du concept de ce mâle inconnu qui l'abima ainsi, mais il comprend également avec lucidité que ce n'est pas par principe qu'il réagit ainsi.
Plutôt parce qu'il a la sensation d'être... Spolié, oui. Privé de quelque chose qu'il aurait dû obtenir. Sans cet acte qui la blessa, il aurait pu la voir telle qu'elle était originellement, avec cette grâce et cette liberté qu'elle mentionne, avec ce pelage de ciel entier et sans déchirure.
Et dans cet ensemble, il y a aussi quelque chose qui s'approche de la jalousie.
Quelqu'un d'autre avait voulu se l'approprier alors que lui-même vient de décider qu'il la convoite.

Ainsi se débloque dans la foulée la dernière clé de son ressenti, née de cette réalisation qui s'entrechoque avec l'histoire de Séléné : elle vient bien de le dire, elle ne laisse nul être avoir l'exclusivité de sa personne.
Grimalk se sent donc mis au défi d'obtenir l'inaccessible.

Mais sa réflexion s'interrompt momentanément ici quand une question lui est adressée.
Son regard qui s'était figé quelque part pendant de longues secondes se met à briller d'une intensité nouvelle et il relève la tête de quelques degrés.

— Être Hàrif n'est pas exactement être un guerrier. C'est l'art de viser juste pour défendre ce qui compte le plus.

Le cœur de la tribu, les éléments qui avaient le plus d'importance.
Le terme de guerrier n'existe pas à Tsâal Midbar mais il a rapidement compris la signification globale que le mot porte ici et d'autres rôles de ce passé qu'il avait laissé à des centaines de kilomètres correspondaient davantage à cette définition. Des rôles incarnés par un plus grand nombre, par une masse moins spéciale.
Être Hàrif, c'était avoir une place d'élite. Dont on l'avait là-bas finalement privé mais qu'il ne comptait pas pourtant laisser tomber.

— J'aurais dû être Nasarim avec la façon dont mon corps est fait mais le reïsh qui m'avait choisi, Azar, mon mentor, a vu autre chose en moi et a voulu me transmettre sa valeur.

Si sa phrase a commencé sur un ton un peu monotone et presque blasé, la suite est montée crescendo et tout son corps s'est redressé sur la fin en même temps qu'un sourire a lentement remonté le coin de ses lèvres.
Il y a une fierté évidente qu'il assume sans gêne aucune dans cette tournure de sa jeunesse.

Le mot élite prenant place dans la bouche de Séléné et plus seulement dans ses parallèles de pensées garde son regard allumé.
Il hoche la tête.

—  Nous étions peu à en porter le nom, il n'y avait pas le droit à l'erreur.

Même si lui n'a jamais pu atteindre cette consécration. Il est parti trop jeune pour pouvoir soustraire la particule de Hàrif-rëk, son entraînement n'en était qu'à ses débuts et avait même cessé peu avant son exil. Azar avait décidé de son plein gré de continuer à le former lors du voyage entrepris jusqu'ici - il n'y était nullement obligé.
Mais lui compte bien y aboutir, à cette maîtrise. Qu'on soit là pour lui accorder officiellement son titre ou non lui importe peu.
Il avait été banni de leur monde ; peu à peu il bannit leurs règles de son monde.

Monde qu'elle questionne ensuite en évoquant les rôles auxuquels il peut prétendre ici.

—  Je m'intéresse aussi à ceux que l'on m'a dit être des Pélerins. J'ai lu la définition dans un livre un peu après, je crois avoir quelques points communs.

Son sourire un peu bancal s'affirme davantage sur ce qui veut être une marque d'humour. Séléné est loin, loin d'être idiote - elle comprendra le lien avec son histoire née loin d'ici.

Le son de son rire résonne comme des notes cristallines au creux de ses oreilles.
Elles se sont dressées tout comme son corps tout entier s'est relevé et tendu d'anticipation, alors qu'il attend qu'elle parle encore, suspendu à ses lèvres. Une énergie agréable le parcourt, assez différente de celle qui le motive à chaque jour s'exercer à la maîtrise du couteau. Celle-ci est comme... Un courant d'air chaud, qui se répand de sa nuque tout le long de sa colonne jusqu'à se perdre dans les longs poils de sa queue qui... S'agite au rythme lent et flegmatique de quelques mouvements.
Il ne s'attarde néanmoins pas sur l'expression physique de son excitation, et concentre plutôt toute son attention sur l'attente qui la provoque.
Le jeune loup en bondit presque quand il l'obtient enfin - sa voix.
Puis sa mine se grise, quand ce qu'il pense être le point culminant de la conversation précipite en réalité sa fin.

Ressenti inverse de ce qui l'a traversé quelques secondes plus tôt, c'est désormais une bulle de frustration qui enfle dans sa poitrine et le gêne, obstrue un peu sa respiration. Il contracte les doigts et enfonce un peu ses griffes dans le sol ; se force à expirer lentement en contrôlant chaque brin d'air entre ses crocs.
L'épicentre de la colère passe.
Alors il voit un peu moins trouble et détend ses muscles ; reprend contenance juste à temps pour la voir se lever et entendre quelques ultimes paroles.

La courbette vacillante lui arrache un sourire, et lui-même entreprend se relever pour pouvoir reprendre sa trajectoire quand elle partira sur sa route.

—  Je t'en parlerai volontiers. Ce fut un plaisir.

Et s'il choisit de ne pas dispenser de révérence, estimant ne pas savoir avec certitude laquelle lui attribuer et comment elle serait reçue, Grimalk la salue néanmoins d'un geste de tête très appuyé, ses yeux dans les siens.

Ses yeux toujours sur elle quand elle s'éloigne, ses yeux encore sur elle même après son départ.