Un rêve magique, et une rencontre avec Agathe plus tard, et les quelques jours passent.

Il tente de poser ses pensées après tout ça ; faire face à ce corps changé, cette peur de l'eau, cette menace constante qu'il est pour les sœurs de Ted... Mais tout ne revient qu'à l'injustice des choses. Il n'a jamais demandé à être moqué par la bande de cons comme a pu dire Agathe, ou à flancher dans l'eau qu'il a toujours aimé, ou à renaître avec une morphologie qui n'est pas lui. Laisser le temps filer n'efface pas l'angoisse face à la mer, ou ne change pas ses chances. Il faut autre chose que se reclure.

Il n'a pas donné un délai précis. Mais, il est agité ce jour là, car il a quand même l'impression que ce qu'il a annoncé est arrivé à son échéance et que sans quoi, il va décevoir son ami. L'envie de retourner le voir est là, juste pas sans avoir rien fait. Pas en étant encore en besoin complet d'aide, et incapable de pêcher, montrer la mer et les coquillages ou retourner la terre. Il veut rendre. Être stable... Ne plus cauchemarder comme les nuits qui ont suivit le rêve et changer d'une minute à l'autre d'humeur.

Il ne peut pas aller à la Bibliothèque, alors dans les plans prévus, il ne reste que voir Onyx pour qu'elle le mène à Ao.
La pleine conscience de sa dangerosité fait tourner sa tête cependant, alors il décide de brûler une étape. Tant pis pour savoir ce que la déesse préfère qu'on lui amène, il va amener ce qu'il peut en réfléchissant au nom de Dragonne.

Il attrape en premier lieu sa flute, son talent est certes maigre et un peu rouillé sans que ça n'enlève à une potentielle offrande de musique il l'espère. Plantes et pierres sont de bonnes idées, il doute cependant de leur pertinence : des babioles ramassées sur son chemin ne feraient bonnes offrandes à une déesse dont il ne connait pas les exigences. Peut-être un dessin ? Bien risible idée, du charbon sur mince épaisseur de fibre n'est pas ce qu'il offre aux dieux de chez lui, ce ne sera pas bon pour ici non plus. Ted a parlé que Mido accepterait des informations... La dragonne peut-être aussi ? Il doute que deux divinités souhaitent les même choses, il laisse cette idée de côté aussi. Sans quoi savoir faire, il n'a plus qu'à espérer que sa flute soit une offrande suffisante pour peut-être une petite bénédiction.

Il accoste deux âmes, la première ne préfère rien savoir des dieux, alors que la seconde sait lui indiquer où se trouve le temple de Ao la Dragonne. Et l'information tombe : au bout d'une rivière, derrière une cascade, l'antre de la déesse réside. L'angoisse monte après cette révélation, qui le fait jurer et tempêter sur la suite de son trajet. Il s'agite à mesure qu'il entends le court d'eau, jusqu'à se retrouvé paralysé comme une petite paire de jours précédents avec Ted. La vue de l'eau suffit, revient sous ses yeux le cauchemar de la nuit durant : où il est à nouveau sous l'eau, privé d'air jusqu'à ce que le monde ne cesse d'être.  

Le visage mouillé, il reste de longs moments face à rivière, assis. À tenter de se raccrocher à n'importe quoi pour desserrer les crocs qui se referment sur sa gorge  et ramènent l'idée qu'il est mort, et c'était sa dernière chance et il est dans le mauvais corps et pitié quelque chose pour que ça cesse- Il inspire, expire, ressort tous ses stratagèmes connus ; le monde tangue bien malgré ses essais. Il y a un tissu, de la tisane, des oeufs, et du miel. Il y a la voix lointaine qui chante une berceuse pour lui. Et enfin un échappatoire, qui ramène de la chaleur et libère un hoquet de sa gorge.
Il respire à nouveau.

L'épuisement s'en suit.
Un épuisement physique et surtout mental qui l'amène à une réalisation : s'il part à nouveau, ses réactions s'empireront. Il n'a pas choisit ce qui lui est arrivé, c'est injuste. La seule chose qu'il puisse y faire cependant c'est de forcer. Serrer les dents et affronter la rivière. Il peut se faciliter la tâche même et n'affronter que la cascade.

Sans se relever, il se met debout. Sans y penser, ses pattes le guident et le font longer la rivière à distance. Il ne fait rien mais sa mâchoire est si serrée qu'il sent ses dents frotter les unes contre les autres. Sa respiration reste laborieuse tout du long. Mais au moins est-il capable de respirer, pas de crocs glacés pour prendre sa gorge à nouveau.

Face à la cascade, avec sa flute et son corps menu, une grande inspiration vacillante est prise.
La tête vide, le sang vers les pattes comme bien des fois avant... Son corps est léger. Si familier et si différent, il a toujours fuit dans cet état. C'est la première fois qu'il se retrouve capable d'affronter. Le sol se défait sous lui, et il court.

L'eau est froide, elle tambourine sur sa capeline.
Elle le mord. Mais moins que la mer quand il en est sorti.

Lùgh continue de courir autant que ses pattes l'autorisent, ce n'est plus vraiment lui qui décide il croit. Il voit juste avancer la pierre, sans bonjour sans au revoir. Le paysage se déroule, jusqu'à ce qu'il n'y ai plus rien à dérouler. C'est tout, c'est simple. Lùgh sait que cela nait de cet état dans lequel il est... Qui n'est peut-être pas une façon appropriée de se présenter à une déesse. Alors il ressort tous ses stratagèmes connus. Il inspire, il expire, essaye de sentir où se trouvent ses griffes, la sensation du sol sous ses pattes... Il écoute la grotte qui murmure avec quelques gouttes d'eau, sent l'humidité de l'endroit où il se trouve.

Ses yeux se posent enfin sur la grotte aux joyaux précieux, et la statue de dragonne immense.
L'esprit du beige est encore un peu cotonneux, il est vrai. Mais pas au niveau d'avant son exercice, dont l'efficacité le surprend. Jusqu'à ce qu'il ai la pensé : il a réussit. Il a traversé l'eau ! Il regarde derrière lui pour ne pas trouver la vue de la cascade, ce qui est un peu dommage.

Vers la Dragonne, il revient, et admire la beauté de la statue.
Deux pas vers elle, il esquisse. Il est là, il n'a plus qu'à la prier, c'est si proche, l'espoir est permis et lui qui a juste voulu tenter quelque chose, il a en partie réussit ! Face à l'image pourtant, son esprit revient vide. La fatigue est là, il se sait encore un peu instable, pas forcément guérit, pas forcément équipé des meilleures offrandes, ou motivations.
Que veut-il, au final ?

Il a juste voulu... essayer.
Faire quelque chose.

Il s'assoit, et sort sa flute.
Sa babine inférieur se place au-dessus de la fente à sa naissance, et avec le bon débit d'air, une note sort. Des coussinets agiles se déplacent sur son corps de bois, bouchent les trous qui sont placé tout du long, et modulent ainsi le son. Quelques notes sans prétention, une mélodie qui n'a pas d'origine autre que son improvisation. Une ode courte, la plus belle qu'il sache sortir cependant, puisée dans les souvenirs de sa manipulation de l'instrument.
La mélodie meurt après avoir résonné une fraction de seconde encore sur la paroi.

Le museau vers le sol, il termine dans sa langue natale.

"'Vidout eo."

Il vient d'accomplir ce qu'il a souhaité faire. Il n'y a plus que le silence et la statue, et le repos, il se sent fatigué.
Fatigué et content, d'avoir au moins réussit à parvenir jusque là.

Le contentement est noyé.
Sa réaction est quasi immédiate, il essaie de bondir loin d'elle. L'eau illusoire est si froide, elle matérialise ses métaphores bien mieux que sa comparse réelle, bien mieux que celle qui lui a ôté le souffle. Les châtiments des dieux par chez lui se traduisent par des catastrophes : ça doit en être une, il a échoué, l'offrande n'a pas été assez bonne.

Puis il y a une silhouette qui sort de l'eau.
L'incrédulité nimbe presque l'angoisse qui soulève ses côtes. Et avec la fraicheur impossible, son corps s'engourdit. Il cesse de gesticuler et n'asperge plus autour de lui des gouttes irréelles. Ses yeux blancs se fixent sur la Dragonne qui prend vie. Jamais ses yeux n'ont eu tel spectacle. Il peine à y croire même lorsque la voix incroyable, riche, sévère et surnaturelle lui adresse une question. Ou est-ce un reproche, une menace ?

Qu'est-ce qui se passe ?
Est-ce qu'il est mort à nouveau et se retrouve emporté non pas par le psychopompe attendu, plutôt par la magie de la déesse au vu de l'endroit ? Il se doit se braver la paralysie partielle qui l'a pris, pour planter une griffe dans sa patte et devenir un cliché. La douleur perce, il est vivant.

Et il y a une question en suspens.
La réponse puise dans ses automatismes, et sort celle qui doit être la bonne, pour sûr. Celle qui lui fera échapper au froid, à l'eau, au corps qui s'enroule autour de lui et qui va peut-être l'étouffer, qui soulagera la situation angoissante... !

"Non !"

Mais en est-il sûr ?
Essayer, bouger les choses, c'est que l'on espère quelque chose, n'est-ce pas ? Le soubresaut de la survie qui prend le corps, c'est un peu ça, mais dans son esprit. Il en a marre de tout ce qu'il se passe. Tellement marre. Il n'en peut plus, il faut que les choses changent.

"... Peut-être ?"

La gorge nouée face à cette présence imposante qui le pousse à l'humilité et l'effraie aussi, Lùgh essaie de continuer de parler. Il n'a que ça pour lui, il suppose. Que veut-il, en essayant ? Il repense à ses conversations, il repense au rêve, il repense à son passé.

"Je veux... progresser, et retrouver la mer sans avoir peur. Pouvoir aider mon ami comme il m'aide. Faire partie d'un groupe. Aimer. Reprendre ce qu'on m'a volé."

Il regarde les crocs de la déesse, des comme il en a imaginé cents avant contre sa gorge. Comme il en a vécu tant qui s'y sont refermés avant de voir l'Ankou, et d'être ramené de force dans une nouvelle carapace.

"Je veux vivre. C'est ma dernière chance."

Il murmure ensuite.

"Je voulais juste prier, voir si ça amènerait un coup de pouce pour ça."

Même un tout petit, il prend, et s'il n'y en a pas, tant pis.
Ça valait le coup d'essayer.

Que réussit-il ?
Il ne sait pas très bien, ce qu'il réussit. Il n'imagine pas qu'elle fasse référence à ses talents, et la confusion l'accable un instant. Il ne pense pas avoir accomplit quoi que ce soit de marquant dans sa vie. Il passe son temps à fuir, détourner, bondir et se tordre.

Elle est la déesse des gens qui réussissent.
La lumière de ceux qui osent aller plus loin que juste essayer et se dire tant pis. De ceux qui refusent les non, les situations, et brûlent d'une exigence plus forte. Les combattants face à la simple survie. Est-ce humble, ou stupide, de se dire "et s'il n'y a rien, ce n'est pas grave" ? Est-ce ambitieux, ou sa perte, de persévérer au point de toujours aller à contre-courant ?

Il veut que ça change, c'est son soubresaut d'indignation, oui.
Cesser d'être la personne résiliente qui essuie coup après coup, pleure, et peine à se relever chaque nouvelle vie. Cela veut-il dire qu'il est de ceux qui possèdent la flamme irrévérencieuse ? Essayer ne suffit pas, dit-elle. Peut-il affirmer que... ?

"J'ai réussit à continuer de survivre."

Il veut le croire.
Croire aussi que sa parcelle d'indignation est une flammèche qu'il peut entretenir. Plus que juste vouloir et toucher du bout des doigts ses désirs, assurer de vive voix sans mentir qu'il peut le faire. Croire en lui. En cet instant, les larmes montent à ses yeux mais il les combat des paupières, et avec le ton décidé, il ose.
N'essaye pas juste.
Affirme.

"Je réussirais. J'irais à la mer et même si j'ai peur, je réussirais à aller dans l'eau. Chaque jour un peu plus."

Son corps reste bloqué, mais son esprit tourne.

"Et j'offrirais des plantes utiles à Ted. Et j'apprendrais à Agathe sans douter."

Et aussi important soient ces choses, il y en a une qu'il se doit.
Celle qui perce son cœur plus que tout autres, les moments où il se retourne contre lui-même et ressent toutes ces vagues de honte. Et cache, enterre, ce qu'on lui a dit être des tares. Et tait, emprisonne les idées de démentir et redresser la tête. Pour paraître parmi les autres, lisse et sage.

"Et je ne mentirais plus."

Le froid continue de le serrer et paralyser, et les réponses claquent en retour.
Une preuve, il faudra, affirmer est une nouvelle étape qui semble au moins mener la déesse à lui proposer une quête.
Dans son habitude de la foi, Lùgh n'est point surpris de ne pas convaincre juste de ses mots ; les dieux chez eux ne leur parlent pas et pourtant agissent d'une façon similaire, rare sont les paroles qui suffisent, les offrandes même aussi. La sculpture il lui faudra aller chercher. Là il saura s'il est de ceux qui réussissent.

Lorsqu'elle le quitte, il se retrouve assis sur le sol, et chasse enfin les larmes qui ont menacés derrière ses paupières. Un peu vide, hébété, se sent-il.

Il vient de parler à une déesse.
Il a presque oublié sur l'instant, face à ses questions, rattrapé par des années de questionnements et les envies nées de son désespoir plus récent. Mais une déesse lui a fait face et s'est adressée à lui.

Qu'est-ce que-
On aurait pu lui dire quand même...
S'il avait vu Onyx aussi, il faut dire.

Un rire incrédule s'échappe de lui, et il fixe la statue encore un instant. Puis, comme elle lui a dit qu'elle ne voulait pas le revoir ici, il ne s'attarde pas. Mais exprime malgré tout une dernière fois en sa langue natale, une phrase que la Dragonne pourra lire dans sa tête. (Et aussi parce que c'est un peu impossible à traduire j'ai pas le niveau pour ça en Breton.)

"J'aurais aussi une vraie offrande, cette fois !"

Il fera encore mieux.
La peur le faire encore trembler, son corps le rend encore inconfortable quand il le regarde.
Mais il repasse la cascade, un peu plus facilement qu'avant.