L'Enfer sur terre [Elely/Prudence]

Elle était en pleins deuil, Elely. Elle faisait le deuil d'un cœur anéanti par des sentiments non réciproques. Des sentiments qui lui étaient interdits normalement et qui pourtant ne l'avaient jamais quitté. D'abord, elle avait refusé d'y croire, elle s'était obstinée à penser que rien était joué, qu'un amour aussi puissant pouvait tout traverser. Qu'elle était prêtre à l'attendre, à tout abandonner pour elle. Qu'un jour, elle finirait par l'aimer, elle aussi. Elle s'était voiler la face. Elle avait idéalisé une amie par simple besoin d'aimer et d'être aimé en retour, une fois dans sa triste vie. Elle avait délibérément mis de l'espoir dans une relation impossible et toxique pour vivre l'une des histoires à l'eau de rose de ses livres romantiques. Elle voulait se sentir importante aux yeux de quelqu'un, Elely.

Mais tout ça, cet amour aveugle et maladif qui lui torturait l'âme depuis de nombreuses années prenait fin maintenant. Elle commençait tout juste à se réveiller, à ouvrir les yeux sur la réalité et au nom de tous les dieux ce que c'était douloureux. BORDEL. Oh, elle aurait préféré dormir pour l'éternité, Elely, rien que pour vivre dans ses rêves sans connaître l'amertume du réveil.

L'étape de la colère prit place et elle se mit à haïr son amie pour cette torture interminable, puis elle se détesta elle-même. Pour être partie aussi longtemps, pour être aussi naïve, pour être capable d'aimer autant. La souffrance s'était transformée en une haine insatiable, capable de ravager tout sur son passage, y compris les pauvres âmes qui croisaient son chemin. Elle pouvait verser autant de sang qu'elle voulait, Elely, ça n'apaisait en rien le supplice qu'elle éprouvait. Constatant que sur les autres ça n'avait aucun effet, elle se fit du mal à elle même pour remplacer une douleur par une autre. Mais elle était toujours là, infaillible.

Enfin, elle passa par l'étape de la tristesse, de la dépression. Elle comprit que l'espoir était vain, qu'elle était complètement folle depuis le début. Elle réalisa que ça ne servait à rien de s'accrocher à un amour unique, parce qu'il était tout simplement impossible qu'il soit beau. Parce qu'il la détruirait elle, surtout. Une assassin et une licorne n'était pas compatible, il lui avait fallu du temps avant de l'accepter définitivement. Mais malgré la décision d'abandonner, d'avancer, la douleur était toujours là. Comme une lame empoisonnée coincée dans son cœur qu'elle était incapable de retirer. Dans son enfer des pensées macabres lui traversèrent l'esprit et elle pria la mort, à de nombreuses reprises pour qu'elle la délivre de cette existence tourmentée.

Pathétique

C'est ce que dirait sa mère, si elle le pouvait. C'est ce qu'elle pensait d'elle même, en se voyant dans cet état.

Elle marcha, longtemps, sur le chemin de ses pensées. Elle ignorait où elle était, ni depuis quand elle avait commencé et rien de tout ceci n'avait d'importance. Le regard vide, le visage glacial elle s'était jurée de ne plus jamais aimer, Elely. Elle s'était forgée une carapace de glace, comme jadis Morrow sa grand mère. La déception, la souffrance avaient eu raison d'elle et plus jamais, au nom de Moiro elle même, elle ne laissera quelqu'un lui infliger de telles tortures.

Plus jamais non.

Putain des gosses.
Prudence avait envie de mourir sur place. C’était une terrible nouvelle. Déjà pour son super corps, puis en plus pour son existence entière. Qu’est-ce qu’elle allait bien faire d’une marmaille entre les pattes ? Bon, ok, elle avait quand même une petite idée qui s’appelait Séléné (bah oui eh, c’était aussi ses gamins là), mais cela ne réglait pas le problème de base.
Elle portait des gamins.
La Licorne ne pouvait qu’attendre que les p’tiots viennent au monde, repoussant ses projets d’exploration. Barbant. Au moins elle pouvait encore se déplacer sans problèmes. C’est ce qui la mena à apercevoir la silhouette d’Elely. Une autre disciple rose dont elle n’avait pas croisé le museau depuis bien biennnnnnnnnn longtemps.

« — Tiens, ne serais-ce pas la charmante amie de mon embêtante petite soeur ? »

Toujours sans barrière, son museau s’approcha de celui de la solitaire, observant les deux côtés de sa tête avant de lui faire face à nouveau, un sourire aux babines.

« — Tu fais peur à voir Elely, fais-moi un p’tit sourire ! »

Allez, dis toi que tu pourrais avoir des gosses non désiré, donc sois heureuse s’il te plait.

Elle était tellement pensive qu'elle n'avait pas remarqué que quelqu'un s'approchait d'elle. Ou peut-être que si, mais qu'elle s'en foutait royalement. Après tout, ça aurait pu être la mort en personne qu'Elely n'aurait pas relevé le regard. Cependant la voix qui l'interpella l'y obligea et elle fit l'effort de s'arrêter pour observer son interlocutrice. Après une longue hésitation, lorsqu'elle reconnut finalement la sœur d'Onyx, elle se redressa un peu plus et leva la tête. Il faut dire que la dernière fois qu'elle l'avait croisé elle n'était qu'une adolescente..

Bonjour Prudence.

Elle qui auparavant était timide et difficilement touchable, resta étonnamment indifférente et immobile lorsque la violette vint à son contact. La mine insensible, même le compliment ne parvint pas à lui faire décrocher un sourire. Cependant l'odeur un peu trop familière qui effleura ses narines lui fit froncer les sourcils.

Excuse moi, ce n'est pas dans mes habitudes mais je traverse une période difficile.  Avoua-t-elle d'une voix un peu monotone.  

Son regard s'abaissa sur son ventre rond.

Et bien, je crois que dans cette situation je dois te féliciter ?

C'était ce que les autres faisaient non ? Un peu hypocrite selon elle mais bon, une politesse comme une autre qu'elle s'efforça d'appliquer pour lui faire plaisir.

Prudy trouvait la louve changée, moins réservée peut-être ? Ou tout simplement indifférente à tout ? Tout en l’observant, la Licorne vint passer un coup de langue sur sa patte pour remettre en place quelques poils rebelles (l’apparence était importante en toute circonstances).

« — C’est vrai que cela fait un moment qu’on ne t’as pas vu dans le coin… »

Le regard se pose sans gêne sur les multiples cicatrices qu’aborde désormais la louve.

« — C’est en lien avec ces cicatrices ? » Elle vint toucher la joue de la louve du museau. « En tout cas ça te donne un côté guerrière un peu sexy. »

La Nakhus laissa échapper un léger rire.
La féliciter ? Les félicitations c’était pas pour un événement heureux ? Dans le cas présent, on pouvait pas dire que Prudence était ravie…

« — Non pas vraiment… »

La mine est un peu boudeuse, alors qu’elle lève les yeux au ciel.

Lorsqu'elle approcha d'un peu trop près son visage cette fois Elely sentit l'irritation la titiller et elle écarta le museau en grognant. Elle fixa la violette avec plus de sévérité, les sourcils froncés au dessus de ses yeux glacés.

En quelques sortes.

Elle leva un sourcil, un peu plus détendue, en constatant qu'elle venait d'entamer un sujet qu'elle n'aurait pas cru délicat.

D'accord je vois.

Elle ne chercha pas à savoir les circonstances non, ce n'était pas son genre, Elely n'était pas assez sensible pour ça, ni assez proche de Prudence.

Et qu'est-ce que tu comptes faire maintenant ? Si tu veux t'en débarrasser, moi je peux les manger si tu veux.

Elle sourit, à peine visiblement, du coin de la babine. Difficile cependant de deviner si elle blaguait ou non car son regard était toujours aussi froid.

Prudence n’avait jamais compris les frontières. Quelles soient physiques ou non. Les grognements ne l’inquiètent pas, pas plus que le comportement d’Elely. À la proposition, la Licorne rit à gorge déployée.
Les manger ?
C’était bien la première fois qu’elle entendait pareille proposition. Sa mère aurait probablement été terrifiée à cette idée.

« — Les licornes ça ne se mange pas, voyons. »

La disciple de Moiro passa une patte dans ses cheveux.

« — Ils iront vivre avec leur autre mère, je ne suis pas douée pour… materner. »

Elle trouvait ça surtout très chiant.

Elle haussa les épaules.

Tant pis alors.

Il n'y eut aucune once de déception dans son regard, de toute façon l'aurait-elle réellement fait ? Était-elle devenue aussi insensible que ça pour prendre la vie d'un bébé ? Elle détourna le regard, un peu pensive. Elle avait envie de la questionner sur Onyx, si elle était au courant et ce qu'elle en pensait mais finalement non. Elle s'en foutait d'elle, elle ne voulait plus entendre parler d'elle. Ses prunelles s'arrêtèrent sur le glowstick à la patte de la violette.

Le rose te va bien.

Serais-ce un compliment ? Ou plutôt, de manière plus plausible, une simple remarque pour signifier qu'elle avait fait le bon choix ? Elely n'était pas aveugle. Elle voyait bien à quel point la jeune louve qu'elle avait rencontré il y a des années avait fleurie et surtout, à quel point elle était sûre d'elle et parvenait à séduire naturellement dans son comportement. Et puis il fallait le dire, tout de même, Moiro était sans aucun doute la plus incroyable des déesses.

C’était un peu bizarre cette discussion. Prudence ne connaissait pas vraiment cette louve, ne l’avait même que croisé qu’une seule fois il y a des années. Pourtant… elle conserva un sourire, ne trahissant pas ses doutes. À la mention du glowstick rose, elle vint poser sa patte sur son poitrail.

« — Merci ! Les disciples roses se font biens rares de nos jours. »

Mais après tout, il fallait remplir certains critères pour y prétendre…
Ne sachant pas trop quoi dire de plus et n’appréciant guère les silences (connue pour être bavarde la Prudence), elle prit de nouveau la parole.

« — Si tu cherches un endroit où t’installer, il y a le refuge. C’est Onyx qui l’a mis en place, j’imagine qu’elle sera heureuse de te voir. »

Après tout, vous êtes amies, non ?

Elle haussa les épaules.Elle avait toujours été très mystérieuse Elely, partagée entre le devoir d'être sérieuse, méfiante et impitoyable et son sentimentalisme débordant devenu un secret bien gardé. Elle avait cet air impénétrable constamment comme un masque sur son visage et ne parlait jamais d'elle, même quand on l'y invitait. C'était comme une armure que sa mère lui avait forgé pour ne jamais être blessée, pour ne jamais trahir sa famille. Mais dans le fond, Elely aimait fort, très fort et ses émotions indomptées la tourmentaient depuis l'adolescence. Plus encore depuis qu'elle avait rencontré Onyx.

Peut-être parce que ses valeurs sont plus précieuses et difficiles à prétendre que les autres.

Ou parce que sa prêtresse n'était plus de ce monde. A la pensée de sa mère Elely souffla par le nez, elle lui manquait. Elle aurait su quoi faire, elle. Lorsque le nom d'Onyx tomba, le regard de la rouge se fit plus acéré, sourcils froncés sur son visage fin.

Non elle ne le sera pas. Répliqua-t-elle sèchement.

Depuis leur dispute une rancune s'était installée entre elles et Elely avait eu le cœur brisé.

Je ne souhaite plus la revoir et de toute façon ma maison a toujours été auprès de Moiro sur l'Île aux roses.

Quand bien même elle était bien seule ces derniers temps, c'était toujours mieux que d'être mal accompagnée. Sa queue remua brièvement derrière elle trahissant son agacement.

La Licorne retint un soupir. L’attitude de la louve était quelque peu… étrange. Prudence devait sûrement s’être trop habituée à la bonne humeur des Nakhus. Tous les problèmes semblaient bien petits là-bas.

« — Peut-être. »

Prudence haussa les épaules. Au final cela lui importait peu, du moment qu’elle pouvait continuer son petit train de vie.
Oh, qu’as-tu fait soeurette ?
Un sourire taquin vint étirer les babines de la cornue.

« — Oh, vous vous êtes chamaillés ? »

Après tout, sa naine de soeur avait un sacré tempérament, fallait pas se mentir. En tout cas, Prudy trouvait cela un peu triste, d’avoir pour seule maison le temple de son dieu…

« — Comme c’est dommage, vous étiez mim’s toutes les deux ! »

Dommage pour elles.