La progression est lente. Prudence s’efforce de ne pas s’arrêter, forçant pour pas ralentir Kerguelen. La voilà, devenant l’animal blessé du troupeau, vulnérable.
Idéale pour les prédateurs.
Sous ses coussinets, la boue glisse (sans même parler du fait qu’elle venait salir son pelage), ses yeux parcourent sans vraiment voir les alentours. Pour le moment, aucune trace du dragon. Ou d’un autre monstre. L’air est lourd. Un toussotement qui échappe à la Licorne par moment, la faisant grimace à cause de la douleur à ses côtes.
Sans réfléchir, ses pas suivent ceux de l’Oracle.
À ses côtés, la disciple de Moiro sent du mouvement, son amie qui semble manger quelque chose. Ce simple geste capte son attention, au point, qu’elle ne remarque pas la présence du monstre devant.
Il fait à la froid chaud et froid.
La seule chose qui la maintient éveillée, c’est de veiller sur Kerguelen.

Qu’aurait-elle pu faire ?
Chaque mouvement lui semble incroyablement lent, les siens, les leurs. Tout semble se passer au ralenti. Les silhouettes sont déformés, comme étirées. Étais-ce l’air de ce lieu ? Ses blessures ?
Peut-être un peu des deux.
Les prunelles posent essayent de fixer Kerguelen. Il y a du mouvement autour de la Licorne, bien trop pour qu’elle puisse se concentrer sur juste un sans avoir envie de vomir.
Un pas.
Un autre.
La tête se pose sur Kerguelen, essaie de prendre appui pour ne pas s’écrouler.
Elle n’aurait pas dû quitter la cabane.

La tête s'appuie sur Kerguelen, la fièvre met Prudence au plus mal. Chaque geste, éveillait un peu plus la douleur de ses blessures, la rendait insoutenable. Il y a du bruit dans son dos, ça sonne en échos dans son esprit.
Je vais te porter.
La Licorne met du temps à réagir. Les cils battent plusieurs fois, alors que doucement, elle fait un pas en arrière fébrile. Utiliser les dernières forces de Kerguelen pour rentrer. Sans garantie que cela suffise. Toutes deux étaient mourantes. Prudence le sentait, le mal qui se répandait, la mort qui s’approchait. La nature de licorne ferait tout pour sauver cet être en détresse.
C’était son devoir.
Un sourire qui vient étirer ses babines, alors qu’une larme coule sur sa joue. Sous elle, ses pattes heurtent le sol, son museau non loin de celui de la grise.

« — Je… je ne peux plus. »

Un autre voyage, ne serait pas supporté.

« — Tu le sens. »

Tu le sais.
Ce n’est pas grave.
Tout ira bien.
Doucement, elle appose sa joue contre celle de la louve sans-oreille, dans un ultime contact.
Ce n’est pas le Loup cette fois qui est invoqué, en usant des dernières forces. C’est l’Enfant. Celui qui fredonne. Celui qui soigne. Silhouette frêle, blanche qui apparaît et tourne autour de l’Oracle. Le langage est inconnu, mais aucune importance, le but est de soigner. Coûte que coûte.

Chantes pour elle, enfant.
Chantes pour mon amie.
Qu’elle puisse rentrer à la maison.

À chaque mot que l’enfant prononce, la douleur lui paraît comme suspendue. Prudence n’a plus mal, mais ne ressent plus la chaleur, ni même le contact de Kerguelen contre elle.
Elle ne sent plus grand chose pour tout dire.
Les prunelles mauves voient Peter se glisser sous la cape mauve. Il avait compris. Que ce serait plus la cornue qui le guiderait.
Le chant se poursuit.
Le silence s’installe, c’est plutôt paisible.

« — … tu leur diras… que je les aime. »

Toi.
Les autres.
Ils sauront.
J’espère que ça suffira, pour que tu puisses rentrer, mon amie.
Un sourire aux babines, les paupières se ferment au moment où l’Enfant termine son chant. La joue de Prudence reste appuyée contre celle de Kerguelen.

C'est peut-être l’aventure de trop.