Nous et toi, forts comme des rois - Alexandrine.

À l'assaut des jardins, ambre et diamant
Plus beaux que jamais l'absolue nécessité
Et tes cheveux dans tes yeux
Les plus beaux yeux du monde nous regardent
À combien risques-tu le risque de mourir demain
Dans d'autres territoires il n'y a plus qu'un baiser
Un baiser qui nous sépare et qui nous fera du mal
Je veux mourir avec toi, oui aussi

Il y avait une rumeur qui passait de lèvres en lèvres, des mots qui se propageaient comme un vent froid venu du Nord, hurlant sur leurs plaines où en retour luttait le printemps.

Elle était de retour.

Changée, de ce qu'elle entendit. Elle était toujours revenue changée. Le blizzard qui soufflait tout là haut et les monstres qui y rodaient ne laissaient personne indemne, pas même une dragonne portant le rouge.
Cette fois était différente, paraissait-il. Cette fois était pire.
Certains disaient que sa voix était dure et découpée comme la roche abrupte des crêtes de montagnes.
Que son corps était marqué et tailladé comme les cratères laissés dans le sol par les météores.

Qu'elle était la représentation la plus pure du Dieu dont elle était Prêtresse tout en étant plus étrangère au clan qu'elle ne l'avait été.
Combien de temps resterait-elle, cette fois ?

Et si elle repartait maintenant, reviendrait-elle un jour ou se ferait-elle avaler par les glaciers et des crocs démesurés ?

Pour Anita, celle qui levait tant de murmures, furent-ils admiratifs ou effrayés, n'était ni une parfaite fille d'Aka, ni un genre de monstre ressurgi du passé.
Elle était une sœur.
Sa sœur.
Qu'elle ne laisserait jamais tomber, qu'elle ne laisserait jamais passer non loin sans trotter à sa suite. Qu'importaient les distances et le temps qui auraient pu les séparer entre deux retrouvailles. Cela n'avait aucune importance par rapport à... Tout le reste.

Au matin, l'Alpha s'était glissée en dehors du Castel avant que l'aube ne fut tout à fait levée, glissant comme une ombre légère et discrète jusqu'aux territoires où elle saurait débusquer sa proie. L'hybride avait jeté son dévolu sur un arbre et en avait conquis une branche, suffisamment haute pour qu'elle puisse superviser un large terrain, suffisamment basse pour que depuis le sol il ne faille que peu de temps pour voir sa silhouette se distinguer parmi les épines de pin.
Et elle attendit le temps qu'il fallut, le regard fixe et la posture tendue, presque prédatrice, jusqu'à ce qu'apparaisse ce qu'elle avait guetté.
L'odeur, la couleur d'un pelage et la stature d'un corps qui malgré la vie subie ne changeraient jamais assez pour lui être étrangers.

À l'attention de la porteuse de rouge, de la Prêtresse du Grizzly, de la terreur des dinosaures du monde gelé, Anita laissa jaillir sa voix comme une flèche décochée avec précision.

—   Hey ! Toi.

Elle claqua des mâchoires dans sa direction, l'œil brillant.

—   Viens me chercher si tu l'oses.

À sa sœur, l'adorée, la seule et l'unique.

Alexandrine.



Nous étions libres
Tu le sauras, jamais assez de...

Nous et toi, forts comme des rois
Nous et toi, on le savait
Vous et moi, on essayera
Tout et tout encore à s'effacer

When I was young
I climbed up too high
Just to touch the sun
On my mission, no prescription
Shoot for number one
Start a riot, won't keep quiet
I'm a ride or die
Heart is pumping, keep it coming
Better run and hide

Un regard de braise se tourna vers elle dès l'instant où son souffle partit dans le vent.
Elle avait toujours eu des yeux perçants, sa soeur. Ils l'étaient plus encore quand à leur couleur de flamme s'y allumait une véritable, que flambait au fond des iris la lumière qu'elle voulait toujours y voir.
Jamais elle ne laisserait ces yeux s'éteindre en sa présence.
Pas tant qu'elle serait là pour faire crépiter les étincelles et en raviver le brasier.

Et la seconde suivante, Anita sut ce qui l'attendait.
Le sourire esquissé dans l'ombre de ses lèvres noires s'agrandit pour dévorer ses joues, carnassier, empruntant un peu de cette substance au visage accidenté qui la regardait depuis en bas.
Depuis un peu plus proche, maintenant.
Le cuir claqua, les articulations détonèrent, la force se libéra et explosa.
Tandis que la massive dragonne déployait la puissance qui n'avaient semblerait-il jamais cessé de gonfler, la fine chauve-souris s'éclipsa de sa position exposée sur le temps d'un souffle. Elle s'éleva, plus légère et plus rapide - du moins tant que se mettait en route la machine s'arrachant du sol, et prit un virage serré pour partir à revers, touchant du bout de l'aile avant de s'éclipser l'écorce usée non pas des pins, mais de sa sœur couverte de cicatrices.
Elle se plaisait à la narguer, à entretenir l'énergie comme on alimenterait l'immense gueule béante d'un four à charbon demandant à consommer encore plus, toujours plus.

Pendant que derrière elle commençaient à éclater des hymnes de destruction et la rythmique désordonnée de la nature qui ployait face à elles. Comme avant. Et cette puissante mélodie, soutenue des tambours de guerre battant dans leurs poitrines, résonnait à ses oreilles avec une délicatesse insoupçonnée - celle qui naissait du bonheur de retrouver cette cacophonie qui avait tant accompagné leurs folles cavalcades nocturnes.
Quand elles n'étaient alors que de jeunes étoiles qui aspiraient à briller.

Elles étaient désormais des comètes, brûlant d'un feu qui s'éteindrait un jour mais laissait dans la nuit l'infinie marque de leur passage effronté.

Les branches volaient en éclat dans son dos, le vent la saisissait à la gorge et sifflait à ses oreilles, sa vision s'étrécissait à mesure que la vitesse la gagnait et l'enveloppait toute entière.
Sa silhouette agile slalomait entre les troncs dont certains rejoindraient bientôt le sol, abattus par le missile lancé à la poursuite, tandis qu'Anita filait avec précision vers l'un des immenses crocs rocheux qui avaient baptisé l'endroit pour venir en effleurer l'imposant gabarit là où peut-être, elle gagnerait quelques fractions de seconde contre sa soeur ou la ferait s'échouer contre la pierre.

Ce soir, les Dents de Roc étaient de nouveau leur terrain de jeu et en sortiraient marquées comme par le passage d'un ouragan.



Born for this
Feel that fever lightning strikes
Dangerous like dynamite
Oh yeah, oh yeah, oh yeah
Born for this

Leurs deux silhouettes si différentes perçant les nuages et déchirant les cieux étaient certainement intriguantes, torpille explosive contre discret carreau d'arbalète.
Mais qui pour les voir à part la lune pâle et indifférente ?
Les Dieux, peut-être. Le temps d'une fugace pensée qui n'avait pas l'occasion de davantage s'installer, trop frêle pour se faire une place dans cette lutte physique, Anita se prit à espérer que leurs divinités avaient en effet un oeil tourné vers elle et un sourire satisfait à leur égard. Qu'ils profitent donc du spectacle que leur offrait leurs deux dévouées disciples, entraînées à cette chorégraphie spontanée par des années de combats et de vie à pleinement saisir.
Du coin de l'oeil, elle vit comment changeait de quelques coups de pinceaux la structure de sa soeur.
Comme s'il fallait encore exagérer le contraste qui les représentait, provoquer d'un pied de nez la physique et lui dire que oui, ce corps si puissant pouvait encore s'élargir ; non, cela ne l'empêcherait pas de continuer à disputer sa place.

La course se poursuivait, il restait un si vaste monde à défier.
Le sifflement toucha sa cible et engagea réponse automatique, de son corps qui se tordit pour virevolter et mieux le voir, celui qui s'immisçait dans leur jeu.
Cette fois-ci le claquement de ses ailes contre le vent ne visait pas à l'envoyer plus loin de sa soeur - au contraire, d'une virevolte elle se retrouva à glisser le long de son corps immense et draconique.
D'un regard échangé, de désirs partagés et d'une ferveur égale naquit nouvel accord sans besoin de mots. Temporaire serait peut-être la trève ? Mais sous leurs yeux osait-on leur tenir tête, à elles !
Anita lâcha un bref éclat de rire puis piqua sans hésiter vers le sol, en ligne droite, vers les écailles et les crochets qui reflétaient la lumière froide du ciel.
Sa gueule était large et munie d'une rangée de lances, ses yeux petits et bien trop narquois. Il croyait les impressionner ?
Elles avaient vu plus grand, plus redoutable, et l'ennemi avait quand même été abattu.

L'Alpha continua à prendre de la vitesse, plaqua presque ses ailes contre son flanc - un son sec ; et l'instant d'après elles s'étendaient contre le vent pour la laisser repartir dans une autre direction juste sous le nez du prétendu prédateur.
Il claqua des mâchoires et elle en sentit le souffle, un frisson d'adrénaline électrisa son épine dorsale.
Sa silhouette agile revenait le narguer quelques secondes plus tard, d'un peu plus près encore, l'encourageant à la suivre et à entrer dans le jeu qu'elle menait.

Qu'il la poursuive, qu'il s'énerve, qu'il s'emmêle ensuite entre les troncs et les dents de roc bien plus grandes que les siennes.