Champignons et pissenlits

La montagne avait été éreintante. Et malgré l'intervention de Médelisse pour le sauver de la guêpe, horrible créature, il se sentait épuisé. Il avait alors marchait non sans mal avec sa carriole jusqu'à cet endroit embrumé, aux senteurs automnales, lieu de repos connu des habitants. La faune et la flore était nombreuse, et les prédateurs rares. Bien des louveteaux étaient envoyés ici pour leurs jeux et prises de conscience sur tout ce qui avait attrait à la chasse et aux dangers, tant l'endroit était serein. A défaut, bien entendu, d'un gardien de ces bois, qui semblait neutre à l'égard des loups tant qu'on ne le taquinait pas, ce bois était parfait pour quelques jours de fouille.

Il stoppa son avancée dans la petite plaine, entre montagnes et forêt, scrutant les environs avec appréhension. Il voulait explorer, certes, mais cette fois-ci, hors de question de se séparer de sa carriole. Ou tout du moins, de ne pas l'avoir à une distance raisonnable pour s'y abriter au moindre bruit suspect.

Ses yeux furent attirés par les sous bois, l'obligeant à se plonger dans les profondeurs terrifiantes de la sylve. Et si la pénombre n'était en rien rassurant, rapidement, le calme de l'endroit et son atmosphère mystique sembla le rassurer, plongeant ses pensées dans des rêves oniriques.
Jamais encore il n'avait vu d'endroits pareils, ni dans le Nord Gelé, ni dans les Déserts Arides, ni mêmes dans les Plaines abandonnées des dieux et des mortels. Les saisons ici n'avaient pas prises, annonçant alors une faune et une flore identique à l'année. Une espèce de serre naturelle. Un lieu de repos, mais aussi, et surtout à son sens, de réserve naturelle de plantes. Ou de slime ; comme celui dans lequel il venait de marcher. Un frisson le parcouru lorsqu'il retira sa patte poisseuse, l'essuyant sur les racines d'un vieux chêne proche.

Bon, ce n'était pas la poule aux œufs d'or, mais le slime avait sans nul doute des vertus insoupçonnées. Gluant, poisseux, frais, probablement serait-il efficace en onguent, pour hydrater les peaux brulées, colmater les plaies béantes ou panser les infections et les fièvres. Peut être pourrait il en faire une potion. Une sorte de gelée fraiche qui calme les maux d'estomac ?
Il fallait qu'il essaie. Alors, sortant de sa caravane une petite fiole, il récupéra au mieux la morve, la nettoyant des petites brindilles et herbes qui s'étaient alors collées.

Il lui en fallait plus, car après tout, les expériences nécessitaient autant de réussites que de ratés.

Il ne fallut que peu de temps avant que la piste du slime ne remonte jusqu'à un nid, de branches et d'os, a moitié enterré. Un large nid, bien trop pour un simple oiseau. Le mucus semblait avoir servi de consolidant, créant ainsi un abri douillet et solide dans lequel aurait pu s'épanouir un loup.
Un regard dans les environs ne lui indiqua aucune présence proche, le propriétaire probablement parti chasser de quoi remplir sa panse ou bien finir la construction de son bien. Alors, d'un pas curieux et discret, il s'approcha, lorgnant sur le contenu du nid. Après tout, de nombreux oiseaux étaient connus pour leur habitude à rapporter des biens précieux, qu'ils s'agissent de restes de proies, comme des os ou de la peau, ou des objets plus incongrus, pierres brillantes, or, écharpes, et autres boutons de chemise.

Mais ce qu'il trouva n'étaient en rien comparable.
Il y avait là un œuf. Un énorme œuf, plus proche de l'autruche que du moineau. D'une couleur verdâtre, la coquille était lustrée, propre, comme s'il avait été pondu il y a peu ; ou bien nettoyé régulièrement par une langue maternelle. Ou paternel, à vrai dire les oiseaux étaient de formidables parents. Bien qu'Hen'Ri doute qu'il s'agisse là d'un œuf d'oiseau.

Un dernier regard sur les environs, et il tendit les pattes vers l’œuf, cherchant à l'emporter sur son dos, calé entre ses ailes. Oh, il trouvait cela malsain de kidnapper ainsi un enfant à ses parents, surtout au vu de sa taille ; mais il voulait savoir ce qu'il y avait à l'intérieur. Il voulait utiliser la coquille si brillante et si dure comme matériel. Son jaune comme nutriment dans ses potions. Son blanc comme coagulant dans ses soins. Cette vie volée allait probablement en sauver des dizaines d'autres.
Et puis, il n'aurait qu'à rejeter la faute sur les parents indignes qui avaient ainsi laissés seuls leur précieux nouveau-pondu.

Il rangea au mieux l’œuf entre les coussins, s'harnacha de sa caravane, et décampa le plus rapidement possible. Avec une taille pareille, nul doute que ce qui avait produit cet ingrédient de premier choix était immense. Plus qu'une autruche. Et au vu des os, certainement plus féroce encore.

Il fallait donc fuir, au plus vite. Et d'un petit trot, il s'éloigna du lieu de vice.

Lorsqu'il fut à bonne distance, et ce après plusieurs dizaines de minutes de trot, il s'arrêta, reprenant doucement son souffle, lorgnant sur les environs avec la même avidité qui l'avait poussé à voler cet œuf. Mais il ne lui fallut pas plus de quelques secondes pour stopper net son analyse de l'environnement, ce dernier se décidant finalement à se rebeller contre lui, envoyant sa meilleure pomme de pin fracasser sa tête avec toute la puissance de Mère Nature. Soit a peu près l'impact d'une boule de neige.
Le bruit fut sourd, et son regard changea de la surprise à l'affront. Levant les yeux vers l'arbre, il y posa ses deux pattes avants comme pour mieux lui hurler dessus.

- HEY ! TU VEUX TE BATTER ???

Il chercha une quelconque réactions ; pas de l'arbre bien sûr, mais de ses habitants. Seul le silence lui répondit. Pas un mouvement entre les branches, d'écureuils malicieux ou de corneilles bavardes. Pas un son de fuite et d'envol. Juste le lourd silence complaisant.

- C'est ça ouais, baisse les yeux arbre !

Sans vouloir offenser le membre.

Le bruit ne vint pas du pin comme escompté, mais de plus bas. Des buissons et fougères qui l'ornaient, laissant dépasser d'un bond un renard hagard, fuyant en glapissant sans un regard face au loup. Ce qui était, en soit, plutôt étrange. D'habitude, les renards étaient bien plus discrets et rusés que cela. Foncer devant un prédateur comme si de rien n'était n’avait que deux raisons possibles. Soit le renard était un débile profond, ce qui en soit était tout à fait possible ; aucune étude n'avait été faite sur les handicaps mentaux des autres animaux ; soit un danger plus grand encore que Hen'Ri, et ça c'était pas bien difficile, était proche.
Pourtant, les oiseaux ne s'envolaient pas, pas plus que les belettes, blaireaux, lièvres et autres tiques résidant dans cette foret. Etait-elle dépeuplée ? Il en doutait fort. Ou bien n'était-ce que le prémisse d'une attaque ? Peut être la vallée toute entière tremblerait soudainement, signal de fuite général vers les montagnes, d'ici quelques instants ?

Il se tassa sur le sol, prêt à décamper, laissant sa hutte grincer dans un piètre bruissement de roue.

Ah bah oui il y avait un danger, oui. Difficile de pas le voir, ou tout du moins de le sentir à vrai dire. Des mêmes fougères qui avaient données naissance au renard fugace, émergea un troll. Rien que ça. Haut comme trois loups, marchant sur ses quatre membres tel un gorille, nul doute qu'il pouvait se redresser sur seulement deux, devenant alors plus imposant encore qu'à l'état actuel. Et ça, c'était pas peu dire.
Hen'Ri se tassa de plus belle sous la peur, couchant ses oreilles sur son crâne, priant pour que le troll ne le voit pas, si minuscule était-il. Peut être n'en avait il qu'après le renard ? Peut être son régime était il composé exceptionnellement que de renards ? Au vu des poings qui se levaient en sa direction et des canines qui s'affichaient sous les babines verdâtres du monstre, Hen'Ri en déduisit que non.

Il profita de sa petite taille et de sa position propice à la fuite pour bondir sur le coté avec sa carriole, cherchant à détaler de l'endroit le plus vite possible.
Pas juste de la zone avec le troll. De toute cette putain de forêt.

Et dire que certains y envoyaient leurs petits car ils considéraient cet endroit comme paisible.

B o r d e l.

Et il cavala à toute allure, talonné par le troll dont il pouvait percevoir la puissance des poings frapper le sol à chaque enjambée. Embrassés ? peu importe, il répondrait à cette question plus tard s'il ne l'avait pas oublié d'ici là. Ou s'il n'était pas mort. Décidément, ce nouveau monde était remplit de dangers. Des guêpes géantes. Des trolls. Bon, ça ne faisait que deux dangers, mais c'était déjà bien assez pour son premier jour d'arrivée ici. Il n'avait pas hâte de passer une nuit ici.

Ses pas le menèrent au chemin qu'il avait emprunté pour venir par ici, depuis les montagnes, et dans un souffle chaotique, il le grimpa à vive allure, sans se retourner, laissant le troll dans les confins de sa forêt ; sans même remarquer qu'il avait abandonné la traque du loup depuis des centaines de mètres déjà.
Mais qu'importe. Hen'Ri ne voulait pas rester ici.