L'Oiseau Tonnerre [Libre]

La nuit avait été longue. La journée d'hier tout autant. Attaqué à plusieurs reprises, la fuite et même parfois le combat avaient été ses solutions ; et c'est éreinté, blessé et le moral quelque peu branlant qu'il arriva enfin au pied de la montagne qu'il avait exploré toute une journée durant. Le chemin jusqu'ici n'avait pas été de tout repos, et sa matinée était bien entamé quand il posa enfin ses fesses sur le sol plat et chaud de la Passe Ventue. Un endroit somme toute banal, l'entrée d'un gouffre, d'un désert ou d'une montagne, emplit de lézards, oiseaux et probablement cailloux de valeur.
Il enleva son harnais, libérant son dos du poids de sa caravane, s'étirant enfin avec plaisir.

Il était temps de penser à soi. Son estomac criait famine, sa bouche hurlait à la pépie, et ses muscles étaient encore tendus de son voyage et péripéties. Il lorgna alors sur les environs, priant pour une journée calme, propice au repos et, peut être même à quelques rencontres.

Après tout, il le sentait. Non loin, plusieurs loups avaient marqués le territoire, indice d'une meute soudée, d'un clan. Il avait même pu percevoir depuis les hauteurs rocailleuses des tourelles de guets. Rien de bien chaleureux donc, mais sa curiosité était piquée, et son intérêt grandissant.
Cela ne pouvait être qu'une meute hostile, et donc, propice aux combats. Par conséquent, forte physiquement. Et avec un peu de chance, assez stupide pour se laisser embobiner dans ses trocs et ses envies de mercenariats.

Il trouva non loin une rivière, qui semblait séparer les terres libres à tous loups de celles du clan aux senteurs hostiles. Profitant du calme de la zone, n'ayant que pour seule compagnie le vol d'un pygargue, il se débarbouilla, buvant jusqu'à plus soif l'eau claire et fraîche. Puis, d'un œil trainant mais rusé, il scruta les zones de surveillance de l'oiseau. Fin pêcheur, ce dernier devait avoir repéré un poisson, peut être même plusieurs, et, à défaut, signalait une zone propice à la pêche.
Fallait il encore avoir le matériel. Hen'Ri se posa là un instant, assis sur le limon, cherchant un moyen de dénicher le précieux met qui le faisait saliver d'avance. Nager n'était pas une solution, le courant pouvait l'emporter au loin et il n'était pas sûr de ressortir du bon coté de la frontière. Attendre que le rapace pique et pêche pour l'attaquer et le voler était risqué, les serres de l'animal faisant la taille de sa gorge. Attirer sa proie via de la nourriture aurait pu se faire, mais là était tout le soucis : de la nourriture, il n'en avait pas. Sinon à quoi bon pêcher.

Il mâchonna sa langue comme pour mieux réfléchir, sachant pertinemment qu'une mauvaise stratégie pouvait aussi mener l'oiseau à le voler lui. Et un énième combat n'était pas envisageable. Encore moins affamé et épuisé comme il était.

Il renonça alors, pour l'instant, à manger un poisson, cherchant plutôt quelques insectes, lézards, ou, pourquoi pas, nids. Et si jamais la faim se faisait trop forte, il lui restait toujours cet immense œuf, dans sa caravane, précieusement gardé entre quelques coussins. Il aurait aimé le conserver pour ses propriétés, mais entre la curiosité et la survie, le choix était vite fait.

Et ne lui fallut que peu de temps avant de trouver une proie à son niveau de chasse. Là, profitant paisiblement du soleil qui se faisait de plus en plus chaud, un lézard se tenait sur un rocher, guettant la moindre menace. Se plaquant au sol avec gourmandise, Hen'Ri s'approcha de lui, profitant de ses couleurs proches de celles de la zone pour se camoufler. Mais probablement aurait-il dû mieux écouter ses leçons de survie et de traque, car si la vision de l'animal était quelques peu brouillée par l'apanage du loup, son odorat et son ouïe, eux, n'étaient pas en reste. Le vent porta à sa connaissance les plans du mâle, et il détala sans demander son reste.
Poursuivis par un Hen'Ri affamé et un peu trop maladroit dans ses gestes. Les pattes s'abattaient comme celles d'un chat, parfois par hasard, parfois par adresse, et il finit par attraper le fuyard entre ses coussinets. Et sans attendre, il fondit sur lui, le croquant au ventre pour n'en faire qu'une bouchée. Ou deux. Maman disait toujours que c'était important de bien mâcher et de ne jamais prendre de trop gros morceaux.

Ravi de cette terrible course poursuite et de ses gestes de chasseur aguerri -non-, il se retourna à la recherche de nouveaux amuse-gueule, ce dernier n'étant pas plus consistant qu'un apéricube dans son estomac.

Il aurait besoin d'énergie pour ses proches voyages, chaque proie étaient donc à la fois une aubaine et une potentielle perte de temps et d'efforts. Qu'importe s'ils étaient petits, au moins, ils étaient simples à attraper.

Tant que Nyu ne se faisait pas choper, Nyu pouvait se balader. C’était le crédo. D’abord occupée à trouver un monstre, Nyu avait fini par remarquer de loin un drôle de loup, qui transportait une sorte de grosse carapace sur son dos. Une tortue-loup ? Intriguée, elle grimpa sur un rocher pour observer l’inconnu d’en haut.

« — T’es perdu ? Tu cherches des monstres ? »

Ou c’est les monstres qui vont te trouver à force.

Ses recherches furent de courte durée, n'ayant trouvé qu'un amalgame de grottes, tunnels et autres dédales dans la pierre. Oh, il était certains qu'il trouverait de quoi apaiser sa soif de curiosité dans les méandres de la terre, mais avait-il vraiment envie de descendre, sans personne, là dedans ? Après tout, il ne savait pas où cela allait déboucher, ni ce qui pouvait vivre là dedans.

« — T’es perdu ? Tu cherches des monstres ? »

Il sursauta, couinant dans un écho qui ne cessa de retentir dans le boyau souterrain. Lentement, il se retourna, peu serein quant à l'idée d'être face à face avec un claniste bourrin et avide de combat ; avant de se détendre au regard de la louvette sur son rocher. Petite, la mine tout aussi curieuse, un grand chapeau un peu terrifiant sur le museau, et des cheveux en épis comme si elle s'était prit une explosion de potion ; une description qui ne donnait pas vraiment des frissons, quand bien même cela se rapprochait de la sorcière maléfique que de l'adorable princesse.

- Hey ! Je. Je suis Hen'Ri ! Et non je ne suis pas perdu. Enfin, si, mais disons que je ne sais pas où aller alors je ne pense pas que ça compte comme de la perdition. Je cherche.... un peu tout en fait ! Des plantes, des rochers qui brillent, des petites proies, des restes de monstres bien morts et absolument pas dangereux ! Frétilla t'il avant de plisser les yeux pour mieux jauger son interlocuteur. Il est marrant ton chapeau ! On dirait un œil ! Et... tes pattes aussi. On dirait qu'elles ont des yeux. Et. Ton... euh... cul. Il a. Un. Serpent. Dessus. Hm.

Il pencha la tête sur le coté, dubitatif.

- C'est. C'est marrant ouais. Ahah.

Il déglutit, fit un pas en arrière, pénétrant un peu plus dans cette grotte qu'il dénonçait comme néfaste quelques instants plus tôt.

- Tu. Tu t'appelles comment ? Tu es du clan à côté ? J'ai senti les odeurs... Je suis pas sur votre frontière techniquement, vous n'avez pas le droit de me chasser d'ici... hein ?

Bouahaha c’était quoi cette douille mouillée ?! Heureusement qu’il cherchait pas de monstres, parce qu’ils en auraient fait qu’une bouchée. Nyu s’accroupît un peu sur son perchoir. Voilà qu’il parlait de son cul en plus. Oh, il devait pas connaître les marques de chasseur (personne connaît) !

« — Ouaisss t’as vu c’est trop cool ! Parfois ils bougent un peu et font leur vie, c’est cool ! »

La queue féline se balance.

« — Nyu ! T’inquiètes chasses pas les bestioles comme toi, t’es pas assez moche ! »

Oh y’avait un visage connu qui arrivait. La louvette se redressa soudainement, son poil se gonflant.

« — Whouah c’est la Nakhus qui attrape des monstres ! T’en as eu de nouveaux depuis ? »

Beaucoup d'informations arrivèrent en même temps. Tout d'abord, le fait que ses tatouages puissent bouger de leur plein gré. Il en avait vu, des choses étranges, mais ça, jamais. Et il ne savait pas s'il trouvait ça effrayant ou excitant. Après tout, cela ouvrait de très nombreuses questions quant à la condition d'êtres vivants, magiques ou simples "objets" animés des tatouages. Deuxièmement, elle semblait se vanter de chasser les monstres. Ce qui, en soit, était une très bonne chose ; quand bien même il ignora royalement l'insulte puis le compliment. Et pour finir, une autre louve arriva, plus vieille et grande que ce qui semblait, maintenant que la surprise était passée, être une demie-portion sur un perchoir. Une louve se prétextant chasseuse elle aussi, ce qui semblait être approuvée par la dénommée Nyu.

Deux roturières donc, adeptes des chimères qui parcouraient ses terres, et bien d'autres. C'était.
Intéressant. Très intéressant.

Ses yeux brillèrent de malice et d'avidité, et sa peur sembla s'envoler pour laisser place à un sourire des plus radieux.

- OH ! AH ! Alors ça, ça c'est vraiment cool ! J'a-do-re les chasseurs de monstres ! Enchanté Nyu et Dysis ! Je suis Hen'Ri. Alchimiste à mes temps perdus, forgeron en apprentissage, enchanteur du dimanche mais surtout marchand itinérant.

Il fit une légère courbette à ses dames, avant de s'avancer vers elle, le pas bondissant et enjoué.

- Je suis aussi connu pour ma malchance en terme de rencontres, hormis vous, bien entendu. J'attire les monstres voyez vous. Alors, si cela peut vous convenir, on peut peut-être s'entre aider ? J'explique. On part en expédition, vous terrassez tout ce qui gigote dans les environs, je m'occupe de récupérer tout ce qui peut être intéressant, que ce soit sur les cadavres que vous laissez derrière vous ou dans la nature elle-même et je. Fabrique. J'améliore. Je créé ! Fit il, montant de plus en plus le débit sonore tant l'excitation prenait le pas. Bien entendu, je vous donnerai de quoi vous aider dans cette tâche, et j'en garde une partie. Je peux aussi vous soigner, pour peu que j'ai du matériel. Qu'en dites vous ? Un tableau de chasse rien que pour vous ! Et en prime, de quoi taper encore plus forts, plus vite ou résister encore mieux aux coups ! Vraiment, une occasion en or ♫

Il leur afficha son plus beau sourire -et c'était pas peu dire-, sa queue s'agitant comme un chiot à qui on venait de proposer la plus belle balade du monde.

- PAR EXEMPLE, reprit-il de toute son énergie. J'ai trouvé ceci, en reculant dans la grotte. Un croc. Mais pas n'importe quel croc ! Au vu de sa taille et de sa courbure, je peux aisément dire qu'il s'agit d'un croc de desmodontiné, plus communément nommé "vampire". Alors rien à voir avec les contes et légendes, je parle d'une chauve-souris géante buveuse de sang. Cela signifie qu'il y en a dans la région, et quand je vois CE CROC MES AÏEUX ! La bête doit avoir un corps de notre taille et des ailes trois fois plus grandes encore ! Imaginez ! Un magnifique combat, des dents en trophées sur une pièce d'armure pour vous protéger en cas de contact physique ; ou bien sur votre queue, comme une masse à piques ! Ou réduites en poussière pour des potions ! Il y a TANT à faire pour peu qu'on réfléchisse ! Qui sait ce qu'un tel croc peut offrir ! Invisibilité ? Puissance ? Fertilité ? Charme ?

Il trépignait d'excitation, rangeant le croc par télékinésie dans sa besace ; avant de se retourner vers les femelles, crispé et en effervescence.

- Et ce n'est que le début de ce que notre alliance peut offrir !

Ce qu’il fallait savoir sur Nyu, c’est que ses capacités de concentration était incroyablement limitées. Aussi, elle écoute l’étranger se présenter. Essaye de mémoriser son nom… mais alors le reste. À partir d’alchimiste, elle décroche complètement, ne sachant pas ce que ça signifie.
Essayer d’attraper sa queue c’était un peu plus drôle quand même.
Faire une roulade pendant que l’autre s’excitait à montrer une dent aussi.
Y’a plus de bruit d’un coup et Nyu arrête de mâchouiller sa queue pour observer les deux loups. Oh ?

« — Oui allons manger des monstres ! »

C’était ça qu’il fallait faire non ?
Bah… au pire sur un malentendu ça passait non ?
La louvette passa sa langue sur les petits insectes qui lui grimpaient dessus avant de discrètement recracher. C'était pas super bon quand même...

Son discours n'avait pas eu l'effet escompté, les femelles visiblement plus à même de parler avec les crocs qu'avec leur tête. Mais qu'importe, cela l'arrangeait. Elles acceptaient volontiers de se plier à ses petits plans dans l'unique but de tabasser du vivant et de récupérer un joli truc pour faire encore plus mal en frappant leurs adversaires dans la bouche. Pas de marchandage, pas de contrat, pas de pourcentage et de parts égales, tout cela semblait être en sa faveur sur une simple parole.
Qu'il savait avoir tout intérêt à respecter, ne serait-ce que pour garder ses dents en place ; mais aussi pour éviter de perdre de la clientèle potentielle sur des rumeurs.

- Par-fait ! Alors en route jeunes filles !

Il leva une patte bien trop droite pour ses articulations et entama une marche enthousiaste.

- Là, il y a des traces, plutôt grosses. Si on les suit tout en restant sur nos gardes, probablement trouverons nous un malandrin à qui péter le fiac. Ou bien sa tanière avec ses trésors !

Il se pencha légèrement, telle une révérence.

- Après vous ! Vous m'avez l'air bien plus talentueuse que moi pour traquer ce genre de bestiole.

Et puis, il n'avait pas très envie d'être le premier à tomber truffe à truffe avec le monstre. Derrière c'était bien. Ça laissait le temps de se sauver pendant que la bestiole déchiquetait les deux autres.

Petits bas. Petits bas. Petit bond ! C’est une bien étrange troupe qui se met en route. Nyu s’intéresse aux empreintes, reniflant. Ce n’était pas des monstres qu’elle connaissait, que c’était excitant ! Malgré tout, le petit groupe ne trouve rien de très palpitant. La Nakhus lui fait bien renifler des poils bizarres.
Bizarres.
Mais inconnus.
N’empêche que ça sentait drôlement fort. Nyu se demandait quel goût ça pouvait avoir. Son chapeau lui tome sur les yeux quand elle bondit devant le solitaire.

« — J’veux des monstressssss ! »

Vite.

« — T’es sûr que y’a des trucs ici ? »