Rigor Mortis - Libre.

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₪ Rigor Mortis ;

— (transl. Postmortem rigidity). . . . . . . . Stiffening of the joints and muscles of a body a few hours after death, usually lasting from one to four days.

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Rayons de soleil en cascade sur son pelage et dans ses cheveux de jais, vent printanier s'engouffrant à travers les crevasses qui fracturent les roches du canyon, Apparence progresse le long des sentiers creusés à même la pierre.
Son regard bondit de recoins en saillies, à l'affût de nouvelles trouvailles pour agrémenter sa collection. C'est une activité à laquelle elle dédie une bonne partie de son temps, et qui a l'avantage de s'adapter à de nombreuses situations : qu'elle soit proche de la tanière ou non, il y a toujours des choses à trouver.
Chaque fois que son oeil se trouve attiré, elle s'applique à aller retourner d'une griffe l'exosquelette brillant de l'insecte mort grillé par le soleil, ou le petit squelette de rongeur vaincu par la faim en cette zone peu clémente, ou encore la patte d'oiseau aux serres luisantes abandonnée là par elle ne sait quel prédateur.
Elle étudie chacune de ces reliques avec grande attention ; toutes ne sont pas vouées à la suivre et à être rapportées, mais elles ont le mérite d'occuper longuement son esprit. Et une fois chaque facette observée, les plus parfaites ou originales terminent dans la sacoche de fortune qu'elle s'est confectionnée du mieux qu'elle le peut pour le moment, du haut de ses quelques mois d'existence, en gardant quelque part en tête de l'améliorer dès que possible.

Pour le moment, l'objet remplit ses fonctions : et c'est satisfaite de sa chasse du jour qu'elle marche en direction de la tanière - du moins est-ce le sentiment qu'elle estime correspondre à la complétion d'une tâche qu'elle ne désire plus continuer pour le moment.

Jusqu'à ce que ses iris ne soient attirés par une tâche plus claire en contre-bas, aidés par l'éclat du soleil qui a choisi pile ce moment pour s'y refléter à travers deux nuages.
Apparence descend avec prudence, sans précipitation dans ce contrôle qu'elle a déjà d'elle-même, et se rapproche jusqu'à pouvoir discerner ce qu'était que cette nouvelle chose. Ses yeux s'écarquillent un peu devant ce qu'elle estime alors être finalement la plus belle trouvaille de sa journée.
Un serpent immense, la peau craquelée par le soleil qui tape sans faiblir sur son corps sans vie, dessinant des ouvertures sur un squelette en parfait état qui n'attend que d'être utile à nouveau. Celui-là ne se faufilerait plus jamais le long du canyon : autant lui trouver une autre utilité et profiter de cette si rare occasion d'une offrande de la nature qui n'aurait pas le temps de se détériorer.

La jeune louve s'approche, le museau en avant et les oreilles droits, plongée dans ses réflexions quant à la meilleure façon d'obtenir la convoitée récompense.

À pas mesurés, Apparence contourne le serpent, absorbée par ce long corps qu'il va lui falloir transporter - soit en entier, soit en se débarrassant d'abord du surplus de matière pour se concentrer sur ce qui l'intéresse plus particulièrement : son squelette.
Mais peu de temps après un son léger oriente ses oreilles vers l' arrière et l'enfant de retourne pour découvrir une autre louve, plus âgée, apparue non loin.
Juste au bout moment pour pouvoir fixer son visage encore étranger lorsque s'exprime l'inconnue sur une question courte et simple.
Apparence penche la tête, intriguée, déployant maintenant toute sa concentration à tenter de lire cette nouvelle présence. Elle n'a pas l'occasion de rencontrer grand monde en dehors de son cercle habituel, alors chaque nouvelle occurrence est accueillie avec tout ce qu'elle a à offrir : une curiosité aiguisée et une attention obtenue sans efforts.

— Oui. Des choses mortes.

Élevée par un père peu loquace aux mots abrupts et par une autre figure dont la langue natale venait de loin, l'élocution d'Apparence demeure moins avancée que celle qui aurait dû convenir à son âge. Elle a appris la langue de Joaquin presque autant que Cassius, et en résulte pour le moment un niveau moyen dans l'ensemble de son expression verbale, les mots du parler local souvent déformés d'un léger accent, ses phrases découpées par morceaux plutôt qu'assemblées en de complexes liaisons.

Elle n'a cependant jamais eu de mal à se faire comprendre, jusque ici : et c'est sans ciller, les yeux toujours plantés dans les prunelles singulières de la louve jeune mais plus âgée, qu'Apparence attend la suite de l'interaction.
Le visage lisse d'expression, comme un pantin qui attend en coulisse d'un spectacle où il aurait l'occasion d'enfin s'animer.

Collectionneuse ?
Les oreilles de l'enfant se dressent et pivotent alors qu'elle laisse le mot y pénétrer et s'installer dans son crâne. Elle ne savait pas que son activité pouvait être une identité - du moins, elle ne s'était pas encore posé la question de cette manière. Mais il est vrai que cette façon de le dire correspond, au moins en partie, et peut-être bien que le mot lui plait.
Elle perçoit néanmoins chez l'autre un léger changement d'attitude, une certaine rigidité un peu froide qui avait figée son expression lorsqu'elle lui avait répondu et avant d'être targuée de collectionneuse. Comme si la réponse qu'Apparence avait fourni plus tôt n'avait pas été la bonne et que l'inconnue aurait préféré entendre autre chose, et qu'en retour elle la... Juge ? C'est peut-être ça, oui. Apparence ne sait pas encore en quoi elle se fait ainsi critiquer, mais elle sait qu'elle n'éprouve rien en retour. Pas de positif, pas de négatif : simplement ce grand regard qui persiste à attendre la suite pendant que derrière déroulent les pensées et qu'elle cogite sur la façon dont elle compte réagir.
A bien y réfléchir, elle fait face à un comportement en certains points similaires à celui de son père : la peur en moins. Chez Justice, l'effroi est palpable et s'exploite comme un fruit défendu dont le goût n'est que meilleur.
Chez cette louve il s'agit d'autre chose qu'elle ne croit pas encore complètement saisir.
Mais les engrenages dans son esprit déjà tournent, stimulés, et la jeune solitaire veut agrandir le champ de sa compréhension.

Pendant ce temps, la louve au pelage céleste s'est remise en mouvement et étudie avec attention, elle aussi, le serpent mort. N'est-ce pas également de la convoitise, ce regard acéré et cet intérêt ciblé ? Est-ce qu'elle aussi, elle collectionne ?
Elle est peut-être déçue de ne pas avoir trouvé le cadavre en première.
Une autre question fuse dans sa direction. Apparence ne prend pas beaucoup pour répondre, se léchant le bout des lèvres en tournant un instant la tête vers le corps reptilien.

— Les os.

Des écailles auraient pu l'intéresser, mais leur coloris ne l'intéresse pas spécialement et en trop d'endroits la peau est déjà sévèrement abimée.

— Tu veux partager ? Toi aussi, tu es collectionneuse ?

Finalement, Apparence se décide à adopter pour le moment la candeur enfantine qu'elle sait être fréquemment attendue de la part de ceux de son âge et qui, par conséquent, obtient souvent des résultats automatiques.
Car les enfants sont innocents et sincères, c'est bien ça ?

C'est tout un vocabulaire bien ciblé et précis que l'étrangère possède.
Chaque chose à sa place, chaque rôle dans sa définition. Pour elle fut attribué le nom de collectionneuse, mais c'est de chasseuse et de trophées dont elle parle pour elle-même.
Apparence n'est pas sûre de bien saisir la différence entre un trophée de chasseuse et un trésor de collectionneuse, mais elle ne pipe mot, la tête penchée et les yeux fixés sur la plus grande. L'attention qu'elle lui porte est sincère tout en étant une attitude qui arrange la direction dans laquelle elle souhaite pousser l'échange.
Mais elle n'a pas encore eu l'occasion de répondre que les yeux particuliers sont revenus sur elle, lui posant une question.

Apparence reste d'abord muette, toujours affublée du même air, alors que s'accélère le cours de ses pensées.
Et si...
Et si l'étrangère la croyait seule ? Elle est encore jeune, elle le sait, mais c'est possible. Elle a conscience de se mettre en danger si elle donne une telle information, car elle serait vue comme une proie facile - peut-être que l'autre y verrait un trophée quelconque ? - mais elle est surtout curieuse du reste : de ce qu'elle pourrait obtenir.
De comment elle serait perçue, en étant plus solitaire qu'elle ne l'est déjà.

— Non. J'ai perdu ma famille.

Sa voix s'est faite la plus basse possible et l'enfant dirige son regard vers le sol en courbant l'échine, posture refermée sur elle-même, oreilles tombantes, dans une copie qu'elle espère convaincante du chagrin qu'elle estimerait devoir ressentir si la situation était vraie.
Comme pour presque toutes ses attitudes, c'est du souvenir de Cassius qu'elle s'inspire.
Lui qui peint son visage et son corps d'un éventail si diverse, quand elle ne ressent pas ce besoin et doit activement travailler cette communication sans paroles.
L'enfant conserve son air contrit quand elle relève vers l'autre un regard un peu fuyant, modulant dans sa voix un ton implorant.

— Tu peux me montrer comment on chasse un trophée ?

Pauvre enfant esseulée, elle en aurait bien besoin pour mieux survivre.

Glissant un discret regard en coin sur la louve, Apparence guette sa réaction.
Elle a du mal à lire quelque chose sur cette adulte peu expressive, bien moins que Cassius en tout cas, devenu son référentiel. Mais elle a dans son cercle Joaquin et Justice, deux êtres peu loquaces aux visages fermés - avec eux, elle a du apprendre à chercher plus loin des émotions plus subtiles. Et ce qu'elle voit chez cette inconnue lui semble prometteur : elle la croit. Apparence estime que c'est bien, car c'est le résultat qu'elle cherchait : elle n'en ressent pas de satisfaction pour autant. Rien qui ne motive son visage à changer d'expression sans qu'elle ne lui commande.
En tout cas, elle obtient quelque chose. La louve au beau pelage a l'air de prendre une décision après quelques secondes de silence, fait un geste de la tête, regarde le serpent mort, puis à nouveau vers elle.
Et elle se détourne pour partir, et l'enfant comprend qu'elle doit suivre. En ce qui la concerne, il n'y a pas de regard vers l'arrière ni de seconde pensée avant de lui emboîter le pas - elle espère simplement ne pas croiser la route de quelqu'un de sa presque-famille qui ruinerait ce qu'elle vient de déclarer - et qui l'empêcherait sans doute de quitter les abords de la tanière pour suivre une inconnue, aussi.
Si cela arrivait, elle pourrait toujours s'exercer à faire semblant de ne pas les connaître pour convaincre la louve, et voir si elle la défendrait.
L'idée lui plait aussi, elle croit, du moins elle trotte un moment dans sa tête pendant qu'elles quittent le canyon pour rejoindre un endroit où pousse plus de végétation. Mais cela n'arrive pas et bientôt elles s'arrêtent, arrivées dans un lieu qu'Apparence n'a encore jamais eu l'occasion de voir. Son regard se balade sur le paysage, elle effectue quelques pas à droite à gauche, puis se concentre à nouveau sur la louve rousse quand ce qui ressemble à un ordre lui est donné.

Trouver une piste.

Très bien. Apparence n'a jamais eu à débusquer d'elle-même une proie pour se nourrir : le summum qu'elle connaît de la chasse, c'est d'attraper les lézards et les insectes du canyon quand ils lui passent sous les yeux et qu'elle n'a rien d'autre à faire. Il n'y a pas grand chose à faire, au canyon. De loin, elle a déjà vu Joaquin ou Justice - ou même Cassius, lui qui apprend auprès de son père - débuter une traque, le nez près du sol et les sens à l'affut. Mais elle ne comprend pas tout. Quand elle se penche vers le sol, elle, il n'y a aucune différence avec le reste du temps.
L'enfant lève les yeux sur la plus âgée et se demande si elle va adopter une posture qu'elle doit imiter : mais rien.
Elle doit se débrouiller seule, alors. Choisissant une direction un peu au hasard, elle choisit de se fier à ce qu'elle a d'aiguisé - ses yeux - et finit par s'approcher d'un bosquet de végétation sèche non loin d'ici, imaginant que les proies ont tendance à vouloir se cacher de la vue des prédateurs pour ne pas apparaître dans des espaces dégagés.
Il ne lui faut pas beaucoup de temps pour apercevoir, dans l'ombre de l'arbuste, des empreintes d'un petit animal qu'elle ne reconnaît pas imprimées dans la terre et qui partent en direction d'autres buissons. Elle dessine un sourire sur ses lèvres et se tourne vers l'inconnue, l’œil pétillant.

— Ici.

Et maintenant ?
Elle suppose qu'elle va devoir suivre le chemin ainsi indiqué jusqu'à en trouver l'auteur, et lève une patte, prête à avancer.

De la jeune adulte elle décroche un sourire qui lui parait satisfait, et un mot qui le confirme.
Mais au lieu de lui dire d'avancer, elle lève une patte dans un signe d'attente. Alors l'enfant attend et fixe ses grands yeux particuliers sur l'autre, cherchant à décrypter son attitude et à savoir ce qui serait attendu d'elle. Ce ne sont encore que quelques mots qui lui sont donnés - ça lui convient, cette simplicité. Apparence n'a pas un vocabulaire riche, de par son cercle restreint et peu loquace. Le peu qu'elle prononce est empreint d'un accent étrange, à moitié emprunté à l'autre langue que parle Joaquin et qu'il transmet à Cassius. Si elle comprend sans mal les autres, elle se trouve dans sa zone de confort à ne communiquer que par phrases courtes.
Comme cette étrangère chasseuse de trophées.

Il lui faut maintenant observer, et particulièrement le vent. Apparence se redresse et quitte du regard la piste qu'elle a trouvé pour se concentrer sur... Le vent. Elle n'est d'abord pas sûre de comprendre ce qu'il y à voir avec le vent, qui se ressent dans les poils, sur le nez et les yeux, mais est en substance invisible. Sauf quand... Il se mêle aux éléments visibles capables de le recevoir.
Les brins d'herbe, les branches d'arbre, la poussière, ses propres cheveux. Alors Apparence observe tout cela et voit la matière fluctuer, se plier au souffle léger de la brise. Elle en tire une direction, comprend dans quel sens il souffle et pointe de la patte ce qu'elle a déduit.
... Mais ensuite ?
L'enfant relève vers la plus âgée des yeux dans lesquels elle transmet sans la cacher son incompréhension. Si elle préfère comprendre et apprendre vite - car elle peut alors déduire plus facilement comment s'adapter à la situation, elle ne se vexe pas pour autant quand un apprentissage ne passe pas. Cette émotion, non plus, n'est pas quelque chose qui vient la perturber.

Elle se contente de rester attentive à ce qu'elle doit observer, et patiente à attendre les informations qui lui manquent pour débloquer la situation.

Le regard de la louve rousse qui retombe sur elle est plus sévère que celui obtenu précédemment.
Ses expressions sont subtiles, à cette chasseresse inconnue, et de là où elle l'observe Apparence doit se concentrer pour ne pas manquer les différentes inflexions de son visage.
Elle comprendrait bien qu'elle soit déçue d'elle et de sa performance. Est-ce que c'est ça que Cassius vit, quand il s'applique auprès de Joaquin pour ne jamais obtenir une pleine et entière validation ? Non, c'est sans doute plus violent que ça. C'est plus répété, c'est aussi un autre lien qui s'exprime.
La chasseresse et elle, elles ne sont que deux inconnues l'une pour l'autre : l'une qui a accepté de partager un peu de ses savoirs mais sûrement sans attente particulière, l'autre qui veut pouvoir exploiter cette transmission mais n'a que faire d'être félicitée.

Dans tous les cas et même si la situation est différente, Apparence constate encore une fois que rien n'est remué en son for intérieur devant ces sourcils froncés et l'esquisse d'agacement qu'elle perçoit.

Après un temps de silence, les mots reviennent. D'abord peu nombreux, puis débités à la suite et en saccade - depuis le début de leur entrevue, c'est peut-être à ce moment qu'elle entend le plus sa voix au rythme saccadé.
Ça lui convient, Apparence, et elle la comprend : en ce qui la concerne, son élocution est également bancale pour son âge, n'ayant que peu de chances de se développer dans l'environnement qui est sien.
Ce qu'elle n'est toujours pas certaine de comprendre, en revanche, malgré toute l'attention portée à ses mots, ce sont leur portée. Yeux fermés et corps ouvert aux éléments comme si elle avait été en transe, l'inconnue avait presque communié avec le vent qui caresse leurs pelages différents. Aux quelques bribes d'information qu'elle a distillé puis délivré il semble manquer cent fois plus de choses, des choses invisibles qui ne s'expriment pas.
Alors Apparence veut partager cette compétence presque occulte, tenter du moins de se rapprocher du cœur même de ces notions pures que le reste ne peut égaler.
Elle s'exécute quand signe est fait d'avancer, quand la bonne direction est pointée. Et alors qu'elle s'approche de ce qu'elle cherche, l'adolescente prend une pause, comme la plus âgée l'a fait avant elle, et renforce l'appui de ses quatre pattes à la terre pour s'ancrer à elle.
La caresse de la brise le long de ses poils se fait plus prononcée et la chatouille presque.
Elle ferme désormais les yeux et inspire à pleins poumons jusqu'à sentir le fond de sa gorge la brûler.

Il n'y a rien de plus dans sa gueule que le goût de l'air, alors elle ne comprend toujours pas pourquoi les loups qu'elle croise s'échine à utiliser leur museau pour se repérer et se diriger. En revanche... Ce sens du vent se fait plus réel. A force de se focaliser dessus, d'essayer de le rendre concret, elle a l'impression de presque pouvoir se le visualiser. Comme un fluide qui l'envelopperait toute entière, courant comme l'eau le long de ses poils.

Les yeux sont rouverts, quand elle continue d'avancer.
Guidées par l'instinct qui s'est éveillé et affuté, ses pupilles réagissent immédiatement au mouvement qu'elle perçoit à la base d'un arbuste, entre cailloux et herbes sèches.
D'un bond qu'elle espère assez vif et précis, l'adolescente va pour prendre au piège ce qui se révèle être un petit mammifère au long nez qu'elle n'a encore jamais vu dans la Passe. Ses pattes se referment autour de la musaraigne paniquée, mais ça ne suffit pas : par manque d'habitude, Apparence est trop lente à anticiper la suite et à donner le geste qui tue.

La petite bête a détalé et s'est évadée, s'octroyant le droit de vivre un jour de plus.

Face à l'échec de sa prise qui a de nouveau disparu dans le décor, Apparence n'est traversée d'aucune saute d'humeur et ne reste pas non plus à se morfondre. Elle pense simplement à ce qu'elle pourra faire de mieux la prochaine fois, puis se tourne sans attendre vers l'autre louve pour rencontrer un visage qui lui paraît satisfait quand bien même ses expressions demeurent subtiles. L'écho de ses pensées se trouve dans la voix de la rousse quand elle prend la parole - même si elle considère ne pas avoir hésité, et estime plutôt manquer de l'expérience du geste qui le rendrait efficace. Une efficacité qui ne s'obtient qu'à force de répétition - comme quand elle avait cassé de trop nombreux petits squelettes en voulant les récupérer avant d'acquérir la dextérité nécessaire à la pratique.
Le temps de pause est court avant que la plus âgée ne lui pose une question, à laquelle elle ne réfléchit pas longtemps avant d'acquiescer du museau.

— Oui.

De son regard qu'elle ancre un peu plus sur la louve bicolore, elle tente de percer ce qui défile dans son crâne. Il ne décèle plus aucune trace de cette forme de jugement qu'elle avait surpris au tout début de la rencontre : il ne reste plus que ce qu'elle assimile comme une volonté de partage, pour ainsi lui proposer dans l'immédiat de continuer à suivre ses traces.
Apparence en conclut qu'elle l'a plus ou moins convaincue - et par cela, on est prêt à lui offrir davantage sans même avoir besoin de demander.
Le partage est quelque chose d'important, quelque chose qui créé des liens, elle le sait. Les émotions se partagent aussi, dans ce processus.

Alors en miroir à la discrète fierté qui a embrasé les drôles d'yeux de l'adulte, Apparence plisse les yeux et offre un sourire qui se veut passionné.

Un signe de tête pour confirmer le départ - et les deux louves se mettent en marche dans ce silence qui se comprend.
De ses yeux attentifs, Apparence observe la plus âgée reprendre encore ce même manège - baisser la truffe au sol, inspirer l'air plus fort. Ces gestes qu'elle aura plusieurs fois répétés par elle-même toujours sans en comprendre l'intérêt, mais qu'elle n'hésite pas à simuler en laissant trainer son propre museau près de la poussière. Comme un rituel, il y a le reste qui se remet en place - et l'adolescente l'étudie avec cette même attention dans le moindre de ces gestes dont elle a transmis une partie.
Et elle réapplique. La jeune fait de son mieux pour garder en tête les conseils de la grande, pour assimiler et plus tard maîtriser. C'est sa vision qu'elle juge une nouvelle fois la plus efficace : alors elle l'exploite davantage que les autres sens, et voit le monde d'une manière nouvelle.
L'adolescente ne cherchera plus seulement à repérer les reliquats de la mort, maintenant. Elle pourra aussi y voir les traces de la vie.

Mais en cet instant, elle n'est toujours que débutante et c'est l'experte qui prend les décisions. Docile, elle la suit dans ses décisions, lui emboîte le pas dans ce territoire qui est le sien mais qu'elle n'a jamais autant visité en profondeur. Cette plus âgée dont elle ne connaît toujours pas le nom n'est pas comme Joaquin ou Cassius : elle n'a pas peur qu'elle se casse en posant une patte en-dehors de la tanière, elle ne la considère pas trop fragile ou comme une chose délicate à protéger.
Et grâce à elle, elle découvre enfin autre chose.
Une plante sèche d'aspect étrange croise les yeux de la chasseuse qui s'en empare, puis l'avancée continue. Apparence suit toujours le chemin tracé, obéit au signe : dans la direction pointée, elle avance.

Leur trajectoire les amène à croiser une autre plante similaire à la précédente - ainsi que le chemin d'une autre petite proie qui ressemble beaucoup à celle qu'elle a voulu attraper plus tôt. Par réflexe, l'enfant se tend et une impulsion lui fait presque la suivre - comme avant, comme appris. Mais un rapide regard à la plus grande confirme le désintérêt de celle-ci, qui a affirmé vouloir plus gros, maintenant. Et le regard de l'adulte est ailleurs : sur le sol, là où elle exécute quelque chose de nouveau.
Alors Apparence abandonne aussitôt le rongeur pour se rapprocher, oreilles droites et yeux grand ouverts braqués sur ce qui se joue dans la poussière. Les petits os la captivent particulièrement. Ils ressemblent au genre de restes qu'elle aurait collectionné, selon les termes de l'autre louve.
Ils sont jetés, puis - analysés ? La chasseuse a l'air d'en tirer des conclusions, des émotions passent dans son regard et Apparence s'efforce d'en capturer la substance, mais cette louve demeure compliquée à lire. Bien moins expressive que Cassius, plus mystérieuse et mesurée.

Les petits os sont remballés, l'adulte se remet en mouvement, un nouveau signe de tête lui est adressé. L'enfant s'exécute et se relève, prête à repartir, mais elle ne compte pas pour autant rester dans l'ignorance.

— C'était quoi ? Ce que tu fais. Avec les os.

Elle module sa voix sur une intonation qui cherche la fascination, l'admiration ; ses yeux rougeoyant braqués sur le visage blanc.