Rigor Mortis - Libre.

Ce ne sont pas des os, alors, mais des osselets.
Apparence concentre encore davantage son regard dessus, les analyse de nouveau pour voir ce qui les différencie de petits os. La matière semble similaire mais porte la marque du travail, dans ces petits détails qu'elle ne remarque que maintenant et qui trahissent une action volontaire pour donner à l'objet une forme. Avec les choses qu'elle récupère de cadavre, elle-même s'amuse parfois à les assembler, mais jamais vraiment à les changer. C'est une piste qu'elle note dans son esprit pour s'y essayer, à son tour, et qui lui donnera de quoi s'occuper dans ce temps infini et morne qui étire leur quotidien à la Passe.
Elle sent l'hésitation de la louve au pelage de ciel : mais finalement, elle reprend la parole et l'enfant continue de s'absorber dans ses mots.
Est obtenue la confirmation que ce ne sont pas de petits os, mais une corne retravaillée - taillée, dit-elle. Elle ne sait pas ce qu'est un Aepycérée, ni ce que sont des runes, et tous ces éléments supplémentaires s'inscrivent eux aussi dans un coin de son esprit. La dynamique qui s'est installée entre elles jusqu'ici lui fait penser que si elle pose la question, la louve lui répondra sûrement : mais elle pèse aussi le risque de l'agacer, ce qu'elle ne veut pas. Si plus tard le moment est propice, elle y reviendra : en attendant, elle n'oublie pas que l'adulte poursuit un but, cherche une piste, et que la retenir plus longtemps serait peut-être malavisé.

Les autres sont toujours traversés de bien des fluctuations, dans leurs états d'âme et dans leurs caractères, ce qu'elle ne comprend pas pour ne l'avoir jamais ressenti - mais qu'elle s'échine à apprendre et à maîtriser pour s'intégrer à leur monde.
Et l'exploiter.

Après un bref silence, quelques derniers mots sont accordés, qui dressent à nouveau ses hautes oreilles pendant que son visage sérieux demeure tourné vers la louve. L'adulte a donc lu dans ses osselets un chemin, quelque chose pour aiguiller l'instinct dont elle a parlé plutôt. L'enfant est intriguée, à leur propos : mais elle garde en tête la nécessité de laisser cette louve suivre ce que lui a soufflé son rituel et de ne pas l'interrompre. Alors elle ne pipe mot et emboîte le pas à l'adulte, attentive à tout ce qui les entoure. Sur le côté, ce qui ressemble à un œuf tout en étant fait de pierre accroche quelques instants son regard et, après une brève hésitation, elle décide de le ramasser et de le garder. Sa forme est originale, elle n'a pas vu d'autre roc similaire.
Leur chemin croise ensuite l'ombre d'un arbre d'un tout nouveau genre - à ses branches sont suspendues des éléments colorés, qu'elle ne saurait dire être des fruits, pour n'en avoir jamais vu. Ils sont trop hauts pour qu'elle ne puisse s'y intéresser davantage - alors, tête basse et regard perçant, elle avance encore.

Quelque chose coule le long de l'écorce de l'arbre qu'elles passent.
Apparence se laisse distraire quelques secondes, les yeux posés sur cette substance ambrée qui attrape le soleil. D'une griffe, elle touche : c'est collant, et elle imagine que pareille chose pourrait justement servir à des assemblages. Pour tenir entre eux des éléments. Mais dans l'instant présent, elle ne saurait pas réellement comment récolter la sève et n'a pas le temps de se poser beaucoup plus de questions : l'adulte continue d'avancer, et elle ne doit pas la perdre.
Alors l'enfant presse le pas et revient à ses côtés, suit son regard pour brosser le paysage qui les entoure. Il y a ici trace de la présence de beaucoup d'oiseaux ; plus qu'elle n'en a jamais vu. Elle note comment la plus grande se déplace, d'une trajectoire collée à la paroi de pierre, et elle l'imite au mieux.
Quand soudain passe une ombre.
Apparence ne perd jamais le contrôle, sauf quand c'est son instinct lui-même qui oblige une commande. Il y a des parties de son cerveau qui parfois se font connaître, des réflexes qui eux ne sont pas tout à fait absents quand le sont les émotions.
Alors elle sursaute, et pour un instant son souffle se suspend alors que ses yeux s'agrandissent en voyant la taille du rapace qui les survole.

La chasseuse l'a attirée contre elle, plus proche de la falaise. Elle n'a pas peur : ses yeux vifs sont braqués sur l'oiseau coloré au bec vicieux, et les instructions tombent.
Chez l'enfant aussi, l'adrénaline est passée. Ce léger stress retombé, les battements de son cœur ralentissent, la clarté de l'esprit revient : l'insensibilité globale aussi. Si son corps l'a poussée à réagir, maintenant que son esprit a repris le contrôle c'est de nouveau un irrationnel néant qui règne. Elle aurait du continuer, d'avoir peur : elle n'est qu'une enfant de quelques mois, elle n'a jamais chassé plus gros qu'un insecte - et un rongeur tout à l'heure, elle est née sans grande force et a toujours été protégée.
Cette chose qui vole droit vers elles pourrait l'emporter et la tuer d'un simple coup de serre ou de bec.

Pourtant, elle non plus n'a pas peur.

Et il y a cette adulte, qui est avec elle et qui peut lui apprendre.
Il lui suffit de l'écouter, de rester concentrée alors qu'approche dangereusement la créature.

De viser les ailes.

Le rythme s'accélère.
L'oiseau est intercepté par leur attaque successive, il se débat et projette son bec en défense. Elle n'a rien, soustraite au contact par un spasme de son corps qui esquive par instinct - et l'adulte qui mène la chasse est protégée par les accessoires qu'elle porte.
La suite se doit d'être rapide, autant que les mouvements du rapace : c'est quelque chose qu'elle comprend et qui s'inscrit comme impératif, encore une fois par instinct, de devoir synchroniser ses réactions à minima à la même vitesse que ce qu'elles chassent - et plus si possible.

Elle ne se fait pas d'illusion sur ses capacités d'enfant, mais ne se pose pas de question. Quand l'adulte bondit pour tenir au sol la créature et la priver de son plus grand atout, c'est à son tour d'attaquer encore.
S'il n'a pour l'instant plus ses ailes ; c'est à son second atout qu'elle se doit d'essayer de s'en prendre. Par les longues heures passées à regarder le balais des oiseaux de toutes tailles dans les airs et leurs piqués dans les ravins des canyon, elle croit savoir que tout comme elle et la louve, ils se reposent énormément sur leurs yeux vifs.

Alors elle avise ceux du rapace, grands, noirs et luisants.
Et sans hésiter une seconde de plus, plonge de l'avant pour y planter ses crocs et les crever.

C'est une réussite.
Mais l'oiseau n'est pas vraiment une proie, et il n'est pas encore assez affaibli pour se laisser mourir. Il se débat plutôt de gestes erratiques - et l'une de ses serres, immense et tranchante, passe à quelques millimètres de son visage. De ses yeux, même. Apparence ne sait pas tout à fait par quel miracle elle s'en sort une fois de plus indemne - elle décide que là encore, c'est une question d'instinct.
Elle avait toujours su qu'elle était différente des autres : plutôt par une absence évidente de ce qui avait l'air de les animer que par quelque chose qu'elle aurait en plus. Mais elle découvre aujourd'hui, plus que tout autre jour, ce qu'elle partage quand même avec eux et dont elle avait sous-estimé l'efficacité. Cet instinct aide à comprendre ce qui les entoure, à chasser, à se débrouiller - à survivre. S'il lui manque pour toujours ces émotions qui font danser des lueurs dans les regards de ses semblables, peut-être peut-elle au moins apprendre à raffiner et exploiter ces réactions primaires.
Une fois remise de cette brève absence introspective, Apparence se concentre de nouveau sur la scène chaotique et sur les plumes qui volent autour d'elles.
La stratégie a changé, elle le constate d'un rapide coup d’œil. Elle croit comprendre ce qu'il se passe - alors, de nouveau, elle se calque sur l'adulte.

Se campant sur ses pattes et s'appliquant même à gagner quelques précieux centimètres en se hissant sur le bout de ses doigts, Apparence gronde. A son tour, elle aboie - mais alors qu'on aurait cru que de son corps juvénile sortirait un son tout aussi jeune, c'est plutôt une explosion sourde et rauque, puissante, qui éclate d'entre ses crocs et résonne autour d'elles, envoyée comme une onde de choc sur leur ennemi.

Serait-ce suffisant à le faire fuir, maintenant qu'elles ne cherchent plus à le tuer ?