Wymond

Pour la deuxième fois de sa vie, il rentrait dans la grotte d'une divinitée avec un présent. Cette fois-ci, c'était plus une livraison. Il arrivait directement des montagnes: sur son dos se trouvait un arbre marqué du sceau de la déesse dragonne, enroulé dans une couverture. Dans le sac sur son flanc, trois oeufs de l'oiseau de neige, récupérés dans le nid qui était sur cet arbre au sommet du monde.

Il s'approcha de la fontaine de la déesse dragonne, et détacha la sangle autour de lui. Il descendit la couverture, et la déroula devant la statue de la dragonne. L'arbre était mourant ou mort, Wymond n'était pas sur. Il avait perdu de nombreuses feuilles, et ne semblait plus avoir la force de se tenir droit. Alors Wymond le laissa allongé sur la couverture, et se recula de quelques pas.

"Déesse Dragonne, je vous ai apporté l'arbre marqué de votre Symbole." dit-il simplement.

Je l'ai tué pour vous. dit-il dans son esprit, son coeur se serrant de tristesse.
C'était donc ça, le courage: Faire les choses qu'on ne voulait pas faire, pour être celui qu'on voulait devenir.

Il redressa son regard fatigué par les montagnes, endurci par la tristesse, aux yeux de pierre de la dragonne. Accepterait-elle cette offrande-ci ?

Elle apparaît, lentement, comme dans un songe. Soudain, la grotte est froide et illuminée de lumière bleutée. Wymond imagine que c'est à cela que doivent ressembler l'intérieur des rivières de glace de la montagne qu'il a vu de loin. Il regarde la déesse dragonne prendre d'une patte griffue l'arbre avec un mélange étrange de tristesse et fierté. Certes, il avait obéi, mais il avait l'impression de s'être trahi, aussi. Il pensait qu'il sauverait l'arbre en le descendant, et finalement, l'arbre était mort. Il avait cependant réussi quelque chose qu'il n'oublierait jamais : grimper jusqu'à la cime du monde. Il avait écouté la déesse, et lui avait apporté son arbre - car si il portait son sceau, c'était sûrement le sien ? - et pour la réussite de cette quête, il était fier.

"Je veux devenir ..."

Un chevalier ! Lui dit son instinct, mais pour une fois, son cerveau tempère. Il avait été un chevalier : un chevalier aide les autres, mais un chevalier est, avant tout, un guerrier. Un militaire qui écoute les ordres. Il n'avait pas de difficulté à écouter les ordres: il avait fait confiance à la dragonne, il avait suivi sa quête ... et pourtant, il ressentait toujours cette tristesse d'avoir pris une vie. N'en avait-il pas pris des multitudes avant de devenir végétarien ? N'en prenait-il pas à chaque fois qu'il mangeait des champignons ou autres plantes ? C'est vrai, que lorsqu’il y pensait, cela le rendait triste.

"... Quelqu'un qui aide les autres. Quelqu'un qui protège. Quelqu'un qui est là." dit-il, sa voix plus lente, plus grave que d'habitude.

Quelqu'un qui est là, quand on a besoin de lui. Peu importe le risque, peu importe la difficulté. Quelqu'un qui ne laisse jamais tomber ceux qu'il aime. Ceux qu'il aime moins, aussi. Ceux qui vivent.

"... Mais parfois, pour être là pour quelqu'un, il faut faire du mal aux autres."
L'arbre en avait fait les frais. Mais aussi ...

Il sort de son sac les petits œufs, soufflant dessus pour les garder un peu chauds, dans cet environnement froid, pour les montrer à la dragonne.

"L'oiseau blanc de la montagne avait des œufs. J'ai voulu les sauver... "
Mais peut être que je les ai tués, pense t-il.

Il regarda les œufs sur sa patte avec tristesse. Il voulait les ramener aux poules du Refuge, peut être que elles, elles réussiraient à les faire éclore. Alors parfois, même avec des bonnes intentions, on faisait le mal au lieu de faire le bien. Dans ce cas, les bonnes intentions comptaient elles plus ?
Il releva la tête, et regarda la dragonne avec un mélange de suspicion et de fermeté. Est ce qu'elle allait lui demander de le lui les donner aussi ? Il ne pensait pas que son toucher froid les aiderait. Il ne voulait pas lui les donner.

"Je voulais être Chevalier, mais je préfère être moi." dit-il, en ne lâchant pas le regard de la dragonne.
L'ombre de son père le quittait. Il ne serait pas comme lui, finalement.
Il ne voulait pas rejoindre un clan, suivre des ordres. Il ne voulait pas qu'on lui dise de faire des différences entre les loups qu'il pourrait aider, et ceux qu'il ne pourrait pas.
Il ne voulait pas être un chef. Il ne voulait pas être un militaire.
Il serait Solitaire. Il serait Protecteur. Il serait Wymond.

Il sent que quelque chose va lui arriver. Et soudain ... il n'est plus dans la grotte. Il serre ses paupières face à la lumière intense, et se fait de l'ombre d'une patte. Mais... il est chez lui. Chez maman, en tout cas. C'était le matin, les quelques fleurs qui vivaient près des ruines avaient fleuri... il était bien revenu.

Il pose sa patte par terre, confus. Lorsqu'elle lui avait demandé de lui montrer, elle devait vouloir dire qu'elle voulait qu'il lui montre en vivant ça vie. Cela allait prendre longtemps. Mais il ferait tout ce qu'il pouvait pour défendre les valeurs de la dragonne. La force intérieure, il l'aurait un jour. Mais pour l'instant ... il devrait retourner au Refuge, finir de rassembler ce qu'il lui faudrait pour l'attaque contre le dragon. Il irait voir maman plus tard... elle comprendrait. Il jeta un coup d’œil à la direction de la tanière de maman, et sourit un petit peu. Il reviendrait la voir. C'était une promesse.

C'est alors qu'il se retournait vers le chemin du Refuge qu'il la sentit. Cette odeur qui contrastait tant avec l'odeur des fleurs. Il renifla l'air, et soudain, son pelage commença à se hérisser sur son dos. Du sang. Quelqu'un était blessé. Il se retourna d'un coup.
Maman.

Il s'élança, il n'était pas habituellement un loup rapide, mais il fit réellement un effort, courant aussi rapidement qu'il pouvait vers l'arche de pierre, l'arche sous laquelle sa mère avait ... Il s'arrêta. Dans sa tête, il n'y avait soudain aucune réflexion, aucune pensée. Juste l'horreur. Seulement l'horreur. Il resta immobile, là, devant le carnage. Devant la mort. Devant sa famille.

"Non non non non ...." souffla-il enfin, ses oreilles plaquées en arrière, ses yeux pleins de larmes, en rentrant dans la tanière murée de vieilles pierres blanches.

Il fit quelques pas vers maman, voulant la toucher, la réparer, faire quelque chose, faire quelque chose .... Mais il n'y avait plus rien à faire. Un à un, il s'approche de chacun ... mais c'est sans espoir. Ils sont tous morts. Qu'est ce qu'il s'était passé ? Qui est ce qui avait pu faire ça ? La douleur dans son cœur s'intensifie, il a l'impression de manquer d'air. Il réalise ce qu'il voit. Il réalise qu'ils sont perdus. Les larmes coulent sur ses joues.
Comment ... pourquoi ... maman ... Dell ... Blythe ... La- Lark ?

Le cri retentit. Un cri de quelqu'un qui a peur pour sa vie, cela ne paraît plus être un cri de loup. Cela devient un cri de bête, un cri de peur, un cri du proie: le cri de la mort. Wymond tourne la tête, son regard bleuté s'infusant soudain d'espoir, mais tout aussi rapidement de peur et de férocité. Lark.

Il s'élança, ses pattes frappant le sol lourdement, les pierres paraissaient presque en trembler autour de lui.
"LAAARK!" crie-t'il de sa grosse voix, en courant aussi vite qu'il ne l'as jamais pu. Il n'avait jamais été le plus rapide de ses frères et soeurs, mais pour une fois, il implora les dieux, il implora Ao qu'il serait assez rapide. Qu'il arriverait à temps.

Il les aperçoit soudain, une figure brune, et une plus sombre, et son regard s'injecte de fureur. On ne touchait PAS a ceux qu'il aimait. On ne touchait PAS à ceux qu'il protégeait. On ne tuait PAS les innocents. Sinon, il montrait les crocs.
Sinon il devenait lui aussi Dragon.

Juste a temps, il perçois l'agresseur et Lark entre ses crocs. Wymond ralentit, son pelage ébouriffé et hérissé lui donnant l'air plus grand que d'habitude. Est ce toi, qui as attaqué ma famille ? Qui les as tués ? La pensée lui retournerait l'estomac si il n'était pas aussi concentré sur l'assaillant. Il s'approche menaçant, sans rien dire. Tu vas la lâcher, et tu vas partir, très loin, très vite, ou je te ferais partir. disent ses yeux sombres.

Mais l'assaillant as d'autres idées.
Crac.

Les yeux de Wymond perdent un instant leur éclat sombre pour suivre le corps de Lark qui tombe. L'horreur revient. C'est comme si elle tombait au ralenti. Les cheveux roses maculés de rouge, flottent, les yeux bleus qui avaient vu les siens et s'étaient fixés sur lui avec presque de l'espoir semblent vides. Le museau qui souriait si souvent est fixé dans une grimace de peur et de douleur. Elle n'as même pas crié. Elle frappe le sol, d'un bruit mou qui pourtant résonne dans la tête du brun. Il relève les yeux - tout paraît soudain un peu flou, un peu haché, un peu lent autour de lui. Comme si le monde tournait au ralentit. Les bruits qu'il percevait jusque là sont tordus. Ses yeux accrochent ceux de l'assaillant. Il semble prêt à se jeter sur lui. Quelle importance, maintenant qu'ils sont tous partis ?

Mais ils ne sont pas tous partis, il y a d'autres auxquels il tient autant que sa famille. Il s’avance vers l'assaillant sombre, sortant les crocs, grondant sourdement. C'est toi qui a fait ça. Il aime à penser qu'il y a du bien dans tous, que les mauvaises actions sont parfois empreintes de bonnes intentions mal exprimés, que les meilleures personnes font parfois les pires erreurs, que tout le monde peut regretter, tout le monde peut changer d'avis, tout le monde peut être sauvé... Mais toi, tu changes ça. Qu'est ce qu'ils auraient pu te faire, Lark, Blythe, Dell et Maman, qui mérite châtiment ?
Il est très proche maintenant, les yeux de l'assaillant sont emprunts d'un air de folie.

Qu'est ce qui aurait bien pu te pousser à faire ses choses odieuses ? N'as tu pas une maman, toi, des frères et soeurs qui auraient pu te rappeler que c'était si agréable d'avoir une famille ?
Wymond penche la tête vers lui, les crocs à l'air.

Comment est ce même possible de paraître aussi prêt à te battre à nouveau, alors que tu as tué des innocents ? Ou est ton regret ?
L'assaillant fait un mouvement, et immédiatement le monde redevient en focus, les bruits sont presque stridents, le temps redevient entier. Wymond claque des crocs, attrapant le loup par le cou avec un grognement tel le tonnerre, emprunt de violence et de fureur.
Il sent son pouls, à travers les poils et la peau. Le coeur qui frémit, qui bat si vite, alors que l'assaillant glapit, prends peur pour sa propre vie.

Par dessus sa fureur, il réalise que parfois, sembler méchant n'est pas assez pour changer les comportements. Parfois, il faut agir. C'est presque tentant, de l'achever là. Toute sa fureur, toute sa haine de ce loup, de ce qu'il vient de faire à sa famille, lui crient de le mettre à mort. Il ne fera plus de mal à personne, lorsqu'il sera décédé, éclaté par terre. La tentation de serrer les crocs est si grande qu'il filet de sang s'échappe du cou de l'assaillant. Wymond souffle par sa truffe. Non. Il ne le tuera pas. Ce serait être aussi mauvais que lui. Il est plus fort que lui. Il sait résister.
Il y a de pires choses que mourir.

Alors il lâche un peu la jugulaire, pour attraper le loup par la peau du cou. Et il le traîne avec lui. Il gesticule, il tente de s'échapper, les coups d’œil qu'il lui donnent sont ceux de la peur, lui aussi. Wymond le traîne jusqu'à une plaie, ou soudain il le tire au bord du vide, là ou ses pattes arrières touchent à peine le bord.

"Tu ne toucheras pchu JAMAIS à la vie d'un loups" grogne t'il en secouant l'assaillant.

"CHU AS COMPRIS ?" grogne t'il encore avant de le jeter par terre. C'était un peu satisfaisant, de lui faire du mal. Wymond n'as pas envie d'être satisfait de faire du mal.

"Si tu fais du mal à un SEUL autre loup sur toutes ces terres, je te trouverai. Et je te jetterai dans le gouffre." grogne t'il en s'approchant de nouveau, son poil hérissé de fureur. Il veut lui faire peur, tellement peur qu'il ne refera plus jamais ça. Qu'il changera.

Tout le monde peur changer, mais parfois, il faut les forcer un peu.

L'assaillant s'enfuit. Le regard de Wymond passe de la froide détermination à la tristesse. Maintenant, il faut enterrer sa famille. Il fit un pas en arrière, le poids des actes qu'il allait faire s'affaissant sur ses épaules ... mais soudain, tout devait flou. Soudain, il fait plus froid, il se sens comme ailleurs. Il a l'impression que soudain, ce qu'il pensait être vrai ne l'est pas. Une vague d'espoir, que sa famille va bien, qu'ils sont tranquilles à la maison monte en lui, et tout aussi rapidement, une vague consternation. Qu'allait-il se passer maintenant ?

Ses pattes le piquent, et il baisse les yeux, pour soudain voir des plantes. Des plantes par terre, oui, mais sur lui aussi. Lui aussi devenait plante.
Il devrait peut être se sentir un peu plus apeuré, mais en regardant ses membres se rigidifier, il reste immobile, les suivant des yeux. C'était justice. Il avait pris sa vie, pourquoi l'arbre ne prendrait pas la sienne ? Il ne se défendait pas, n'essayait pas de briser les petites branches qui sortaient de sa chaire. C'était douloureux, il avait l'impression que sa patte se déchirait, alors parfois il lui fallait souffler très fort, pour ne pas crier et gémir de douleur. Il serrait les crocs.

Soudain, la voix de la dragonne résonne. Il lève la tête, la cherchant du regard. Elle n'est pas ici. Et pourtant ... Une lumière s'allume, dans le vide de la falaise qui est devenue floue depuis que l'assaillant s'est enfui. Elle est là.
Etait-il prêt à accepter le coût du pouvoir de la dragonne ?

Il avait l'impression que ses pattes étaient devenues de la pierre. Il y jeta un coup d'oeil. Il ne voyait quasiment plus son pelage. Là ou avant, ils avait des poils clairs qui dessinaient un arbre, maintenant, il y avait véritablement le début d'un arbre: les branches qui commençaient de la couleur de ses os pour devenir brunes et se garnir de feuilles vertes sortaient de sa peau et serpentaient autour de ses membres, montant vers son dos. Il fallait qu'il aille chercher le lumière, pour la dragonne - pour lui. Mais il n'arrivait pas à bouger ses pattes. D'un côté, il n'avait pas envie de tirer trop fort, de peur de briser ces branches qui poussaient de lui; d'un autre côté, il avait du mal à tirer dessus, on dirait que la plante avait décidé qu'il resterait ici.

Il tente de tirer sur ses pattes avant, pour les décoller du sol: mais elles ne veulent pas. Des feuilles bruissent près de ses oreilles, et il remarque que l'arbre a poussé à travers la peau de ses épaules, des branches enlacent ses flancs. Il a mal comme des centaines d'aiguilles qui transpercent son pelage, les branches continuent leur croissance autour de lui. Les brindilles s'allongent depuis son cou en tiges, puis en branches de plus en plus épaisses. Les feuilles se déplient, grandissent, tremblant un peu en cherchant de la lumière. Wymond n'as jamais vu une plante pousser aussi vite. Il serre les crocs, contre la douleur, alors qu'une branche s’étend sur le haut de son museau. Il ne pouvait pas se battre contre ses propres os. Il n'aimait pas se battre. Une feuille commence à pousser devant son oeil gauche, lui bloquant la vue d'un côté.
La peur qu'il ne bougera plus jamais, qu'il sera bloqué là, dans la vision de la déesse le démange un peu de l'intérieur. Mais c'est juste. Il a pris la vie, et la vie pouvait maintenant le prendre. C'était les conséquences de ses choix. Il n'avait pas le droit de faire des choses, puis s'enfuir des conséquences. Il devait accepter que parfois, il avait fait des mauvais choix, et que lorsqu'ils étaient faits, il fallait les assumer jusqu'au bout. Il n’essaierai pas de feindre l'innocence, de jeter la faute sur la dragonne, sur l'épreuve... il avait choisi de tuer l'arbre. Il aurait pu le laisser, mais en vérité, c'était lui qui avait décidé de lui ôter la vie.

"C'est de ma faute. Je suis désolé." admit-il.
Une branche pousse devant son oeil droit, plus lentement, et soudain, elle s'arrête. Il respire douloureusement, c'est compliqué de bouger des côtés qui on poussé des branches.
Et soudain, en tirant sur une patte avant, très lentement, elle se décolle. C'est avec grande difficulté qu'il la déplace, mais il lui semble qu'elle s'accroche moins au sol que avant.

Il bouge une patte arrière, avec le sentiment qu'elle est plus lourde que tout le reste de son corps ... puis une autre ... plus une patte avant ...
Il sent le bord du précipice, il cherche du seul oeil avec lequel il voit encore la lumière bleue. La lumière de la déesse.

"Viens avec moi. Je ne te ferais plus jamais de mal." articule t'il avec difficulté, à voix basse, à l'intention de la plante.

Elle vivrait avec lui. Il ne la laisserait plus jamais mourir, pas tant qu'il serait toujours en vie.
Il acceptait, les conséquences de ses choix. Il accepterai de même, les conséquences de son choix de suivre la lumière de la dragonne.

Il fait un pas en avant, en tombe dans le vide.