What ever happened ☀ Adellphe

Elle avait fui, de nouveau.
La louve qu'elle était dans sa prime jeunesse, aventurière, aurait peut-être eu honte de ses comportements. Mais elle n'était plus cette louve-là, et tout autour d'elle le lui rappelait sans cesse. Elle ne s'était pas vraiment enfuie, pas définitivement, elle s'était juste éloignée un peu de l'épicentre des événements pour laisser ses pensées s'apaiser, s'organiser, dompter les émotions dont elles se faisaient fâcheusement esclaves ces derniers temps.

Elle avait longuement marché alors que mourrait la nuit, incapable de dormir, incapable de retourner auprès des Nakhus pour l'instant. Un mélange de crainte, de curiosité, le tout baignant dans un vide infini de culpabilité, habitait son esprit. Des souvenirs en pagaille se battaient pour rester imprimés sur ses rétines. Des souvenirs qui auraient dû être heureux, mais qui étaient teinté du voile d'une immense tristesse qu'elle n'avait encore laissé personne soupçonner. Peut-être son frère l'avait-il supposé lorsqu'il avait récupéré l'enfant - mais elle n'avait rien dit, et il n'avait pas posé de questions. A part lui, personne ne savait, donc personne n'avait non plus posé de questions. C'était ce qu'elle avait voulu. Mais ce faisant elle s'était laissée seule face au monstre de sa propre peine et de ses propres regrets.
Si seulement elle n'était jamais partie.

Alors que sous ses pattes défilait le sol d'une terre humide et meuble, une voix la tira de ses pensées. Son regard clair fusa dans sa direction, et elle marqua un temps d'arrêt en reconnaissant son propriétaire. Le loup de la bibliothèque. Celui avec qui tout avait commencé. Bien-sur, Dell était suffisamment pragmatique pour savoir qu'il n'était absolument pour rien dans tout ce qui lui était arrivé ; mais le revoir était comme être transportée à nouveau au premier chapitre de cette tragique aventure, et elle prit sur elle pour ne pas avoir de mouvement de recul. Elle passa sa langue sur ses babines, comme pour calmer son coeur qui avait fait un bond. L'autre était souriant, avenant, et visiblement sans mauvaises intentions. Il lui avait déjà fait cette impression la première fois, et elle s'accrocha à l'idée qu'il était juste sympathique. Elle l'avait aperçu dans le cataclysme qui avait frappé l'Eglise Nakhu, mais sans chercher à lui parler ; et puis tous s'étaient vite dispersés pour s'occuper de cette situation.

"On peut dire ça..." Répondit-elle à sa dernière question, éludant sans peine la première partie sur comment elle allait. "Oui, j'ai voyagé."

Son regard se perdit un instant dans la brume environnant, puis revint sur son interlocuteur.

"Tes lectures sur les autres peuples m'ont inspirée et j'ai décidé d'aller ls rencontrer par moi-même."

Elle ne savait pas trop pourquoi elle avait révélé cela, mais elle avait l'impression qu'il y avait peut-être chez ce loup si sympathique une oreille qui saurait l'écouter un peu, et peut-être lire entre les lignes. Mais une partie d'elle-même la traita aussitôt de naïve ; elle avait déjà accordé sa confiance à un loup, et le résultat était criant. C'était là où elle en était aujourd'hui.
Maudites émotions qui la rendaient plus vulnérables désormais.

Ce loup ne soupçonnait visiblement pas l'impact qu'il avait pu avoir sur elle et sur sa vie - comment aurait-il pu, après tout ? Pour lui, ils avaient sans doute simplement partagé un moment sympathique à la lueur des foyers de la Bibliothèque, peut-être, sans doute comme beaucoup d'autres loups puisqu'il paraissait sociable et gentil. Une journée comme une autre pour cet être si solaire, tandis qu'elle émanait quelque-chose de plus... crépusculaire. Comme si la lumière avait commencé à s'éteindre.

Mais il se souvenait d'elle.
Elle avait envie, tant envie de croire que c'était parce qu'elle n'avait pas été juste une silhouette de passage entre les hautes étagères Nakhus - de nouveau, une part d'elle même eut comme un rire cynique. Elle essaya de ne pas l'écouter ; ce loup lui donnait envie de croire un peu à un instant de bonheur, à des souvenirs communs, à... quelque-chose qui ne serait pas oublié. Mais rien que cela était si douloureux à ressentir, à attendre. Elle appréhendait ce que cela pouvait devenir. Le monstre qui pouvait se joindre à la cohorte de démons qu'elle avait ramenés de ses voyages. Un petit ange pour beaucoup trop de démons.

Elle laissa filer un instant, le temps de recentrer ses pensées sur ce qu'elle voulait évoquer de cette expérience - en éludant un large pan évidemment, mais elle n'avait pas envie d'éteindre dans les yeux de ce loup les étincelles que le histoires semblaient évoquer. Il serait sans doute réellement intéressés même par la petite partie dont elle était capable de parler, et cela suffirait à alimenter ce petit brasier de bonheur qu'il paraissait promener avec lui.

"Oui." Souffla-t-elle, en s'asseyant, l'aile repliée sur son dos. "J'ai trouvé dans un livre la courte mention d'un peuple lié aux pierres précieuses, et dont certaines descendants vivraient sur le continent. Alors je suis partie à leur recherche avec les quelques informations qu'il y avait."

Elle releva les yeux vers lui.

"Et je les ai trouvé, très loin à l'Est. Ils se font appeler les Loups de Cristal."

Elle inspira profondément, en silence, alors que les images dansaient dans son esprit. Toujours un peu amère, mais que de bonheur avaient été les débuts de son arrivée là-bas. Un longue, longue période d'aventures, de découvertes, où elle avait étanché sa soif de nouveauté et d'érudition. A en oublier les ombres et les dures réalités que tous les loups transportent avec eux.

"Tu l'as lu, le texte qui parle d'eux à la Bibliothèque ?" Demanda-t-elle finalement.

Elle ne s'était pas trompée ; à la mention des Loups de Cristal, elle vit le regard de son interlocuteur s'alluma d'un lueur curieuse, tandis qu'il s'asseyait lui aussi pour lui faire face. Maintenant qu'il était plus proche, la louve s'aperçut que ce regarde si débordant de gentillesse était légèrement souligné de cernes. Sans doute la vie n'était-elle pas que bonheurs et papillons pour ce congénère-là, mais il réussissait la pirouette de le laisser croire au premier abord.

"Ils sont... petits." Répondit-elle. "Plus petits que nous, avec un pelage et des yeux clairs. Je ne crois pas qu'ils avaient de cristaux directement sur eux, mais ils vivaient dans des grottes qui en étaient hérissées. Du bleu glace lumineux au milieu des pierres noirs... C'était magnifique." Souffla-t-elle en baissant la voix.

Un frisson courut le long de son échine alors qu'elle s revoyait arpentant les galeries aménagées, les différentes salles aux rôles bien précis. Ce parcours d'odeurs, de bruits qui résonnaient, de sensations qu'elle n'avait jamais expérimenté auparavant. Une image précise lui revint et elle ajouta :

"Je ne suis pas certaine, mais il me semble que l'un d'entre eux avait des cristaux qui paraissaient... pousser de son pelage. Ils se hérissaient autour de ses oreilles. Mais je n'ai jamais vérifié."

Elle redressa les oreilles vers le jeune loup alors qu'il explicitait la raison de son intérêt soudain ; il fit apparaître deux cristaux d'un beau violacé qu'il saisit entre ses pattes pour les poser sur sa tête à la manière d'une corne ou d'une mèche de cheveux. Ainsi, dans sa propre famille il y avait des loups qui étaient liés à ces pierres-là ? Même si elles étaient différentes de celles envers lesquelles le clan souterrain avait une véritable dévotion, la ressemblance demeurait troublante.

Dell saisit entre ses crocs le fil du collier qu'elle portait et ramena à hauteur de museau le morceau de cristal bleu qui y était suspendu. A sa vision, un chagrin fulgurant passa dans ses yeux, pour disparaître aussitôt lorsqu'elle les releva vers l'autre loup.

"Ce n'est pas la même couleur... Mais je dois avouer que je trouve les similarités intrigantes."

Peut-être y avait-il d'autres clans du même genre, avec d'autres pierres ? Celui dans lequel elle avait séjourné n'était pas hostile aux étrangers, jusqu'à un certain point. En apprendre sur leurs coutumes, leur histoire ou les autres groupes qui pouvaient lui être liés était chose ardue et pour le temps qu'elle avait passé là-bas, elle en avait appris bien peu finalement. Et bien moins que ce qu'elle aurait aimé.

"D'où viennent-ils, les loups de ta famille qui portent ces pierres ?" Demanda-t-elle finalement en désignant les améthystes qu'il avait toujours dans les pattes.

Dell hocha doucement la tête en simple réponse à la question ; oui, c'était un peu comme des cornes, si l'on définissait les cornes comme une excroissance qui poussait directement sur le crâne. Des cornes étranges et presque dérangeantes, mais c'était l'idée. Il demeurait un doute toutefois ; les cristaux pouvaient-ils avoir poussé sur la tête de ce loup ? C'état le seul qui présentait ce trait, les autres n'avaient que des accessoires ornés de ces jolis minéraux. Et il était un peu tard pour aller vérifier.

Le regard clair de la louve se détacha de son interlocuteur alors qu'un lueur un peu curieuse s'y éveillait au regard de ses cristaux à lui. Ils se mouvaient par magie, visiblement contrôlés par leur propriétaire. Pourtant, il n'avait pas de glowstick - pas de visible en tout cas. Se pouvait-il qu'il soit habité par cette magie naturellement ? La chose étai intriguant, et ses pensés s'éloignèrent un pu des souvenir douloureux pour noter cette question dans un coin de son esprit. Elle lança tout de même :

"Ils font... partie de toi ?"
Comme ceux des membres de ta famille que tu évoquais un instant plus tôt ?

Famille qui paraissait profondément ancrée dans le continent, puisqu'il remontait avec ses mots plusieurs générations ayant vécu sur les terres environnantes. Mais lui-même avoua son ignorance dans une expression qui fit naître l'ombre d'un sourire amusé sur les babines de la louve caramel.

"Est-ce seulement possible ?" Répondit-elle.

Après tout, à moins que chaque génération ne prenne soin de retenir tous les noms de leurs aïeuls ou de les noter quelque-part, les anciennes générations sombraient dans l'oubli. On retenait les exploits des héros qui parsemaient ça et là les arbres généalogiques, mais leur lumière seule ne suffisait pas à éclairer les dizaines de fantômes dont on ne parlerait plus jamais. Pour sa famille à elle, c'était encore plus nébuleux. Sa mère n'avait jamais été très bavarde au sujet de ses origines ou de leur père. Dell savait qu'il était un guerrier grand et fort, et qu'il venait de ce continent. Elle savait aussi qu'elle avait eu puis perdu de nombreux frères et soeurs dans un fratrie immense que le voyage avait décimée. Et que Jessamine avait fui son monde à elle pour leur en offrir un meilleur, à elle et ses frères et soeurs. Inutile d'espérer remonter plus haut de ce côté-là.

"Non. La famille de ma mère ne vient pas d'ici. Et je ne sais pas qui était mon père."
Ca limitait considérablement les possibilités de recherche.

La louve observa avec une sorte de fascination le contrôle si facile et nonchalant qu'il avait sur ces deux morceaux d'améthyste qui s'assemblaient puis se séparant avec une troublante perfection. Il évoqua un mot qu'elle ne connaissait pas, "licorne" et supposa qu'il devait s'agir tout simplement de loups munis de cornes. Sans doute était-ce pour cela qu'il avait tiqué à sa description des Loups d Cristal - mais elle ne le avais jamais entendus utiliser ce terme donc il était peu probable qu'il y aie un lien direct entre eux et sa famille. Ou alors lointain, sn lointain que chaque branche en avait gardé une pierre et perdu le souvenir de l'existence de l'autre.

"Retrouver son chemin est pourtant loin d'être une petite chose bête." Objecta-t-elle doucement, presque autant pour elle que pour lui.

Elle acquiesça à sa remarque - oui sans doute faudrait-il une vie d'enquête, qui serait un course contre la montre pour récolter un maximum d'informations avant que les mémoires qui les possédaient ne s'éteignent.

A moins de demander à tous les loups que tu croises s'ils connaissent un certain Godric.
La phrase surgit d'entre les crocs du jeune loup sans qu'elle ne s'y attende. Elle planta son regard sur lui, les oreilles redressées et le corps figé. Comment pouvait-il savoir ? C'était un nom qui s'état assez peu prononcé durant tout le temps où elle avait vécu avec sa mère et sa fratrie. Jessamine évoquait peu le passé - et puis de tout manière comment ce solitaire pouvait-il savoir ? Elle plissa légèrement les yeux et finit par lancer :

"Tu es un ami proche d'un de mes frères et soeurs ?"

C'était la seule explication logique au fait qu'il puisse connaître non seulement le nom de Godric, mais aussi savoir qu'il s'agissait de son père à elle. Une impression de désagréable vulnérabilité l'envahit alors qu'elle réalisait que si lui était un quasi inconnu pour elle, la réciproque n'était pas vraie. Lui savait qui elle était.
Son coeur battit un peu plus fort lorsqu'une crainte surgit, balayant le reste de ses pensées durant un bref instant.
Connaissait-il Wymond ?
Etaient-ils très proches?



Savait-il ?

La louve eut l'impression qu'un bloc de glace tombait dans son estomac lorsque le loup lui répondit. Une barrière se ferma, herse tombant avec violence pour fermer au monde extérieur le flot de ses émotions. Un peu d chaleur quitta son regard, après être venue progressivement au fil de la conversation. Ainsi, c'était bien avec Wymond qu'il était ami. Ami au point de connaître leur père et de connaître sa description à elle, puisqu'il n'avait absolument pas cherché à savoir qui elle était. Wymond n'était pas du genre très bavard, aussi il était facile d'en déduire qu'il y avait une vraie relation entre les deux pour que de tels sujets soient venus sur le tapis. Sur ce point, la louve ailée et son frère se comprenaient bien - ils parlaient sans parler, car les mot seuls ne permettaient pas toujours d'exprimer ou de comprendre ce que l'autre voulait dire.

Elle hocha simplement la tête, alors que dans son cerveau se dessinaient les futurs potentiels de la discussion. Jusqu'où Wymond avait-il parlé de sa famille et de leurs aventures ? S'ils étaient si proches, sans doute lui avait-il parlé de la petite louve qu'il avait recueillie. A moins qu'il ne l'aie simplement faite passer pour sa fille biologique ? Dell n'était pas fière de l'admettre mais elle n'avait pas cherché à revoir son frère depuis quelques lunes déjà. Elle avait besoin de prendre une grande, une immense inspiration avant de replonger dans cet océan-là. Elle ne voulait pas de nouvelles, pas avoir son nom ni ce qu'elle devenait, pas donner plus de corps à une existence qui n'aurait pas dû être.
Ces pensées étaient horribles, elle en avait froidement conscience.
Mais elle n'y pouvait rien.

"Tu as l'air de me connaître mieux que je ne te connais, ami de Wymond." Lança-t-elle finalement.
Je ne connais même pas ton nom.

Il avait croisé Lark aussi, mais cette information était moins... critique. Lark ne savait rien de ce qui lui était arrivé et de l'existence de l'enfant, elle n'avait pas pu en parler à quelqu'un d'autre. Une partie de l'esprit de la louve avait une confianc presque aveugle en son frère, et elle ne pensait pas que Wymond aie parlé sans lui demander avant. Mais une autre, une toute petite, venait de se mettre à douter.

"Ca fait longtemps, que vous vous connaissez ?"

Sans qu'elle ne pût expliquer exactement quoi, elle eut la sensation que quelque-chose venait de changer très légèrement dans le ton de la conversation. Peut-être cette lueur mutine qu'elle croyait voir dans son regard. Peut-être simplement car, naviguant au milieu d'inconnus depuis longtemps, elle n'avait pas entendu quelqu'un l'appeler par son nom depuis... Elle ne se rappelait même pas quand avait été la dernière fois. Ses yeux se plissèrent, infimement, alors que son regard changeait tout aussi subtilement d'intensité. Quelques secondes d'un échange silencieux et invisible à qui ne serait pas pleinement attentif.

Sa proposition était intéressante, presque plus car elle lui permettrait de savoir exactement ce qu'il savait d'elle que pour les informations à son propos. Quoi que. Elle devait bien avouer qu'une certaine curiosité latente naissant dans son esprit à elle aussi à propos de ce loup solaire depuis le début de cette rencontre inopinée. Plus encore maintenant qu'elle le savait lié à l'un des membres de sa famille - mais était-ce uniquement pour cela ? Pour ces craintes qui dansaient dans son esprit ? Elle l'ignorait, n'en était pas certaine.

"Je t'en prie." Répondit-elle simplement.
Et elle écouterait avec une grande, grande attention.

Quant à sa rencontre avec Wymond, il en dressa une temporalité précise pour elle et lui permit de se rendre compte du temps qu'ils avaient effectivement passé à se côtoyer. Un temps qui correspondait plus ou moins à celui de son absence, finalement. Elle se contenta de hocher la tête doucement, en notant l'information.

Le discours fut curieux, dans son ton, dans le sourire avec lequel son auteur le dicta, dans son ordre aussi que la plupart des loups aurait sans doute inversé. Comme si les idées papillonnaient dans son esprit et qu'il les saisissait une à une sans réfléchir à leur enchaînement, en improvisant des liens qui sonnaient joliment créant une chaotique et poétique harmonie. Ca, ou bien c'était simplement sa manière à lui de réfléchir, selon ce qu'il lui importait de dire, selon peut-être ce qu'il avait appris sur elle, dans quel ordre et avec quelle importance.

Savoir qu'il avait proposé de rétablir une équité donnait une troublante double lecture à touts ces phrases, leur équivalent résonnant aux oreilles de la louve aussi clairement que ceux qu'elle entendait réellement..
Il était né au Refuge et y vivait toujours - Il savait d'où elle venait, où elle avait vécu.
Sa mère était une solitaire nommé Onyx - Il connaissait la sienne.
Son père un Nakhu, nommé Violette - Il connaissait le sien.
Ils étaient meilleurs amis et avaient élevé ensemble leurs enfants - Il connaissait son histoire.
Il avait un frère, des oncles, des tantes, des cousins - Il connaissait sa fratrie.
Il s'appelait Marty.
Elle s'appelait Adellphe.

Elle laissa s'écouler quelques instant d'un silence léger, dans lequel s'éteignit les derniers échos de la voix de l'autre loup, avant d répondre :

"On dirait que nous nous connaissons aussi bien que si nous étions amis, Marty."
Le serions-nous ?

Non, bien-sûr que non. S'il suffisait de simples informations, l'amitié serait une chose simple. Mais les livres ne disaient pas vraiment ce de quoi elle était réellement constituée - on y trouvait des choses vagues sur les souvenirs communs les centres d'intérêts, la confiance, mais rien qui ne permette réellement de l'identifier.
Et il fallait bien avouer qu'elle n'avait jamais eu de véritable ami. Enfin, elle l'avait cru que cela ne se change en amour, puis en blessure profonde. Ce loup-là n'avait pas pu être vraiment son ami, ni tous les autres qui lui avaient ensuite tourné le dos. Ou bien l'amitié étai une chose bien ingrate qu'elle était sans doute chanceuse de ne pas avoir connue.

"Que saurais de plus un ami à ton propos ?" Demanda-t-elle soudain en ramenant son regard dans celui de Marty.

L'expressivité du visage de Marty était presque incroyable ; ou peut-être la louve cannelle n'avait pas côtoyé suffisamment de congénères qui se laissaient aller à exprimer les émotions que les habitaient. Chacune des mimiques plus ou moins subtiles de son être laissaient parler les nuances que leur conversation paraissait donner à ce qu'il ressentait - ou bien il était un excellent acteur. Mai elle n'avait pas envie de le voir ainsi, comme un manipulateur aguerri. Pas aujourd'hui. Pas alors qu'il paraissait si sympathique.
Et puis c'était un ami de Wymond.

Elle s'attendait à une réponse simple, peut-être énigmatique, voire à pas de réponse du tout ; son interlocuteur la surprit en répondant avec une profonde sincérité. Il lui évoqua des choses bien plus personnelles que les simples informations qu'elle avait glanées quelques instants auparavant. Sans qu'elle n'aie eu besoin de demander, il affina un peu ce concept qu'il appelait Licorne ; c'était donc lié à son sang, aux cristaux, et dessinaient pour sa vie de grands préceptes à suivre. Elle fut surprise qu'il évoque le dragon - la dragonne d'ailleurs ? - qui avait été affronté et défait récemment. Elle-même venait de revenir et avait su que la bataille se déroulait alors qu'elle achevait d'errer pour trouver une nouvelle voie. C'état les terres bloquées par la tempête qui l'avaient forcé à faire demi-tour vers le coeur des terres Nakhus. Le reste, Marty le connaissait déjà, puisqu'il s'y trouvait aussi.

"Je suppose qu'un ami ne pourrait s'empêcher de s'en faire malgré tout." Répondit-elle, la voix un peu plus douce.

Puis il lui retourna la question. Ce n'était pas si surprenant- après tout ne venaient-ils pas de discuter de l'équilibre des choses qu'ils savaient l'un sur l'autre - pourtant elle ne s'y état pas préparée. C'état une bonne question. Où situer la frontière de ce qu'elle révèlerait à un ami ? Et des secrets qu'elle garderait pour elle ? Elle se laissa quelques instants pour réfléchir, le regard dans le vague - en réalité, l'attention dans les méandres de ses pensées -, avant de répondre :

"Il saurait... que je ne saurais tout exprimer par des mots. Que j'aime à la fois les aventures solitaires et partager de doux moments avec mes proches. Que ces derniers sont peu nombreux. Il connaîtrait ma soif de connaissances et de compréhension, de voyages et de découvertes. Sans doute lui aurais-je raconté mon dernier voyage."

Elle marqua un pause. La frontière était là, un pas et l'on se trouvait du côté des confidences. Un demi-pas et l'on était encore dans le flou. Etait-elle prête à partager cela ? Elle-même l'ignorait. En avait-elle envie ? Elle avait envie de laisser cette page tournée, ce chapitre fermé, pour que jamais ne s'en échappent les démons qui la hantaient. Ou peut-être s'en étaient-il déjà échappés, justement ?

"Il saurait donc qu'il fut rempli de choses passionnantes, mais qu'il ne s'est pas bien terminé."

Elle marqua une nouvelle pause, laissant son esprit chasser les images qui menaçaient de revenir 'imprimer sur ses rétines. Et soudain, comme une luciole, une pensée la traversa. Et pour la première fois depuis un moment, un léger sourire illumina son visage - même s'il ne parvenait pas à chasser la tristesse imprimée au fond de son regard.

"Et nous nous serions probablement rencontrés à la Bibliothèque car c'est un endroit que j'affectionne particulièrement."

Sa dernière phrase eut l'effet escompté et le petit rire qui s'échappa des crocs de Marty attacha un peu plus durablement le sourire sur le visage de la louve. Ce moment était si chargé de douceur et de chaleur, si confortable par rapport à tout ce qu'avait été sa vie ces dernières lunes. Elle avait envie de s'y pelotonner, de continuer à parler indéfiniment aux lueurs d'un petit matin qui ne cesserait pas, loin de la réalité et de ses froideurs. Elle fut touchée qu'il la désigne comme "amie" - c'était étrange, comme si cette dénomination qui ne lui avait jamais été attribué avait du mal à lu coller à la peau - mais ne répondit rien, se contenta d'un regard où brilla une sorte d gratitude. Mais il y avait sans doute trop d'émotions et de nuances à la fois dans se iris pour établir un message clair - à qui ne saurait pas le lire tout du moins.

Il demanda à ce qu'elle parle de ces choses merveilleuses qui avaient écrit de nombreux chapitres de son voyage. Elle devait bien avouer qu'elle n'avait pas tenté de voir son aventure sous cet angle depuis son retour ; trop de mauvaises chose s'étaient passées ensuit, occultant complètement ce qu'elle aurait pu apprécier de tout cela. Pourtant, si elle faisait l'effort colossal de contourner l'ama de chagrin qui barraient le passage, elle distinguait derrière les images que son âme aventurière avait aimées. Elle passa sa langue sur ses babines, qui s'étaient brièvement asséchées. Puis elle acquiesça doucement.

"Es-tu déjà allé au delà des frontières Nakhus, à l'Est ?"

Lui, sa grande famille, des livres à ce sujet ; elle ne voulait pas l'importuner d'informations qu'il avait déjà. Il n'avait pas paru connaître les Loups de Cristal, elle était donc certaine qu'il ignorait ce qui se trouvait si loin à l'Est. Mais son voyage avait débuté par les terres succédant à la Plaie du Monde, comme sans doute celui de bien des loups avant elle.

Elle avait déjà vu à la Bibliothèque une carte de terres actuelles du continent, et dans son esprit se dessina sans difficultés un idée de zone qu'il connaissait - et qui couvrait tout de même, contrairement à ce qu'il paraissait sous-entendre, une large part du continent. Quand à ce qu'elle avait vu, elle...

"Lorsque l'on passe la zone stérile et les Ruines Blanche, on rencontre de nouveau une terre fertile. De grandes plaines un peu vallonnées, il est aisé d'y chasser et d'y voyager. J'y ai croisé une famille qui m'a dit qu'en hiver des milliers de fleurs blanches les recouvrent, mais je ne les ai pas vues moi-même."

Maintenant qu'elle y resongeait, elle se rappelait s'être promise d'y revenir un hiver, pour voir cette image et la graver dans sa mémoire. Peut-être même pour ramener des connaissances sur ces mystérieuses fleurs à la Bibliothèque. Peut-être pourrait-elle proposer à Marty de le faire ensemble ? Il avait dit aimer explorer et découvrir de nouveaux endroits, de nouveaux secrets.

"Il y avait des troupeaux immenses qui vivaient là-bas, d'animaux un peu plus grands que ceux que nous avons ici. Ils sont des milliers, et lorsqu'ils courent le sol tremble sous leurs pieds. Et l'on se demande qui est réellement la proie et le prédateur." Confia-t-elle en penchant légèrement la tête.

Elle se rappelait les observer passer à vive allure depuis les buissons, le coeur battant, tandis que défilait une marée infinie devant ses yeux.

"Après, toujours plus loin à l'Est se trouve une jeune chaîne de montagnes. Des pics enneigés très hauts, aiguilles qui percent les nuages. Des pentes abruptes, et peu de gibiers. Depuis ls hauteurs j'ai aperçu les terres plus lointaines, des plaines, un grand désert, et des montagnes encore au Nord. Mais je ne suis pas allée plus loin, car c'es là que j'ai rencontré les Loups de Cristal."

Elle laissa filer un instant de silence ; tout ce qu'elle savait sur eux, elle devait le mettre dans les livres. Compléter les quelques mots qui existaient à ce propos déjà - mais c'était si douloureux, car chaque connaissance était associée à des souvenirs précis, qui tous étaient désormais entachés de regrets.

"Et toi, quelle fut ta dernière aventure ?" Demanda-t-elle finalement.

La remarque de Marty à la mention des fleurs arracha un sourire amusé à la louve. Elle hocha la tête et répondit sans hésitation :

"Avec plaisir."

Décrire la sensation que cette simple réponse lui apporta était...compliqué. Ou peut-être était-ce de la comprendre qui l'était. L'idée de cette expédition la remplissait d'une joie candide que son sérieux et son pragmatisme habituels ne parvenaient pas à assombrir. Comme si la petite louve qui avait soif d'aventures en elle avait balayé pendant un instant tout ce qu'elle avait vécu pour retrouver son enthousiasme.

Elle acquiesça une fois à sa remarque suivante ; oui, c'est vrai qu'elle était revenue avec beaucoup d'images qu'elle n'avait pas pris le temps d'apprécier. Elle sentit une point de culpabilité la prendre, ou bien peut-être était-ce de la rancoeur. Tant de choses auraient pu être différentes si elle avait pris d'autres décisions, d'autres chemins. Si elle avait gardé sa confiance pour elle aussi, au lieu de la donner trop vite. La lumière qui s'était allumée dans ses yeux à l'idée d'emmener Marty voir les fleurs s'éteignit de nouveau, comme une fragile flammèche sous un vent trop violent.

Elle se concentra sur la réponse du loup mauve, se plongea dans ses mots pour échapper à ses propres pensées. Il parla du dragon, de la déesse Nakhu, mais aussi du Grand Nord. C'état là qu'il avait lui aussi trouvé une grotte plein de cristaux, tranchants et magnifiques, comme des roses.

"Le Grand Nord n'est-il donc que beauté hostile ?" Lança-t-elle doucement.

Un peu par curiosité.
Beaucoup pour qu'il continue de parler.