Kiro, c'était un peu comme un grand-oncle.
Un membre de la famille dont on parlait souvent, mais qu'on voyait pas tout le temps, si ce n'est encore jamais pour sa part. Il lui était pourtant exposé quotidiennement, ouais, dans le glowstick jaune de Mamanita, ou dans l’œil de Papa Dez.
Eux, c'étaient des disciples fidèles.
Mamanita veillait sur le temple comme elle veillait sur eux, et entretenait avec le dieu des conversations et des attentions.
Papa Dez, lui, venait danser quotidiennement.
Un peu moins, en ce moment.
Il disait avoir froid, et que le froid lui faisait mal.
Alors des fois, à cette heure où il devait être là et où lui venait discrètement l'observait, bah il était pas là.
Comme là.

Basilic reste seul dans le temple.
Il s'est foutu dans un coin du plafond, attentif à de potentielles allers et venus, en attente de son père qui viendrait sans doute pas mais se rattraperait demain.
Boh.
Ses yeux sombres se plantent sur la statue et la fontaine.
Il avait très souvent tourné autour de l'arbre, l'avait escaladé, s'était caché entre ses branches ou ses racines. Il était parfois rentré, pour suivre un de ses parents, ou par simple curiosité.
Mais il avait jamais rien dit. Jamais rien fait, devant la représentation.

C'est vide, là.
Vide et silencieux.

Il longe le plafond, se plante au-dessus de la statue. Siffle entre ses crocs éparses.

C'est calme.

Si Papa Dez a froid et que c'est si important pour lui, de danser tous les jours, il aurait pu demander à ce qu'un d'eux le remplace. Ou même Mamanita. Parce que si ça se trouve, le dieu attendait toujours de l'animation, et que c'était comme une promesse pas tenue, là.

Trop calme.

Ses yeux vont tout à gauches, ses yeux vont tout à droite.
Toujours personne.

C'est chiant.

Sa langue siffle à nouveau, et il se dit que pourquoi pas lui, tiens. 'faut bien s'occuper des dieux, et puis lui qui visite le temple, il pourrait bien faire un petit quelque chose. Ses parents tiennent à lui, et il les protège dans sa moère. Un truc comme ça.
Il espère juste que ça sera pas trop la honte.
Il a jamais fait un truc comme ça, lui.

Une p'tite danse.
Au plafond.

Il lève une patte et la tourne, au maximum de son amplitude. Il lève l'autre et fait de même.
Puis une avant et une arrière, dans la diagonale ; pareil en miroir.
C'est pour s'échauffer.

« Pou' pas ke 'e sssspek'ak' vous mmank..! »
(Pour pas que le spectacle vous manque..!)
« U'danssse ! »

Basilic a un piaffement aigüe. Il a vu plein de fois son père faire, alors..!

Ses pattes adhèrent au sol et sa tête est à l'envers, alors qu'il tourne autour de la statue, qu'il voit en contrebas. Il roule des hanches et ondule son corps, démarche lézardesque et un peu lourde, sur un tempo qu'il joue sur un métronome à 100bpm, une patte qui se décole et se repose à chaque cadence.
Puis il glisse plus agile,
Il file plus rapide !
Il fait des tours sur lui-même, lève deux pattes pour se suspendre ainsi dans le vide, accroché seulement par les postérieurs. Ouvre et referme les doigts de ses antérieurs, balance ses pattes avant, puis les recolle à la surface pour mieux reprendre son cercle.
Ça, il aura jamais vu !
Ce sont ses pattes arrières qu'il suspend ensuite, alors qu'il marche sur ses mains, dans des postures qui le tordent et le balancent dans tous les sens, morceau élastique et ses mouvements erratiques.

Et paf !

Les quatre à nouveaux,
Un p'tit tour et !
Il se jette contre le mur, et descend de la même façon qu'un bonhomme acrobate gluant, pour enfin se retrouver devant la statue.
Un grand sourire sur ses babines, un ultime sssiflement

« 'Ffouaah !»
(Voilàà !)

Pour la première fois, Basilic s'était décidé à offrir une représentation à celui qu'il aurait pu nommer tonton Kiro.
Un merci, un cadeau, une façon de l'occuper, bah !
Il avait l'impression d'avoir fait quelque chose de bien, au moins.

Est-ce que ça avait plus au dieu ?
C'est ce que Basilic espérait, du haut de ses quelques mois. Il avait fait tout ça pour lui, calqué sur les mouvements de son père, qu'il avait réinventé. Mais c'était une première, et il ne pouvait qu'aller en s'améliorant. Qu'est-ce qui pourrait encore plus plaire à Kiro ? Etre plus souple, plus rapide, faire un peu plus le fou, pour faire rire ? Ah ! Il en savait rien.
Mais faut croire que ça lui avait plus.
Car il le fit pas longtemps attendre, Kiro.
De sa statue, il se détacha, l'impressionnant un peu sans qu'il ne recule pour autant. Il savait, qu'il lui ferait rien ! C'était le dieu de Mamanita et de Papa Dez, et c'est pas pour rien qu'ils lui faisaient autant confiance.
Sa queue, écourtée par son frère mais en pleine repousse, s'agita dans son dos.

Il ressemblait pas beaucoup aux autres loups, Zil.
Mais il se trouva beaucoup de ressemblances avec cette forme spéciale de Kiro et ça, ça lui plut. D'avoir un corps si long, et une gueule large et des dents pointues et espacés..!
Il tenait du reptile.
Lézard, ou Anaconda, c'était devenu un peu la même chose, pour lui.

Et il tendit sa tête, pour presque frôler cette tête penchée vers lui.
AH !
Kiro trouva la relève assurée. Et galvanisé par ce fait...

« Fouh' fou'ez que che recommenssse ?»
Vous voulez que je recommence ?

Il pouvait, ouais, il pouvait le faire milles fois s'il le voulait !
Papa Dez ne le faisait qu'une fois, à chaque fois, mais il avait dans ses veines tellement plus d'énergie.

Kiro lui sourit, avant de se pencher au-dessus de lui. Ça le fit rejeter sa tête en arrière, se tordant le cou pour toujours suivre le regard du dieu jaune. C'qu'il était grand, et c'qu'il était cool, et c'que lui était content d'avoir pu lui faire un spectacle qui lui plaisait.
Alors, quand Kiro lui affirma que oui, il en voulait plus... Il compta bien répondre favorablement à sa demande.
Bah ouais !
Il allait user toute son énergie pour lui offrir le spectacle du siècle.

« Fouh êtes pf'êt ? Sss'est pa'ti ! »
Vous êtes prêt ? C'est parti !

Il pouvait le faire.
Il allait le faire.
Rien n'aurait su le faire douter de sa capacité à honorer sa volonté, à cet instant précis. Enthousiasmé par la venue du dieu, qui avait apprécié sa première danse, Basilic offrit volontier à bis à la hauteur de ses espérances.

Il allait recommencer à danser, pour commencer. Il bougea, encore une fois, son corps sur un rythme qui n'appartenait qu'à lui, sur une musique qu'il inventait et qu'il sifflait entre ses crocs. Un son fin, filant, qui se mêlait au brouhaha naturel du marais, aux grondements des ennemis qui dormaient dans les mares, aux insectes au vol bruyant, au craquement des branches et au cri d'oiseaux surpris. Lui était un serpent qui chantait, avec beaucoup de ssss, note propre à son répertoire. Note unique, de son répertoire.
Mais il s'en satisfaisait.
Ses pas le firent se décaler et il tourna sur lui même, continuant sa virevolte de plus en plus proche du mur. Il était comme une toupie, lancée à vive allure ! Une feuille de gingko qui tombait de son arme ! Il était...
Sur le mur, à continuer d'y tourner, ses pattes collants à sa surface.
Il en redescend pourtant, il se le réserve en clou de son spectacle, son grand tour sur le mur.

Car l'heure est au drôle.
Revenant en quelques bonds qui allongent au maximum son corps, Basilic se repositionna face au dieu. Et dans une alternance rapide, il se plaqua au sol, collerette de plumes ouvertes au maximum.
Puis se releva soudain, dans un seul mouvement sur ses quatre pattes, collerette de plumes fermées.
Au sol, plumes ouvertes.
Debout, plumes fermées !
Au sol, debout
Plumes ouvertes, plumes fermées !
Et
Pfiouh
On poursuit le spectacle, en tournant sur soit-même, et bondissant un peu plus loin dans un piaffement aigüe.

Il se voulait être sérieux, dans son devoir,
Mais il s'amusait aussi beaucoup.

Il fit de très grands pas, tendant l'avant gauche et l'arrière droit, puis inversement, tournant comme un éléphant autour du divin. Puis de tous petits, tout sautillant, pour un second tour ! Des pas trainant, comme un zombie... Et cercle fait en zig zag, ventre au sol, se déplaçant comme un lézard.

Drôle, agile !
Plus rien ne l'arrêterait, pas même sa fatigue qui lui faisait un peu tourner la tête.
Ça le rendait d'autant plus virevoltant, animé, excité !

Le tour du mur était venu.
Basilic se lança contre, pour y filer dans tous les sens. Un serpent fou, qui tournait autour de la statue, cette statue qu'il visa, c'était ça son final. Du grand n'importe quoi, mais un grand n'importe quoi qu'il assumait comme étant un spectacle.

Du mur, il sauta contre la représentation.

Plop.

Se colla contre son dos, pour en faire ainsi le tour. Avant d'y remonter, bien hilare, surtout tout essouflé. C'qu'il n'en pouvait plus, à ce stade, à respirer si vite et à sentir son coeur battre si fort !
Mais il se devait de terminer...
Sur un dernier geste, une dernière note d'humour.
Il posa sa tête sur celle de la statue, quand ses pattes se collèrent à sa gueule.

« Et fouh' en foualah' bouchhhe-bée ! »