Stay... ○ Khal.

L'océan était calme. Serein. Apaisant. Il se fondait avec l'horizon en embrassant ses couleurs flamboyantes. Le soleil, boule de feu sur le déclin, innondait de ses dernières lueurs chaleureuses le monde des mortels et y déposait une pellicule ocre. Les prunelles bleu comme les mers tropicales de Sekmêt se noyait sur cette ligne imaginaire qui séparait la terre et le ciel. La longue queue reptilienne de l'animal, un des derniers vestiges d'un lignage hybride, posait sur le sable fins blanc avec nonchalence, dans un creux qu'elle avait formé sans y faire attention. Le ressac des vagues, lentes et douces, venait remplir ce sillon un peu plus à chaque fois qu'une lame d'eau s'échouait aux pattes de la Brethen. Bientôt, la marée monterait jusqu'à ses ergots. L'or, l'ambre, le rubis et le grenat se fondaient dans les nuages. Ces couleurs chatoyantes redonnaient confiance à la louve chocolat. Cela calmait ses peurs, ses angoisses. Le poids sur son thorax s'enlevait alors et elle retrouvait la quiètude. La tranquilité. Depuis quelque temps, elle se sentait perdue, seule et incomplète. Tout d'abord parce qu'elle s'isolait du reste de la meute, et parce que contrairement aux autres, elle n'avait pas encore de glowstick ni de rang qui la rendrait utile. Sa convalescence prenait fin. Elle était guérit, physiquement.

Son esprit lui, restait tourmenté par la peur du rejet et des reproches. Elle était un poids pour les Brethens. Et depuis que son companion, aussi adorable que géant pourtant, était devenu l'un des nouveaux Conseillers Brethens, Sekmêt s'était inconsciemment, instinctivement, éloigné de lui. Elle s'était senti l'obligation de lui laisser plus de place pour ses nouvelles responsabilités, au dépent de sa présence à elle, et puis ainsi, on ne pourrait reprocher à Khal de s'entourer d'une faible et inutile bouche à nourir. C'était terriblement douloureux de mettre cette distance entre eux. Mais c'était dans le caractère de la femelle aux longs cheveux de jais méchés de neige que de laisser sa place aux autres, que de se mettre en retrait. Les oreilles de Sekmêt se couchèrent sur son crâne. Oui, pour l'instant, elle était fragile et incompétente. Non. Pas incompétente, mais encore incapable d'offrir à sa meute ce qu'elle leur devait. Bientôt pourtant, elle serait en mesure de retrouver toutes ses capacités physiques, et donc de commencer un entraînement intensif pour retrouver souplesse et rapidité. Pour prétendre à un glowstick, et surtout, pour devenir enfin une éclaireuse digne de ce nom. Elle en avait besoin. L'oisivité ne lui allait pas de toute façon. Sekmêt se redressa un peu, inspirant profondément l'air iodé. Puis, elle avança dans l'eau froide. Ignorant le frisson glacé qui lui collait à l'échine, elle avança jusqu'à ce que l'eau salée lui atteigne le poitrail.

Ses cheveux noir et blanc s'étendirent autour d'elle comme des tentacules avides. Elle se rendit compte alors à quel point ils avaient poussés. Son regard turquoise quitta le giron de sa tignasse dansant comme des algues dans la mer pour lever la truffe vers le ciel. Derrière elle, quelques points lumineux s'allumaient sur fond violacé, devant elle, l'astre diurne s'échappait derrière l'océan étincellant. Le monde s'assombrissait. A l'instar de son esprit qui se rappela sa solitude, le froid, la douleur. Sekmêt retint une grimace. Elle devait tenir bon. Si l'épreuve lui était difficile, elle porta ses fruits. Après la première minute, l'eau glacée qui lui léchait les flancs agit comme un anésthésiant léger. Les douleurs dans l'abdomen de la louve brune se calmèrent un peu. Et même si l'étau du froid se réserrait autour du corps de la Brethen, elle se sentait plus légère. Elle ferma les yeux, inspira, et se laissa portée dans un autre endroit, plus ensoleillée, plus chaud. Un de ces souvenir de douceur et de tendresse dans lequel elle se réfugiait de plus en plus souvent. Une fugace étreinte, un rapprochement physique, un regard innondé d'amour ou encore un sourire complice. Toutes ces choses que le géant aux dents de sabre lui avait offert. Du bonheur simple. Le sourire de Sekmêt revint, sa tête dodelina doucement. L'eau glacée l'engourdissait. Alors, péniblement, elle revint vers le rivage.

Des bruissements firent redresser les oreilles de la femelle. Son regard turquoise se posa avec curiosité sur la masse lupine qui semblait en bien mauvaise équilibre dans le sable clair. Evidemment très vite, ses prunelles bleu s'intensifièrent d'une lueur tendre lorsqu'elle reconnu son compagnon. Pétillement de joie qui s'éteignit aussi vite qu'il était apparu. La mine furibonde du mâle aux dents de sabre calma les ardeurs de Sekmêt qui avait bondit hors de l'eau. Comme il n'y avait pas de vent, l'air extérieur lui sembla chaud. Du moins le temps qu'elle s'ébroue. Là, les temperatures hivernales se rappelèrent à elle et un frisson la secoua violemment. Elle se força à avancer lentement vers Khal, la tête basse, sa longue queue touffue au bout traînant dans le sable en y creusant un ravin à l'échelle des crabes et autre petites bestioles des plages. Son museau vint chercher celui du Conseiller Brethen mais son regard se fit fuyant. L'inquiètude barrait sa gorge. Une boule amer l'empêcha de déglutir, et un noeud se forma dans son estomac. Se sentir ainsi faible et nerveuse raviva sa peur. La colère de Khal, quoi que calme et silencieuse pour l'instant, était bien palpable. Elle savait la puissance et la rage dont pouvait faire preuve le géant beige. Elle tenta de se rassurer en se rappelant son regard aussi doux que chaleureux lorsqu'il s'adressait à elle.

« Bonsoir, Grand Roi. »

Elle ne voulait pas qu'il sente la détresse, la peur et la solitude qui embuaient ses orbes bleus limpides comme les mers tropicales. Parce que d'unne part, elle se faisait du mal seule : elle s'était elle-même emmurée dans ce tourbillon cafardeux, et d'autre part, parce qu'elle ne savait pas poser des mots sur ce qui l'animait et donc, ne pourrait expliquer à Khal pourquoi elle l'avait fuit, pourquoi elle avait cherché à lui laisser tant d'espace, pourquoi elle avait eu peur de ses nouvelles responsabilités à lui, tandis qu'elle restait stagnante à l'état de faible éclaireuse encore incapable de chasser car trop lente et maladroite, stagnante à l'état de sans-glowstick. Alors qu'il avait prit du galon et s'envolait vers un rang à la hauteur de ses compétences, elle, frisait le sol, rampant comme une larve qui ne ne se trouvait pas en mesure de créer sa chrysalide pour devenir un beau papillon. Sekmêt avait fini par se haïr, en fait. De cette faiblesse, de cette inutilité, de ce corps prison qui l'empêchait d'elle-même. La femelle chocolat adressa une prière silencieuse aux Dieux, implorant qu'ils lui offrent la force de parler à son compagnon. Khal et elle formait un couple, un ensemble. Et pourtant, elle avait été incapable d'expliquer à celui qu'elle aimait, de quoi elle souffrait.

Parce qu'au fond, la nomination de son ex-mentor en tant que chef de meute n'était qu'une excuse pour s'isoler. Lui laisser plus de temps et de place pour ce qu'il avait a faire en plus, rien d'autre qu'une fade excuse pour s'échapper et ne pas lui montrer ce corps immonde qu'il la répugnait. Elle se sentait un fardeau pour les autres. Et son amour du monde l'avait conduite à empêcher sa déchéance de se montrer aux autres, et ainsi, de les épargner. Ainsi personne à part elle n'avait à supporter tout ça. La cage thoracique de la femelle Brethen se serrait autour de ses poumons, le souffle court, elle posa enfin ses yeux tristes sur Khal. Malgré tout l'amour qu'elle avait pour lui, elle n'avait pas été capable de lui arriver à la cheville et lui apporter tout ce que lui avait pu lui offrir. Elle était si faible. Si inutile. Et si désolée. Sekmêt fourra son museau contre le poitrail du géant au regard orange, ne se laissant pas submerger par les larmes qui rendait ses yeux vitreux, elle inspira l'odeur du loup beige, et lâcha dans un murmure :

« Pardonne-moi. »

Elle inspira une nouvelle fois, écoutant son coeur battre au rythme soutenu que lui avait imposé la course du loup. L'avait-il chercher avec beaucoup d'ardeur pour que son myocarde batte aussi fort ? Ou lui faisait-elle encore de l'effet, malgré la frustration et l'énervement qui agitait tout son corps ?

« Tu me manques tellement. Pardonne-moi. »

Enfin, elle osa lever ses prunelles claires vers celle de son compagnon.