Fuir | Marcus

Elle avait quitté la Clairière Sauvage à fond de train, et ne s'était toujours pas arrêtée de courir.

Pourtant, sa gorge saignait, son coeur menaçait d'exploser, ses yeux étaient remplis de larmes, ses flancs n'arrivaient plus à suivre le rythme et chacun des muscles de ses pattes hurlaient grâce. Toute cette souffrance, elle la ressentait, mais de très loin. L'agonie de l'esprit était plus forte que tout et inhibait le reste. Ce n'est que lorsque l'ombre et la fraîcheur soutenue de la forêt laissa place à la lumière aveuglante des plaines qu'elle prit conscience de toute la distance qu'elle avait parcourut, et s'accorda une très brève seconde de conscience d'elle-même, qui suffit à la faire chuter. Emportée par son élan, elle ne parvînt pas à maîtriser son corps, ses antérieurs cédèrent sous elle et son menton heurta le sol. Elle ferma les yeux avant le choc et gémit avant de les rouvrir. Haletante, elle voulut repartir tout de suite mais en fut complètement incapable. Elle replia ses pattes postérieures sous elle, jeta un coup d'oeil circulaire aux alentours et se résolut à reprendre haleine.

Lorsque sa vision se fit un peu plus nette, elle se remit sur ses pattes. Le mouvement était lent et raide, indigne d'une louve d'un si jeune âge. La nuque ployée, la queue basse, elle se remit en marche, lentement, incapable de rester en place très longtemps. La langue toujours pendante, elle tourna lentement la tête pour jeter un coup d'oeil par-dessus son épaule. Le sentiment d'être suivie ne la quittait pas, mais toujours pas de Valka ou de Raw à l'horizon. Il fallait qu'elle continue. Elle n'était pas prête à les revoir, et visiblement, ils n'en tenaient aucun compte. Pourtant, forcer le contact dans ces cas-là était la pire idée possible.

La douleur atroce qui lacérait ses épaules la frappa de nouveau. Elle avait réussi à mettre ça dans un coin de sa tête jusqu'à maintenant, mais la réalité la rattrapait, comme d'habitude. Les premières lueurs bleu clair irradièrent ses flancs, et elle dût se mordre l'intérieur des joues jusqu'au sang pour ne pas hurler alors que petit à petit, ses ailes se déployaient, irradiant de leur aura surnaturelle. Aux larmes de peine s'ajoutèrent les larmes de douleur. Pourtant, pouvoir voler représentait une magnifique échappatoire à laquelle Tatsu n'était pas prête à penser pour l'instant. Alors, elle se remit à courir, droit devant elle, avec la force qu'il lui restait, mettant le cap sur ailleurs. Où ailleurs ? Elle n'en avait aucune idée, mais c'était forcément mieux qu'ici.

A chaque foulée, elle arrachait sans le vouloir des dizaines de fleurs à leurs tiges fragiles, mais leur doux et délicat parfum ne parvenait pas à l'apaiser. Pourtant, elle y était d'ordinaire très sensible. C'était comme si elle était hors de portée, bien trop loin du monde pour que le peu de beauté dont il dispose encore ne puisse l'atteindre. A moitié aveugle, elle continua sa course, jusqu'à ce qu'un élément inattendu ne trouble son environnement. Une silhouette. Elle était encore loin, et elle voyait très flou, mais elle la reconnut. Ce n'était ni Valka, ni Raw, c'était bien mieux que ça. C'était quelqu'un qui n'était pas beaucoup plus âgé qu'elle, mais qui l'avait quand même vue grandir. Quelqu'un qui était proche, et en même temps, un peu à l'écart. Quelqu'un qui était bon et en qui elle avait placé d'instinct une confiance aveugle. Elle voulut crier son nom, mais tout ce qu'elle fit, ce fut hurler sa peine et son indescriptible souffrance. Elle se mit à sangloter plus fort encore, et tituba jusqu'à lui avant de s'effondrer à ses pattes. Lentement, à l'instar de feuilles chutant d'un arbre, ses ailes retombèrent à ses côtés.

Elle était incapable de prononcer le moindre mot.

Les sanglots de Tatsu étaient d'une laideur indéfinissable.

Semblables à des aboiements, ils lacéraient le silence à grands coups de griffe, le remplissaient, menaçaient de le faire exploser. A plusieurs reprises, elle perdit le contrôle de sa respiration, se mit à ventiler dangereusement au point de presque tourner de l'oeil. La présence rassurante de Marcus l'aidait néanmoins, et elle s'y raccrochait de toutes ses forces pour se calmer et redevenir maître de son corps, afin de pouvoir lui expliquer ce qu'il se passait. Cette perspective l'emplissait d'effroi. Comment allait-il réagir ? Allait-il la croire ? Il n'y avait qu'un seul moyen de le savoir, et d'être définitivement fixée. Mais s'il la rejetait ... Non, elle ne pouvait même pas imaginer un tel scénario : c'était tout bonnement impensable.

Lentement, elle releva la tête. Sa respiration était courte, sifflante, aigüe, ses yeux étaient lourds de chagrin et de toutes les larmes qu'il lui restait encore à verser. Elle prit appui sur ses antérieurs, étendus devant elle, pour réussir à plonger son regard dans le sien. Sa tête était remplie de phrases entremêlées qui ne faisaient aucun sens, et sa bouche s'était ouverte sur une note muette. Comment mettre de l'ordre dans tout cela ? La tâche lui semblait infaisable, et pourtant, elle n'avait pas d'autre choix. Avec raideur, elle s'assit face à lui, la nuque ployée, les oreilles en arrière, la queue rentrée entre ses cuisses, et poussa un profond soupir. Elle était exténuée, et encore, le mot était bien faible. Tatsu renifla plusieurs fois, baissa les yeux, avant de les relever et de croiser à nouveau les prunelles mauves de Marcus.

Elle avait une affection sans bornes pour ce loup.
Et elle était peut-être sur le point de le faire fuir à tout jamais.

- Je ...

Un flot de larmes monta à ses yeux, et elle fut obligée de s'arrêter. Elle serra les mâchoires, si fort qu'une vive douleur s'élança dans ses crocs. Elle ferma les yeux, et quelques larmes en dégringolèrent, sans le moindre bruit. Alors, elle se lança de nouveau.

- Je viens d'apprendre qui était mon père.

Valka avait expliqué à sa fille que Marcus avait été extrêmement distant vis à vis d'elle depuis qu'elle avait mit Tatsu au monde. Jamais la petite louve n'avait comprit pourquoi. Etait-ce de la jalousie ? Ils avaient été amis, mais maintenant, la chamane pensait ne plus pouvoir qualifier leur relation comme telle. A ce moment précis, la jeune louve voyait les choses autrement. Se doutait-il déjà de son identité ? Il était très, très loin d'être idiot, peut-être était-il même largement plus intelligent que la moyenne. Tatsu aurait parié là-dessus sans hésiter. Elle s'accrocha à son regard avec toute la force qu'il lui restait, puis s'approcha de lui. Elle emmêla ses pattes aux siens et plongea le nez dans la fourrure de son cou, avant de reculer la tête, pour lui murmurer au creux de l'oreille :

- Je suis la fille de Raw.

Elle se recroquevilla immédiatement et ferma les yeux, craignant un déluge de colère, de honte, d'incompréhension, et attendit, en proie à une terreur sans nom, que lui aussi ne la chasse, que lui aussi ne la dévisage comme si elle était une abomination, une erreur indescriptible qu'il aurait fallu étouffer, effacer. Dans son désespoir, il avait été la dernière source de lumière - mais il n'était pas impossible qu'elle s'éteigne, elle en avait parfaitement conscience. Elle avait simplement voulu essayer, et en avoir le cœur net. Toutefois, au fond d'elle-même, Tatsu considérait la réalité avec une étrange lucidité.

S'il venait à la repousser, elle terminerait ce qu'elle avait commencé, et fuirait jusqu'aux confins du territoire, pour disparaître, définitivement, de manière à ne plus entacher la moindre existence par sa présence.

La scène tournait en boucle dans sa tête.

Trop occupée à la revivre, elle passait complètement à côté des émotions de Marcus, qui pourtant méritaient d'être lues. Persuadée qu'il allait la chasser, elle attendait simplement l'inévitable, le souffle court, la vision encore très troublée, saturée par les larmes qui n'en finissaient plus de lui monter aux yeux. Elle sursauta lorsqu'il s'approcha d'elle, mais ne bougea pas. Elle arrondit les yeux lorsqu'il l'enlaça de nouveau, et s'agrippa un peu plus fort à lui, essayant ainsi d'arrêter les tremblements de son corps. Il parla, d'une voix douce, qui l'apaisa quelque peu sans parvenir à la rassurer complètement. Elle était infiniment soulagée qu'il réagisse ainsi. Elle avait eu peur, mais une part d'elle lui avait soufflé qu'il y avait un espoir pour qu'il comprenne. Elle ne se permettait pas de s'imaginer qu'il en serait de même pour le reste de la meute, et demeurait convaincue qu'elle aurait mieux fait de partir. Sans bouger de sa place, bien calée dans le cou du loup vert, elle releva le nez pour permettre à ses lèvres de remuer et à ses mots d'être intelligibles.

- Je ne peux pas rester chez les Séides. C'est impossible. Ils voudront ma mort !

Elle déglutit lentement et poussa un profond soupir en levant les yeux au ciel. Non, elle n'avait pas la moindre envie de partir. Elle voulait que tout redevienne comme dans sa petite enfance. Valka avait tellement prit soin d'elle ! Elle avait été si douce, si gentille ! Elle n'avait eu d'yeux que pour elle, et pendant tout ce temps, Raw l'avait laissée seule. Il s'était préoccupé de sa seule vraie famille, celle qu'il avait avec Tequeela. Et puis, lorsque Tatsu avait grandi, et qu'elle avait eu un mentor ...

Dire que Tequeela avait accepté d'être son mentor. Les faits ne la frappaient que maintenant, et la firent hoqueter. Elle avait dit oui à Valka, s'était occupée une fois de Tatsu, et puis ... Plus rien. Pas si étonnant que ça qu'elle l'ait abandonnée, au final ! Tous ces beaux sourires n'étaient qu'une façade, l'Alpha devait haïr Tatsu à mourir. Mais Tatsu adorait Tequeela ... Elle fut complètement submergée par une vague de grand froid et plongea brièvement le nez dans les poils de Marcus avant de relever de nouveau la tête.

- Je ne peux pas rester ... Mais en même temps, j'ai peur qu'il arrive quelque chose à ma mère si je m'en vais. Je suis tout ce qu'elle a au monde. Si la meute apprend ce qu'il s'est passé, et ça arrivera forcément, elle ... Elle va se faire tuer. Je ne peux pas ... Je ne peux pas laisser ça arriver.

Elle s'appuya presque entièrement sur lui, incapable de trouver la force de se maintenir d'elle-même. Le choc passé, elle essayait tant bien que mal d'appréhender les choses de la manière la plus claire possible, comme elle l'avait fait sur le moment. Une fois passée entre les mains de son mentor, Tatsu avait vu sa relation avec sa mère s'amenuiser au court du temps. Les Precursors, et surtout Yurai, avaient énormément suscité l'intérêt de Valka, qui s'était plus occupée de ces problèmes que de sa fille. Sur le moment, Tatsu avait été haineuse. Mais maintenant qu'elle comprenait mieux ce que tout cela avait impliqué à l'époque, elle comprenait mieux, et n'arrivait pas à en vouloir à sa mère. Quant à cette histoire, tout ce que la jeune louve voyait, c'était une Zélote intègre et gorgée de solitude mourant d'amour pour un mâle qui ne la remarquait pas. Et puis, un jour, finalement, il avait fini par la voir. Par vraiment la voir. Avait-il profité d'elle ? Avait-il vraiment des sentiments pour elle ? C'était difficile à dire. Mais à ses yeux, le fait qu'il l'ait abandonnée après lui avoir donné une portée prouvait bien où allait sa loyauté.

Tatsu soupira de nouveau, et se détacha de la douce étreinte de Marcus. Son regard rougit par les larmes était un peu plus clair qu'avant, même s'il était marqué par un chagrin et un épuisement sans fin. Une douceur et une affection sans bornes s'en dégagèrent, alors qu'il plongeait dans les prunelles mauves du mâle. Et pendant un bref instant, elle ne fit que l'observer, sans mot dire, avant de se reprendre. Elle battit des paupières, se racla la gorge, et détourna la tête.

- Elle ne mérite pas d'être bannie, ou de mourir, pour être tombée amoureuse de la mauvaise personne.

Elle pouvait défendre sa mère. Elle était incapable de se défendre elle-même.
A ses yeux, Valka était innocente. Après tout, elle avait vécu des années et des années dans le plus parfait silence. Si Raw n'avait pas fait un pas vers elle, jamais elle n'aurait laissé libre court à ses sentiments. Mais Tatsu ? Elle rappellerait chaque jour, à tout le monde, et en particulier à Tequeela, que sa mère avait fauté. Elle serait un poids pour tout le monde, l'incarnation de la perte de leurs principes et de leurs valeurs, d'une trahison sans nom pour une épouse jalouse, d'une erreur lamentable aux yeux de sa propre mère.

Elle ne voyait décidément pas d'issue à tout cela. De désespoir, elle s'accrocha de nouveau au regard de Marcus. Elle se sentait étrangement en sécurité lorsqu'il était là, comme s'il dégageait une aura protectrice, pleine de lumière et de chaleur - c'était difficile à expliquer, même elle avait du mal à mettre des mots sur ce ressenti. Une dernière fois, elle entrouvrit les lèvres, pour laisser échapper quelques mots d'une voix bien trop aigüe :

- Qu'est-ce que je vais faire, Marcus ?

Selon lui, elle n'avait rien à se reprocher.

Ce n'était pourtant pas comme ça qu'elle voyait les choses. Elle se sentait sale, si sale que toute une vie de bons et loyaux services n'aurait pas pu la blanchir. Elle serra les mâchoires, et le laissa parler, mais ses paroles ne trouvèrent absolument aucun écho dans son cœur. Elle baissa la tête et observa ses pattes avec insistance. Tatsu ne voulait pas partir, elle était ici chez elle, après tout. Elle ne s'imaginait tout simplement pas rejoindre les Brethens ou vivre en solitaire, ce n'était pas du tout fait pour elle. Mais avait-elle le choix ? Si les autres loups lui rendaient la vie impossible, elle serait bien obligée de partir, au bout d'un moment. Ou pas. Après tout, si son Epreuve du Glowstick lui avait apprit une chose, c'était bien qu'elle n'avait besoin de personne pour mener sa vie comme elle l'entendait. Et la dernière chose qu'elle devait faire, c'était de laisser les autres lui dicter sa conduite, ou essayer de modeler sa place comme ils l'entendaient. Non. Elle était maître de sa propre personne, peu importait le sang bâtard qui coulait dans ses veines.

Elle redressa le menton et posa un regard vibrant sur le loup vert. Il avait raison. Elle n'avait pas à partir. Elle l'écouta attentivement jusqu'à ses derniers mots. Là, Tatsu eut une réaction virulente. Elle hérissa le pelage de son échine et montra les crocs, les oreilles s'orientant machinalement vers l'arrière.

- Qu'est-ce que ça m'apporte, de les juger ? Ce qui est fait est fait !

Brusquement, son glowstick se mit à luire intensément. Des voix s'élevèrent de toutes parts et saturèrent complètement son esprit, coupant net toute tentative de réflexion. Prise au dépourvu, la louve s'arc-bouta et jeta des coups d'oeils autour d'elle. Mais il n'y avait personne. La même chose qui s'était passée lors de sa rencontre avec Illa se reproduisait.

- Je ... Je n'ai pas à les ... Juger ...

Nouveaux hurlements. Plus puissants, plus acharnés, dont l'écho se répercuta dans tout son corps. Elle fut contrainte d'ouvrir la bouche pour être capable de respirer, et leva des yeux rouges au ciel. Elle s'attendait à le voir se ternir, mais il gardait sa belle couleur bleue. Le territoire aux alentours aussi. Elle posa son regard sur Marcus : sa fourrure était toujours aussi verte et fluorescente. Elle battit des cils et ferma la bouche, reprenant petit à petit un rythme de respiration normal. Elle se sentait en revanche totalement épuisée.

- Désolée, je ... Je crois que c'est mon pouvoir. Il ne s'est pas clairement manifesté depuis que j'ai reçu mon Glowstick, j'ai du mal à comprendre de quoi il s'agit ... Ou peut-être que ça n'a absolument rien à voir, et que je deviens complètement folle.

Elle poussa un profond soupir. Son instinct de fille la poussait à défendre sa mère, mais elle doutait que Marcus voit les choses de cet oeil. A l'entendre parler, elle comprenait bien que la chamane l'avait dégoûté, sauf qu'il n'était pas capable de voir les choses sous son angle, à elle. Malgré toute sa colère amplement légitime, Tatsu avait fait montre d'empathie, et avait réussi à comprendre la position de Valka, et plus encore, toute la souffrance qui pesait sur elle. Observant Marcus d'un œil discret, elle hésita à lui expliquer. Finalement, elle laissa tomber l'idée. Ce qu'il venait d'exposer en disait long sur son point de vue et elle connaissait assez le loup vert pour savoir que le faire changer de position était complètement impossible.

- J'espère juste avoir la chance de prouver ma valeur aux yeux des autres. Et je peux te faire une promesse, c'est que je ne veux pas ressembler à mes parents. Je veux devenir quelqu'un de complètement différent. Je veux être intègre, je veux être loyale, je veux être intransigeante, je veux être respectée, aimée, et crainte. Je veux être la reine du monde. Je veux être Séide.

Elle le fixa avec insistance, avant que sa gueule ne se fende en un large sourire et qu'un bref rire sec ne secoue ses épaules. Son regard s'adoucit et elle alla plonger une énième fois son museau dans le cou de Marcus avant de reculer immédiatement après.

- Merci. Merci d'être là. Tu ne peux pas savoir comme ça fait du bien.

Elle n'ajouta rien, se contentant de le fixer avec toute la gratitude dont elle était capable, un très léger sourire aux lèvres et la tête légèrement penchée sur le côté.

Il n'avait pas l'air de lui en vouloir.

Son cœur se gonfla d'affection et de reconnaissance. Qu'avait-elle fait pour mériter Marcus dans sa vie, et de façon aussi étroite ? Rien. Pire encore, elle pensait en avoir fait suffisamment pour qu'il ne se détourne d'elle, mais il n'en était rien. Elle frémit de plaisir lorsqu'il pressa brièvement sa truffe contre la sienne, et lui assura qu'il était là pour elle. C'était difficile à expliquer, mais ce contact et ces quelques mots lui firent l'effet d'un bon bain de rivière revigorant après une course effrénée sous un ardent soleil. Elle avait l'impression de revivre. Le chagrin pesait moins lourd sur son âme, et elle en avait presque oublié la douleur de ses flancs encore sanguinolents. Elle baissa les yeux sur son aile droite. Bleue, très lumineuse, elle diffusait la même aura que son glowstick et n'avait pourtant rien à voir avec lui, puisque le phénomène était apparu avant son accès à la fontaine d'Ao. Elle tordit le menton, comme à chaque fois qu'elle réfléchissait, et posa à nouveau son regard sur Marcus, qui venait de lui demander ce qu'elle avait envie de faire. Un sourire étrange, moitié amusé, moitié hésitant, se dessina sur son visage.

- Tu penses que tu pourrais m'aider à apprendre comment maîtriser ça ?

Difficilement, elle leva ses ailes, les replia et les déplia avec raideur, tout en grimaçant. Leur base était souillée par le sang frais, et les bouger lui faisait mal, mais c'était de plus en plus supportable. Elle avait aussi l'impression de saigner de moins en moins, à chaque nouvelle apparition.

- Je pense que j'ai un minimum de contrôle là-dessus ... Pour l'instant, elles apparaissent quand je n'arrive pas à me contrôler, quand j'ai des émotions trop fortes, trop négatives surtout. Mais je suis sûre que ça doit être gérable. Dans l'immédiat, j'aimerai juste voir si je peux vraiment m'en servir. Sauf que ... Je sais pas du tout comment m'y prendre.

Elle le considéra avec un très grand sérieux.

- Tu chasses beaucoup d'oiseaux par ici, non ? Canards, cygnes ? Tu as du beaucoup les observer pour maîtriser leur traque. Comment procèdent-il ? Quelle est leur mécanique d'envol et d'atterrissage ? Ça pourrait m'aider à comprendre.

Elle se tourna vers le point d'eau. Il y avait peu d'animaux en raison de leur présence, mais quelques oiseaux d'eau trainaient sur la surface claire de l’Étang, en silence, et avec prudence, leur regard braqué sur les deux prédateurs. Puisqu'elle avait reçu ce don, autant apprendre à le maîtriser et à le mettre à son profit. Pour l'instant, c'était une vraie plaie, mais ça pouvait toujours s'avérer utile. Elle poussa un profond soupir et ferma un bref instant les yeux.

- Je ne sais même pas d'où ça vient ... La première fois qu'elles sont apparues, c'était avant ma remise de glowstick. J'ignore encore aujourd'hui le pouvoir qu'il renferme lui-même ... Il est là, mais je ne le comprends pas ...