LE TRÔNE DE PIERRE ♛ Gloriel

Alys se réveilla le dos en compote. Quelle idée aussi de dormir sur l’un des trônes de pierre ! Il faut dire qu’il ne se rappelait même plus de ce qui l’avait conduit à dormir ici… Les alphas n’allaient sûrement pas apprécié, surtout le noiraud aux marquages oranges, quel grincheux c’était celui-là ! Une clope au bec, le mâle recracha la fumée tout en observant le plafond les quatre fers en l’air. La vie était bien étrange tout de même. Voilà que lui, le fils de Méléagant, se trouvait sous les ordres d’un séide. Certes, les anciens clans n’existaient plus, mais les dieux ne pouvaient effacer d’un coup de patte toutes les animosités qui avaient existé entre les deux anciennes meutes. Bien que le loup n’ai pas été touché directement, y’avait vraiment pas de quoi s’en plaindre d’ailleurs, sa famille était entière chez les Etelkrus. Enfin presque. Ne manquait plus que cette chère Anastasia pour que tout le monde soit au grand complet, mais bon la sœurette avait des responsabilités maintenant, il fallait qu’elle gère les disciples de Moiro qui devaient passer leur temps à s’admirer dans les reflets de l’eau, ceux de Mido qui désiraient sûrement apprendre à voler et enfin ceux d’Ao. Les pires du lot. Alys en avait entendu de bonne de ceux-là. Apparemment ce serait pour la plupart une bande de ronchon, à moins que ce soit la prêtresse de la divinité qui ait elle-même lancé ces rumeurs… Allez savoir… D’après les « connaissances » du jeune adulte, c’était un sacré cas celle-ci avec un étrange nom. Qui sait un jour, le mâle irait peut-être lui chercher des noises, histoire de confirmer les rumeurs.

Le mâle leva les yeux au ciel en soufflant une mèche de cheveux qui lui cachait la vue, qu’est-ce qu’ils poussaient ceux-là ! Visiblement c’était un gêne familial quand on voyait la tignasse de Gloriel… Y’avait de quoi rendre des louves jalouses par ici ! Même Raiponce serait rentrée dans sa tour en pleurnichant de ne pas avoir suffisamment de cheveux et Alys la comprenait parfaitement. Pourtant Korra, elle, ne possède pas grand-chose niveau cheveux… Il se demandait parfois si ils avaient les mêmes parents car c’était tout de même la seule à posséder des cheveux courts… Enfin peut-être que le gêne des « supers cheveux longs » avaient sauté un enfant. Triste quand même.

Un sourire énigmatique étira ses babines. Une effluve qu’il parvint difficilement à discerner capta son attention. Heureusement qu’il n’y avait personne dans la salle à cette heure-là, auquel cas, il lui aurait été impossible de sentir quoique ce soit. Alys prit une pose un peu plus « royale » sur son trône afin d’accueillir dignement le membre de sa fratrie.

« — Tiens donc, grandfrère. Où étais-tu donc passé ? Cela fait un petit moment que je n’ai pas croisé ta silhouette princière dans le coin… »

Ou alors l’avait-il oublié ? Le disciple de Dairo pencha légèrement la tête sur le côté essayant de se souvenir quand avait-il croisé son frère la dernière fois, mais tout était floue dans sa tête, c’était tout juste si il parvenait à mettre un nom sur ses souvenirs. Satanée mémoire... Peut-être que si il n’était pas aussi fier, Alys serait allé consulter un herboriste mais cela l’aurait contraint à exposer ses problèmes, et cela il en était hors de question ! Il préférait de loin supporter les migraines et les oublis plutôt que d’avouer ses faiblesses à quiconque, son frère y compris.

« — Qu’est-ce que tu deviens amoché avec le temps mon frère, comment comptes-tu appâter une douce dame si tu finis par ressembler à un cadavre ? … quoique, certains morts sont en meilleurs états que toi… »

Il se moquait ouvertement du jeune mâle, Alys n’était pas sans connaître la phobie de son aîné, qu’il jugeait d’ailleurs plutôt amusante. Comment mâle pouvait craindre une demoiselle ? Le garde escomptait tout de même que son frère parvienne un jour à se débarrasser de sa peur, il souhaitait avoir des neveux et des nièces quand même…

La fatigue habillait la masse canine qui avançait sous le couvert des ombres nocturnes. Gloriel était las, Gloriel ne désirait plus qu'une chose : dormir. Il revenait de loin, il avait disparu depuis un petit moment des terres Ethelkrus, errant sur les terres Lazulis où il parvint à trouver bien des réponses grâce à la prêtresse d'Ao. Il savait désormais qu'il se devait de tenter cette épreuve, qu'il devrait bientôt se présenter à la Dragonne pour enjeu un glowstick et le rattachement à une divinité. Il aurait pu en avoir peur, craindre l'idée qu'il se retrouverait surement entouré de demoiselles hystériques mais bizarrement, il se sentait apaisé. Neït avait chassé bien des doutes avec ses railleries et ses blagues sur son appareil génital -du moins, une partie de celui-ci-.
Il soupira et s'engageant dans le Grand Castel, il pria les dieux pour que personne ne l'accoste ou ne fasse remarquer son absence. Il espérait aussi que son petit voyage serait passé inaperçu, qu'on ne viendrait pas trop le titiller sur ses raisons de silence de ces derniers jours. Gloriel rêvait car il se doutait qu'au moins un membre de sa famille lui poserait des questions. Il était sûr que sa mère poule viendrait le prendre à part pour l'interroger. Elle aurait fait une bonne inspectrice car elle finissait toujours par avoir ce qu'elle désirait en posant ses questions. En même temps, elle pouvait se montrer très insistante voir enquiquinante donc il devenait plus sage de lui dire la vérité d'une traite que de tourner autour du pot. Le jeune mâle l'avait appris à ses dépens mais il avait ainsi pu tester l'accroche que sa mère avait. Elle était coriace, il ne pouvait pas le nier.

Le loup lâcha un soupire tandis qu'il marchait en silence dans le dédale de la forteresse de pierres. Pour le moment, il n'avait croisé personne hors-mis un garde ensommeillé. Gloriel l'aurait bien fais remonter à la hiérarchie pour ce manque de travail mais il n'en avait pas le coeur à de telles choses. N'avait-il pas disparu du clan pendant un moment ? Oui et de plus, il s'apprêtait à le quitter. Il allait suivre une autre voie qui incluait son départ des Ethelkrus. Il deviendrait, si tout se passait bien, un disciple d'Ao et donc un Lazulis. Il reverrait sans doute bientôt sa soeur aînée Anastasia. Il inquiéterait sans doute sa mère qui se faisait déjà beaucoup de mouron pour cette enfant éloignée d'elle depuis le changement de clan d'après les dieux. Ils n'avaient pas été très sympathiques à l'égard des familles mais elles devaient faire avec désormais.
Il arrivait proche de la Salle de Trône. Au vu de l'heure, il ne devait y avoir personne et bien que les enseignements de son père le mettait en garde sur ses "a priori", il s'engagea dans l'immense alvéole sans vérifier au préalable qu'il n'y avait effectivement personne. Le mâle mutilé fut surpris d'y découvrir son frère perché sur l'un des immenses trônes de pierre. Il s'y dressait fièrement, fumant et souriant à son aîné de la même portée. Gloriel lâcha un profond soupire et il s'en approcha, décidé à lui parler. Alys, ce frère idiot et qui se fichait de bien des règles, était son préféré dans toute sa famille. Certes il avait le don de l'énerver ou de lui chercher des puces, ce petit frère demeurait un être important pour le futur Lazulis.

« Bonsoir, votre majesté. Un ton railleur et une révérence accompagnèrent ses mots puis un grand sourire étira les babines de Gloriel. Il se releva de toute sa stature, levant la tête pour fixer son cadet. En effet ... J'étais en voyage, en quête de moi et de ce que je désire.

Il se rapprocha lentement du trône de pierre. Il ne commettrait pas l'affront d'Alys en montant dessus bien que l'enfant téméraire qui habitait encore son âme lui murmurait de braver l'interdit. Bientôt, il ne serait plus Ethelkrus, il ne reverrait plus ses immenses sièges de roc, il n'aurait plus l'occasion de faire cette bêtise ... De connaître une nouvelle fois l'excitation passée de ne pas écouter les règles, de se rebeller pourrait être un bon argument. Un long soupire accueillit ses pensées au sujet de cette idée malsaine. Il devait résister et les mots du Rebelle lui permirent de se concentrer sur autre chose que cette envie de grimper ce fauteuil aux allures rustres et peu confortables.

« Je ne deviens rien de particulier hors-mis un traître ... Un sourire mystérieux s'afficha sur les babines du mâle.

Un haussement de sourcils accompagna la mention d'une douce dame. Déjà, douce et dame n'étaient guère des mots qui s'accordaient à merveilles. De plus, Alys connaissait parfaitement la frousse que son aîné avait de la gente féminine. Il était d'ailleurs le seul à qui le loup mutilé en avait parlé. Même leur mère l'ignorait. Elle pouvait le supposer en espionnant son fils mais elle n'aurait jamais confirmation. S'il y avait un secret à garder, il s'agissait bien de celui-là.

« Je ne suis pas comme toi à faire la cour à droite à gauche Alys ... Et puis, j'ai autre chose à faire que de lier mon destin à une dame. Nous venons à peine d'être adulte alors pourquoi se brider dès le départ ? Tu devrais me comprendre sur ce point là ... Il marqua une pause, se plaçant proche de son frère s'en oser monter sur le trône. Et toi, que deviens-tu ?

Un sourire énigmatique au coin des babines, Alys écouta son frère le saluer avec moquerie. Au moins, ses nombreuses absences ne lui auront pas retiré son sens de l’humour, ce qui était plutôt une bonne nouvelle… Faut dire que dans la famille l’ambiance n’était pas au rendez-vous en ce moment, entre les deux aînées alphas, les parents qui se trouvaient en quelque sortes solitaires et Korra qui passait son temps fourrée dans les pattes de Geb, Gloriel lui avait beaucoup manqué sur ce coup-là ! Cependant, ce n’était pas comme si le disciple de Dairo s’occupait vraiment de tout le monde, il avait un peu la flemme d’ailleurs… Déjà chasser des offrandes pour la renarde lui prenait pas mal de temps alors si en plus il devait se soucier de l’humeur de chacun ce n’était pas gagné… Braquant ses prunelles vairons dans les saphirs de son frère, le fils de Méléagant nota rapidement que Gloriel ne semblait au meilleur de la forme, voir même tourmenté pour une quelconque raison.

« — Votre majesté… hum, ça sonne drôlement bien dit donc ! Sa majesté Alys, pour vous servir ! » Le mâle expira une nouvelle bouffée de fumée. « En quête de toi ? Ta quête a-t-elle été fructueuse ou au contraire, t’es-tu encore égaré plus qu’auparavant ? »

Il pencha la tête sur le côté se demandant bien ce que lui répondrait le noiraud. Ce dernier s’approcha des trônes sans pour autant s’asseoir sur celui qui était encore vacant. Craignait-il une quelconque punition ? Ce n’était pas comme si il y avait foule dans la salle… pas encore du moins. Alys entendit le soupir parfaitement audible de Gloriel en notant cette lueur de mélancolie qui brillait dans ses yeux, qu’arrivait-il donc au mâle ? Le garde écouta ses propos se demandant bien ce qu’il avait pu commettre de si terrible pour se qualifier lui-même de traître. Si il avait s’agit d’un loup faisant partie de son cercle d’ami, Alys ne l’aurait sûrement pas écouté et serait parti ne souhaitant en aucun cas remettre en cause l’honneur de sa tribu, mais là, il s’agissait de son frère, aussi, il mit de côté son foutu honneur et tenta de comprendre ce que pouvait cacher son aîné.

« — Un traître, toi ? Tu développes un sens de l’humour fort particulier avec le temps Gloriel. » Alys étira un peu ses pattes avant de répondre à son aîné. « Moi courir de droite à gauche ? Franchement tu m’offenses mon frère… Au moins n’aurais-je pas été comme notre chère sœur à ne prendre aucune précautions… »

Il repensa à Korra qui portait déjà une descendance et ce fut à son tour de soupirer. Si jeune et déjà mère. Avait-elle vraiment eu le temps de peser le pour et le contre de la venue de cette descendance ? Alys en doutait fort, sa sœur était encore protéger par l’amour de Winnifried aussi ne comprendrait-elle pas dans quoi elle mettait dans les pattes… C’est son problème après tout. La garde jeta son mégot et profita du fait que son frère parlait pour resserrer ses bandages à ses pattes encore douloureuses à cause des saignées d’hier. Il irait sûrement demander un cataplasme à un des guérisseurs pour limiter les risques d’infection…

« — Pas grand-chose il faut avouer… Je garde un œil sur notre petit Mayu’, j’aimerais éviter qu’il lui arrive une quelconque bricole et mène de petites expériences à droite et à gauche… comme d’habitude, un récit bien peu palpitant si tu veux mon avis, avec le temps les choses deviennent de moins en moins intéressantes et nettement plus désagréables. »

Gloriel leva les yeux vers la majesté qui lui ressemblait. Frères aux pelages semblables, ils étaient cependant très différents, possédant leurs propres caractères et pourtant, le chevalier s'entendait davantage avec le troubadour qu'avec les autres membres de la fratrie. Les liens étaient étranges et aujourd'hui, le mâle risquait de rompre cette alliance du sang par sa désertion. Il lâcha un profond soupire et il se laissa glisser sur le sol, se couchant au pied de pierre de l'immense trône où Alys avait posé son noble séant. Il esquiva un sourire en entendant son cadet heureux du titre moqueur qu'il lui avait donné. Au moins, le fumeur garderait cette pensée quant il ne serait plus là.

« Ma quête ne fut nullement vaine. J'ai trouvé ma voie, Majesté.

Il fixa ses yeux de glace sur le mégot encore fumant qui reposait non loin de lui, abandonné comme une vulgaire carcasse décharnée de toute sa chair. Gloriel espérait que son frère n'était pas aussi insouciant qu'il ne le laissait paraître. Une charogne finissait toujours pas être nettoyée par les charognards ou par les insectes, ce qui n'était pas le cas de ce mégot qui était capable de faire bien plus de ravages qu'un cadavre abandonné. Le chevalier garda le silence, ne désirant pas lancer un sujet de réprimande avant les nouvelles qu'il avait à annoncer.

« Oui un traître.

Le maigre sourire à ses babines s'effaça tandis qu'il se redressait. Il fit face à son frère, plongeant ses yeux dans les siens. Tous deux déjà scarifiés par la vie, tous deux aux âmes si différentes allaient sans doute se séparer dans la véhémence d'une désertion de l'un et de la loyauté de l'autre. Gloriel n'ignorait pas le fort avis de son cadet vis à vis des traîtres. Il avait réussi à garder Alys à ses côtés malgré ses mots mais quand serait-il quant il lâcherait la véritable raison de s'être qualifié ainsi ? Il soupira.

« Je vais suivre la voie de Dame Ao. Il marqua une petite pause. Je vais quitter les Ethelkrus pour les Lazulis.

Le glas de la vérité venait de sonner. Comment réagirait-il ? Sans doute avec surprise comme lui reçu la nouvelle face à la situation de Korra. Courir à droite et à gauche sans prendre de précautions ... Cela signifiait donc que la troisième de la portée était donc enceinte d'un courtisan. Gloriel ne put retenir un grognement. Cet acte était-il consenti ? Ou était-ce l'oeuvre d'un malin qui passait là, violant sa fébrile soeur ? Le chevalier se calma, gardant seulement les poils de son échine dressés.

« Korra porte des enfants ?

Elle était si jeune, si fragile ... Elle périrait sans doute dans l'acte d'expulsion des petits. Sa naïveté avait fini par la perdre au grand regret de l'aîné de la portée. Il priait que le père ne soit guère un violeur mais un loup responsable bien qu'une petite voix faisait monter l'inquiétude en lui. Nul adulte responsable n'aurait engrossé une gamine. Serait-ce donc l'art d'un adolescent tout aussi naïf ?

Plus son frère parlait, moins Alys désirait connaître le fin mot de l’histoire, il se doutait que la vérité ne lui plairait pas. Néanmoins, par respect car il lui devait bien ça, le garde conserva le silence. Les mots que Gloriel prononça par la suite furent comme un coup de poignard en plein cœur, ce qui eut pour effet de le glacer de stupéfaction tandis que quelque chose en lui se brisait. Partir pour Ao ? Partir des Etelkrus ? Alys avait du mal à encaisser ça, l’attachement qu’il portait à son frère était si grand qu’il n’imaginait pas un seul instant que son aîné puisse quitter cette meute où ils avaient grandi. Pourtant, le regard sérieux qu’on lui adressait dissuada le disciple de Dairo qui espérait encore une mauvaise plaisanterie. Peu désireux de laisser paraître ses sentiments, le jeune mâle revêtit ce masque neutre qu’il semblait si bien aborder dans les situations les plus délicates. Cependant, à l’intérieur de son esprit c’était le foutoir complet. Avec effroi, il réalisa qu’en plus de perdre sa sœur aîné, il venait de perdre son frère, celui avec qui il avait grandi. Une vague d’angoisse le submergea lui faisant légèrement trembler les pattes avants. Allait-il perde toute sa famille ainsi ? D’abord les parents qui refusaient de les suivre, sa sœur aîné qui était allée dans une autre patte pour exercer son devoir d’alpha, Korra qui avait une espérance de survie faible et maintenant Gloriel. Une foutue malédiction était-elle en train de s’abattre sur cette famille qui semblait si unie d’apparence ? En serrant les crocs, Alys parvint à prendre la parole d’une voix peut-être trop neutre pour l’occasion.

« — Je vois. J’ose espérer que cette nouvelle meute sera davantage te satisfaire, transmets mes salutations à Anastasia de ma part. »

La satisfaction était une notion abstraite pour Alys, mais il se doutait qu’elle devait avoir plus de valeur sur son aîné. Il remua ses oreilles plus longues que la normale en écoutant la perplexité de Gloriel. Tu as tant évolué grand frère, la dragonne parviendra-t-elle à tirer profit de cette évolution remarquable? Au fond de lui, le fils de Méléagant l’espérait ne désirant que le bonheur de son aîné même si cela l’affligeait. Ainsi donc, il n’était pas au courant de la bonne nouvelle ? Alys avait oublié qu’il avait fait parti des absents de cette « fabuleuse » réunion de famille. Heureusement que Mayuri avait fini par se joindre à lui parce que dit donc, ça n’avait pas été une partie de plaisir cette histoire.

« — Eh oui, notre sœur s’est retrouvée engrossée jusqu’au cou, charmant n’est-ce pas ? J’ose espérer que la mise bas ne lui sera pas fatal compte tenu de son faible état… »

Cette dernière interrogation demeurait sans réponse, sa sœur survivrait-elle au choc qu’engendrait la venue au monde d’enfants ? Alys avait déjà assisté à une mise bas et cela n’avait clairement pas été beau à voir, sans oublier la douleur de la louve. Espérons que tu sois aussi forte que les autres le pensent petite sœur... La mâle braqua ses prunelles vairons dans les iris bleuâtres de son frère.

« — On trouvera bien le moyen de te transmettre la suite des événements, tâche de pas engendrer une quelconque descendance à ton tour entre temps, j’aimerais éviter de me retrouver avec une vague de nièces et neveux. »

Une pluie de révélations et d'incertitude s'abattait doucement et dangereusement sur les deux frères. Gloriel se contentait de fixer son cadet, essayant de paraître le plus calme possible. La nouvelle de la grossesse de leur soeur n'avait pas été facile à digérer mais qu'y pouvait-il ? Rien. Il ne pouvait même pas l'accompagner dans cette épreuve. Le regretterait-il un jour ? Cela n'était pas impossible mais pour l'heure, il ne se sentait pas tellement lié à sa comparse de sang ... Il avait été que trop absent pour nouer davantage de lien avec Korra. Nés de la même portée, il partageait bien plus de lien avec le fumeur couché sur un trône où il n'en possédait guère les droits. Alys se refermait tandis que la panique nouait le ventre du chevalier. Lui en voulait-il ? Le voyait-il comme un traître à abattre ? Sans doute qu'il finirait par le haïr mais malgré tout cela, l'espoir intimait au coeur de Gloriel qu'il était possible que ce ne soit pas le cas et que le troubadour le porterait toujours dans son coeur.

Oui, l'espoir le faisait vivre jusqu'à ce qu'il se brise aux paroles qui achevèrent le silence.

L'Ethelkrus leva les yeux vers le plafond de roc. Se plaire dans une autre meute ? Si Gloriel partait, ce n'était pas pour chercher une nouvelle meute, une nouvelle famille. Non c'était bien plus intime. Il avait cherché sa voie qui le menait vers la déesse bleue. Qu'il soit Lazulis ou Ethelkrus, cela l'importunait peu. Il ne désirait que rejoindre la route de la Dragonne, espérant qu'elle voudrait de lui, le rendrait fort de sa faiblesse. Il voulait trouver en elle qui il était. Et non un objet signant son appartenance à une meute. Il soupira bruyamment tandis qu'il escalada le trône, se plaçant contre le flanc de son cadet.

« Nulle meute ne pourra combler le manque de ma famille. Vous resterez mon unique meute.

Il esquiva un sourire en posant sa tête sur la tignasse d'Alys. En cet instant, Gloriel se sentit mortifié. Il voulait lui confier bien des choses, lui dire qu'il avait peur de s'en aller, peur qu'une guerre éclate et qu'il se retrouve à devoir se battre contre les siens restés majoritairement dans ce clan qu'il allait renier. Ses parents le détesteraient-ils ? Il ignorait encore qu'ils étaient eux-même sur la voie de la tourmente quant à leur position dans ce monde. Le chevalier aurait tant voulu demander au troubadour de venir avec lui ... De le rejoindre car n'était-il pas plus fort avec ce fumeur au caractère de tombeur ? Mais le mâle scarifié savait qu'il ne pouvait proposer cela à son frère. Il était le traître. Il était celui qui s'en allait et il ne voulait pas l'emmener dans une possible déchéance familiale. Et puis, Alys avait rejoint les couleurs de la Renarde. Il était déjà lié, abandonnant son statut d'électron libre pour la belle déesse au temple apaisant. Ils allaient se diviser et Gloriel resta contre son frère comme cherchant à repousser le moment des aux revoirs.

Un petit soupire s'échappa de sa gueule lorsqu'il se recentra sur l'histoire dont Korra était l’héroïne et la princesse. Elle allait sans doute gâcher son adolescence, sa vie de jeune adulte dans l'éducation de ses enfants. Elle vieillirait avant l'heure, rattrapée par la difficulté d'être parent. Si elle se sentait prête à ce sacrifice, le mâle respecterait son choix. Il était après tout déjà trop tard mais il priait tous les dieux pour que l'accouchement se passe sans encombres et qu'elle soit présente pour voir sa progéniture grandir. Gloriel espérait que les petits s'accrocheraient tout autant que leur mère, qu'ils seraient aussi forts et charmants que leurs grands-parents. Oui il espérait de nombreuses choses bien que le spectre de la possible mort de sa soeur planait au-dessus de certains scénarios ...

« Votre Majesté, me voyez-vous vraiment avec des enfants ? Ou plus précisément en compagnie d'une dame ?

Il se mit à rire de sa propre peur. Pour le moment, ce dont parlait Alys ne pouvait être qu'un rêve d'avenir lointain. Une utopie intangible.

Alys étudia d’un coup d’œil discret son frère qui était venu le rejoindre sur le trône, enfin ce dernier se décidait à s’amuser un peu en bravant l’interdit. Surtout que désormais Gloriel pouvait se le permettre, après tout, il n’était plus réellement un Etelkrus, mais un potentiel Lazulis. Le jeune loup se rendit compte que ce contact et cette proximité avec son aîné lui avait terriblement manqué, il se sentait complet lorsque Gloriel était là. Avec lui, nul besoin de se mettre des barrières de crainte d’offenser autrui, c’était une certaine liberté qu’Alys appréciait tant. Une liberté qui était doucement en train de prendre fin au fur et à mesure que la nouvelle du départ de son frère raisonnait dans son esprit, tel un tintement de cloche. Tout lui échappait, absolument tout. La division de leur famille, ses sœurs alphas, ses parents qui ne pouvaient encore rejoindre de meute, Korra qui se mettait encore plus à l’écart en fondant sa propre famille. Il faut dire que celle-ci est tellement dispatchée que c’est compréhensible… Cette annonce n’avait pas non plus était sans impact, Méléagant était parti sans même décoché une parole. Un sourire attristée apparut sur les babines du mâle, pour une réunion de famille, ça avait vite tourné au vinaigre. D’ailleurs il n’y avait eu depuis aucun regroupement, chacun traçait son propre chemin et ils se croisaient de temps à autres seuls à seuls. Où est cette famille tant recherché ? A-t-elle jamais un jour existée?

« — Espérons que tu dises vrai mon frère, car si nos meutes s’opposent au moins il nous restera cela, ce lien qui fait de nous une « meute ». »

Le dernier mot avait été chargé de sous-entendu, cela ne signifiait plus grand-chose pour le disciple de Dairo. Au fond, Alys ne pouvait s’empêcher de se demander ce qui se serait passé s’il n’avait encore juré fidélité à une divinité, aurait-il suivi son frère ? Gloriel et Mayuri étaient ceux avec qui il avait le plus de liens, ceux qui comptaient le plus à ses yeux. Bien sûr toute la famille était importante aux yeux du disciple orangé, mais ces deux-là occupaient une place toute particulière dans son cœur. Et ce sont toujours les plus proches qui te quittent en premier, ceux à qui tu t’attaches le plus Alys, qui finissent par partir… Il n’était clairement par doué pour les sentiments, que ce soit pour les comprendre ou les exprimer, et voilà qu’il se retrouvait désormais condamné à être seul dans cette meute, sans ceux qui comptaient réellement à ses yeux. De plus, l’idée d’un potentiel conflit ne pouvait être balayé d’un simple revers de patte, car si jamais il avait lieu, Alys n’aurait d’autre choix de lutter aux côtés de son clan même si cela le briserait. Néanmoins son honneur le pousserait toujours à être fidèle aux Etelkrus et ce, malgré les sacrifices que cela pourrait engendrer, et puis il ne serait pas seul à être dans une situation complexe. Après tout si un conflit naissait, ce serait une guerre familiale sachant que les deux alphas étaient ses sœurs. Rien que de penser à tout ceci, il eut un mal de crâne, comme si son esprit lui-même ne savait quoi dire ou penser. Un sourire attristé étira les babines du disciple de Dairo en entendant la réponse de son frère. La peur de Gloriel, ne cesserait jamais de le fasciner et il y avait encore quelques jours, Alys aurait sûrement appuyé son frère en disant que ce n’était que des pensées stupides, mais aujourd’hui tout changeait.

« — Mon cher renégat, je n’imaginais pas notre sœur avec des enfants et pourtant… et puis de toute façon grand et fort comme tu es, elles finiront toutes par tomber dans tes pattes, à moins que tu ne décides de continuer ta collection de cicatrices ! » Alys appuya sa tête dans le cou de son frère dans un geste plus ou moins affectueux. « Ce ne sera plus pareil sans toi Gloriel. Que devient notre famille ? Ce mot signifie-t-il encore quelque chose ? »

La voix d’Alys était quelque peu chargée d’inquiétude, ce qui était rare, mais ces questions il ne pouvait les effacer de son esprit.

Braver l'interdit avait un gout étrange. Gloriel ignorait s'il arriverait à s'en défaire mais une part de lui affirmait qu'il oublierait vite cela ... Il était loin de se douter que son action lui donnerait plus tard un petit côté rebelle. Rien de bien méchant sans doute mais il ne serait plus un simple soumis. Décidément, en ce moment il bravait des lois qu'il s'était juré de ne pas transgresser. Il était assis sur le symbole de la puissance des Ethelkrus, lui qui s'apprêtait à les trahir pour le Clan qui deviendrait leur ennemi à l'avenir sans l'once d'une hésitation. Il poussa un petit soupire. Il manquait ainsi de respect aux Alphas, à Elaine notamment. Un jour, il lui confierait cela, lorsqu'il aura tracé sa voie. Il esquiva un sourire malgré qu'il comprenait les durs mots chargés de bien sombres sens de son cadet. Il le laissa poser sa tête dans con cou. Il lui fit une rapide léchouille tandis que son regard se perdit dans le vide.
Alys semblait perdre confiance en le mot "Clan" pourtant, il appartenait à l'un d'eux, pourtant il avait sa famille qui en formait un. Le mâle aux cheveux blancs vit son sourire s'attrister. Il ne pouvait réellement défendre la valeur du mot, lui qui s'en allait, trahissant le Clan composé de multiples loups aux sangs multiples. Un paria qui ferait la morale ... Cette pensée lui arracha un petit rire que le disciple de Dairo ne comprendrait sans doute pas. Nulle moquerie dans cet acte, il s'agissait qu'un rire franc.

« C'est ce qui nous restera quand je serai parti, Alys. Ne perds pas espoir en ce mot ... Ne perds pas espoir en ce lien, en ce Clan que nous formerons à jamais.

Gloriel plongea ses yeux de glace dans les rosés de son cadet. Il esquiva un sourire puis il posa sa tête contre celle du mâle aux plumes extravagantes. Le Chevalier priait tous dieux que les batailles ne viennent pas tout de suite. Il ne désirait pas directement affronter les siens. Il ne désirait pas un bain de sang. Il ne supporterait pas la perte d'un des siens. Il retint un soupire, chassant l'idée qu'il pourrait découvrir le corps inanimé d'un de ses frères, d'une de ses soeurs, ou d'un de ses parents. Bien que la paix demeurait après l'Apocalypse qui avait tout chamboulé, le mâle n'était pas dupe. Il était plus facile de maintenir une Guerre qu'une Paix.

« Il est vrai que la grossesse de Korra a surpris tout le monde ... Mais pour le moment, je doute besogner une demoiselle.

Il câlina un long moment son frère, ne répondant pas à sa question. Que pouvait-il bien dire ? Il ne le savait pas vraiment. Il soupira, regardant dans le vide, cherchant dans ses souvenirs ce que le mot famille pouvait désormais signifier. Tout et rien. L'union et la désunion. Au final Alys avait peut être raison de soulever cette question.

« Je ...

Le mâle fut interrompu par du bruit qui se rapprochait d'eux. La fourmilière Ethelkrus se réveillait. Il se releva lentement, faisant attention à son cadet puis il sauta du trône. Non qu'il ne désirait pas qu'on le voit ainsi sur l'un des sièges royaux, mais il devait disparaître. Il ne supporterait pas d'être salué comme un loup de ce clan à part entière. Il n'en était plus digne et il ne désirait pas revoir un autre membre de sa famille. Il ne le pouvait pas. Pas encore. Il commença à s'éloigner, puis se stoppant, il se tourna légèrement vers Alys, le fixant calmement.

« Ce mot signifiera toujours quelque chose tant que nous serions liés par le sang. Même si nos chemins se séparent, même si nous pleurons et nous blesserons de notre côté, nous formerons toujours une famille. On devra sans aucun doute se battre à l'avenir mais vous demeurez ma famille. N'oublies pas Alys, je t'aime. Même d'ailleurs je veillerai sur toi et je demeurai jamais loin quand tu seras dans le mal. Nous serons toujours de la même famille, je te le promets. Ce mot aura toujours un sens dans mon coeur : celui de partager un lien avec toi.

Un grand sourire s'épanouissa sur le visage du Chevalier puis il se détourna. Il s'avança jusqu'à l'entrée.

« Au revoir Alys.

Ce furent ces derniers mots avant qu'il ne disparaisse de la vue du troubadour, quittant les tunnels du Grand Castel ... A jamais.