Au bout du tunnel [Illidan]

Quelques volutes de fumées incantatoires planaient encore hasardeusement autour des restes d’une flaque de sang séché, ce dernier ayant été utilisé pour tracer des dessins abjects courbés en longues arabesques torturées sur le sol rocheux. Etalée au centre, une forme dont les membres curieusement tordus forment presque un individu canin.

Dans un coin de cette grotte insalubre, une invocation démonique ratée rampe désespérément vers cette forme s’approchant d’un cadavre, avec l’intention d’y planter ses dents acérées. Mais un bruit et une voix le font sursauter, et il retourne se cacher dans une aspérité.

L’écho fait tiquer une oreille abîmée de la chose au centre. Pendant quelques instants brumeux, ses pensées sont vides, avant qu’un sentiment d’incertitude le prenne. Où suis-je ?...
Cette voix résonne dans sa tête, il la connait mais il s’écoule un certain temps avant qu’il ne le comprenne.

« J'ai échoué, plus rien ne te soignera et rien ne te sauvera. »

Il essaye de se concentrer pour intégrer de quoi parle la personne, mais plus il se réveille, plus le fourmillement de pensée des démons ayant élu domicile en son sein noie son attention.
Il grogne, s’étouffant à moitié dans le processus.

« La meute se meurt également, tu as été absent trop longtemps. »

La meute ? Mais qui venait lui parler de quelle meute ?
Son corps infect se tord dans un craquement sinistre, tandis qu’il essaye de se relever. Ses membres tremblants le lâchent avant qu’il n’ait pu s’épauler d’une des parois de la grotte, et au moment où son corps s’écrase durement sur le sol froid, il reconnait la voix. Ah, Safran. Cette bonne petite, elle lui avait été très utile par le passé. Peut-être est-elle venue lui apporter à manger. Honnêtement, il n’a aucune idée de l’état de son estomac mais il suppose qu’une portion de nourriture ne lui serait jamais de trop. Sa longue queue poissonneuse ne l’aide pas du tout à relever son arrière-train, l’ayant rendu beaucoup plus lourd qu’auparavant.

Dans un effort surcanin, il se traîne à moitié vers la sortie de son creux à rites.

« Les Raeders ont besoin d'un nouveau Capitaine. »

Cette phrase-là, il l’entend parfaitement. Les…Raeders. Cela fait tellement longtemps qu’il n’a pas entendu ce mot qu’il l’avait presque oublié. Pas faute de vivre en-dessous de la meute, mais il avait arrêté de nommer les membres qu’il ne voyait jamais depuis bien longtemps.

La gueule d’Illidan est pâteuse, comme s’il avait dormi bien plus qu’une durée normale de sommeil habituelle. Sa tête lui fait un mal de chien. Mais il se souvient très bien de pourquoi, et les démons lui susurrent ce qu’il a gagné avec un tel sacrifice. Son museau se déforme dans un très long sourire.

Il essaye de parler, mais sa gorge reste aphone les quelques premiers essais, avant qu’il n’arrive enfin à prononcer quelques mots de sa voix déchirée.

« Ah, Safran. Ça faisait longtemps. »

Sa truffe pelée remarque enfin son fumet parmi les odeurs de sang, viande putréfiée et moisi de sa grotte, et il se tourne lentement vers elle, complètement appuyé sur une paroi pour se maintenir plus ou moins debout.

« J’ai réussi un rituel intéressant. Je peux enfin transmettre à quelqu’un un véritable pouvoir de démon. Depuis tant d’années que je prépare ça…mais mon corps est trop pourri pour l’accepter, il m’en faut un plus jeune. »

Il ne sait plus pourquoi il faisait tout ça. Il n’a plus idée de son passé, sa jeunesse, sa famille, ce qui l’a mené à cet endroit sordide. Mais il a réussi quelque chose, alors il suppose qu’il est content. Illidan lève alors sa tête vers Safran, et ses longues mèches sales glissent le long de son museau, dévoilant sa face mutilée et recouverte de sang séché. De longues traces de griffures strient la zone autour de ce qui s’apparente à une absence d’yeux.

Une masse sombre et informe se détacha dans le couloir de pierre, quittant le couvert de la cavité où logeait Illidan en se traînant comme un animal blessé. En réalité, Safran l'avait toujours vu se mutilé alors peut-être avait-il été blessé un jour, effectivement, mais maintenant il pourrissait surtout, cet être qui s'était si éloigné de la vie que son cœur ne devait même plus battre malgré qu'il arrive encore à se mouvoir. Et puis au delà de la chair abîmée et malade, une extension qui semblait bien plus récente, le signe de l'appartenance à l'Océan, à cet âge où il réclamait son du. Ce qui étonna Safran, ce fut que le mâle n'ait pas succombé à la mutation mais ça ne saurait probablement pas tardé. Les monstres de Morne-oeil avaient besoin d'eau, si celui-ci restait cloîtré au fond de son trou, il se détacherait, comme une méduse échouée sur une plage sous le soleil de l'après-midi.
La louve brune dressa les oreilles lorsqu'il parla, même sa voix avait pourri, c'était à peine si ce qu'il disait était compréhensible, ressemblant de plus en plus à des gargouillement rauque. Aujourd'hui il était de bonne humeur, il avait réussi quelque chose. Il était peut-être temps, après toute ces années... Safran se demandait si les créatures qu'il invoquait n'avaient simplement pas fini par avoir pitié elles aussi, à moins qu'elles sentaient la fin approchée et cessaient donc de se montrer farouche simplement par curiosité de voir ce que ce loup déchu voulait véritablement faire.

« Je ne peux pas t'en apporter un. »

Elle avait pivota ses oreilles en arrière à sa demande. Bien qu'elle soit insensée, elle se sentait un peu coupable de ne pas pouvoir la réalisée.

« Le continent m'est interdit maintenant, je fais partie de ceux que la Terre rejette. »

Il y a un an, voir même quelques mois, elle l'aurait pourtant fait. Elle aurait été enlevé un louveteau à ces meutes. Elle aurait même été capable de se glisser la nuit dans leurs tanières pour leur dérober s'il le fallait, même si on l'aurait probablement tuer pour ça, enfin encore aurait-il fallu qu'ils la prennent. Elle n'aurait pas eu de pitié pour cet être du continent, pourtant elle savait, elle avait vu l'évolution déplorable d'Illidan. Là aujourd'hui, pointait son visage vers, elle les avaient vu les deux orbites sanguinolentes où se trouvaient encore à sa dernière visite les deux yeux du mâles, préservés sous des paupières qui ne s'ouvraient plus. C'était probablement la dernière chose encore saine qu'il lui restait, parce que ses globes oculaires avaient toujours été soigneusement cachés derrière les paupières, c'était probablement pour ça que ça avait marché. L'image d'un jeune venant de la terre aussi défiguré que le mâle en face d'elle ne la dérangeait pas non mais Safran ne servait plus Illidan maintenant, comme promis par son sang, elle servait maintenant la malédiction, se préparant pour l'Océan.

« Tu vas devoir te débrouiller autrement... et sans toucher à la meute. »

Ils servaient déjà leur propre malédiction.