Pinocchio, grenouilles et rhum — Creek

Une des grenouilles lâcha un croassement.

Trop excitée pour s’en préoccuper, Lewis continue son chemin, ses petites pattes sautillant presque à chaque pas. Pourtant, la vie ne lui faisait pas tant de cadeaux ces derniers temps. Son père n’était plus revenu la voir, ne lui donnant plus aucune nouvelles de Trixie bien protégée chez les Etelkrus. Le pire était sûrement cette disparition récente, Hypoxie qui s’était volatilisé après les recherches des fragments. La perte de sa maman avait causé beaucoup de peine à la loupiote qui se sentait comme une sorte orpheline. D’ailleurs, lorsqu’on y prêtait attention, l’on pouvait voir la tristesse qui brillait au fond de ses prunelles mauves, bien que Lewis s’évertuait de paraître de bonne humeur, devenant une sorte de faux zombie.

Aussi, l’enfant tentait de trouver du réconfort, un minimum de présence pour se sentir moins seule. Ce qui expliquait probablement qu’une dizaine de grenouilles la suivent, en attendant que l’effet de son «  chant » se dissipe. Toutefois, aucune ne valait Poe, fièrement perché sur sa tête, un nouveau certes depuis que l’autre Moustique avait mangé le précédent, mais Poe quand même.

La pirate finit par s’arrêter devant l’entrée d’une tanière, là où l’odeur du rhum était bien forte. Remuant sa queue recourbée, Lewis s’engagea à l’intérieur — sans aucun respect de la vie privée — tandis que les grenouilles qui la suivaient croassaient. Le loup noir était couché, probablement qu’il poussait un roupillon vu les blessures qu’il avait accumulé.

« — Creek ! Creek ! Debout ! »
« —Oh la Belle aux bois dormant, faut lui faire un gros baiser.»

Les simples cris que la loupiote poussait dans la tanière du pirate aurait suffit à ce dernier pour se réveiller. Pourtant, Lewis bondit sur le corps du mâle, sautillant presque dessus. Comment ça il était blessé ? Mais non, mais non tout allait parfaitement bien, en plus il avait toujours sa mitaine poulpe qui faisait office d’attelle. La petite pirate finit par tirer sur les oreilles de son aîné pour qu’il se lève plus vite.

« — Allez Creek, t’avais promisssss ! »

« Pinocchio, grenouilles & rhum

« Creek & Lewis


Le sommeil le fuyait bien souvent. Il était une âme tourmenté que plus rien ne saurait apaiser. Peut-être le fantôme de l'une ou l'autre victime qui venait hanter ses nuits et lui murmurer à l'oreille des douces paroles. C'était comme le champ des sirène, si beau, si apaisant, pour mieux vous conquérir, vous ligotez, vous emmenez dans les profondeurs et vous dévorez ensuite. Alors forcément, lorsqu'on passe des nuits agitées, on dort la matinée. Ou bien la journée. Ou même la soirée. Enfin bref, dans tous les cas on n'aime pas être dérangé. Ajoutons à ces épisodes fréquents d'insomnies de longues heures d'agonie d'abord, puis de lente convalescence ensuite. Creek se remettait doucement, et comme lorsqu'il avait perdu sa première patte, étant enfant, il passait son temps à tirer sur ses muscles et ses tendons malgré la souffrance, pour ne pas perdre en mobilité et ne pas voir sa patte devenir un morceau de chair inutilisable... Toutefois il avait beau s'efforcer encore et encore, les résultats étaient toujours décevants, et régressifs. Le Pirate ne pouvait cependant abandonner, que ferait-il du seconde patte de moins ? Alors il essayait vainement, chaque jour, de remarcher à trois pattes. Il se retrouvait alors par terre, ou clopinant sur deux pattes et finissait par se laisser choir sur sa paillasse en attendant la nuit pour sortir et manger un peu de poisson. Ou pour boire du rhum. Surtout.

Il en était à ce stade de découragement quotidien, allongé sur le flanc à s'imaginer mort plutôt qu'ici, qu'une voix fluette le tira de sa rêverie. En bon mâle à l’ego plus blessé encore que le corps, l'anthracite ne répondit rien, ignorant la gamine. Il était d'une humeur massacrante et n'avait pas le moins du monde envie de faire face à la fille de la vile catin qui avait trahi leur groupe au moment le plus inopportun. Il promettait que s'il recroisait Hypoxie, il déchiquetait lui même ses nageoires de ses crocs, et sans la moindre once de compassion. Entendant que la gamine ne s'éloignait pas, Creek redressa une oreille et puis lentement, la crâne, pour jeter un œil -le seul qui lui restait-. Sauf que c'est le moment que choisi Lewis pour grimper sur ses côtés. Cela le força a annulé son geste avant même de l'avoir esquissé. Il grogna et se détourna vivement lorsqu'une des pattes maladroites du lardon appuya sur un point sensible, pour rejeter l'intruse qui resta accroché à son oreille un instant. A peine debout, il montra les crocs à la petite dans un rictus mauvais.

« Qu'est-ce que j'y gagne ? Un petit déjeuner au moins ? »

Lâcha t-il en lorgnant sur le batracien. Il était vrai qu'une parole donné ne pouvait être reprise. Et même s'il avait maintenant une haine viscérale pour la mère de Lewis, il savait ne pas devoir s'en prendre à la femelle violette. On n'était pas fautif des fautes des géniteurs, il en savait quelque chose... C'était à peu prêt pour ça qu'ils avaient commencé tout ce branle-bas de combat qui l'avait menu presque jusque dans la tombe. Ou tout cas ça lui avait mis une deuxième patte dedans...

« Tu sais que c'est dangereux de réveiller un mort, petit mousse ? »

Le museau de Creek se plissa alors qu'il boita de quelques pas pour aller prendre une bonne lampée de graines de pavot, gardées précieusement à l'abri de l'humidité dans un sac de cuir.

Le pirate ne semblait pas particulièrement enchanté de ce réveil pourtant merveilleux. Visiblement la vitalité de la jeunesse ne semblait pas particulièrement à son goût en ce moment. Au moins se mit-il debout, faisant atterrir Lewis sur ses petites fasses, pas contrariée le moins du monde. Objectif réussi, le loup noir s’était levé, maintenant que c’était le cas, restait plus qu’à le conduire à l’extérieur, histoire de lui faire respirer cet air frais dont-il avait tant besoin. Oh, mais c’est qu’il voulait négocier son réveil contre un p’tit déj en plus de ça ? Le fourbe. La mousse remarqua bien le soudain intérêt à Poe, ce qui n’était clairement, mais clairement pas une bonne idée, pas cette fois du moins.

« — Tu veux pas non plus qu’on te roule la pelle de ta vie ? »
« — Hé Poe ! Sois sympa enfin ! » Lewis se tourna vers Creek. « Poe se mange pas, il est dangereux celui-là… »

Pour sûr, vu la couleur que ce Poe avait… Faudrait être totalement inconscient pour tenter quoique ce soit avec, de quoi dissuader certains moustiques ne respectant pas les batraciens. Creek se dirigea vers un p’tit sac de cuir avant d’avaler quelques graines noires. Beurk, ça ne semblait pas hyper bon ce truc… Toutefois, la petite n’avait pas l’intention de laisser le pirate se morfonde sur son sort, ça sentait déjà suffisamment le rhum ici, sans que son aîné n’ajoute de petites plantes magiques.

« — Mais t’es pas mort, alors du coup c’est pas dangereux ! Allez viens, on va dehors ! »

Allez, même que pour l’encourager elle sautilla un peu plus en rejoignant ses grenouilles qui l’attendaient à la sortie de l’antre. Les amphibiens croassèrent, certains de manières douteuse, mais Lewis les aimait beaucoup. S’il ne venait pas, Lewis était prête à le trainer par la barbichette jusqu’à l’extérieur.

La voix de la grenouille -identique pour chaque batracien qu'apportait toujours avec la louvette- le fit sourire. Il lui aurait bien répondu que justement, il avait les papilles en manque d'attention, mais bon, Lewis n'avait pas à subir des sarcasmes qui n'étaient pas de son âge. Quoi que. Elle grandissait aussi et finirait bien par comprendre le monde. Et puis c'est elle qui avait lancé la joute. Enfin... Poe. Creek lorgna le familier et effectivement, réalisa qu'il était peu recommandé de s'en prendre à celui-là. Le mâle anthracite s'ébroua, libérant de son poil hirsute poussières et odeurs désagréables de sueur et de poudre à canon humide. Un bon bain dans l'océan lui ferait le pus grand bien. Et puis comme ça, si la mousse venait à trop l'enquiquiner il pourrait la noyer. Ce n'était pas son armée de grenouilles qui y ferait grand chose. La logique enfantine et naïve de la petite violette lui arracha un sourire presque attendri. Presque. Parce qu'un forban n'était pas sympa et tendre, quand même. Fallait préserver son image de loup de mer mal famé et grincheux. Même s'il appréciait plutôt bien la compagnie fraîche et mutine des gamins. Cela lui rappelait les heures glorieuses et simples à se battre avec ses frères, où à faire les quatre-cents coups aux adultes Raeders. Enfin... Jusqu'à ce qu'il chute dans l'épave et qu'Heever doive lui sectionner une patte pour cesser l'infection et lui permettre de survivre. Et puis, bon, sa patte de bois était un atout désormais. Enfin... Bon. Maintenant il avait une patte de plus désarticulée et douloureuse qui ne lui servirait sûrement plus jamais. Et une seconde patte de bois l'handicaperait réellement. Maussade, le sombre loup emboita le pas à Lewis.

Il jeta un oeil à sa collection d'amphibiens, sous-pesa sa faim et la quantité de ces derniers qu'il lui faudrait ingérer. Dans un haussement d'épaule et un grondement rauque, il délaissa les bestioles. Non il lui fallait un bon poisson, un gros poisson. Un sourire narquois fendit sa gueule alors qu'il jeta un regard en coin à la louvette.

" De toute façon, Poe est trop petit pour me remplir l'estomac... Mais toi... "

Il la rejoignit en quelques foulées boitillantes et la poussa au sol, assez vivement, mais la brutalité d'un prédateur non plus. Il jaugea la petite violette, la défiant de se défendre. Il était là pour son apprentissage non ? Il n'avait jamais promis que ça ressemblerait à de vraies leçons. On retenait mieux par le jeu, où les épreuves dont on se sortait tout seul...

Les grenouilles coassèrent.

C’était sa petite famille changeante à elle, amphibiens qui se renouvelaient dès que le chant de Lewis se faisait entendre. Cadeau de naissance, que personne ne semblait avoir. Encore plus drôle, être la seule chanteuse de grenouilles ou faiseuse-de-grenouilles comme le Moustique l’avait appelé. Que devenait-elle d’ailleurs ? Sur ses terres barbantes, loin de tout amusement ? Luciole était bien la seule à connaître le fait qu’Alys était son père, la seule encore en vie du moins ou présente. L’enfant étrange lui manquait, Lewis appréciait bien sa compagnie, son esprit différent, ses envies un peu sanglante… En parlant de choses sanglantes… La loupiote posa ses yeux mauves sur la patte blessée du pirate, fronçant doucement les sourcils.

Le loup noir ne semblait pas avoir une vie des plus facile, encore moins ces derniers temps. Les coeurs de Céto auraient coûtés chers à la meute, certains en garderaient les blessures à vie. C’était également ces quêtes qui avaient fait disparaître Hypoxie. L’enfant détourna la tête, pensive. Où donc était passée la louve mauve ? L’avait-on contraint à partir ? Ou avait-elle abandonné Lewis de son plein grès ? C’était… tellement injuste. Trixie avait Alys, leur père, et la mauve était supposée avoir leur mère… Et si cette dernière avait rejoint le reste de sa petite famille ? Les crocs serrés, la pirate ne pouvait s’empêcher d’en vouloir à sa génitrice, de la détester pour son absence, parce que désormais, c’était seule qu’elle devait se débrouiller. Au fond, elle était comme cet adulte à ses côtés, mutilé, même si ses blessures à elle ne se voyaient pas.

« — Hé Creek ça… »

Avant que la jeune pirate ne puisse poser sa question, voilà qu’elle finissait au sol, la truffe dans le sable. Serrant les crocs, Lewis se releva, une lueur mécontente brillant dans ses prunelles mauves. En l’absence de louveteaux Raeders, elle n’avait pas eu l’occasion d’apprendre à jouer, aussi ce simple geste parut être un véritable affront à sa personne.

« — Jouer, c’est pour les enfants. »

Et les enfants c’était mortellement ennuyant. Lewis demeura de marbre, cherchant un moyen de s’en prendre à l’adulte qui bon fallait se l’avouer, la dépassait sans aucun problème. Fais preuve d’imagination. Un sourire étira les babines de la gamine qui se saisit d’une grenouille qui n’était pas Poe… avant de la lancer droit sur la tête du pirate. L’effet de surprise lui donnerait peut-être assez de temps pour foncer sous le ventre de son aîné… ou peut-être pas. La loupiote prit son élan, se laissant glisser sous Creek, en espérant que son plan fonctionnerait, son objectif ? Viser la patte blessée du pirate dont le coup le déséquilibrerait probablement…

< Creek ;

Oh. Il avait vexée la mioche. Mince.

« On est tous des enfants, mousse. »

Dans un sourire railleur, il fixa Lewis le fusillant de son regard mauve. Il se rembrunit. Si la couleur n'était pas la même, l'air bravache et mécontent était le même. Exactement le même que celui qu'Hypoxie lui avait lancé avant de s'en prendre à lui sur l'île des Nakhus. Avant qu'elle ne lance ses traîtres cailloux et ne le prennent par surprise. Avant qu'elle ne change de camp sans raison et abandonne la groupe de pirates qui l'avait accueillie sans poser de questions sur ses origines et l'avait laissé vivre tranquillement sa petite vie sur leur île de maudits. C'était ça la gratitude ? Perdu dans les souvenirs désagréables de ce jour-là, et dans le rappel douloureux des blessures infligés, Creek manqua d'attention et reçu le batracien visqueux en plein dans le museau. Surpris par cette attaque vicieuse mais méritée, le loup de mer secoua la tête et regarda la bestiole sonné entre ses pattes avant. Puis il laissa éclater un rire narquois en voyant qu'il pouvait avaler celui là sans risque. Il le goba donc avant de relever la tête vers une louvette... disparue ? La petite chenapan avait été leste à se glisser sous lui et user de sa ruse pour se venger. Plutôt habile et bien pensante, son objectif fût atteint car dans un grincement de crocs, le mâle sombre se laissa tomber sur le côté pour éviter de subir un assaut trop violent contre son membre blessé.

« Tu deviens vicieuse, petit bigorneau ! »

Grogna t-il en riant à moitié alors qu'il attrapait entre ses griffes dans la capuche de Lewis pour lui rabattre sur la tête et lui voiler la vision en maintenant les cornes au sol d'une patte lourde.

« Et maintenant, voyons comment tu t'en sors en aveugle ? »

Marmonna l'éclopé en enfonçant les cornes de la coiffe dans le sable humide.

Lewis détestait qu’on lui rappelle qu’elle était une enfant. Tous les autres semblaient avoir des bons souvenirs de leur enfance, mais elle n’en conservait aucun en particulier. Ses deux parents avaient disparus sans prévenir, sa soeur n’était jamais revenue la voir, elle passait pour l’orpheline du coin. Beurk ! Au moins, passer du temps avec Creek la distrayait de ses pensées.

« — Certes, mais certains le sont plus que d’autres. »

Alors que la loupiote réussissait son coup, elle vit disparaître dans la gueule du pirate l’amphibien qui lui avait servi de distraction. Lewis fronça les sourcils, n’appréciant guère qu’on dévore ses compagnons. Au moins, était-elle parvenue à le faire tomber sur le sol. Enfin, ce n’était visiblement que simple partie remise. Au moins ne lui en voulait-il pas, riant même. La mauve sourit à son tour, appréciant cet instant.

« — T’as jamais dis qu’on devait se battre à la loyal. »

Alors que l’enfant sourirait, une patte vint soudainement saisir son capuchon pour lui rabattre violemment avant d’en plaquer les cornes dans le sol, bloquant Lewis. Hé merde ! Fichu capuchon… Qui devenait vicieux maintenant, hein, vieux pirate ?

« — Hééééééé ! »

Comment allait-elle se sortir de là maintenant !? Ses pattes arrières s’enfonçaient dans le sable alors qu’elle cherchait à se dégager, foutue tignasse aussi ! Poe aurait peut-être pu l’aidé ? Rah mais y’avait bien trop de bruit pour qu’il l’entende… Hum… Qu’avait-elle appris ces derniers mois ? La nervosité ne faisait-elle pas faire de choses stupides ? OK. Alors on respire un bon coup puis on y va, Creek est juste à côté, y’a moyen de faire d’une pierre, deux coups.

(Lancé de dé)

La gamine inspira un bon coup, ancrant ses pattes dans le sable pour se donner l’impulsion nécessaire. Alors elle bondit vers l’avant, avant de reculer brutalement la tête qui finit par sortir du capuchon. Yeah ! Un sourire vint étirer ses babines, tandis qu’elle observa le pirate, un air triomphant sur les traits. Bien, au moins il ne risquerait plus de l’embêter avec son capuchon.

< Creek ;


Se battre à la loyale ? Qui définissait ce qui l'était ou non ? Les plus forts, toujours. Le pirate ricana, l'oeil pétillant de malice. La jeune femelle commençait à comprendre le schéma de réflexion qui devait animer son esprit pour la faire s'élever au dessus de la majorité. Elle apprenait à devenir une vraie et fière pilleuse des mers. Il l'encourageait donc à continuer sur cette voie en compliquant son quotidien. C'était ainsi qu'on formait la jeunesse. Le loup sombre, tel un prédateur, tourna autour de Lewis pour observer attentivement le moindre de ses gestes et étudier sa façon de s'en sortir. Force en ingéniosité ? Ruse ou poigne ? C'est avec un savant mélange des deux que la louvette violette finit par se décoincer de cette situation plutôt embarrassante. Creek s'assit et attendit qu’elle se redresse, heureuse de son petit exploit du jour. Prenant appui sur son postérieur et principalement sur sa patte valide pour soulager celle à la l’atèle de bois, il se mit à applaudir doucement.

« Leçon numéro un : savoir se débarrasser de tout ce qui peut nous contraindre. De quelle autre contrainte doit-on s'affranchir ? »

Le forban retombant sur ses antérieures dans une grimace. Des douleurs parasites venaient fréquemment se rappeler à lui lors des mouvements inhabituels. Il se releva donc et se détourna de la petite pirate un instant pour avancer vers l'extérieur, vers les embruns marins et la journée lumineuse qui s'annonçait. Maintenant il était bien réveillé et Lewis avait en quelques minutes su faire tourner le vent de son humeur. Il l'attendit donc à l'entrée, son attention divisée entre elle et la réponse qu’elle apporterait à sa question et vers l'océan qui pétillait déjà d'éclats de soleil. Morne-Oeil n'était pas très grande, et pouvait pour certain ressembler plus à une prison qu'à une maison. Pour Creek au contraire, c'était le berceau de son foyer, là où il avait grandi avec ses frères, là où Ajani et Limule avait évolué, là où Lewis à son tour devenait doucement adulte. Cela ne l'empêchait pas d'imaginer un futur toujours plus florissant pour les conquérants qu'ils étaient. Il fallait s'étendre, il fallait agrandir l'équipage. Le mâle à la patte de bois pencha la tête sur le côté et observa les envolées de mouettes en imaginant ses propres compagnons s'élancer sur les flots avec cette même détermination. Il tourna le museau vers Lewis.

Lewis jeta un regard à son capuchon, hésitant à le remettre immédiatement. Le pirate trouverait sûrement encore un moyen de l’embêter… tant pis, cela attendrait la fin de leur petit entraînement. La mauve s’attendait à un nouveau coup en douce, mais au lieu de ça, le loup noir vint lui poser une question. La loupiot réfléchit un temps, son regard perdu au loin, avant de finalement donner sa réponse.

« — L’attachement.   »

L’affection. L’amour. Tout cela engendrait la douleur à un moment donné. Tout n’était basé que sur le mensonge, selon l’expérience de Lewis. En faisant quelques pas, la mauve expliqua son idée, quand bien même ce ne fut cela qu’attendrait le pirate.

« — L’attachement pousse à l’erreur, l’erreur est fatale et la fatalité conduit à la mort. Pour survivre, un loup ne doit avoir d’attachement. » L’enfant pencha la tête légèrement. « Mais cela ferait de nous de vrais monstres non ? Nous sommes obligés de nous attacher, sinon nous deviendrions chaotiques, hein Creek ? »

Les pirates n’avaient pas d’attache en théorie, mais au final, la malédiction les condamnait à demeurer sur cette île, les Raeders les entouraient de contraintes. Tout cela constituait une forme d’attachement qui n’était pas négligeable.

< Creek ;

Il ne l'aurait jamais avouer, mais la réponse de la gamine était fort surprenante. A la fois juste et triste, bien loin des préoccupations qui auraient dû fourmiller dans une petite tête comme la sienne. Les yeux cobalt du forban se plissèrent alors qu'il observait le minois de Lewis, cherchant à déterminer le niveau de maturité derrière cette question. Il se doutait bien, pour la petite orpheline qu'elle était, que ce raisonnement était motivé par la trahison d'Hypoxie et la non existence dans sa vie d'un père digne de ce nom. Il se remémora lui et ses frères grandissant sans autre père que l'Océan, avec un oncle pour les guider un peu à la place, et une mère pas toujours tendre mais aimante qui avait tenue le plus longtemps possible hors de l'eau avant de devoir les laisser pour rejoindre les profondeurs. Tatch, Kéran et lui étaient alors à peine plus âgés que la violette. Des adolescents en passe de devenir des jeunes adultes encore immatures et idiots. De fait, ils avaient aussi évolués plus vite dès lors qu'Heever était devenue plus murène que louve. Cependant, eux avaient toujours été trois. Lewis était plutôt seule. Limule et Ajani avait presque le même âge, mais ils ne partageaient pas le même lien...

« Ce n'est pas faux. »

Se contenta de répondre le noiraud tout d'abord. Il médita un instant la façon dont il allait formuler son conseil, avant de se rappeler d'une citation que sa mère leur lisait régulièrement, parfois même les yeux embués de larmes. Ils surent plus tard, grâce à Spleen, que leur mère pensait à un dénommé Volstein à ces mots. le même qui lui avait disloqué une patte supplémentaire et contre qui Creek ne pouvait s'empêcher d'avoir rancoeur.

« Pourtant, Lewis, il faut aimer dans la vie. Il faut aimer beaucoup... Ne jamais avoir peur de trop aimer. C'est ça le véritable courage. Et le courage est une force. Ne sois jamais égoïste avec ton coeur, jeune mousse. S'il est rempli de tendresse, alors montre le. Sors le de toi et montre-le au monde. Il n'y a pas assez de cœurs courageux, prêts à défendre. » Citation légèrement ré-arrangée de Samuel Benchetrit, le coeur en dehors.

Creek se releva et fit quelques pas pour descendre vers les plages.

« L'Attachement n'est contrainte que si tu n'est pas courageuse. »

Un sourire goguenard vint étira ses babines de charbon alors que son regard pétillait de malice. Il avait déjà la suite du programme en tête. Puisque l'enfant avait tenu à le réveiller, il allait lui donner une journée dont elle se souviendrait longtemps.

« L'es-tu bigorneau ? »

Les mots du loup noir vinrent rompre le silence qui s’était installé. Lewis l’observa avec une certaine patience, le voir chercher ses mots, un moyen de lui faire voir le bon côté des choses. Y’en avait-il au moins ? Un sourire vint étirer les fines babines de la loupiote alors que sa tête se penchait légèrement sur le côté.

« — Le courage prend bien des formes, mais si selon toi l’amour en fait parti, alors, je prêterais davantage attention à ce qui est dis. »

Parce que les mots de Creek avait un certain impact sur Lewis, parce qu’elle comprenait que derrière le loup grognon se cachait une certaine sagesse. La jeune pirate s’approcha, posant sa patte au niveau du torse du mâle, prenant un air plus sérieux.

« — Il y a du bon en toi Creek, malgré l’influence de Pontos. Ne les laisses pas te faire croire le contraire. »

Ne laisses pas Pontos et Céto te faire croire le contraire. Ne les laisses plus te manipuler… Tellement de méfaits avaient été commis de par la faute de ces entités… Ils ne méritaient pas une telle adoration des pirates. Les crocs de la mauve se refermèrent doucement sur l’une des pattes de Poe, lui permettant de le hisser sur son épaule là où il serait bien positionné. Adoptant une humeur plus joyeuse, avant de faire un bond sur le côté.

« — J’ai promis à Poe de le conduire sur le continent ! Merci pour ta leçon, la prochaine fois je ne me laisserais pas aussi facilement avoir. »

La jeune Raeder disparut dans les dunes, son capuchon entre les crocs décidée à trouver une occupation sur la terre ferme, pourquoi pas une nouvelle capture de grenouilles ?