Cours particulier - Athelstan

Il lui fallait remédier à cette importante lacune, impérativement.
Elle le savait, sa méconnaissance de la lecture la freinait dans ses idées : Elle avait besoin de savoir faire cela, afin de mener certaines recherches importantes, sans avoir besoin d'être assistée d'un tiers pour chaque petite chose. Alors elle s'était bougée, Holly, et avait presque retourné le Castel pour mettre la patte sur des livres. Par chance, certains Etelkrus se rendaient de temps en temps à la bibliothèque pour y emprunter des ouvrages et avaient accepté de les lui prêter.
Elle posa la pile à l'ombre d'un arbre. Là, elle serait bien.

La jeune louve ouvrit l'un des livres, celui qui lui paraissait le plus simple, avec de gros caractères... Un livre pour enfants. Elle serra les crocs, quand même un peu honteuse, et vérifia que personne n'était là pour la surprendre et, éventuellement, s'amuser de la situation. Ça avait l'air d'être bon. Alors elle se pencha sur les mots, fronçant les sourcils, concentrée. Il y avait des petites images pour l'aider.

- Papi-lon. Non, Papillon.

Elle avait un mal fou avec cette manie de donner des sons différents à des assemblages de lettres... Qui ne devraient pas donner cela, si l'on était logique. Ça la perdait, quelque peu.
Totalement absorbée par ce qu'elle faisait, elle ne vit pas Athelstan arriver, continuant d'essayer de lire à mi-voix en butant sur bien des mots.

Les beaux jours se faisaient de plus en plus beaux sur les terres Etelkrus. le temps filait à une vitesse folle, les petits qui étaient un instant auparavant des enfants étaient maintenant de grands adolescents, et ses propres enfants de jeunes adultes. Bientôt, de nouveaux visages coifferaient les trônes du Castel, lorsque Pepper et Annette céderaient la place qu'elles avaient si brillamment occupée. Les choses changeaient avec ce temps qui filait comme un ruisseau, impossible à retenir. Pourtant, il ne paraissait pas avoir l'emprise qu'il aurait dû sur le grand loup tricolore. Son pelage était toujours brillant, sa chevelure épaisse et couleur d'encre, son corps musclé. Il y avait certes quelques troubles qui commençaient à le toucher, mais il avait conscience d'être un épargné. Seul son regard, dans lequel se lisaient parfois les échos de tout ce qu'il avait vécu, témoignait du temps qu'il avait passé sur cette terre. Cela faisait plus de quinze années qu'il l'arpentait, après tout. C'était un âge qu'aucun de ses proches n'avait atteint, pas même son père, le chevalier Méléagant.

Il revenait de patrouille ce matin-là, et d'un entraînement avec sa nouvelle apprentie. Reprendre sous son aile un jeune loup lui avait fait faire un formidable bond dans le passé, et il se sentait sans doute plus fringuant qu'il ne l'était réellement. Ce fut de bonne humeur qu'il s'enfonça donc dans les grandes salles de la demeure de pierre Etelkru, à la recherche d'un endroit où il pourrait prendre un court repos en profitant de l'ombre fraîche des pierres. Alors qu'il se dirigeait vers le coeur de leur fort, son regard tomba sur la silhouette d'Holly, bleu pastel jurant sur l'ocre et le brun de la pierre, qui paraissait extrêmement concentrée. Des mots s'échappaient, à peine articulés, de ses babines, alors qu'elle tentait visiblement de déchiffrer l'ouvrage qui se tenait entre ses pattes. Elle se trouvait suffisamment proche pour qu'il eût été très impoli de sa part de l'ignorer, aussi s'approcha-t-il d'un pas mesuré, les oreilles en avant, et lança avec un salut de la tête :

"Dame Holly."

La louve se tenait dans l'ombre d'un petit arbre.

"Accepteriez-vous ma compagnie, ou préférez-vous que je vous laisse à votre occupation ?" Demanda-t-il d'un ton poli.

Il ne voulait pas la déranger. Mais puisqu'ils étaient destinés à être collègues pour les quelques temps à venir au moins, peut-être était-ce une bonne chose de d'apprendre un peu mieux à la connaître. Elle avait pour lui déjà fait ses preuves en l'assistant lors de la leçon de chasse, et il avait eu vent de ses récents exploits. La meute comptait parmi ses jeunes loups une relève, dont elle faisait indubitablement partie.

La voix grave du vieux mâle la fit un peu sursauter, Holly, et elle quitta des yeux son livre pour les poser sur lui.
Puisqu'il n'était pas poli de rester vautrée sur le sol face à ses aînés, surtout lorsque ceux ci s'avéraient aussi être des collègues haut-gradés, la femelle bleue se redressa pour se mettre debout, face à lui, lui adressant un sourire et un hochement de tête polis.

- Bonjour sire Athelstan. Bien sûr, cela me ferait plaisir de passer un moment en votre compagnie.

Ce qui ne plairait sûrement pas à la fille de l'intéressé, Solelio. Mais la pauvre Holly était bien loin de se douter de la haine qu'elle attisait doucement chez sa comparse et se montrait donc avenante avec Athelstan.
Elle désigna du museau l'ouvrage, resté ouvert sur le sol.

- A vrai dire, j'essayais d'apprendre à lire. Mais seule, ce n'est pas aisé. J'aimerais, à terme, me rendre dans la bibliothèque des Nakhus pour acquérir de nouvelles connaissances utiles pour le clan... Mais je me rend compte que mon illettrisme représente un obstacle non négligeable.

Elle avait des idées, des projets, de l'ambition, aussi.
Pourtant, elle se retrouvait bloquée là, au Castel, penchée sur des ouvrages qu'elle aurait du savoir lire depuis bien longtemps. Hélas, il avait fallu qu'elle soit une enfant négligée par sa génitrice et elle n'avait donc jamais pu bénéficier de ce genre d'apprentissage, contrairement à certains de ses camarades du même âge.
C'était pourtant sans honte qu'elle admettait ses lacunes. Holly hésita quelques secondes avant de poursuivre.

- Vous devez être très occupé et je suis fort gênée d'avoir à vous demander cela... Mais pourriez vous m'aider, s'il vous plait ?

Elle posa sur lui des yeux brillants, espérant qu'il accepterait sa requête.

Il la prit visiblement de court, car elle se redressa aussitôt avant de lui répondre. Il fut soulagé de ne pas la déranger outre mesure, et baissant légèrement le museau vers le livre lorsqu'elle lui désigna. Ses oreilles se redressèrent légèrement. Il avait eu la chance, dès sa prime enfance, que sa mère Winnifred l'emmène avec elle à la Bibliothèque et lui apprenne l'art de la lecture. Même si c'était difficile à imaginer lorsque l'on connaissait son parcours de vie, il avait appris à lire avant d'apprendre à combattre, avant de passer des douces pattes de Winnifred à celles bien plus dures de Méléagant. Lorsqu'il était plus jeune, il s'était posé la question de savoir s'il n'aurait pas mieux aimé un avenir en tant qu'érudit plutôt qu'en tant que guerrier. La chance - ou la malchance , - avait fait qu'il était plutôt bon dans l'autre domaine aussi. désormais, il était bien trop tard pour méditer sur de telles choses, et il avait accompli nombre d'actions dont il pouvait être fier sous l'étendard du guerrier.

Cependant, cette conversation réveilla immanquablement en lui cette part un peu refoulée - autant par le destin que lui avait choisi son paternel que parce que nombre de ses séances à la Bibliothèque s'étaient ensuite faites aux côtés de Brienna, dont il n'avait pu faire le deuil de l'amour que lorsque Lucie était entrée dans sa vie.

"Je ne peux qu'imaginer combien cela doit être ardu seule, en effet, ma Dame." répondit-il à sa première phrase,et un soupçon d'admiration perçait dans sa voix. "Vous avez bien du courage."

Avant qu'il n'aie pu réfléchir à formuler une phrase pour lui proposer son secours, elle prit l'initiative de lui demander. Il n'hésita pas et répondit :

"Ce serait avec grand plaisir. Nous devons nous entraider entre Conseiller, ou même simplement entre Etelkrus."

Son esprit chevaleresque n'aurait de toute manière pas refusé d'aider une Dame, mais il ignorait à quel degré excactement se situait la fierté de la louve bleue, et ne voulait en aucun cas la froisser involontairement. Il se coucha sur le sol de pierre, face au livre, suffisament proche pour qu'ils puissent lire de concert mais suffisament éloignés pour qu'il n'y ait aucune ambiguité sur son comportement.

"M'indiqueriez-vous quelles sont les bases que vous avez acquises ? Pardonnez mon indiscrétion, mais je vous ai entendu parvenir à lire un mot en arrivant."

La gentillesse du mâle brun lui réchauffa le cœur : Auprès de lui, elle trouverait donc l'aide recherchée.
A sa remarque, elle lui offrit un sourire reconnaissant. Effectivement, il était très difficile d'apprendre seul. Elle peinait vraiment et savait qu'elle ne pourrait pas progresser sans aide extérieure. Ce n'était pourtant pas faute d'avoir tenté de ne déranger personne.

- Merci beaucoup.

Son regard bleu se posa sur le livre resté ouvert.

- Je connais l'alphabet. Je sais aligner la plupart des lettres mais... pour certains sons, je dois faire preuve de déduction plutôt qu'autre chose. Par exemple, Papillon. Il y en a beaucoup, comme ça.

C'était là sa plus grande difficulté.

Le regard vairon du Conseiller suivit celui de la louve lorsqu'elle lui indiqua à l'aide du livre les connaissances qu'elle avait déjà acquises. Il hocha la tête. L'alphabet était déjà une très bonne base, même s'il était vrai que la langue commune regorgeât de subtilités un peu étranges et auxquelles il fallait s'habituer lors des premiers apprentissages. Cependant le mâle ne doutait pas qu'Holly parvienne rapidement à les maîtriser. Elle n'avait pas l'avantage d'avoir appris jeune, cependant sa détermination n'était plus à prouver et c'était une grande qualité, du point de vue du grand mâle, dans tout apprentissage.

"Fort bien, vous m'avez tout l'air de posséder déjà d'excellentes bases." Répondit-il. "En ce qui concerne les combinaisons de lettres, elles sont nombreuses, mais l'esprit les retient éternellement une fois apprises."

Il avança la patte pour faire défiler quelques pages, et tomber sur une page qui traitait des animaux, dans lesquels se trouvait un panel assez intéressant - et peut-être à cet instant même assez compliqué - pour la louve.

"Tout est question de prendre les choses une par une. Vous avez lu tout à l'heure le terme Papillon, qui comprend l'association du O et du N pour créer le son on. La lettre O peut également s'associer au U pour créer le son ou, et au I pour créer le oi."

Il montra du bout des griffes une illustration d'ours et le mot qui se trouvait juste à côté.

"Avec ces informations, comment écririez-vous le mot "couloir" par exemple, ma dame ?" Demanda-t-il en relevant les yeux vers elle.

Ils n'avaient pas de quoi écrire, aussi fallait-il trouver en plus de la lecture un moyen pour elle de visualiser ces sons dans son esprit. A force de lire des mots, ils s'y imprimeraient, mais elle devait être capable de visualiser ce à quoi ils ressemblaient même simplement en les disant. En les pensant.

Oh.
Elle fut ravie d'apprendre que les bases qu'elle avait étaient bonnes. Ce serait du travail en moins à faire et, peut-être, lui permettrait-elles d'apprendre rapidement à lire.
La jeune conseillère écouta avec attention la suite des explications, les consignes de ce qui s’apparentait à un exercice d'écriture. Elle réfléchit se pencha sur les mots, afin de ne pas se tromper, élève studieuse et rigoureuse dans son apprentissage.
Couloir.

A coup sûr, ce mot commençait par la lettre C... Ou K, après tout, ces deux lettres sonnaient pareil, à l'oreille. Mais comment savoir, que l'on devait en utiliser l'une, plutôt que l'autre ? Y aller au hasard, en espérant que la réponse soit bonne ? Cette solution ne lui convenait pas. Elle préférait jouer franc jeu avec l'enseignant.

- Je ne sais pas si ce mot commence plutôt par C ou K. Comment savoir, puisque les deux sont semblables, lorsqu'on les entend ?

Elle fronça légèrement les sourcils.

- Pour la suite, je dirais o,u,l,o,i,r,e ?

Le Chevalier remua les oreilles à cette question, qui touchait déjà un point délicat de la langue qu'ils employaient et lisaient en leur monde.

"Il n'y a pas vraiment de règle à ce propos, cependant rares sont les mots qui commencent, ou même utilisent la lettre K." Répondit-il avec autant la même honnêteté dont elle avait fait preuve en lui avouer tout de go qu'elle ignorait lequel utiliser. "Vous les rencontrerez au gré de vos lectures et votre esprit notera ces exceptions. Il est peu risqué de supposer qu'un mot commençant par une telle sonorité commence par C. Notez cependant que le C se prononce comme le S lorsqu'il précède un I ou un E. Comme dans citron ou cerise par exemple."

Il espérait ne pas avoir donné trop d'informations d'un coup. Pour lui, c'étaient là des choses évidentes, et il ne se rappelait plus vraiment l'époque où elles ne l'étaient pas pour son esprit de louveteau.

"Pour le reste, c'est très bien. Vous avez parfaitement utilisé le O." Ajouta-t-il avec un sourire chaleureux. "Cependant, pourquoi avoir utilisé un E à la fin du mot ? L'aurais-je prononcé de façon erronée par inadvertance ?"

C'était un autre des caprices de leur langue, que ces E qui allaient et venaient à la fin des mots sans qu'on en entende le son. Il se demandait donc si c'était simplement un tir au hasard, ou si la louve avait essayé de comprendre le sens de ces lettres muettes.