Used to love | Pepper

Encore un matin. Encore un jour. Encore une nuit. Combien encore passeraient sans lui faire chaud ni froid ? Sans lui donner d'autre émotion que la peine, le sentiment l'inutilité. C'était mordant, au fond de lui, ce ressenti que quoi qu'il faisait il ne serait jamais à la hauteur.
Il l'avait pensé tant de fois, en descendant ces falaises, vers la crypte de l'ocre déesse, aujourd'hui il n'en était plus que des souvenirs de ces longues promenades solitaires, entre les terres etelkrus et la bibliothèque, à chercher en silence une solution, a espérer un miracle. Le miracle était jamais venu. Le miracle n'était qu'illusion. Et l'espoir le poussant à toujours faire plus, mieux, avait laissé dans sa bouche le goût métallique du sang et dans son coeur la faille et l'échec.

Il marchait sur le bord des précipices de roche, le vent de la mer, salé, s'engouffrant dans son pelage, qui s'était un peu épaissi depuis son retour chez les Etelkrus. Il sentait le remous de ses poils secoués contre sa peau, et l'air frais le faisait presque frisonner, mais il gardait de son séjour au Nord une espèce de carapace contre le froid. Il le sentait, mais il n'y faisait plus tellement attention. La lumière, par contre, sur la mer, l'aveuglait presque. Après ces mois dans le noir, dans la nuit, il avait toujours parfois du mal à s'adapter à toute cette lumière. Il se laissa un instant bercer par la brise, l'odeur salée des algues, puis reprit son chemin.

Il descendit les escaliers avec attention, ses mouvements calmes et mesurés, tels qu'ils l'avaient été lorsqu'il était plus jeune. Au final, il avait toujours été un vieux dans la peau d'un jeune, et son esprit lui paraissait aujourd'hui encore plus vieilli qu'avant. Toutefois, ces motifs avaient changé, de ceux d'un jeune mâle amoureux, d'un ami soutenu, à ceux d'un étranger vu de travers, d'un loup au regard éclairé par ses expériences.

Il rentra dans la crypte et s'avança. Il y avait la statue de la déesse, ici encore, et ses souvenirs lui revenaient. Il avait passé ici son glowstick. La déesse était venue lui donner un pendentif pour aider Rowena. Il avait donné une broche à Pepper. C'était un lieu de de grands moments de sa vie s'était déroulés. Il pensait à son glowstick, ce petit crane d'oiseau qu'il avait pris tant de mal à peindre avec des motifs qu'il avait trouvé dans les livres sur les cultures lupines anciennes, lorsqu'il était petit. Il en avait été si fier, même si sa maman l'avait beaucoup aidé. Elle avait toujours eu un goût pour ce qui était joli bien plus prononcé que lui. Lui, qui avait développé un goût pour ce qui était malade, ce qui était venimeux, ceux qui étaient fous.

Il vint s'asseoir devant l'autel en se courba en une révérence devant la déesse. Il n'avait plus ce glowstick luisant de la lumière de la ruse. Il était entre les pattes d'un loup très déçu. Il l'avait sacrifié pour pouvoir échapper le camp de travail. C'était un grand regret, de l'imaginer entre les pattes d'un autre, bien qu'il avait vu finir par se rendre compte de la fourberie et l'éclater contre un mur, de rage. Il avait fait ce qu'il devait pour revenir. Il avait sacrifié ce qu'il avait de plus cher. Mais pour quoi, au final ?

Il se redressa.

"Déesse Ruse, je suis revenu.
Je n'ai de mots pour vous professer l'ampleur de ma tristesse, de me présenter ainsi à vous."

Il n'avait plus la force, le regard, le corps du jeune disciple qui avait été ici il y avait quelques années de cela. Il n'avait plus le glowstick qu'elle lui avait donné, brillant autour de son coup. Il était, somme toute, un autre loup. Le jeune qu'il avait été avait péri.

"Je vous apporte ce présent, qui a compté les mois de ma séparation de vous et de ma famille." murmura-il.
Il leva ses pattes et détacha les cordes, tressés avec ses cheveux, qui reliaient ses deux oreilles, passant par des trous perforés dans ses oreilles déchirés. Il les prit, et les posèrent sur l'autel. Que de nuits il avait passé, ne réussissant à dormir, à s'arracher les cheveux à la lumière de la lune, pour les tresser en cordes qu'il cachait sous sa maigre couche, pendant que ses congénères ronflaient autour de lui, agités par un sommeil de cauchemars dont même le levé du soleil ne pouvait les rescaper.

Il s'inclina de nouveau et recula d'un pas.
"Je reviendrais pour vous prouver que je suis plus que ce dont j'ai l'air" souffla-il doucement.
Il n'avait l'air d'être qu'une ombre du jeune qu'il avait été. Malgré le fait qu'il ait repris du poids en mangeant mieux, malgré son pelage un peu plus bouffi, malgré son regard plus intense et plus fort, il avait l'air d'un vieux. Il s'inclina une dernière fois devant sa déesse mère. C'était pour elle qu'il était devenu Etelkrus, au final. C'était pour elle qu'il était revenu, c'était pour elle qu'il resterait.
Pepper n'était plus que l'ombre de la jeune louve qu'il avait aimé, si il n'était plus, pour elle, qu'une vieille ombre de son ancien ami. Il ne la reconnaissait quasiment plus, il ne savait plus face à qui il était, quand il était face à elle. Mais cet endroit... il l'avait tant ressenti comme eux deux. Il ressentait encore ce que ça faisait de lui accrocher sa broche en forme de croix, ce que ça lui avait fait de voir son sourire, l'écho de la voix de celle qu'il avait tant aimé.
Si seulement il avait pu tout arranger, tout faire aller mieux ... Mais en essayant, il avait échoué, et maintenant il savait qu'il ne pourrait revenir en arrière.

Il secoua un peu la tête, libéré de ses lourdes cordes, sa tête lui paraissait bien plus légère. Il était temps de rentrer au camp, il avait des choses à faire.

Lymphalème

Il l'entendit arriver, et se tourna vers elle, la regardant arriver sans dire mot. Son glowstick brillait sur son dos. Il était heureux qu'elle ait retrouvé cet objet qui avait tant fait partie d'elle, qui avait été une si grande fierté, dans sa jeunesse. La fille de la Renarde, il se souvenait du bonheur de la petite bleue, lorsqu'elle avait ramené cette preuve de ses capacités au camp, fut il un temps. Maintenant, que marquait ce glowstick ? Une quiétude revenue ? Il en doutait. Une puissance retrouvée ? Non, elle était plus puissante qu'avant, à présent. Si puissante qu'elle avait perdu de vue ces belles choses qui rendent les impuissants heureux ? Il n'en savait rien. Il n'entendait plus rien, de la douce mélodie de l'esprit de la bleue. Pllus rien de ses pensées. Plus rien de ses peines.
Ce qu'ils avaient eu était à jamais perdu, et la souffrance de cette perte ne semblait pas être possible à combler.

"Pour certaines choses, il n'y a nul réconfort." répondit-il, après un moment de silence.

Il passa un instant de silence. On entendait, depuis l'intérieur de la bâtisse, la souffle du vent, le bruits des vagues sur les rochers, les crics des mouettes. Tout ce monde extérieur de force, d'affrontement, de peur, de danger, semblait très loin, ici, dans le calme de l'antre divine. Pourtant il n'en rageait pas moins bataille dans les deux cœurs qui y battaient.

"Pour certes erreurs, nulle excuse. Nul pardon. Nul rachat."

Il redressa sa tête vers la statue divine derrière lui.
"Je cherchais l'acceptation."

L'acceptation de la perte, de l'impossibilité de revenir en arrière. L'acceptation d'une peine qui ferait partie de toute sa vie, à présent. L'acceptation était une chose bien dure à obtenir. Non seulement des autres, accepter quelqu'un comme les leurs, mais également de soi même, accepter ses défauts, accepter ses erreurs.
Les temps avaient changé, les personnes avaient changé, et pourtant au fond, ne restaient-il pas une petite partie de qui on avait été ? Il restait le soupçon d'un espoir, dans le coeur du gris, que cette petite partie de la Pepper d'antan subsistait encore dans la dictatrice aveugle. Est ce qu'il espérait pouvoir toucher ce petit bout de passé, avec son propre coeur ? Il n'osait plus. Il ne savait plus quel bien pourrait en devenir. Il n'avait rien de plus de prévu, que de retourner chaque jour prier pour elle chez la Renarde.
Prier pour lui. Que un jour il accepte que de sa faute, il avait perdu sa chance. Il avait perdu son amie.

Il se retourna vers la louve. Il la détailla. Comment pouvait on être si semblable à Pepper, et pourtant si différente ? Il avait fait des erreurs, elle en avait sans doute fait aussi. Il s'était éloigné physiquement comme elle s'était éloignée psychologiquement. Ils étaient si loin, l'un de l'autre, à présent, alors qu'ils avaient été si proches. N'y avait-il aucun pont qui pouvait passer outre ce torrent de peine et de haine ?
Il espérait tant en poser la première pierre, mais il ne savait pas où commencer.

"Et toi ?"

Lymphalème


Elle se détourna. Il savait que la discussion se passait mal, mais c'était dur de penser que c'était devenu si mauvaise que cela. Il ne savait même pas comment réagir face à cette froideur. Il l'avait sue réservée aux autres, lorsqu'ils étaient jeunes. C'était une si grande peine que de savoir qu'il faisait partie des 'autres'. Ceux qu'il l'avait vu considérer avec haine lorsqu'il était jeune, ceux qu'il avait considéré avec inquiétude à ses côtés.

Il regarda sa forme s'éloigner, prenant une inspiration pour parler, pour s’excuser, pour tout expliquer et raconter.. Mais rien d'autre ne lui venait qu'une grosse boule dans sa gorge. Comment avait-il pu faire ça ? Il n'avait pas fait exprès, il le savait, mais peut être n'avait il pas fait assez, aussi. Ses yeux ocres se voilaient doucement. Il ne voulait pas qu'elle parte.

"Je suis désolé. Je sais que ce que j'ai fait est inexcusable."
Il n'avait peut être pas fait exprès pour la suite des évènements, mais il n'y avait pas d'excuse pour avoir cru qu'il pouvait aider Godric seul. Il s'était cru capable d'aider, en tant que soignant. Mais il n'avait pu soigner l'esprit. Il n'avait pu soigner certaines choses.

"J'ai perdu tellement ces derniers mois... Mais je suis revenu pour retrouver ma vraie famille. Est ce que tu pourrais me donner cette chance ? "
Surtout pour lui, toutes ces paroles, c'était pas normal. Il parlait plus qu'il n'avait presque parlé toute sa vie parfois, quand il était avec Pepper. Il n'y avait eu qu'avec elle, quand ils étaient petits, qu'il parlait autant.

"Une erreur efface-elle tout le reste ?" demanda-il.

Si c'était le cas, il n'avait plus grand chose à faire à ses côtés. Si elle n'acceptait même pas de lui donner le temps de lui montrer qu'il ne se résumait pas qu'à une seule erreur.
Quand elle était malade, quand elle lui parlait plus, il était resté là pour elle. Était-elle capable de rester avec lui, malgré son erreur ?

Lymphalème

Il s'était approché, lorsqu'elle parlait, pour l'écouter, pour entendre ce qu'elle avait à dire. Et à côté d'elle, elle lui avait soufflé la bougie qui illuminait le sens de sa vie. Il la regarda, dans sa peine, peine qu'il lui avait créée, peine qu'il avait aussi ressenti, loin d'elle. Il avait espéré revenir, et avait eu si peur qu'elle l'oublierait... Et voilà que c'était fait, et qu'elle était passée à autre chose. Une autre vie. Avec aucun retour possible vers le bonheur de leur jeunesse.

"Je t'ai aimé aussi."

Ce ne fut à peine plus qu'un souffle, cet aveu, alors qu'elle partait de nouveau. Depuis combien d'années attendait-il, pour le dire ? Depuis combien de temps l'avait-il regardée, en retenant ces mots derrière ses crocs ? Les choses auraient-elle été différentes, si il l'avait dit plus tôt ? Que serait-il arrivé, si il n'était jamais parti ?
Et même alors qu'elle partait, et qu'elle n'avait plus désir de le voir, de l'entendre, d'être son ami, il était si impossible pour lui de tuer cet amour qui existait toujours.

"Je t'aime toujours."

Il la laissa partir. Sans doute cela finirait de briser son cœur. Mais parfois, la meilleure chose que l'on peut faire pour quelqu'un qu'on aime, c'est de la laisser partir. Alors il s'assit, pendant que la forme bleue s'éloignait vers sa meute, celle qu'elle avait construit avec lui à ses côtés. Celle qu'elle dirigeait sans lui, à présent. Il sentait un abandon, une grosse boule dans sa gorge. Il fallait qu'il la laisse partir, et qu'il vive sans cet espoir fou qu'un jour il pourrait la serrer dans ses pattes et lui dire qu'il l'aimait.

Lorsqu'il serait seul, il se redresserait, et il rentrerait au camp. Où d'autre ? Pourtant, plus jamais ce serait chez lui comme avant.

[musique de fin]