Ce qui fane · Pepper

Elle déroule un pas, hésite...
Puis pénètre dans l'espace.

Elle s'avance, trouve dans un océan monochrome gris la tâche de bleu qui lui importe. Quelques battements de cœur, et elle la rejoint. C'est d'une démarche souple, qu'elle a avalé la distance. Le noir de ses yeux se pose sur le siège, un sourire léger remonte ses babines. Comme un papillon, il repart.

Sur le trône, elle ne monte pas.

Sur quatre pattes, se déplacer est plus aisé. Prudence lui as-t-on intimé, la guérison a la fraîcheur des premières couches de neige. C'est ce qui lui fait conserver ses déplacements de panthère, silencieux et lents. Elle a patienté, pour ce résultat. A trouvé le sommeil plus longtemps et plus souvent qu'à son tour dans le stricte de respect de la consigne. Statue de pierre dans son castel est-elle devenue, dans le rigoureux suivi de la demande des panseurs. Son corps a rassemblé l'énergie qu'elle lui a donné pour réparer ce membre endommagé.

Sa patte s'est remise.
Le temps qui lui a été alloué l'a laissé flotter parmi les étoiles, et parvenir à une conclusion.
Pas son esprit.

La consolidation des fissures ne s'est jamais produite. Une discussion importante, et elle a dissocié après avoir laissé partir sa fille, si pure, si optimiste. Elle a un nom pour ces instances, maintenant. Des crises. La crise est un tremblement de terre dont sa tête est l'épicentre, qui la détruit un peu plus à chaque fois. La fatigue et le stress sont un sol d'argile dans lequel son encéphale s’effondre. Les plantes que lui donnent le petit dragon empêchent les choses de trop s'aggraver, maintiennent quelque chose de branlant. Ce qui maintient son esprit, se trouve en face d'elle. Celle qui comprends pour l'avoir traversé et donne dans le lien de quoi l'empêcher de céder à la morosité.

Celle qui l'a vu mentir en premier lieu, pour ne pas affoler.
Pour ne pas se l'avouer. La première alors, qui l'entendra confesser.
Elle caresse le trône, l'effleure.

"Tu t'étais relevée avec bio."

Pose le front contre le bord du trône.
Elle accepte son destin, sait que sa sérénité doit paraître dans la perméabilité de leurs deux âmes. C'est ce que les soldats font, quand il le faut, ils acceptent de bonne grâce. C'est ce qu'elle a voulu transmettre ; elle ne se plaint pas, elle courbe l'échine avec noblesse.

"Je ne m'en relèverais pas."

Elle s'écarte du trône, et trouve plutôt le contact de Pepper.

"Nous allons avoir besoin d'avancer le choix, former plus tôt que prévu."

Mais c'est pour le mieux, ne se sent-elle pas obligée d'ajouter. Avec les menaces, il faut des dirigeants aptes. Il y a encore de la détermination en elle, pour former ces futurs représentants de leur meute. Elle n'abandonnera pas cette tâche.
Elle, ne l'est juste plus, apte.

Ce qui fane

▬ ft. Anette

Été 2020.
7ans et demi.

Elle est immobile. Tellement sûre d'elle, Pepper.
Assise là sur son trône.
Seule, encore un moment.

Elle inspire et expire, avec une profondeur qui à chaque fois pousse ses poumons à leur maximum. Elle hume les odeurs qui voguent autour d'elle. La sueur de ses apprentis qui se démènent, l'effluve d'un fils qui toujours rôde dans ses pas et à qui elle lègue quelques tâches. Elle trouve sa sérénité dans ces présences passées, dans ce qu'elle leur aura fait accompli, à tous, dans ce qu'elle leur fera encore réaliser demain. Tellement fière, Pepper.
Et pourtant quand tu t'avances, Anette, tout ça s'efface. L'assurance et l’orgueil s'amenuisent, ils n'ont plus lieu d'être quand ton odeur et le bruit sourd de tes pas trouvent écho contre le sol. Ton pas est lent et fatigué, il est silencieux pour celui qui ne sait écouter mais ne peut manquer à celle qui trop bien te connait. Tu n'as plus la démarche boitante d'une patte cassée qu'on répare, pourtant elle sait que ça ne va pas. Ses oreilles se tendent vers toi, c'est comme un regard qui se braque sur ta venue.
Tu ne viens pas la reléguer à son trône, celle qui s'y tient encore quand toi tu n'y montes plus. Tu le frôles et elle l'entend, ton museau qui trouve la pierre sans que ton corps n'y pose une patte.
Tu viens la voir, elle.

Pas l'Alpha. Pas la mère.
Tu les avais déjà côtoyé, tu leur avais déjà parlé.
Tu viens chercher l'amie.
Tu viens chercher Pepper.

Ainsi est-elle attentive à ces mots.
Par ce fils qu'elle aime peu mais ce panseur qui la surprend, elle sait que tu es malade. C'est un mal dont on taira le nom, car il sera resté mué sur celui-ci. Un mal qu'elle connaissait déjà d'avant la confession, par tout ce qui filtrait par le Lien. Elle savait que la pleine lune était là non plus pour cette énergie qui s'en dégageait, mais par son échine qui soudain se dressait sous l'effet de ta rage sauvage.
Elle savait que tu avais peur, elle connaissait tes angoisses et ce qui les déclenchait.
Elle savait ton stress. Et pire encore.
Elle n'avait voulu brusquer ta venue, pourtant. Elle s'était contenté d'être forte pour deux, de garder cette brillante façade de celle que rien ne peut faire ployer devant ses jeunes. Elle avait dirigé, elle s'était battue contre ses jeunes et s'était amusée. Et tu avais pu le sentir, tout ça. Tout ce qu'elle t'avait envoyé, par le Lien, encore lui.
Tout ce qu'elle pouvait faire, en attendant que tu ailles mieux.

Au fond, elle savait que tu lui viendrais.

Contre le rebord de ton trône, tu approches ta tête et Pepper le sent. Elle est si proche de toi, que lorsqu'elle tend la patte elle trouve ton front apposé là.
Entre ses doigts passent tes cheveux, dans cette douce caresse qu'elle fait revenir avec tendresse pour toi, comparse de pouvoir.
Elle n'avait jamais aimé comme tu avais pu aimer. Elle te savait pourtant son âme-soeur.

Un souffle secoue ses épaules, infime mouvement qui contracte ses flancs et la fait se redresser un peu, elle si petite qui se penche sur toi.
Ses réponses sont des murmures, qui viennent se perdre près de tes oreilles.

Tu t'étais relevée avec bio.
« Mais pas sans perdre quelques morceaux. »
Je ne m'en relèverais pas.
« Ce n'est plus ce qu'on doit attendre de toi. »

Peut-être au fond se doute-t-elle, Pepper, de ce à quoi elle ne pense plus. Parce qu'elle s'est focalisée sur toi et la génération nouvelle, elle avait oublié ce qui l'habitait et qui parfois la retrouvait.
La douleur du cœur, que le fils lui soigne comme il te soigne. Et tout s'améliore, quand ce n'est que façade et que sa fin approche, celle à qui elle ne saurait esquiver l'ultime attaque. Elle avait cru être éternelle, elle avait songé à d'autres avenirs pour les vôtres. Elle avait eu un regain d'ambition, comme aux premiers jours. Elle qui aurait été Alpha toute sa vie, avait oublié la décision prise que de léguer ce rang, son rang.
C'est toi qui la force à descendre de son trône, cette Petite Reine.
La voilà au sol.
Elle vient à ton contact quand tu t'écartes du trône, son flanc contre le tien et sa tête qui remonte vers ce dos qu'elle ne peut atteindre.

Car elle est forcé de réaliser, Pepper.
Que vous avez fait votre temps.
Que tu es fatigué.
Qu'elle va bientôt mourir.

« De tous les choix que j'ai dû faire, ce sera sans doute la plus sage décision que j'aurais prise, que d'être d'accord avec toi.
Il faut d'abord que je te dise, Anette... »

Elle a un rire bref, un rire qui à moitié s'étouffe dans un sanglot qui lui sert la gorge mais ne se délie pas. Elle a les larmes aux yeux, si discrètes mais pourtant là.
Pourquoi pleures-tu, Pepper ?
Elle serre un peu les crocs.

« ...Que je n'aurais pu avoir meilleure vie que celle passée à tes côtés.

Et qu'importe ce dont demain sera fait.
Cela vaudra jusqu'au bout. »

Ils avaient semés.
Elles avaient récolté.
Et maintenant tout se fane.

Tout se terminerait bientôt.

Maintenant elle s'écarte de toi, dans un arc de cercle qu'elle décrit. Elle marche, sa courte queue est redressée et l'allure est lente. Elle se laisse à la réflexion, respire à peine quand elle écoute ton souffle. Même si elle avait laissé de côté cette passation, au profit des autres choses de son quotidien, deux noms savaient lui revenir.
Le sanglot passe enfin et dénoue sa gorge, elle prend une tremblante respiration sous l'effet de cette émotion qui l'incombe. Elle n'a plus l'habitude, de tout ça. D'afficher autre chose qu'une sale tête, qui ne savait trouver sa détente que lorsque l'adrénaline venait à pulser dans ses veines.
Elle s'arrête, en face de toi.
Relève sa tête, qui fait tomber sur sa nuque ces cheveux coupés courts. Sa voix est faible mais porte le timbre qu'on lui connait.
Elle parle sans trace de doute, Pepper.
Elle te montre qu'elle est prête, à partir avec toi.

« Je vois sur mon trône deux apprenties miennes. Pour cette fierté qu'elles me procurent. Pour ce dévouement envers les nôtres, et la satisfaction qu'elles m'auront prodigués lors de nos entrainements...
Je vois Anita. Pour sa vivacité et l'enthousiasme que j'aurais trop tôt perdu. Pour sa réflexion qu'elle use autant que son agilité, porteuses des valeurs Etelkrus sans pourtant s'y perdre... Elle fera évoluer cette meute comme nous aurons su la faire renaitre.
Je vois Holly. Pour sa volonté et son esprit d'initiative, pour ce qu'elle aura déjà accompli en tant qu’Épée et qui aura fait progresser la meute. Et malgré la faiblesse qu'elle démontra récemment, je crois en l'adulte qu'elle finira par devenir. Sans doute parce qu'elle me ressemble, s'ancre davantage dans nos valeurs.
Je vois Anita et Holly. A elles deux, de trouver l'équilibre entre traditions et changements.

Et toi, Anette.
Qui vois-tu. »

Sa tête est dirigée vers toi. C'est presque si elle te regardait droit dans les yeux, elle qui ne peut pas.

Pas sans perdre quelques morceaux.
Des petits bouts, qu'elle avait ramassé mais à jamais détachés, il est vrai. Une période dont elle est heureuse d'avoir fêté la fin par la fidélité. Promesse mise en danger, mais ressoudée avec un lien pour l'attester. Mais elle sait, connaît les dommages qui strient encore son corps.

Ce n'est plus ce qu'on doit attendre de toi.
L'entendre enlève une pierre qui a alourdit son âme. Catalyseur de son angoisse. L'objet qui devait être trouvé au bout du chemin de la convalescence ; la preuve que le retour sur le trône serait possible. La fiabilité. Capacité à répondre aux attente de la meute. Le lâcher à l'air elle-même est une chose, l'entendre couler de la bouche de Pepper est un baume et efface enfin la peur.
Et ouvre les larmes.

D'autant plus quand la petite reine descend, se met figurativement à sa hauteur. Le geste est fort, mais l'état l'est encore plus ; palpable dans le corps qui tremble pour canaliser et dans le Lien qui murmure ce qui ne peut être versé. Ses mots sont un ajout qui l'agitent à son tour d'un rire bref, un aboiement venu du plus profond de sa poitrine, qui emporte avec lui la tristesse mais aussi la reconnaissance, l'acceptation. Il n'y aurait presque rien à ajouter, juste à essuyer ce nez qui communique avec ses yeux chargés de larmes salées.

Elle réponds, un écho.

"Lien et âmes forgées dans l'adversité, une vie inattendue par bien des manières... À laquelle je ne changerais rien non plus, si c'était à refaire."

Elle ferme les yeux, ne verse pas ses larmes non plus, copie Pepper dans cet entêtement.

"Merci."

Ils avaient semé.
Elles avaient récolté.
Et maintenant tout se fane.
C'est la fin d'un cycle, pour qu'un nouveau puisse commencer.

Elle laisse son âme-soeur s'éloigner pour exprimer ses choix pour l'avenir, elle écoute d'une oreille dressée ce qui viens, les arguments qui étayent les noms qu'elle offre. Elle trouve ses choix raisonnables, appuyés sur des victoires, des idées, des actions. Elle repense à sa conversation avec Anita, qui si elle l'a rappelée à sa culpabilité d'inaction et causé une crise, lui a peint un portrait brillant de sa fille par son humanité et son espoir. Elle fouille dans sa mémoire pour revoir Holly qui propose de poser des pièges, qui terrasse une solitaire, et qui essaye sincèrement de faire confiance à Alexandrine malgré ses sentiments.
Pepper doit déjà sentir dans le lien, l'accord.
Elle prends une inspiration et parle quand même.

"Un duo opposé et qui se ressemble pourtant dans la volonté de faire évoluer la meute et la protéger. Par la prévention et la défense. Elles ont la volonté de tirer les choses vers l'avant, comme nous à la même époque."

Elle émet un son pensif.

"Pour remplacer Hollyock, pour la protection, j'aimerais voir Désastre conseiller. Il n'a cillé qu'une fois face au drame venu de l'intérieur, décrypte les émotions des autres en y étant imperméable et ultimement, soigne, combat, et a la précision d'une horloge : il pourra apporter de l'ordre."

Il sera une des têtes calmes en toute circonstance, pense-t-elle.

Ce qui fane

▬ ft. Anette

Été 2020.
7ans et demi.

Les deux visages s'accordent, sur les quatre joues roulent quelques larmes invisibles.
Vous êtes les Alphas qui faiblissent à découvert, l'une en face de l'autre, en secret pourtant de tout leur peuple. Celui qui bientôt vous salueront, acclameront cette jeunesse nouvelle à la tête de votre meute. Et vous, deux âmes sœurs derrière elles, un peu plus âgées que vous furent vous-même lorsqu'on vous propulsa à ce même rang.

Un merci.
Son échine en tremble un peu, à la Petite Reine qui marche en silence dans votre salle des trônes. Ce lieu sien, marqué par son odeur tant elle y imposait sa présence. Elle en fait le tour comme pour le reconnaître à nouveau, comme si elle voulait se souvenir de la moindre aspérité dans les murs, ceux que lui renvoient l'écho de sa langue qui claque contre son palais. Comme si, en faisant volte-face et en quittant cette salle, elle n'y poserait plus jamais une patte.
Ce n'était pas bien loin de ça.
Elle la quitterait en laissant derrière elle quelque chose d'important. L'acceptation que son temps était révolu, et que de Petite Reine elle redeviendra Pepper. Maillon Épée au cœur fragile, battant de maladie autant qu'il n'avait jamais battu d'amour.
Pas besoin, quand la tête et le Lien suffisent pour aimer à sa façon, quand l'esprit s'éprend de ceux des autres plus que le corps ne s'intéresse au corps.

Ce même lien, au travers duquel elle sent ton accord. Ces noms te vont, Anette, peut-être y as-tu toi même pensé. Tu ne communiques pas d'autre choix, elles te semblaient être votre digne succession.
Cette fois-ci c'est un fin sourire qui s'étire sur ses lèvres, illumine ses babines alors que son corps s'éclaire sous une meurtrière, et d'un coup se baigne de lumière qu'elle ne sait que par la chaleur qui soudain la saisit.
Un duo opposé. C'était toujours la promesse de grandes choses, oui. Plus encore, et elle le dit :

« Et c'est ce dont la meute finira par avoir besoin. »

De leadeuses capables de les mener plus haut encore, par la fougue de leur jeunesse et leur volonté. De mener la génération leur, quand elles avaient rattrapés l'ancienne et offerte la nouvelle. Il fallait savoir s'adapter, avant que le règne ne décline dans une césure d'âge et de mentalité.
Pepper le comprenait bien.

Quant tu évoques son fils, elle s'arrête pourtant.
Surprise, de trouver son prénom sur tes babines. Surprise, qu'on pense à lui pour assurer un rôle pour lequel jamais elle n'aurait pu le prédestiner. Car il était son petit soldat, formé pour être assassin. Un pion. Son ombre, à elle, désirait-elle le partager ?
Il combat, il soigne, impassible et objectif. Il est un couteau-suisse qu'elle tient solidement dans le creux de sa patte, pourtant elle sait qu'un jour elle devra léguer celui fait arme à d'autres pattes.
Son éducation fait sa fierté, sa personne davantage la rebute.

Elle a fait des efforts, pourtant elle a toujours du mal à être mère.
Pepper secoue la tête.

« Je ne saurais être de cet avis, peut-être parce qu'il est fils mien.
Plus que pour apporter de l'ordre, il est fait pour en recevoir ; tout comme être conseiller implique d'être pour la meute un exemple qu'il ne saurait être.
Mieux vaut le préserver de tout haut-rang et le laisser en ombre derrière ceux-ci. »

Car il n'y a qu'eux pour arrêter l'instabilité dont il témoigne... Ou est-ce parce que c'est dans ton ombre à toi, Pepper, que tu veux l'y noyer égoïstement ? Plus que ta couronne, était-ce ton fils que tu ne voulais voir t'échapper pour de bon et être amené à prendre des décisions, à lui dont tu dictas tout au point de l'enfermer dans cette incapacité à fonctionner sans son planning finement rodé ?
La meute méritait à sa tête autre fleuron Etelkru, quelqu'un qui saurait composer avec les Alphas. Elle passe sur ce sujet quand se trouble un peu le Lien, ses épaules un peu se haussent.

« Nous pourrions laisser à Anita et Holly le loisir de nommer le troisième membre de leur Conseil, dans ce premier choix qu'elles auraient à faire. »

Peut-être Anette tenait-elle à ce choix. Elle espérait que non, Pepper.

Elle sent son état, partagé d'abord dans ses mots.
Sa position sur le sujet est claire : elle n'est pas convaincue qu'il sera un exemple, fait à ses yeux pour suivre et non être un maillon entre ceux qui guident et ceux qui écoutent. Viens ensuite l'état mental, une contrariété, qui obscurcit le lien, et couvre de nuages sa tête. Elle sait se contenter de ce qui se transmet, n'a pas besoin de connaître l'explication pour répondre. Les défauts de Pepper, elle les accepte comme elle sait que la bleue prends les siens en retour.

"J'aurais tendance à lui faire confiance pour évoluer aussi, comme Hollyock. Mais..."

Mais, il s'agit de Blue et si cela lui fait naître cette réflexion nébuleuse, et cette hâte elle le sent dans son cœur comme on sent le soleil en éclaircie, en note fugace, alors Anette satisfera sa consœur avec un compromis. Leur relation n'est pas une bataille, elle n'a pas peur de concéder du terrain.

"Nous lui demanderons. Tout comme nous demanderons à Anita et Holly ce qu'elles pensent de ce choix, et de la perspective de prendre ce haut-rang." Elle courbe l'échine et teinte d'un rire amusé et perturbé. "Je ne veux pas les jeter dans la bataille sans possibilité de refus, comme nous l'avons été."

Cela fait tant d'années, mais jamais le temps n'as-t-il gommé l'irréalisme de leur prise de pouvoir rocambolesque, ubuesque. Elle sait que former les futurs têtes de la meute couvre déjà cette pensée, mais elle n'a pas pu s'empêcher de réitérer cette envie de ne pas faire vivre aux autres ce qu'elles ont eu. Que tout soit mieux.

"Peut-être nous faut-il un troisième nom, au cas où il y en ai un, de refus. Léo peut-être ? Apprenti mien qui est déterminé, qui a su me prouver qu'il pouvait encaisser. Narcisse... je suis plus biaisée à son sujet, il a néanmoins été ton apprenti exemplaire et possède le sérieux que l'on pourrait vouloir d'un dirigeant."

Elle dissémine des idées, à voir si Pepper sera d'accord.

Ce qui fane

▬ ft. Anette

Été 2020.
7ans et demi.

Le Lien parfois lui fait défaut, c'est le cas à chaque fois qu'est abordé le sujet du fils qu'elle traine avec elle et avec qui elle ne sait jamais quoi faire, quand pour sa comparse être mère semblait évidence même. Celui qui encombre ses pattes mais qu'elle n'a voulu savoir dans d'autres, pourtant aurait pu lui offrir autre existence. Celui sur qui elle leva parfois les crocs, plus souvent qu'elle ne veilla sur lui.
Celui qu'elle fit en sorte de rendre fort plutôt qu'épanoui. Et ça... Ce fut une réussite, n'est-ce pas Pepper ?
Elle sait ses erreurs et ses défauts à son égard, il n'y a pourtant de regrets ou de remords, il n'y a même de volonté réelle de changement.
Quelques efforts, pour satisfaire les discussions qu'on lui aura tenu, les réprimandes auxquelles elle aura fait face.
Elle n'a jamais réussi à s'investir pleinement dans une éducation autre que l'entrainement.

Aussi n'a-t-elle pas confiance, dans une potentielle évolution.
Car son évolution ne tient qu'à elle, à elle seule et elle le sait.

Le Mais prononcé lui fait redresser la tête, son museau se redresse farouche et incriminant. Il y a une vague tension en elle, le doute de ce qu'avancera l'amie de toujours.
Finalement, ce n'est rien.
Elles lui demanderont. De là, sa réponse était tracée dans sa bouche, à elle. Le ciel obscur du lien se dissipe au profit de nuages éparses, voilà que vient un soulagement mêlé de satisfaction.
Un sourire lui revient, léger, elle hoche la tête.
Conquise.

« Bien, procédons ainsi. Tu sais toujours me mettre en accord. »

Elle espère que ce rôle serait accepté par ses deux apprenties, tout comme elle pense peut-être à tort que d'autres noms se porteront en gueule pour ce Conseil qu'elles auront alors à leur disposition.
A l'évocation de leur nomination, il y a ce même rire qui la saisit.
Bref, fugace, il vient et déjà s'en va. A cela elle hoche la tête sans poser d'autres mots, il n'y a pas besoin d'en dire plus.
L'une et l'autre connaissaient par cœur cette histoire qui est leur.

Et la possibilité d'un refus existant, de la part d'Anita et d'Holly, était de se fait à prévoir.
Car si dur, était le rôle d'Alpha.
Elle écoute les noms suggérés, réagi à l'un plus qu'à l'autre. Si elle ne connaissait Léo, elle faisait confiance à Anette. Elle sait à quel point le mentorat révélait tous les atouts d'un loup. On apprenait à connaître sa détermination, ses forces et ses faiblesses. On le saisissait en toute objectivité, on lui transmettait ses compétences.

« Je ne m'opposerais au choix de Léo, bien que je ne le connaisse. Je te fais confiance à son sujet. Je sais cependant que Narcisse ne trouvera satisfaction sur le trône, ses ambitions sont ailleurs, loin des autres. Il n'a pas la patience nécessaire pour porter oreille attentive à tous ceux nécessitant une écoute, ses qualités sont ailleurs. »

C'est plus à la tête d'une milice, que trouverait sa place son assassin. Car là était sa vocation, c'était chose qu'elle avait pressentie chez lui. Il servirait loyalement ses Alphas, elle ne s'en faisait pour ça ; plus encore si il s'agissait d'Holly, avec qui souvent elle le mettait en patrouille, qu'Anita, sa sœur.
La petite Reine qui bientôt ne serait plus Reine marche d'un pas lent, s’assoie finalement si proche d'elle, sa chère Anette.

« Ainsi, nous voilà accordée sur la page de notre future. »

Son museau touche fugacement le torse large et puissant.
Ainsi serait donc écrite la dernière page de votre règne.

Anne écoute, et trouve raisonnable l'argument qui est formulé sur Narcisse. Elle émet un grognement léger comme une plume, qui s'envole avec les dernières vapeurs de cette discussion. Et finalement, de leur ultime décision. La petite Reine et la grande Reine, accordées sur leur futur comme le disait si bien la bleue. Dans le langage de Pepper, le geste est sans doutes l'équivalent des grandes embrassades expansives d'Anette. Anette sourit et quitte des yeux la précieuse consœur.
Mais au lieu d'observer la pièce, elle observe le couloir qui mène au-dehors.

"Oui."

Sa solennité se brise, elle veut goûter un peu avant que cela ne soit officiel, à ce que leur duo sera. Elle est arrivée par cette embouchure incertaine, humble face à son sort. Triste, en partie. Maintenant cependant elle sent quelque chose naître dans son cœur ; une couleur différente à la flamme qui l'a toujours habité et qui a été menacée récemment par le souffle du tremblement de terre. Une sensation...
D'anticipation.
D'excitation ?

Elle s'esclaffe bizarrement, se fait surprendre elle-même par ce son mais comprends juste qu'il s'agit de l'effet thérapeutique qu'à eu cette discussion. Un brin soudain de jeunesse, une bulle d'innocence perdue qui remonte soudainement à la surface.

"Et après, j'irais à la plage. Je te ferais écouter les vagues où j'ai grandit, et te ferais sentir la texture des coquillages."

Elle tapota l'épaule de Pepper et s'avança.

"Et hors de question de se laisser aller. Sport pour maintenir ce qu'il reste de nos carcasses. " Un nouveau rire. "Je te battrais toujours en gainage."

Dans le couloir, sa voix enthousiaste raisonna encore de quelques promesses d'exercices et d'expériences.
Leur règne fanait.

Pour permettre à la fleur d'un futur à leur convenance d'éclore.

Ce qui fane

▬ ft. Anette

Été 2020.
7ans et demi.

C'est bon ? C'est bon.
Un oui conclut le tout et fait baisser son museau. Les voilà accordées sur leurs dernières mesures, la symphonie d'un règne qu'il lui avait jadis semblait éternel trouvé maintenant sa fin imminente.
Et de cette partition, elles en transmettraient la copie, qui pourtant ne se jouerait pas en coda.
Aux nominées d'en écrire la suite, quand se recluraient celles qui les auraient formées.

Son cœur bat calmement.
Pepper est sereine.
Il ne se perd en cet instant dans ses battements incertains, qui l'épuisent et l'emmènent vers une autre fin. Celle que son fils chaque jour écoute devenir un peu plus proche, quand un peu plus s'épuise le palpitant. Dans le Lien, la tristesse et la nostalgie d'une époque révolue, celle de leur âge d'or, se dissipe au profit d'autre chose.
C'est beau, quelque part cela lui fait du bien.

Et voilà qu'Anette, en un éclat de voix, n'est plus Alpha. La voilà redevenue Anette, face à Pepper.
Elle lui parle de la plage et des coquillages, du bruit de la mer et du sable sur lequel elle posa pour la première fois ses larges pattes. Et ça la fait sourire, Pepper.

« Nous irons. »

Une promesse.
Puis un contact et un pas, c'est à elle de s'esclaffer dans un son clair et vif, qu'elle émettait lorsqu'elle n'était qu'une louvette un peu roquet. Un rire qui vient de loin, sincère et pur.

« Crois-tu que de superbe, la retraite aurait su m'enlever ? Tu sais, que je ne peux laisser l'inactivité avoir raison de moi., sur les babines immense devient le sourire, s'étirant sur le côté balafré de son visage, Je te battrais toujours en souplesse. »

Un pas, l'une à côté de l'autre. Côte à côte quittent la salle des trônes et d'un même pas, leste pour l'une et rapide pour l'autre, marche à même hauteur.
On regarde passer leur duo d'apparence désaccordé.
Quiconque n'aurait pourtant su les désunir.

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