Cela l’obsédait. La Mort devenait une amante au même titre que son amour pour la Vie. Il voyait les deux côtés de la même pièce avec un certain attrait mais, le macabre et le tabou commençait à prendre la première place dans son coeur. Il sombrait petit à petit dans cette obsession d’en savoir encore plus sur la Mort. Il avait pu l’étudier au côté de Prudence. Rituel ils avaient fait pour ramener les défunts. Il n’avait pu se résoudre à délaisser les livres durement trouvés qu’il avait fini par les prendre avec lui. Un emprunt sur la durée plutôt qu’un vol se disait il pour garder bonne conscience. Il les lisait en cachette car oui, il leur avait trouvé planque loin des regards curieux. Loin de sa mère qui ne semblait pas soupçonner ses changements même si, il savait qu’elle comprenait petit à petit ce que son enfant devenait. Il faisait parfois quelques erreurs quand il parlait, abordant le sujet funeste avec une certaine passion qui effrayait le fond des yeux de sa génitrice. Il devait se ressaisir. Il devait rester dans le silence et faire plus attention car il empruntait une voie qui n’était pas appréciée, voir même détestée. Il ne comprenait pas que l’on ne puisse parler avec aisance de ce qui arrive lorsque la Vie nous quitte. La Mort restait un sinistre sujet alors, sans doute par respect et par peur de réprimande, il taisait cette fascination.
Pensant à cette amante si peu appréciée, ses pas le guidèrent parmi les tombes. Le cimetière devenait un refuge. Il ne donnait guère de réelles attentions aux stèles des défunts. Depuis qu’il s’était réveillé d’un effroyable cauchemar quelques lunes plus tôt, il voyait le monde différemment. Il Les voyait, elles les âmes défuntes destinées à une errance. Certaines marchaient en peine, d’autres se contentaient de suivre les vivants avec un regard bienveillant. Sans doute étaient-elles ascendance veillant sur descendance ? Heinly pouvait les voir mais il faisait comme si ce n’était le cas. Etait-il toujours relié au monde charnel ? Ou avait-il mis une patte dans l’au-Delà ? Il l’ignorait alors il préférait simplement les observer et les ignorer quand elles le remarquaient. La Mort semblait l’avoir béni d’un bien drôle de don. Pouvait-il leur parler ? Pouvait-il les toucher ? Nombreuses étaient ses questions et nombreuses restaient sans réponse. Il avait une certaine peur à leur adresser la parole. Pourquoi ? Il ne savait pas vraiment, lui qui connaissait des rituels de rappel du monde des morts vers celui des vivants. Il ne savait comment expliquer cela alors pour l’heure, il se contentait d’être un observateur.
Se glissant près d’une tombe, il en sortit les deux ouvrages dérobés. Il les caressa avec une certaine tendresse, son regard se faisant presque amoureux de contempler leurs couvertures. Il était prêt à s’abandonner à une énième lecture jusqu’à ce que son regard se pose sur la pierre qui lui servait de cachette. Un nom, un lieu de décès. Il tourna la tête. Chaque stèle présentait le même format, certaines indiquaient même ce qui semblait être le lieu de naissance. Il glissa les livres dans sa sacoche qui pendouillait à son flanc. Il les cala bien puis il s’approcha des pierres. Il n’accorda aucune valeur au nom, ne connaissant ces défunts mais il en était autrement pour les lieux de naissance. Certains, il les visionnait sur les cartes qu’il avait étudié. Plaines Savanes, Monts Célestes … Ces endroits lui parlaient bien qu’il n’ait pu y aller. Quant à d'autres lieux, ils lui furent complètement inconnus. Il découvrit des noms tel que la Forêt Pluviale, le Nasrin, ou encore la Lande des Brumes. Il s’arrêtait devant ces stèles, mémorisant ces endroits qui ne lui évoquaient rien. Il fit un tour du cimetière, d'autres endroits inconnus se firent voir. Des îles disparues, des lieux dont aujourd'hui il ne restait plus de trace.
Il connaissait les nombreux changements de ce monde causé par le Dieu de tous, Cronos. Il en avait lu quelques histoires mais n’ayant connu cette période et ne connaissant personne l’ayant vécu, il s’était simplement dit que tout ceci n’était que mythe et légende. Jamais il n’aurait pu penser que ces tombes recelaient des telles informations. Jamais il ne les avait vu comme tel et aujourd’hui, un monde d’autrefois se dessinait dans son esprit. Il essayait de créer une carte, se demandant si les lieux actuels y avaient aussi leur place où s’ils ne s’étaient formés qu’avec le renouveau de Cronos. Il s’arrêta alors de lire. Il regarda autour de lui, ignorant les quelques fantômes qui passaient.
Pourquoi tous ces loups se retrouvaient-ils ici ?
Il s’asseye dans cette herbe fraîche. Ils venaient tous de bien des endroits différents et ils avaient tous convergé ici, dans ce cimetière. Avait-il toujours été un point de ralliement pour fuir des conflits ? Ou alors, les loups y emmenaient les défunts de tout horizon comme une sorte de rituel ? Il y avait de nombreux éléments qui clochaient mais il ne chercha pas plus loin. Il y avait encore bien des mystères dans ce monde et il savait qu’il ne parviendrait à tous les résoudre. C’était impossible alors il accepta de prendre en compte que tout mort finissait ici mais, le cimetière n’aurait-il pas du être plus grand ? Ou avec les remaniements du monde, il avait perdu et oublié des Défunts ? Et pourquoi ni Neït ni Vivaldi n'avaient tombe s'il était le lieu de convergence ?
Heinly riva son regard sur une pierre tombale. Nom. Lieu de décès et parfois de naissance. Mais pourquoi pas âge ? Et cause du décès ? Dans les endroits qu’il connaissait, certains venaient de loin pour finir leurs jours ici. Pourquoi ? Avaient-ils fui un conflit ? Il était désireux de savoir dans quelles circonstances ils s’étaient retrouvés à s’en aller loin de chez eux pour de venir croupir ici. Il était presque tenté de faire un rituel pour les rappeler, pour leur demander ce qui les avaient poussé à faire cela mais ce n’était pas raisonnable. Il ignorait tout d’eux, c’était risqué et il risquait de provoquer une catastrophe. Il se laissa à songer à des massacres provoquant une exode. A des rebellions renversant une Hiérarchie avec violence. A la fuite d’un compagnon violent. A la perte d’un enfant faisant que le lieu ne rappelait plus que mauvais souvenir. Son esprit divaguait dans toutes ces théories mais, si chacune était plus horribles les unes que les autres, elles arrachèrent un sourire au jeune. La Mort savait frapper durement. Elle était impitoyable et noyait bien des âmes pour les mener dans ses bras.
Et si, il partait ?
Il retint un court instant sa respiration. Il avait grandi parmi les Nakhus qui aimaient la Vie plus que tout. Malgré qu’ils aient ce lieu dédié à la Mort, rare était ceux qu’il y croisait et pour dire, ce n’était même pas un disciple Violet qui s’en occupait mais un Etelkrus. Le tabou semblait plus présent ici qu’ailleurs alors s’il s’en allait, peut-être qu’il trouverait des réponses ? Peut-être qu’il en apprendrait plus sur la Mort ? Sur des rites faits à en son nom ? Peut être même qu’ils trouveraient des loups pensant comme lui. Ce monde ne voulait voir que la lumière en reniant l’obscurité. Il s’enorgueillit de porter la Vie en oubliant qu’à la fin de cette dernière, la Mort prenait et guidait vers l'Au-Delà. Les Nakhus semblaient vouloir oublier cet aspect. Et Heinly n’était pas comme eux. Il avait plus d’attrait pour le après que pour le maintenant. Oh non il ne voulait pas spécialement mourir mais il voulait rendre hommage à ce qu’il adviendra de lui quand son Temps sera révolu. Il avait d’une certaine manière peur de ne pas savoir que renfermait le après.
Non il ne le pouvait.
Le visage de sa mère lui vint à l’esprit. Il ne pouvait l’abandonner. Il ne pouvait s’en aller en la laissant seule. Elle restait une solitaire. Elle avait beau aider et participer aux tâches des Nakhus, son coeur restait accroché aux Lazulis et donc à l’errance. Si son unique enfant s’en allait, il allait faire comme son oncle et l’ami de sa mère. Il l’abandonnerait comme elle l’a été si souvent. Il ne pouvait lui faire cela mais d’un autre côté, il ne se sentait pas à sa place ici. Il n’avait rien pour être un bon cueilleur de plantes. Lui tout ce qui l’intéressait, c’était l’art des poisons ce qui n’était toléré. Lui ce qui l’intéressait, c’était de voir la Mort en œuvre. Lui ce qui l’intéressait c’était de pouvoir ramener des Défunts de l’Autre Monde. Il ne partageait pas la lumière des Violets. Non lui, il voulait rester dans l’ombre. Il voulait s’orienter vers ce qui était sujet de tabou et d’abject. Ce qui n’entrait pas dans les valeurs de ceux qui l’avaient élevé, sa mère y comprit.
L’extérieur semblait si beau. Si sombre. Si dur.
Il ferma un instant les yeux. Il ne pouvait rester une sangsue accrochée à sa mère. Il était en âge de se débrouiller seul. Elle devrait le comprendre … Du moins, l’espérait-il. Il soupira. Cette décision était difficile mais son coeur penchait déjà pour le départ. Il lança un regard à la sacoche contenant les livres. Au delà de ces frontières, il serait libre de tester certains rituels. Il serait libre d’être lui-même et non plus un faux adorateur. Il se trouverait comme il découvrait le monde. Oui. Il devait partir. Il le fallait. Il s’était engagé dans une voie qui ne pouvait que le pousser à aller hors de ce territoire où il n’avait place.
Pardon mère.Il se releva enfin, il réajusta la sacoche puis il regarda autour de lui. Quelques fantômes curieux s’étaient approchés. Pour la première fois, il ne les ignora pas, leur souriant. Il ria presque de voir leurs mines déconfites.
Et oui petit fantôme, Heinly vous voyait. Il les salua et il s’en alla retrouver sa mère.
Ce ne fut pas long pour la trouver et lui annoncer son envie de voyage. Il s’était attendu à une opposition mais la Fleurie se contenta de sourire et de lui souhaiter bonne chance. Elle semblait le comprendre et il sut qu’elle savait avant lui que ce moment arriverait. Elle s’y était déjà préparée de voir son enfant partir alors, elle l’aida les jours suivants à se préparer. Ensemble, ils tressèrent même une corne végétale que Heinly accrocha à l’une de ses oreilles. C’était le dernier ouvrage qu’ils firent ensemble avant qu’enfin, il ne parte, le coeur lourd de se détacher ainsi de sa mère.
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