Casser de la roche [Libre]

Lui qui était si fier de sa puissante musculature, devait admettre qu'il se sentait bien petit face à ces parois. Elles étaient si hautes ! Bien plus grandes que le plus terrible Carnivore qu'il avait eu le malheur de rencontrer. Et quel silence ! Un calme qui faisait plaisir après des semaines passées à recevoir la visite journalière des Adorateurs d'oiseaux noirs. Il aimait son indépendance. Il n'avait pas apprécié toutes ses attentions. Il n'était plus un enfant depuis longtemps. Il savait prendre soin de lui. Il avait réussi à survivre jusqu'ici, alors il n'avait pas besoin de leur présence quasi-permanente.

Enfin complètement rétabli, bien que marqué à vie, il s'était dépêché de quitter les lieux. Son errance l'avait mené jusqu'à ce canyon. Il ne savait pas du tout où il était. Mais si il y avait une entrée, il devait bien y avoir une sortie quelque part. Il n'était pas pressé. Nul ne l'attendait, ni abri ni famille. Il n'avait personne ici dans ce foutu monde étrange. Il était libre de marcher entre ces falaises aussi longtemps qu'il le souhaitait.

La couleur ocre des murs rocheux finit néanmoins par attirer son attention. Elle ressemblait un peu à celles des roches qu'ils utilisaient chez lui. L'idée lui traversa le crâne. Et si il les utilisait pour refaire ses peintures corporelles ? Elles avaient été un peu délaissées lors de son repos forcé. Elles avaient bien besoin d'un rafraichissement pour retrouver leur puissance. Fenouil avait tant besoin de leurs protections. Peut être apaiseront-elles son cœur ?

Il se mit avec ardeur à la tâche. Il choisit une paroi qui ne risquerait de s'effondrer sur sa gueule. Ce serait trop bête comme mort. Une fois sa cible trouvée, il recula autant que possible. Avant de foncer, tête baissée. Corne en avant, collerette prête à encaisser le choc. Utilisant sa force brute pour décoller des morceaux de pierre. Son premier coup de bélier ne lui donna aucune satisfaction. Morceaux trop gros et pas assez colorés. Alors, il recommença. Encore et encore. Créant son propre boucan.

La petite louve brune fronça les sourcils, s'accrochant du mieux qu'elle pouvait à l'aide des doigts de ses pattes à la roche.
Ici, le vent soufflait si fort, s'engouffrait dans sa longue cape et elle craignait de tomber à chaque instant. D'autant plus que, de par sa très petite taille, elle possédait une prise minime, par rapport à ses congénères.
Il en faudrait davantage pour la décourager, cependant. Au pire, elle finirait super musclée, à force de résister.
Ou morte, le corps brisé en mille morceaux, bien plus bas.

Ses oreilles se dressèrent sur son crâne lorsqu'elle entendit un bruit qui l'arracha subitement à ses pensées morbides. Curieuse de nature, elle abandonna son exploration périlleuse pour trouver l'origine de ces coups qu'elle devinait être portés à la roche.
Ses yeux de chat se posèrent sur cet étrange loup.

- Salut ! T'en fais du boucan dis donc ! Qu'est-c'que tu fais ? T'essaies d'creuser un terrier ?

Il n'aurait jamais pensé trouver de la compagnie dans ce lieu si désert en vie. Mais cette petite voix, qu'il entendit entre deux coups de tête, était bien réelle. Sa méfiance habituelle lui fit stopper son activité. Il jeta un coup d’œil autour de lui et découvrit un petite louve. Pas très impressionnante par la taille. Mais ce qu'elle portait sur sa tête l'était bien plus.

"Une Cornue !"

Il portait toujours un grand intérêt pour les cornes. Si symboliques de puissance chez lui. Même si sa rencontre avec Sakura lui avait montré que tous ne savaient pas forcément s'en servir. Il restait néanmoins plus enclin à parler avec les êtres qui lui ressemblaient un peu.

"Non, j'aime pas les terriers. Trop étroits et sombres. C'est pour mes peintures."

Il secoua sa tête pour se débarrasser des éclats de roche. Avant de poser ses fesses au sol. Il avait décidé de profiter de cette interruption pour souffler un peu. Çà fatiguait vite d'attaquer des parois. A force de taper, il finirait par ne plus voir droit.

Elle réagit à peine à la mention de ses cornes. C'était souvent qu'on lui en parlait, de celles là, que ce soit des exclamations sans suite, ou alors des questions pour savoir si elles étaient vraies... Rien qui ne l'étonnait donc. Tout comme la présence d'autres cornus. Après tout, si ses deux darons l'étaient, il devait bien y'en avoir plein d'autres sur ces terres et ailleurs.
La suite, par contre, était bien plus intéressante.

- Des peintures ?

Elle pencha la tête sur le côté.
Puis se souvint de ses propres peintures d'enfant, avec des pigments que ses parents ramenaient à la tanière.

- Tu peins quoi ?

Il prit le temps d'observer les cornes de la louve. C'était le plus intéressant chez elle. Cà compensait sa petite taille d'ailleurs. Elle devait forcément s'en servir pour se défendre contre les Prédateurs plus grands qu'elle. Sinon elle aurait déjà servi de casse-croute depuis longtemps.

"Moi. Mon corps. Pour la protection des Ancêtres."

Il avait simplement besoin de récupérer les pierres qui donnaient les trois couleurs essentielles. Mais cet endroit coloré lui donnera sûrement ce qu'il cherchait. Son regard bleu se posa sur les morceaux détachés. Certains pourraient peut être convenir. Mais sa pause n'était pas terminée. Çà donnait chaud de taper la roche. Il sentait son cœur imiter le boucan qu'il avait créé. Fallait le calmer un peu. Il expira et inspira plusieurs fois. Avant de poser une question à son tour.

"C'est le crâne d'un ennemi que t'as embroché ?"

D'une patte, il désigna les ossements qu'elle portait. Lui, il appelait çà des trophées. Des preuves de ses victoires.

La protection des ancêtres... ?
Oh, est-ce qu'ils faisaient partie de ces loups qui faisaient des rituels un peu occultes ? Est-ce que ça marchait vraiment ? Le regard de la petite louve s'éclaira.
Puis le loup la questionna sur les ossements qu'elle portait comme des bijoux.

- Oh, ça ? C'est pas vraiment des os ! C'est du cristal, regarde !

Elle s'empara du crâne d'oiseau, l'approchant du mâle afin qu'il puisse mieux le regarder.

- C'est grâce au Don qu'j'ai depuis qu'j'suis bébé ! J'peux changer les formes de la caillasse, et vu qu'on est très cristaux et pierres en tous genres dans ma famille...

En guise d'exemple, elle changea un petit morceau de roche en loup.

La distance fut brisée. Ou plutôt son espace vital fut envahi par l'ossement. Un trophée n'était pas dangereux, au contraire. Sauf qu'il ne s'agissait pas de ce dont il pensait. C'était beaucoup plus surprenant que çà. Et en même temps compliqué. Il fixa le faux crâne avec intensité. Louchant presque dessus. Cherchant à vérifier qu'il ne rêvait pas ou n'était pas victime d'une illusion. Pourtant il ressemblait beaucoup à un vrai. Il avait déjà ramassé des cailloux qui avaient une vague forme d'animaux, mais jamais aussi réalistes que celui-là.

"L'est beau."

Une partie du mystère se leva lorsque la Cornue fit une démonstration de ce qu'elle appelait son Don. Fenouil en resta scotché. Son regard bleu stupéfait passa du mini-loup à la louve et vice-versa. Plusieurs fois. L'inconnu faisait peur. L'inconnu créait des doutes. Il cligna trois fois des paupières avant de froncer les sourcils. Il n'était pas sûr de ce qu'il avait vu. Alors, il toucha du bout d'une patte incertaine la roche transformée. Cherchant par ce contact physique la confirmation de ce que lui avaient montré ses yeux. C'était bien réel. Il récupéra vite sa patte.

"Je comprends pas. Comment ?"

Elle n'était pas comme les autres qu'il avait rencontrés. Eux n'étaient pas capables de faire çà. Ils ne pouvaient pas se faire de faux trophées. Ils les gagnaient par eux-même. C'était vraiment le truc le plus bizarre qu'il voyait. Devait-il se méfier d'elle maintenant ?

Woh, elle savait bien qu'on p'tit pouvoir avait souvent son p'tit effet, mais là, on dirait presque que c'gus avait vu l'diable. Ou plutôt, qu'il n'avait jamais vu d'magie de sa vie.
Onyx haussa les épaules.

- Bah j'sais pas exactement ! J'suis née avec c'pouvoir et j'sais que d'autres mômes naissent avec des p'tits pouvoir aussi ! Enfin après on f'ra pas des miracles avec, tu vois ! Ca vaut pas un vrai pouvoir de glowstick ! Du coup ptet que c'est un p'tit cadeau des Dieux pour les individus les plus charismatiques d'ces terres dont j'fais évidemment parti ~

Toujours dans la modestie Onyx, elle tenait bien d'son père pour ça. Et pour bien d'autres choses, aussi.

- C'est la première fois qu'tu vois ça ? T'es pas d'ici ?

La Cornue lui donna des explications. Beaucoup trop d'explications pour son cerveau primitif. Compliqué de tout suivre et de comprendre. Il essaya d'en faire le tri et de ne garder que ce qui lui paraissait le plus important. Comme le fait qu'elle disait qu'ils étaient plusieurs à pouvoir faire ce genre de choses. Bizarre, il n'en avait croisé aucun. Parlons plutôt de chance. Pour sa survie, il devrait maintenant faire gaffe à ce type d'arme. Ou de pouvoir comme elle disait.

"Comme la colère du ciel et les arbres devenus feu. C'est un peu pareil. En moins chaud."

C'était la seule comparaison qui lui était venue à l'esprit. Dieux et glowstick ne lui disaient rien. Inconnus à son vocabulaire malgré ses années passées à arpenter ces terres. Il n'avait pas rencontré les bonnes personnes. Il reporta son regard sur la création loup-cailloux et porta une seconde fois la patte sur lui. Toujours aussi réel.

"Oui. T'es dangereuse pour un Sans-Tribu comme moi ?"

Il releva un visage à l'air sérieux. C'était bien plus simple de poser directement la question primordiale qui trottait dans sa tête. Pour savoir comment il devait agir. Cette démonstration perturbait beaucoup ce qu'il pensait connaitre de ce monde. C'était mauvais. Il dormirait mal cette nuit.

Comme la colère du ciel... Ah, il devait p'tet parler d'l'orage qui, ouais, parfois, pouvait foutre le feu aux arbres, apparemment. Enfin, elle avait jamais vu ça de ses propres yeux, Onyx, mais elle pensait ! C'était rigolo, qu'il appelle ça comme ça, et un peu mignon, aussi.
La colère du ciel... Comme si le ciel pouvait se foutre en colère. Pourquoi, d'ailleurs ?

- Moi, dangereuse ?

Elle fut prise d'un rire cristallin.
Si seulement il savait...

- Naaan ! Puis pourquoi j'te ferais du mal ? Moi aussi, j'suis une sans tribu... Enfin, une Solitaire, c'est comme ça qu'on nous appelle, ici.

Onyx réfléchit quelques secondes.

- Par contre, fait gaffe aux loups du Sud, les Etelkrus. Tu peux pas louper leurs terres vu comme ils pissent sur leurs frontières pour bien montrer à tout le monde que c'est à eux. Eux, nous aiment pas trop et eux, pour le coup, ils peuvent être dangereux pour des Solitaires comme toi et moi. M'enfin, faut pas faire des généralités non plus, y'en a des super sympas.

Elle ria. Il ne sentit aucune moquerie dans ce rire, seulement de ... l'amusement ? Il cligna des yeux, perplexe face à cette réaction inattendue. Heureusement, elle lui apporta quand même une vraie réponse, plus claire. Et surtout négative. Il pouvait relâcher la pression et perdre son air sérieux et concentré.

"C'est moche comme mot. Çà veut rien dire Sol i Terre. Sans-Tribu c'est beaucoup plus clair."

Ainsi, ils étaient pareils. Comme avec Bébé-Tris. Il se demanda brièvement si sa partenaire d'une chasse éphémère avait retrouvé sa taille normale. Dur de survivre avec un corps d'enfant. Elle était peut être morte et digérée depuis leur dernière rencontre. Il chassa ces pensées parasites en tapotant un morceau de pierre orangée. Tiens, il était pas mal celui-là.

"Pourquoi ils nous aiment pas ? Ils nous connaissent pas."

On pouvait détester un ennemi ou un Prédateur. Mais un inconnu méritait seulement de la méfiance. Cà voulait pas dire qu'on l'aimait pas. Simplement qu'il devait faire ses preuves pour être accepté. C'était compliqué. Comme cette histoire de terres qui étaient à eux. Son lent cerveau fit le lien avec son deuxième combat. Celui où il avait eu l'impression de servir de défouloir malgré lui.

"Oh ! C'est pas parce que j'ai cassé son nid que Bébé-Corne m'a attaqué !"

C'était à cause d'une foutue possession. Possession imaginaire. La terre, l'eau, l'herbe, les arbres... bref la nature n'était à personne. Sauf les trophées bien sûr.

"Mais c'est complètement con de penser qu'en pissant sur un truc bah çà t'appartient. Ils font pareils pour s'accoupler ? Pour dire toi t'es à moi ? J'aimerai pas être une femelle de leur Tribu !"

Il imagina si bien la scène que le dégout ne tarda pas à apparaitre sur sa gueule. Ils devaient en boire beaucoup de la flotte. Quelle Tribu vraiment dégueulasse.

Onyx pencha la tête sur le côté, légèrement songeuse.

- Moui, t'as pas tord !

Par ce qu'après tout, être solitaire, c'était... être seul, non ?
Et jamais Onyx ne s'était sentie seule : Elle était une fille, une soeur, une amie, une rencontre. Partout où ses pas la menaient, elle aimait partager des moments conviviaux avec les locaux. Alors, ouais, Sans-Tribu, c'était peut-être mieux. Elle n'avait pas de clan, mais n'était pas isolée.

- J'sais pas, j'aimerais bien le savoir.

Elle fronça les sourcils.

- J'crois que c'est par ce qu'ils ont peur pour leurs terres... Mais j'sais pas ce qu'on pourrait y foutre de plus qu'en terres libres, honnêtement. Ptet qu'ils nous prennent pour des voleurs d'enfants ou j'sais pas quoi. A croire qu'on est des monstres et qu'nos vies valent rien, aux yeux de certains.

Elle repensa à cet Etelkru venu dans la Savane.
Quel mauvais souvenir.

- Enfin, on a pas l'choix que de faire avec, si on veut vivre en paix. Et naaan, j'crois pas qu'ils se pissent dessus avant de s'accoupler, enfin ça serait vraiment dégueulasse. J'crois que c'est vraiment que sur leur territoire.

Ah, elle n'était pas sûre pour les accouplements. Mais çà ne tentait pas Fenouil d'aller vérifier. Il préféra essayer de comprendre leurs comportements. Peur pour leurs terres ? Quelle crainte dénuée de sens. On avait peur des Prédateurs, de la mort, de la colère du ciel. Çà d'accord, c'était normal. Mais peur de perdre la nature, c'était bête. On la contrôlait pas. Comme les proies. Fallait juste apprendre à vivre avec. En s'adaptant à ses caprices et changements. Seuls les meilleurs y arrivaient. Conclusion, les Etelkrus étaient trop faibles, trop trouillards et se cachaient dans leur morceau de terre entouré de pisse. La véritable liberté appartenait aux Sans-Tribus. Ou plutôt aux nomades, pros de l'adaptation et qui arrivaient à survivre.

"Pfff ! Qu'ils continuent à s'enfermer tous seuls dans leur connerie. Ils sont pas dans les herbes jaunes avec les gnous. On peut se réchauffer là-bas."

Zone clé pour lui ! Parce que c'était le meilleur endroit qu'il avait trouvé pour se protéger du froid. En plus, il y avait plein d'animaux à goûter. Qu'est-ce qu'il n'aimait pas ces vents glacés du nord. Il ne s'y habituait pas du tout. Son pelage était bien trop léger. Tiens, en pensant à çà, il devait avancer dans ses peintures. Son cœur ne courrait plus, il pouvait continuer. Il se redressa et s'avança vers l'enfoncement rocheux qu'il avait créé. Il fouilla dans les débris et en isola certains. Les plus beaux et fragiles. Une fois son tri fait, il s'attaqua à réduire en miette les cailloux colorés. Il n'oubliait pas la présence de la Cornue. Elle avait l'air de connaitre plein d'astuces. Et c'était la première qui prenait le temps de lui expliquer. Il décida de relancer la conversation tout en tapant ses débris. Peut être pourrait-il grappiller quelques conseils qui lui permettront de vivre une journée de plus ?

"On a les Pisseurs fous du Sud et les Adorateurs d'oiseaux noirs. Il y a une troisième Tribu ? Ou d'autres trucs à éviter ?"

Oh, il parlait de la savane !
La façon dont il l'évoqua lui réchauffa le cœur. Par ce que c'était ça, la savane : de grandes herbes jaunes, des proies, la chaleur du soleil sur leurs pelages et, pour elle, beaucoup de souvenirs d'enfance. La savane, c'était son berceau et elle aimait cet endroit plus que n'importe quel autre.

La mention des Pisseurs fous du Sud lui arracha un gloussement amusé.
Elle pencha la tête sur le côté, songeuse.

- Les Adorateurs d'oiseaux noirs ?

Nope, ça ne lui disait rien du tout.

- Tout au Sud, après les herbes jaunes, t'as une île qu'on appelle Morne-Oeil, je sais pas pourquoi. Là bas, il y a des loups de la mer qui sentent le sel et les algues. Ils sont un peu méfiants, mais m'ont pas l'air d'être méchants.

Il y avait eu cette première rencontre, lorsqu'elle avait un an, sur la plage de cette île mystérieuse avec cette louve blanche. Elle l'avait mis en garde et semblait, quand même, un p'tit peu dérangée sur les bords. Puis y'avait eu Chimaera qui voulait pas trop lui faire visiter. Mais bon, Makuro, elle, elle était sympa. Onyx l'aimait bien ! D'ailleurs, ça faisait quand même un sacré moment qu'elle l'avait pas vue, sa copine naine !

- Au Nord, les Nakhus. Ils ont des glowsticks violets par ce que leur déesse elle est violette... J'ai un pote qui s'appelle Violette qui est là bas d'ailleurs, c'est rigolo, un Nakhu qui s'appelle Violette et qui aura un glowstick violet. Bref. Eux, ils sont gentils, 'jamais eu de problèmes ! Tu peux même venir sur leurs terres et ils hésitent pas à v'nir en aide à ceux qui en ont besoin. Vraiment des chics types, ces Nakhus !

Ouep, eux, elle les aimait bien !

Oh, elle ne connaissait pas les Adorateurs d'oiseaux noirs. Ils n'étaient pourtant pas faciles à louper. Ils venaient toujours vers vous, pour chercher sans cesse à vous aider. Avec leurs grands sourires. Mais Fenouil n'aimait pas recevoir de l'aide. Surtout lorsqu'elle n'était pas demandée. La pire resterait celle imposée par Yeux-Tueurs. Quelle horrible souvenir. La Cornue ne lui laissa pas le temps de replonger dans la colère. Elle enchainait les mots, lui offrant des informations précieuses. Et il les engloutissait avec voracité, les rangeant dans un coin de son cerveau.

"Loup des Mers, je connais. Chima. Il veut devenir fort."

Pas besoin de parler du marché qui les liait. Cela ne regardait que lui. Par contre, maintenant il savait où habitait son apprenti. Comme çà, si il trahissait sa parole, le loup-dino saura où le trouver. Et le lui faire regretter. Il le réduirait en poussière, comme ce qu'il faisait aux cailloux colorés. Encore quelques coups et il aura une poudre correcte. De toute façon, il ne pouvait pas faire mieux que çà. C'était son partenaire qui se chargeait des peintures d'habitude. Lame lui manquait tant. Il poussa un soupir avant de dresser une oreille pour écouter le long discours sur la dernière Tribu. A leur description, il comprit qu'il les avait déjà rencontrés. Or, il ne partageait pas du tout le même avis qu'elle. Il ne se gêna pas pour le faire savoir.

"C'est eux les Adorateurs d'oiseaux noirs. Ils ont dit que ma Tribu était morte. J'les aime pas. Ils mentent. Yeux-Tueurs est la pire. Sont trop envahissants."

Il grommela quelques insultes et accéléra ses frappes. Çà l'énervait de repenser à çà. Mais c'était bon. Parce que les débris étaient devenus poussière sous sa force. Il ferma alors les yeux et se mit à penser à un beau morceau de viande. Bien succulent et juteux. A l'odeur alléchante. Voilà, il était en train de baver. Exactement ce dont il avait besoin. Il n'avait plus qu'à laisser tomber ses filets de bave sur la poudre colorée et mélanger le tout.

"Glomachin, c'est leur lumière ? Ils ont peur du noir ? C'est leur faiblesse ?"

- J'connais aussi Chima ! J'crois qu'il a du boulot avant de devenir fort !

Elle rit un peu... Même si c'était méchant roooh ! Et puis p'tet qu'il était pas si nul pour ça. En fait, il était surtout mauvais pour toucher un p'tit truc qui bougeait tout le temps comme elle. Mais ptet que les trucs fixes, il les défonçait d'une pichenette ! Allez, ouais, elle allait lui laisser le bénéfice du doute.

Bon, par contre, ils avaient pas du tout le même avis sur les Nakhus et c'était un p'tit peu triste ! Elle peinait à croire que certains d'entre eux puissent être mauvais, ou envahissant, tant ceux croisés avaient été sympa avec elle... Mais bon, quelques douloureuses expériences lui avaient appris à ne pas faire de généralités.

- C'est qui Yeux-Tueurs ? Elle est comment ?

P'tet qu'elle la connaissait. P'tet pas, mais ça éveillait sa curiosité.
A la question sur les glowsticks, elle secoua la tête.

- Oui, c'est la lumière ! Et non, ça a rien à voir avec la peur du noir. C'est un cadeau des Dieux à leur disciple, chaque personne qui répond aux valeurs d'l'un des Dieux peut y prétendre. Il faut alors aller au temple du Dieu et demander à passer une épreuve. Si le Dieu t'juge digne de porter sa couleur, il te la donne. Et après, t'as un pouvoir, presque toujours différent d'un individu à l'autre.

Elle inspira, par ce qu'elle parlait beaucoup, quand même.

- Y'a Yurai, la corneille violette, c'est la déesse des Adorateurs d'oiseaux noirs. Mais elle est pas toute seule : Y'a Aka, le grizzly rouge, Kiro, l'anaconda jaune et Dairo, la renarde orange chez les Etelkrus... Mais eux, on peut pas porter leurs couleurs. Sur les terres libres, y'a Mido, le raptor vert, Moiro, la tigresse rose et Ao la dragonne bleue. C'est d'Ao, dont j'voudrais devenir la disciple. Elle représente la force mentale et la détermination.

L'étonnement passa dans ses yeux. Les terres étaient si vastes et tous les deux connaissaient pourtant Chima. C'était peut être le seul Loup des Mers qui quittait son île ? En tout cas il était d'accord. Du travail il lui en faudrait à la crevette. Mais avec de l'entrainement régulier et de la volonté, çà devrait le faire. Il se ferait rapidement une idée lors de leur rendez-vous à la plage.

Pour répondre à la curiosité de la Cornue, Fenouil ferma les yeux. Il essaya de se rappeler le physique de Yeux-Tueurs. Difficile, car c'était la colère qui imprégnait ce douloureux souvenir.

"Nocera. Une Adoratrice d'oiseaux noirs. Réparatrice des corps. Sans lumière. Mais suivie par un loup à moitié bouffé."

Maigres détails pour une description. Mais il se rappelait parfaitement son odeur, vu comme elle lui avait imposé son contact. Çà suffisait pour retrouver sa trace. Ou éviter une nouvelle rencontre.

Il crut ensuite que la petite louve ne s'arrêterait jamais. Sa gueule s'ouvrait encore et encore. Lui offrant des secrets si grands qu'ils ébranlèrent sa certitude. Tout çà n'existait pas chez lui. Jamais il n'avait entendu parler de pouvoir, dieu, glowstick dans sa Tribu. Même sa Matriarche semblait faible comparée à toutes ces choses. Gros chamboulement sur le sens de son existence.

"Ao est la Matriarche des Sans-Tribus alors ? La volonté il en faut pour survivre. Elle est comment ? Un pouvoir rend plus fort ?"

Parce que si c'était des pouvoirs du même genre que celui de la Cornue, bah çà en valait pas le coup. Même si il n'avait plus rien à perdre, à part sa propre vie. Nouveau soupir désabusé. Tout était si compliqué. Pour retrouver un peu de sérénité, il plongea sa patte dans son mélange coloré et commença à peindre son corps. Traçant des traits jaunes sur ses membres.

Nocera... Ca lui disait rien du tout ! Par contre, le fait qu'elle soit accompagnée par un loup à moitié bouffé, ça l'intriguait vraiment. P'tet un grand blessé ? P'tet qu'elle voulait le réparer, justement ?
Si son interlocuteur ne semblait pas très heureux de sa rencontre avec cette Nocera, Onyx, elle, se dit qu'elle aimerait bien la rencontrer, que ça pourrait être intéressant.

Elle pencha la tête sur le côté.

- Non, pas vraiment. Y'a pas de Dieu supérieur aux autres, dans les faits... C'est l'individu, qui choisit d'quel Dieu il se sent le plus proche et qui lui donne de l'importance, tu vois ? Ao, c'est la déesse en qui j'ai foi, mais mon père et l'une de mes soeurs, pas exemple, lui préfèrent Moiro.

Et sa p'tite sœur, eh ben elle, elle préférait visiblement personne. Ca viendrait p'tet un jour. Ou pas. C'était pas grave, dans tous les cas, si elle était heureuse comme ça.

- C'est un dragon. Elle est vraiment hyper cool. Elle est exigeante, mais c'est normal. Et oui, le pouvoir rend plus fort ! Et ça permet d'faire des choses différentes, aussi. Mais attention, certains pouvoirs ont des effets moins cool, faut en être conscient.

Il fronça les sourcils, essayant de comprendre comment çà fonctionnait.

"Comment on devient proche d'eux ? Faut aller leur parler tous les jours ? Faut être ... ami ?"

C'était vrai çà, comment on faisait ? Parce que lui, il ne sentait proche de personne ici. Aucun loup ne lui ressemblait. Çà manquait trop d'écailles et de cornes. Il faisait sa vie de son côté et c'était tout. Pas de Tribu, pas de partenaire. Rien que lui. Une vie un peu triste quand on y pensait.

"C'est quoi comme loup un Dragon ?"

Il fallait bien savoir à quoi elle ressemblait si il voulait devenir proche d'elle. Peut être même qu'il l'avait déjà aperçue lors de ses déplacements ? Non, il n'avait rien croisé qui avait une allure de Matriarche.

"Alors, il m'faut un pouvoir. J'veux être plus fort."

Être capable de rivaliser avec les autres. Pour mieux survivre.

Ohlala il posait quand même beaucoup de questions : Elle allait finir à cours de salive, elle, à force de parler. Mais bon, elle allait pas s'en plaindre non plus, elle adorait ça, discuter avec les inconnus et expliquer des trucs.
Elle secoua la tête.

- Non, pas tous les jours ! Mais de temps en temps, ouais, et faut pas faire ça de façon totalement intéressée juste pour avoir un pouvoir et devenir plus fort, tu vois, par ce que ça, ils le ressentent tout de suite et ils aiment pas trop. En fait, rien t'empêche de faire le tour des temples et d'voir de quel Dieu tu te sens le plus proche. C'est pas une course de vitesse : Certains loups mettent des années avant d'franchir le pas.

Ce ne serait pas son cas, à elle. Elle savait de quelle Déesse elle serait la disciple, ça n'ferait aucun doute. Ce serait l'histoire de quelques jours, avant qu'elle ne s'rende à son temple pour demander à passer son épreuve.
Si Ao le voulait bien.

- Un dragon c'est pas un loup ! C'est une grosse bête avec plein d'écailles sur la peau et un long cou. Attends, c'est un peu comme ça, mais très très grand !

Elle changea un caillou en dragon, pour qu'il puisse visualiser.

Ah ouais. Il fallait faire une sorte de pacte. Un pouvoir contre autre chose. S'aider à survivre ou de la protection mutuelle peut être ? Comme pour Lame et lui avant son plongeon dans le Ruban aux Sept Couleurs. Cà lui manquait çà, avoir quelqu'un sur qui compter. Il pourrait dormir sur ses deux oreilles. Et avoir un adversaire d'entrainement sous la patte tous les jours. Quelle belle vie de perdue.

A nouveau ses yeux s'agrandirent devant la transformation de la pierre. Pas devant le geste magique, non. Mais plutôt devant l'animal qu'elle venait de faire apparaitre. Cà, c'était sûr qu'il ne l'avait jamais croisée cette Matriarche là ! Parce qu'il ne l'aurait jamais oubliée. Elle possédait cette armure si spécifique à sa Tribu. Qu'il admirait et jalousait en même temps. Ses écailles et cette allure reptilienne lui plaisaient beaucoup. Il était sûr que c'était un signe des Ancêtres. Ils le guidaient. C'était grâce à sa peinture toute fraiche çà !

D'une patte jaune d'ocre, il fit glisser le dragon-caillou vers lui. Il s'appropria aussi le mini-loup. C'était à lui maintenant. Comme la plume de Joli-Oiseau. Il était satisfait notre Fenouil. Il venait de trouver quelque chose à faire. Un but à atteindre. Son corps était animé d'une nouvelle vitalité. Confiant en un futur qui s'ouvrait à lui. Il se redressa et tapota le crâne de la femelle Sans-Tribu. La tâchant probablement de peinture.

"Merci la Cornue."

Il était rassasié en informations. Il n'avait plus qu'à agir maintenant. Il baissa la nuque et cala les deux cailloux dans sa gueule. Un dernier regard appuyé et il s'en alla.

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