Just a dream — Aneina Family

Ils chantent les oiseaux.
Le corps de Sheina était allongé au bord de l’eau, les vaguelettes venant s’écraser sur sa peau nue. Les paupières étaient clauses, alors qu’elle profite de la chaleur du soleil. C’était agréable, de sentir les terres se réchauffer, après ce long hiver. Maintenant qu’une vague de paix semblait s’être installée, ne serais-ce que temporairement. Qu’est-ce qui pourrait bien être pire que des dinosaures ?

Limule était morte.
La prêtresse de Kiro avait eu du mal à encaisser la nouvelle, venant souvent la nuit au bord de l’eau, pour s’adresser à l’océan. Des mots d’accompagnements pour son amie. Celle qu’elle n’avait pas eu l’occasion de croiser depuis longtemps. Celle qui avait porté la vie en son ventre… et qui peut-être l’avait perdu. Sheina n’en savait rien, elle n’avait pas eu le temps de questionner la pirate qui lui avait annoncé, juste d’encaisser la nouvelle.
Comme si c’était si facile.
Pourtant, elle avait choisi de taire ce fait à sa compagne, parce que cette dernière avait perdu personne chère à son coeur. Parce qu’elle s’efforçait de se montrer forte pour elles deux.

Du moins, tant que le temps le lui permettrait encore.

La disciple de Kiro sentait son corps prendre de l’âge. Elle était plus fatiguée quand elle effectuait de longs trajets, plus sensible aux migraines. Par moment la douleur lui paraissait insurmontable et la vue même dans l’obscurité venait se brouiller. Rien ne semblait en mesure d’apaiser ses mots. Le temps faisait tout simplement son effet, c’était quelque chose qu’elle acceptait.

La queue pointue balaie doucement le sol, lorsqu’elle sent l’odeur de ses enfants. Seulement deux. L’un rentré depuis peu, l’autre ayant accédé au lourd fardeau du trône. C’était déjà beaucoup pour elle.
Puis Anette.
Un doux sourire étire ses babines, alors qu’elle tapote le sable à ses côtés.

« — Venez donc. »

Faire un câlin à votre vieille Maman qui vous aime tant.

Kiro, t’as plutôt intérêt à veiller sur eux tous, hein, Anette, mes enfants, tes disciples.
Je compte sur toi.
Veilles sur eux quand…

Aujourd’hui serait un jour sans soucis et sans nuage.
Aujourd’hui elle laisserait glisser tout ce qui pouvait obscurcir son esprit et encombrer ses pensées.

Aujourd’hui elle se laisserait happer par les vents pour revenir tant d’années en arrière, quand il n’y avait que des rires et de la chaleur.

Quand le Nord n’était pas arrivé, quand sa soeur et ses frères passaient leurs journées à ses côtés, quand ses mères étaient droites de fierté et irradiaient de bonheur, quand Pepper était vivante et que son monde se résumait à simplement profiter.

Mais aujourd’hui ses pas seraient légers lorsqu’ils se dirigeraient vers la plage.
L’un des frères à ses côtés, elle aurait voulu aussi l’autre frère qui se faisait invisible et la soeur qui était loin, mais elle s’efforça de simplement ne pas y penser.
Et de simplement… Profiter.

Son visage rayonnait déjà à l’idée de les voir - et maintenant que leurs silhouettes se dessinaient au bord de l’eau, elle ne contint plus sa joie.
Bondissant et bousculant son frère avec enthousiasme, elle les héla ; laissa Narcy être le premier victime de l’affectueuse attaque de MamAnette pour ensuite se fondre contre son poitrail sous l’assaut de sa langue. Son sourire immense et plissant ses yeux en amande, Anita se lova ensuite contre l’autre mère, se cachant sous ses cheveux comme elle le faisait enfant. Sauf que désormais, elle n’avait plus tout à fait le bon format pour y parvenir.
Ses yeux parcoururent le paysage - la mer, les falaises, le sable qui se chauffait des rayons du soleil et rediffusait sa clarté. Tout ici respirait la sérénité - un bout de leur territoire enclavé, séparé du reste par la haute chaîne de montagne, comme un rideau les cacherait des tumultes d’un monde devenu bien trop agité pour leurs esprits éreintés.

Et Anita s’en sentait rassurée.
Ici était parfait, oui. Ici comme sur les autres plages qu’elles foulaient certainement, rien ne leur arriverait.

L’hybride roula sur le dos, offrant son ventre à la généreuse chaleur du printemps.

— Vous nous avez manqués.

Le regard améthyste qui voyait désormais le monde à l’envers se posa sur l’une, comme sur l’autre.

Aujourd’hui, le soleil brillerait.

Est-ce que ici, vous arrivez à guérir ?

Narcisse observa tour à tour chacune de ses mères. Comme au premier jour, elles étaient belles, entourées de cette aura d’amour et bienveillance.
Ils regrette de ne pas être venu plus tôt. Alors que MaAnette avait été tant liée à Pepper. Ensemble, ils auraient pu partager cette douleur. Il aurait pu la soutenir, l’aider à surmonter cette épreuve. Heureusement que MaSheina avait été là.

Les autres ne sont pas là.
Narcisse n’avait pas vraiment croisé Floyd depuis son retour… et Alex… Il n’avait encore le coeur à se rendre dans le nord. Pas encore. Quand au gamin rattaché à la famille, avec son aile unique… Hum… Il ne s’en était que fort peu préoccupé, si ce n’est pas du tout.
L’Épée voit le geste affectueux échangé par ses mères, les babines frémissent. Que c’était bon de les revoir. Que c’était bon d’être à nouveau réunis.

À l’étreinte, Narcisse hésite, avant de lever ses pattes pour serrer à son tour sa mère contre lui. Cela aurait été incorrecte de la repousser ou de tout simplement ne pas lui rendre ce contact. Puis… il en avait envie.

Il sent Anita le bousculer et l’observe avec une lueur d’amusement dans ses yeux dorés.
Et il les observe se réunir. Toutes les trois.
Et les babines s’étirent doucement en un sourire.
Qu’est-ce qu’il pouvait les aimer.

Pendant que chacune s’installe, il s’approche, touche de sa truffe pointue la joue de MaSheina avant de laissé tomber le petit sac de toile bien rempli devant les louves.

« — J’ai ramené des fraises. »

Sans un mot de plus, il s’installe aux côtés d’Anita, avant de prendre une fraise.
Oui c’est vrai, elles lui avaient manqué. Le disciple de Kiro voit le museau de MaSheina toucher le ventre d’Anita.

« — Vous aussi, vous nous avez manqué les enfants. »

La prêtresse lève son museau vers Narcisse, les babines s’étirant en un sourire.

L’air chargé de sel qu’elle inspirait à pleins poumons lui apportait autant de sérénité que de vivacité.
A voir les membres de leur famille -même s’il en manquait au tableau du jour- se réunir comme avant et toujours transpirer de cette simplicité heureuse à être ensemble, malgré tout ce qui s’était passé, malgré tout ce qui les avait marqué. Ils seraient toujours un havre de paix, une occasion d’oublier tout le reste pour quelques heures.
Et qu’il était bon, de simplement se sentir bien sans aucune autre arrière pensée, sans condition.

Elle ouvrit un oeil surpris sur les fruits ramenés par son frère - lui, s’ouvrir à la nouveauté d’un aliment si peu conventionnel dans leur alimentation journalière ? Elle en était étonnée ! Qui donc avait bien pu lui en souffler l’existence ?
Rapide comme les goélands l’étaient à venir arracher toute nourriture dans leur opportunisme, elle tira l’encolure pour attraper l’un des fruits et le presser entre ses crocs.
Le jus coula sur ses lèvres, délicieux et changeant, et elle trouva que le goût de la fraise s’accordait sans la moindre fausse note à cet après-midi passé tous ensemble.
Lui aussi, frais et revigorant.
Juste avant que la plus musclée de leurs mères ne lâche quelques mots et un rire.

Anita comprit sans mal la référence et le sarcasme qu’elle contenait, tira la langue d’un air faussement courroucé - ses yeux et ses traits se plissèrent, se voulant offusqués, mais le sourire qui lui s’agrandissait en parallèle ne trompait pas.
MamAnette dévoila les détails de ce qu’il s’était passé ce jour-là, derrière les rideaux, et Anita rit à gorge déployée en se laissant à nouveau tomber en arrière, épousant le sable dans toutes ses courbes.

— Pffrt, vous ne savez simplement pas apprécier les bonnes choses ! Notre kisine était parfaite, mais pas adaptée aux loups banals qui ne brillaient pas de notre excellence.

Si elle avait été assise, elle aurait bombé le torse et pointé le nez vers le ciel pour appuyer de davantage de panache sa fausse vantardise.
Au lieu de ça, elle se calma et souffla d’un long soupir rêveur. Dans le ciel cotonneux qu’elle admirait, les nuages formaient des silhouettes qui lui rappelaient ces moments dorés de leur enfance. Elle aimait, que ces souvenirs soient ravivés. Ils n’en seraient que plus vivants.

— Et dire qu’on aurait bien pu vous tuer, ce jour-là. On a vraiment mis n’importe quoi là-dedans - ce n’était pas plus mal de les avoir recrachés.

Un nouveau sourire quand elle se rappela de sa détresse, quelques jours après, quand c’était Tawana qui lui avait appris le pouvoir puissant et néfaste de certaines plantes et qu’elle avait réalisé que leurs nombreux cocktails auraient bien pu, à défaut d’être mortels, faire passer de très mauvaises heures à leur famille qu’elles avaient forcée à goûter leurs créations.

Quelle frayeur, ce jour-là.

Quel bonheur, aujourd’hui, d’être tous ensemble à simplement pouvoir en rire.

Cela la rend tellement heureuse, Sheina, de savoir deux de ses joyaux ici. Ce bonheur parvint presque à lui faire oublier la douleur en son crâne. Presque. Furtivement, elle porte griffes à ses tempes, avant de reposer aussi tôt la patte sur le sable pour écouter Narcisse. Lui, cueillir des fraises ? Qu’est-ce qui lui arrivait donc…
Et il répond même à la pique d’Anette, avec un ton qui se veut amusé.

« — Je n’ai pas autant de talent que Tita en cuisine. »

Sheina écoute, à défaut de pouvoir voir. Narcisse semblait avoir changé en quelques mois… plus… ouvert, comme le petit louveteau qu’il fut un jour, avide de découvrir le monde.
Un rire échappe à l’hybride en réponse à Anette, la queue pointue venant s’entrelacer à la queue féline de sa compagne. Bon sang oui, ils avaient vraiment éviter la catastrophe ce jour-là. Que ce soit auprès des filles ou de leur estomac. Et après des années, la confirmation venant d’Anita que les plats concoctés n’avaient été qu’un absolu mélange de tout et n’importe quoi. L’hybride étire son cou pour tirer la langue.

« — L’odeur de vos petits plats aurait sûrement réveillé un mort, je te rassure mon trésor. »

Un mort et toute une armée. Par Kiro… Rien que de penser à l’aspect de certains plats… Sheina laissa échappa un rire, accentuant la douleur provoquée par les migraines, mais qu’importe.

« — La prochaine fois, des fruits suffiront amplement… »

La prêtresse se penche, son museau tourné en direction de son fils.

« — Peut-être que tu nous éblouiras de tes compétences culinaires la prochaine fois, Narcisse ? Qu’est-ce que tu en penses Anette ? Devrais-je utiliser une fois encore mes ailes pour te cacher ? »

Le ton est plein d’humour. Une après-midi pleine d'insouciance.

Si infime trace de culpabilité elle avait pu garder - ce qui n’était pas le cas, elle pensait ; mais l’on ne pouvait jamais tout à fait être certain de la complexité des sentiments et des souvenirs, elle s’effaça pour de bon aux dires de sa mère sur leurs mélanges relativement inoffensifs.
Car sa confiance pleine et entière lui était donnée. En cela aussi gardait-elle un coeur de louveteau : par cette croyance inconditionnelle que ses parents avaient raison et qu’elle pouvait se fier à tout ce que disaient leurs mères.
Comment croire le contraire, quand on avait famille si formidable et bienveillante, quand on connaissait sa valeur à leurs yeux, eux qui étaient leurs joyaux dans des termes assumés aux oreilles de tous ?

Ses mères ne chercheraient jamais à leur mentir, de cela elle était persuadée.
Enfin ; la dissimulation et l’omission d’information, comme lors de ce fameux épisode de kisine catastrophique, ça ne comptait pas vraiment quand il s’agissait de ne pas faire ruisseler leurs immenses yeux d’enfants.

Narcy ne fut pas épargné par la suite des évènements, quand bien même il avait tenté de s’en tirer par des mots discrets. On n’esquivait pas si facilement des esprits si vifs et taillés en flèches.
Les hautes oreilles d’Anita se dressèrent aux mots d’Anette - elle comprit vite la référence, la connecta à ce rêve que pour sa part elle avait vécu aux côtés d’Atsuko.
Elle savait que sa mère comme son frère avaient eu cette expérience, de part les oeufs qui avaient éclos. Surtout son frère, qui faisait parti du Cercle des Rêveurs.
Mais qu’il l’avait vécu aux côtés de leur mère, et que ce fut lui à être affublé de plumes pour devenir ainsi un Poussin, il s’était bien gardé de le révéler et sa bouche s’en ouvrit de surprise.
Pour finalement se tendre sur un sourire railleur, car depuis son retour, Anita a désormais matière à embrayer. Kiro soit loué.

L’hybride se releva d’un bond pour aller caracoler près de son frère, lui sautant sur le dos pour assaillir ses arrières quand l’ancienne Alpha sécurisait déjà l’avant de ses larges pattes.

— Il parait même qu’il s’y connaît en pièces de théâtre, quel cachottier !

La louve mordilla le bout d’une des oreilles avant de se rassoir, laissant finalement sa mère retrouver encore un peu son fils revenu. Sa présence avait réintégré son quotidien, pour elle, mais ce n’était pas le cas pour ses mères adorées, maintenant qu’elles étaient un peu plus loin.
Elle se laissa glisser en position allongée et reposa sa tête sur ses antérieurs joints, observant avec tendresse les expressions passer et changer sur le visage balafré de leur mère d’une manière similaire au vent qui passait sur l’eau pour en rider la surface de bien des façons.

Le temps sera encore aux histoires, avec cette question posée.
Le sourire resta fixé sur ses babines, et les yeux rieurs se posèrent avec une certaine impatience sur son frère pour écouter ce qu’il avait ramené avec lui et qui ne vivait que dans l’intimité de ses pensées, là où les cicatrices pouvaient se voir aux yeux de tous.

Ses compétences culinaires ? Tss, le max qu’il pourrait faire c’est ramasser des fraises, sans les cuire de peur d’altérer le goût. Bon d’accord MaAnette, n’avait pas tort, peut-être qu’il aurait pu y ajouter quelques groseilles et des oeufs… M’enfin… pouvait se manger cru un oeuf ?
Poussin.
Un surnom qu’il aurait aimé oublier. Qui datait de ce rêve de poules et de lapins. Un rêve farfelu qui au moins lui avait permis de voir sa mère sous une forme de lapin. Il était encore jeune et innocent à l’époque. M’enfin, il aurait préféré que ce genre d’informations reste entre lui et Anette… de même que… P’tain elle avait pas osé quand même. Narcisse lance un regard noir à sa soeur quand elle évoque le théâtre. Maudit soit Kiro !

« — Chut ! »

Elle lui mordillait l’oreille en plus de ça ?
Narcisse ne bouge pas au contact de la patte sur ses cicatrices. Ces blessures ne lui faisaient plus mal maintenant. Peut-être que si il avait été du genre à rire souvent… mais ce n’était pas son cas.
La queue balaie doucement le sable, alors qu’il ne peut s’empêcher de regarder avec agacement sa soeur. Tss.
À la demande d’Anette, le visage de Narcisse devient alors impassible. Parler de là-bas, c’était rappeler son absence à leurs côtés, c’était évoquer le combat avec Quetzalcoatl, raviver la douleur, la peine. Certes il y avait eu de bons côtés à ce voyage, mais tout s’était reposé sur cet espoir d’oublier.
La queue féline balaie le sol, trahissant sa réflexion, son hésitation.

« — Hum… Il y avait une tribu là-bas, ils m’ont appris à chasser en hauteur, à me déplacer… de manière plus silencieuse. C’était intéressant de découvrir de nouvelles moeurs et coutumes. »

Les oreilles se penchent vers l’arrière, alors que les longues griffes jouent avec le sable. Il ne savait pas quoi ajouter d’autres, de peur de raviver les souvenirs de Pepper.
Il ne voulait pas blesser MaAnette ou Anita avec ça.

« — Cela t’a plu ? »

Les prunelles dorées se posent sur Sheina. Pouvait-elle percevoir son malaise ? Peut-être, après tout, elle était la seule des trois à ne pas avoir été si proche que ça de Pepper…

« — Oui c’était agréable. Il faisait chaud là-bas, c’était bien. »

Le regard se dirige vers l’océan.

« — Ici aussi, nous sommes bien. »

Pardon Maman, pardon Anita, mais je ne veux pas vous blesser. Je sais que les blessures n'ont pas encore cicatrisé, et je ne veux pas raviver la douleur.