Au creux de la vague - Onyx.

Des premiers jours de sa vie jusqu'à des années avancées, Anita avait vogué sur des mers calmes.

Oh, bien-sûr, il y avait eu des hauts et des bas.
Des jours moins bons que d'autres, des peurs pour rythmer le sentiment d'invincibilité et lui rappeler leur mortalité, quelques tragédies pour venir alourdir son cœur.
Mais dans la globalité de ces temps-ci, elle avait toujours été entourée de piliers solides et stables pour se maintenir et jamais le soleil n'avait trop longtemps été masqué avant de ressurgir, puissant dans son cœur, radieux dans son sourire.

Puis une première vague avait frappé et abattu de solides digues.
La mort de Pepper, la disparition de Dez et d'un frère, l'absence d'une sœur. La déferlante avait rompu trop de repères en même temps, en la propulsant elle-même dans une voie qu'elle n'avait pas envisagé.
Ces jours furent sombres. Même si là encore elle avait pu remonter la pente, et avait même été bénie du privilège de voir certains des morceaux se recoller.
Par des visages familiers qui réaparurent au moment où elle acceptait de devoir se contenter de souvenirs chéris. Par une place qu'elle apprivoisait, par un nouveau monde que doucement, elle acceptait.
Avant la vague suivante.

Celle qu'elle avait redouté, mille fois envisagé, voulait ne jamais affronter quand bien même elle la savait inévitable.

Sheina était morte.
Elle n'avait pas d'autre choix que d'accepter, c'était stupide que de ne pas le vouloir. C'aurait été égoïste de le refuser - ce repos était mérité et nécessaire, elle savait sa mère tellement, tellement fatiguée.
Déjà plusieurs semaines s'étaient écoulées, mais ce deuil lui paraissait interminable. Il y avait des jours où elle parvenait à ne pas y penser, et ces jours ressemblaient de plus en plus à la norme - au monde de tous les jours où malgré les pertes et la douleur, la vie continuait ailleurs.
La vie forumillait, même ! Il y avait tant de nouvelles têtes à découvrir, qui auraient de longues années à vivre et apporteraient tant de nouvelles joies et surprises.

Mais il y avait aussi ces jours où son cœur saignait, comme ouvert et arraché à sa poitrine.
C'était quelque chose qu'Anita avait du mal à comprendre. Pourquoi parfois, elle se réveillait avec un chagrin qui lui paraissait plus grand encore que celui qu'elle avait ressenti le jour même, en serrant contre elle le corps inanimé de sa mère.
Mais là encore, au-delà du pourquoi, il lui fallait accepter et l'affronter.

Et aujourd'hui était l'un de ces jours. Alors aujourd'hui, elle s'était éclipsée du Castel pour aller effleurer les nuages et se poser ailleurs, plus loin dans les terres qui n'étaient leurs.
Elle s'autorisait ces quelques heures d'escapade parce qu'elle en avait besoin, et parce qu'elle avait l'impression que cela l'aidait à apaiser ces moments douloureux. Elle ne manquait jamais de revenir sur les terres Etelkrus plus tard dans l'après midi, de toute manière. Elle avait fait une promesse.

Elle avait une autre figure à aller voir chaque jour.
Une autre mère qui serrait sa poitrine et sa gorge si elle osait penser à la suite, à la marche du temps qui ne cessait jamais son avancée, un autre pilier qui s'effondrerait sous ses yeux impuissants.
Car ainsi étaient maintenant les eaux agitées de cette mer lisse devenu océan trouble.

Elle ne pouvait plus ignorer la nouvelle vague qui se levait à l'horizon, la crête qui se dressait et la menaçait.

Peut-être était-ce pour cela que les nuages revenaient hanter son esprit plus fréquemment maintenant.
Parce qu'il n'y avait rien d'apaisant dans l'agonie de cette attente.

Allongée sur une hauteur rocheuse, Anita décrocha des yeux le regard qu'elle avait levé pour laisser sa tête se reposer entre ses pattes.
Derrière ses paupières closes, toujours l'ombre de cette prochaine déferlante qui viendrait la frapper de plein fouet pour tenter de l'emmener vers le fond.

La dernière avant un long moment, elle l'espérait.

C'était un océan si calme qu'elle ne s'en était pas méfiée.
Seule dans sa barque, elle s'était laissée porter par les vagues, douces et amicales : Si d'autres loups, elle en avait conscience, se devait d'affronter des tempêtes, la vie, pour elle, avait toujours été belle. Jamais, elle ne s'était perdue et rares étaient les fois où l'on l'avait malmenée. Si c'était arrivé, elle avait, bien vite, trouvé une patte secourable et les paroles rassurantes d'un père ou d'une mère aimante.
Sur cet océan, Onyx s'était persuadée qu'il ne pouvait rien lui arriver.

Mais ça, c'était avant qu'une vague n'arrive derrière elle. Insouciante et émerveillée par le paysage, si beau, qui se dressait devant-elle -tant de possibilités de nouvelles découvertes, dans ces livres de sorcellerie !-, elle ne l'avait pas vue venir, traîtresse, dans son dos.
Et avant même qu'elle ne puisse esquisser le moindre geste, elle s'était retrouvée submergée et ne put constater qu'une chose.

Son océan paisible ne l'était plus vraiment. Il l'avait laissée frissonnante, trempée jusqu'aux os.

Elle ne pouvait, pourtant, s'en prendre qu'à elle même. Peut-être que le temps se serait gâté, même si elle y avait fait attention, sûrement, même, puisque l'on ne pouvait décider de ces choses là. Mais, a être attentive, elle aurait pu accoster sur la plage et attendre, sans crainte, que les choses se calment.
Désormais, elle se retrouvait à lutter contre les vagues qui, encore, venaient faire tanguer sa barque.
Encore et encore.
Et encore.

En d'autres mots, Onyx tentait de lutter, comme elle pouvait et il lui semblait ne pas trop mal s'en sortir, contre tous ces sentiments négatifs, autrefois inconnus ou à peine effleurés,
Enfant et adolescente, elle n'avait jamais fait de grosses bêtises : il lui avait fallu attendre l'âge adulte, jeune adulte, assoiffée de connaissance et, surtout, terriblement inconsciente.
Prête à tout, même au pire, pour voir un visage se fendre d'un sourire.

En résultait deux morts et une enfant disparue, enlevée par un monstre, empestant la mort et le chaos.

Une enfant à sauver.

Ne parvenant, de toutes manières, pas à trouver le sommeil, Onyx s'était finalement levée, ses pensées encore orientées vers ielles, Isrâ et Miraj.
Dans les grandes poches de sa cape, s'étaient vu glisser des provisions et des plantes, les jouets destinés à l'enfant, aussi : il n'était pas question de rester oisive une seconde de plus, dans ce gouffre paisible.
C'était une promesse qu'elle avait pensée, mais à laquelle elle se tiendra.

Miraj vivra et sera heureuse.

Pour le gouffre, elle n'eut pas de dernier regard, décidée à y revenir, avec elle.
A la place, ce regard fut offert à cette louve, sur les hauteurs, songeuse.
Endormie ?
Triste ?

- Est-c'que tout va bien ?

Malgré tout, elle conservait cette envie d'aider son prochain.

Deux âmes perdues dans des eaux traîtresses, deux embarcations malmenées par les vents.

Que l'agitation des vagues poussa l'une vers l'autre.

Une de ses hautes oreilles se dressa d'un geste vif au son d'une voix en contrebas.
Anita releva la tête et ouvrit les yeux dans la foulée, un peu surprise de n'avoir entendu arriver personne.
Sans doute trop prise par ses pensées et pas assez attentive au reste.
Ses pupilles trouvèrent l'origine de la voix, une louve. Vraiment... Petite ? Était-ce l'effet d'une perspective exacerbée de par sa position en hauteur qui lui jouait des tours, ou bien était-elle réellement minuscule ?
Le timbre de sa voix n'était pourtant pas celui d'un louveteau.

Pourquoi pas, après tout.
Il y avait bien des géants sur cette Terre, l'inverse n'était que justice.
Elle ne put s'empêcher de se rappeler de Pepper avec un fugace sourire.

L'hybride se redressa, maintenant assise de sorte à être davantage tournée vers l'inconnue. De là, elle avait un meilleur point de vue sur elle, put noter la lueur bleue qu'elle portait à la queue - une des rares disciples d'Ao, les cristaux qui parsemaient son corps brun, ses yeux d'un violet différent du sien.
Et elle ne put s'empêcher de se dire qu'elle avait l'air... Gentille.

Tout comme l'étaient les mots qu'elle avait prononcé à son égard et l'expression authentique de sa mine soucieuse.
Comme si ce qu'elle avait demandé n'était pas que formalité, mais véritable inquietude.

Anita lui sourit, d'un trait fin dessiné sur des traits un peu tirés.

— Je crois, oui. Je pensais simplement à la façon dont la vie ressemble à un océan.

À ceux qui ne sont plus là parce qu'ils ont pris le large, et à ceux qui bientôt prendront le même chemin.
La Prêtresse tapota d'une patte la roche à côté d'elle, invitant la louve à la rejoindre si elle le désirait.
La vue était plus belle d'ici.

- Tu crois, seulement ?

Ses yeux se plissèrent dans une expression un peu amusée, de celle qu'avait la louve qui ne savait pas longtemps rester totalement sérieuse.
Puisque l'Etelkru ne semblait pas hostile et qu'elle y était conviée, Onyx la rejoignit sur le rocher d'à côté.

- C'est marrant, je me disais la même chose. Mais j'pense que même les océans les plus sauvages finissent par se calmer, enfin j'espère !

Bon, parfois, y'avait juste pas l'temps d'attendre qu'ils se calment et fallait faire avec cette tempête : C'était un peu son cas, en ce moment.
Elle l'observa, chercha, néanmoins, à ne pas se montrer trop intrusive.

- T'as l'air toute fatiguée. Ton océan doit être un p'tit con en ce moment. Rien de trop grave, j'espère.

C'était tout ce qu'elle pouvait souhaiter à ses congénères, même aux inconnus.

L'expression un peu taquine qui marqua le visage de l'inconnue envoya sur ses lèvres à elle un sourire jumeau.
A peine venaient-elles de se rencontrer, déjà trouvait-elle une myriade de points communs qui ne s'arrêtait pas à la teinte similaire de leurs prunelles.

De quoi en tout cas la mettre d'ores et déjà à l'aise et elle fut ravie que la disciple d'Ao accepte son invitation quand elle vint la rejoindre.
Alors comme ça, elles partageaient même le fil de leurs pensées ?
À sa remarque elle ramena ses yeux vers le paysage, pensifs, son sourire un peu plus ténu.

— J'espère aussi.

Plus que cela : elle y croyait. Anita se savait optimiste et résiliente, prompte à toujours chercher le positif quand bien même l'abattement pouvait la gagner parfois - elle ne s'imaginait pas se laisser perdre dans l'obscurité sans revenir à terme vers la lumière.
Puisse l'avenir lui donner raison sur ce point plus que nul autre.
Sa tête pivota vers la petite louve et elle trouva dans sa gueule un bref éclat de rire qu'elle libéra.

— C'est vrai qu'il est un peu capricieux. Disons qu'il a emmené quelques personnes que j'aimais loin du rivage, c'est un peu dur de s'y faire.

Surtout quand on appréhendait le prochain départ, celui qu'on savait inévitable et trop proche pour pouvoir le sortir de ses pensées.
Elle haussa les épaules pour détendre un peu le moment et fit en sorte de garder son sourire plus désinvolte que mélancolique. En parler - même en métaphores - faisait un peu de bien, déchargeait en partie son esprit et son corps de ces poids comme s'il avait suffit de leur ouvrir une porte vers l'extérieur pour qu'ils s'allègent.

Elle la désigna ensuite d'un geste du museau en sa direction.

— Et les vagues de ton océan à toi, que disent-elles ?

Sa longue queue s'agita de quelques mouvements détendus.

Y'avait pas besoin d'être particulièrement intelligente, pour comprendre ce que l'Etelkru voulait dire par là.
C'était à croire que ce genre de choses étaient inévitables : On n'pouvait pas aimer et bien s'entourer sans, un jour, perdre quelqu'un. Malgré l'air désinvolte de la louve, Onyx pouvait, sans peine, imaginer à quel point c'était douloureux, de ne plus pouvoir voir, plus jamais, quelqu'un que l'on aimait.
Elle hocha la tête.

- J'suis désolée pour toi. Toutes mes condoléances.

C'était pas bien joyeux, comme discussion, mais si ça pouvait aider l'aidée, d'une certaine manière... Alors elle se ferait oreille attentive, quand bien même elles étaient des inconnues.
Et peut-être que ça lui permettrait de vider son propre sac, aussi, un peu.

Onyx, elle, n'eut pas vraiment le cœur à rire. Elle n'avait jamais été douée pour dissimuler, d'une quelconque manière, ce qu'elle ressentait et il était aussi aisé de lire en elle que dans un livre ouvert.

- J'ai fait la connaissance de quelqu'un, y'a quelque temps. Quelqu'un qui souffrait et que j'ai tout de suite bien aimé. Son océan avait eu la cruauté de lui enlever sa fille à la naissance et iel est resté•e perdu•e au milieu des vagues. J'ai voulu tout fait pour l'aider à regagner la berge mais... Mais j'ai échoué, et iel s'est noyé•e.

Il aurait peut-être fallu lea convaincre, qu'il n'était pas sain de lutter contre les vagues, en pleine tempête.
Elle savait pertinemment que ça n'servait à rien de ressasser tout ça : elle ne pourrait pas réécrire l'histoire et savait ce qu'elle avait à faire, désormais. Il n'empêchait que sa gorge et son cœur se serrent un peu, à en parler.

- C'est un peu dur de s'y faire, aussi. Mais ça viendra, avec le temps.

Le visage de la solitaire conserva cette même compassion sincère et quand bien même les condoléances étaient une banalité de politesse, la façon dont elle les dispensa leur donnait... Du sens, en quelque sorte. Elles ne se connaissaient pas et pourtant la louve aux cristaux faisait preuve d'une empathie que même au sein de son propre clan elle n'avait pas si souvent observé.
Aussi les accepta-t-elle avec un petit geste de la tête et un sourire reconnaissant.

Et quand elle fut disposée à lui conter ses propres malheurs, Anita se fit à son tour oreille attentive, ses yeux clairs posés sur le visage de la petite louve. Il y avait dans son histoire à elle une tonalité bien plus tragique qui lui fit froncer les sourcils et qui pinca son cœur.
Les pertes qu'elle avait subi, elle, étaient somme toute banales.
Ça ne les rendait pas moins douloureuses, mais presque tout le monde était destiné à voir ses aïeuls mourir : perdre son grand père, sa tante, une mère et bientôt les deux ; tous ces décès à surmonter s'inscrivaient dans une logique cruelle mais éternelle.

Pour la petite solitaire, la tempête avait été d'autant plus violente.
Et pour le loup - ou la louve, elle n'avait pas bien compris - concerné également, au point que la mort fut victorieuse. Elle peinait à s'imaginer la douleur endurée par pareille épreuve, elle qui n'avait pas d'enfant, mais elle ne doutait pas que ce fut terrible. Et voir ce déclin de l'extérieur sans parvenir à l'endiguer apportait son lot de désespoir.

Anita laissa passer un temps, pas certaine de savoir trouver les mots.

— C'est... Vraiment terrible. Il y a des blessures que l'on ne peut pas soigner. Mais tu auras fait de ton mieux pour tenter.

Elle s'essaya à un petit sourire encourageant. Ces blessures profondes, celles qui marquaient l'âme plus que la chair... Certains ne s'en remettaient jamais.
Ses ailes s'étendirent un peu jusqu'à entourer la louve sans la toucher, comme si les fines membranes pouvaient l'abriter, dans ce qui était presque devenu un réflexe de réconfort lorsque des peines étaient partagées.
Pour la suite et comme la petite brune semblait elle aussi prompte à aller de l'avant plutôt que de se perdre dans un passé immuable, elle renchérit d'une voix un peu plus assurée.

— Tu es une des rares disciples d'Ao, qui d'autre pour s'en remettre ? Tu ne l'oublieras pas, mais toi tu iras plus loin.

Et tu dompteras l'océan.

Onyx hocha doucement la tête.

- J'me dis souvent que je n'lea ramènerai pas avec des "Et si j'avais fait ça". C'est déjà ça, j'imagine. Je sais que je m'en remettrai, par ce que j'peux pas me laisser abattre et qu'il y a d'autres loups, qui ont besoin de moi. J'sais pas si c'est pas un peu prétentieux, de croire que j'pourrai aider quelqu'un, un jour, et réussir à le faire... Mais j'y crois !

Son visage se fendit d'un sourire confiant.
Ca faisait du bien, de l'exprimer verbalement, aussi : Ainsi, pas question de reculer. Même si ça avait jamais été son intention, de reculer. Comme le disait si bien l'autre louve, elle était l'une des rares disciples d'Ao. 'Fallait bien qu'elle fasse honneur aux valeurs de sa déesse, si elle voulait pas donner envie à cette dernière de lui reprendre son glowstick et le pouvoir super cool qui allait avec.

Elle l'observa un instant.

- Oh dis, rien à voir mais tu serais pas l'une des sœurs de Narcisse ?

Ca lui faisait tilt, maintenant, à bien la regarder : ils possédaient la même allure, si fine, des traits semblables et une jolie couleur sable.
Alors, est-ce que cette étrangère était l'une des soeurs si brillantes dont son ami lui avait parlé ? Et si oui, c'était l'Alpha, ou la Prêtresse ?

Le sourire d'Anita se raffermit encore aux paroles de la petite louve.
Cette détermination était celle qu'elle attendait de la part de la disciple d'Ao et elle ne fut pas déçue. C'était fou, toute cette force que l'on trouvait dans les plus petits individus. Cette remarque mentale l'amusa mais elle la chassa d'un geste du museau pour rester attentive aux paroles de sa camarade du jour, qu'elle approuva une fois encore d'un acquiescement. L'hybride se retrouvait dans les mots et les objectifs de la louve aux cristaux, alors elle ne pouvait que la comprendre.
Peut-être que dans une autre vie, elle aurait pu trouver le chemin d'Ao elle aussi, si Kiro n'avait pas été la lumière de son existence.

— Il n'y a rien de prétentieux à ça, je trouve. On peut aider les autres de bien des manières. Même si tu as échoué dans une situation complexe ça ne retire pas tes victoires ailleurs, même les plus discrètes.

Elle haussa les épaules.
Il s'agissait parfois d'un mot, d'un simple regard, d'une attention ou d'être simplement présent pour changer le cours d'une journée et peut-être même d'une vie. Même si elle avait vécu la mort d'un individu qu'elle avait pris à cœur d'accompagner et que tel drame était prompt à obstruer tout le positif qui résidait dans de plus petits actes, ça n'en était pas moins important. On ne pouvait malheureusement pas rencontrer le succès partout.
Quand la solitaire reprit la parole, le ton de la conversation changea du tout au tout et l'expression d'Anita en fit de même : la compassion se mua en surprise.

— Oh ! Oui, c'est bien ça. Je ne savais pas que tu connaissais mon frère !

Je ne savais pas qu'il avait des amis solitaires.
Cette pensée apporta chez elle de la joie là où chez de nombreux Etelkrus il s'agirait davantage d'animosité. Malgré l'amour inconditionnel qu'elle portait à sa famille, il y avait toujours eu avec son frère une petite distance sur le sujet de la tolérance envers les non-Etelkrus. Narcy s'était inscrit dans la mentalité de leur tante Pepper dans tout ce qu'elle avait d'extrême, et elle ne l'aurait pas imaginé entretenir une relation positive avec un individu extérieur au clan, qui plus est une solitaire.
Mais tout cela, c'était avant son voyage. Il était revenu changé, il avait vécu de nouvelles expériences. Anita avait espéré qu'il en ressortirait plus ouvert... Et elle avait devant elle, à travers cette petite louve, la concrétisation de ce fait.

— Je ne crois pas qu'il m'ait parlé de toi, mais en même temps je ne connais pas ton nom.

Là était le bon moment pour recueillir cette information. Toujours était-il qu'elle doutait tout de même de trouver résonance avec un nom sorti un jour de la gueule de son frère. Soit qu'il n'assume pas totalement, soit qu'il préfère le garder pour lui.

Il avait toujours été le plus secret de la fratrie, quand Axie et elle partageaient tout.

Son sourire confiant devint plus franc encore, et elle plissa les yeux.

- J'suis Onyx ! Et toi ? Il m'a parlé d'une sœur prêtresse, et d'une sœur Alpha. Tu es laquelle ?

Un petit bout de langue se glissa entre ses canines alors qu'elle arborait une expression un peu malicieuse.
Onyx n'était pas offensée que Narcisse n'ai pas été parler d'elle à sa mifa. A vrai dire, ça n'la surprenait pas tellement : Si elle parlait beaucoup et de tout et de rien, son ami était un être bien plus discret et mesuré. Presque secret, par moment, quand bien même il se dévoilait davantage au fur et à mesure de leurs rencontres.

Onyx. L'hybride enregistra le nom avec un signe de la tête et un sourire prononcé tout en essayant de le faire entrer en résonance avec un nom qu'elle aurait pu entendre de la bouche de son frère ou de quelqu'un d'autre, mais non.
Peu importait : elle était dans tous les cas heureuse de pouvoir désormais référer à la louve par quelque chose de concret.
La suite la fit rire aux éclats.

— Ah ! Est-il possible que je sois géniale au point d'être les deux ? Mon nom est Anita, Prêtresse de Kiro et Alpha Etelkrus.

La louve se redressa d'un geste fluide juste le temps de placer une patte sur son poitrail et d'exécuter une révérence théâtrale qu'elle conclut dans un nouveau rire, plus léger, avant de s'allonger à nouveau. Sa longue queue suspendue dans le vide décrivait d'alègres courbes.

— Je rigole, enfin, pas vraiment, je suis bel et bien Prêtresse et Alpha. Mais ma sœur est Prêtresse d'Aka, elle.

Elle répondit à l'air malicieux d'Onyx par un petit clin d'œil.
Quel dommage néanmoins que Narcy ait trahi l'identité de leurs rôles : Anita tirait un réel plaisir de pouvoir mener une partie de ses rencontres avec des individus en-dehors de la meute en conservant le secret de ses deux rangs quand cela était possible sans mentir.
Enfin, tant pis : dans tous les cas, le moment était agréable et Onyx était de bonne compagnie.