Mon nouveau chez moi

Il avait cru comprendre que son amie était tourmentée depuis que la mère de la petite Nagah était revenue réclamer son dû, et que l'enfant convoitée ne s'était même pas retournée. Il s'imaginait le même scénario avec Désiré, et se mordit la lèvre pour effacer cette pensée de sa tête.

Zen la comprenait, elle avait tant apporté à sa petite protégée en si peu de temps, elle qui était froide, qui ne s'ouvrait pas facilement ... Tous ces efforts en vain, pour un résultat médiocre. Il lui fallait de la compagnie ! Zen était heureux de la revoir, même maussade, au moins elle saurait que son état préoccupait réellement quelqu'un ici.

Le gris avait lorgné devant les tanières lorsqu'il le pouvait. En revenant, elle était aussi là, dans son refuge. Il hésita, que pouvait-il lui dire ? "Il y en aura d'autres" ? Non, plus subtil. Elle n'était pas dans son assiette, il lui fallait des paroles chaleureuses, des mots doux, des confidences. Il s'avança calmement, et se racla la gorge à l'entrée de la grotte.

- Sakura ...

Il fit deux pas de plus, tête basse, chuchotant. Sa queue remua doucement de soumission.

- Je me suis dis que, peut-être ... Hm, puis-je entrer ?

Un petit sourire sincère vint illuminer son visage, avec un semblant d'air désolé mais réconfortant. Il allait devoir la prendre avec des pincettes, et mettre à l'épreuve sa dernière promesse envers la louve. Moins de folie, plus d'empathie.

Ni une ni deux, le grand loup lui emboîta le pas rapidement dans sa tanière. Promis, il ne ferait pas le clown, il était là pour elle, pour qu'elle aille mieux. C'était son objectif du jour : la faire sourire ! Un sacré challenge, car même en temps normal, Sakura lui semblait si aigrie.

Une bourrasque fit danser son poil, il regardait l'amas de terre virevolter autour d'eux sans rien dire, se contentant de rester d'abord en retrait, observant ce qui l'entourait. C'était très négligé, détruit par endroits, sans doute par rage. Il reposa son regard tendrement sur la petite louve grise.

- Je ne veux pas en parler.

Il lui sourit, la contournant calmement. Il attira un débris par la pensée pour le poser au creux de sa patte. C'était un bout de roche, venant probablement des murs. Il le déposa à l'entrée de la tanière.

- Je tiens juste à m'assurer que tu ne soies pas seule.

Il lui était difficile de jauger sa bonne humeur naturelle. Il était chez elle, dans son espace privé, et il avait pour obligation de rester sage. Il brûlait intérieurement. Pour palier à cela, il continua de faire le tri entre trésors et déchets, trouvant parfois anneaux, perles, tissus, des biens rares qu'il prenait soin de replacer calmement sur des semblants d'étagères.

Il balaya les endroits les plus amples avec sa queue, sortant tout ça dehors sans rien dire, juste en souriant, jetant des coups d'œil parfois envers son amie comme pour la rassurer.

Il trouvait sa mission du jour très satisfaisante. Voir un endroit chaotique redevenir organisé, petit à petit, admirant tous les petits trésors de toute une vie avec minutie et un sourire heureux gravé sur sa gueule. Il n'avait même pas fait attention à Sakura qui s'était arrêtée, et bouillonnait comme une bombe à retardement à seulement quelques mètres de lui.

Une tempête le frappa de plein fouet, par réflexe, il s'écrasa au sol, les pattes sur la tête, proche des larmes sur le coup de la surprise. Les secondes lui semblaient des minutes, ne comprenait pas ce qu'il se passait, s'inquiétant pour lui, pour Sakura, pour Désiré. Une pause, et un léger vent vint caresser son visage, comme pour lui dire "c'est fini". Il rouvrit les yeux, inquiet, et ils se posèrent sur une louve vide de toute émotion. Il ne dit rien, restant juste là, ratatiné sur lui-même. Il ne fit qu'acquiescer, l'écoutant positiver un peu après cette crise.

Zen se releva, regardant le bazar derrière lui, dehors, puis la tanière. Malgré le choc, il lui sourit paisiblement.

- Voyons le bon côté des choses, tu pars avec une base vierge.

Ses yeux battaient doucement. Il ne lui en tiendrait pas rigueur. Il longea les murs, tournant donc autour de Sakura, inspectant un peu l'espace, se l'appropriant. Ses chaines résonnaient contre les parois vides. Il y avait beaucoup de potentiel, et se tourna vers la louve, de nouveau lui-même, avec cet air niais et enthousiaste.

- Si je peux me permettre, tu as l'air d'être une véritable montagne, sans peur, sans regrets, mais avec un grand coeur. Je verrais bien ... un style fort, où on se sent en sécurité, mais aussi dans un endroit cosy.

Il la contourna de nouveau, s'approchant du pan de mur à gauche de l'entrée.

- Ici, un étendard ! Eclairé avec des petites torches !

En un bon, de l'autre côté.

- Ici, ton nid ! Des jolies peaux, des herbes séchées, une peinture. Et sur la façade en face de l'entrée ...

Il regarda le mur, puis Sakura, et de nouveau le mur. Un grand sourire sûr de lui apparu.

- Tes souvenirs, quel qu'ils soient.

Il se rapprocha d'elle en gardant une distance de respect -ou de sécurité-, baissant sa tête à son niveau, voire un peu plus bas.

- Oh, et je retire ce que j'ai dis plus tôt. Tu n'as pas juste l'air, je suis sûre que tu es quelqu'un de fort, et surtout de bien.

Sakura ne disait rien, se contentant de le fixer bêtement, ce qui frustra au plus haut point Zen. Mais il ravala sa gêne, et ne montra rien du tout, à part son air habituellement heureux pour un rien. Cependant, certains sujets semblaient encore sensible, il allait devoir les éviter, bien évidemment.

Contre toute attente, la louve grise vint vers lui, surpris, il ne bougea pas, la laissant faire, et même ... se blottir contre lui ? Il se tend d'un coup, cette proximité vint lui titiller les narines. Non ! Elle avait surtout besoin de soutien, d'un ami, de lâcher prise. Il s'assit, venant la serrer un peu plus contre lui sans forcer pour autant, sa tête s'enroulant autour de son cou, comme une jolie écharpe de soie. Il en oubliait presque de respirer tant c'était prenant.

- Allez, allez ... Je suis là pour toi.

Sa patte fine ramenée sur l'épaule de la louve, il la gratouilla délicatement. C'était agréable, et Zen chérissait ce moment comme une sorte de victoire qu'il n'oublierait pas de si tôt, bien qu'il sache que c'était clairement éphémère. Il se redressa, posant ses yeux dans ceux de la louve.

- Tu sais, ma tanière n'est pas bien loin. Tu ne seras jamais seule, si tu as besoin, elle t'est grande ouverte, comme chez toi !

Désiré ne s'en plaindrait certainement pas, bien au contraire, d'ailleurs. Leur grotte était toujours bien organisée, même si la place risquait de manquer à trois, le grand gris s'arrangerait pour se faire oublier dans cet espace.

- Si tu veux venir bavarder, changer d'air, ou même le temps des travaux ici.

Il lui fit un clin d'oeil avec un sourire malicieux.

Elle se retira aussi, le regardant. Il ne pu s'empêcher de replacer l'une de ses mèches tombante sur son visage au plus proche des autres, à côté de son oreille. D'une griffe et d'une caresse assez tendre, il frôla son poil, continuant de lui sourire avant qu'elle ne se déplace. Oh, qu'il aimait le contact avec ses pairs ... Il la laissa s'éloigner sans bouger, son nez lui grattant toujours autant, quoi qu'un peu plus.

- Tu ne seras jamais de trop, mais je comprends.

Il l'avait plus chuchoté que parlé, comme pour le garder pour lui. Une sorte de pensée un peu manquée ... Zen marqua un arrêt, roulant des yeux, réfléchissant un instant.

- Il me semble avoir quelques trucs, chez moi, qui pourraient t'être plus utiles. Ou sinon, on pourrait aller chasser ensemble, récupérer de la fourrure de daim. Je sais tanner le cuir.

Sa queue remua vivement. Le gris se leva, s'approchant de Sakura avec pour seul son un léger tintement de chaines. Une autre idée lui vint en tête.

- Désiré pourrait également nous aider à ramener du bon bois pour te faire une petite plateforme où l'on disposerait ton lit. Qu'en dis-tu ?

Oh, un souvenir.

- Et promis, cette-fois, je ne me défilerai pas !

Du moins, il allait essayer. Mais une promesse est une promesse, maintenant que c'était dit, il fera au mieux qu'il peut faire en cas de danger.

Il fut heureux qu'elle accepte ses idées. Il n'y avait plus qu'à ! Désiré en serait averti prochainement, cela donnerait une excuse au gris pour prévoir une sortie avec l'adolescent et potentiellement Sakura, tous les trois réunis dans un bois. L'idée lui plaisait.

- Oh, il n'est pas prévu qu'il y soit forcé, mais il est très enthousiaste pour tout.

Il fallait dire qu'il avait bien été éduqué, très porté sur la curiosité et l'optimisme. Une véritable pile à questions. Zen en était ravi.

- Pour les peaux, ne t'inquiète pas ! Prends ce qui t'es nécessaire, on en reparlera plus tard.

Il avait biens ses plans à lui, et il préférait garder les cuirs de ses proies plutôt que de les jeter. Avec toutes celles cumulées ces derniers mois, il avait un petit stock "au cas-où". Sa queue remua, son regard pastel plongea dans celui plus vif de Sakura. Ce rose très prononcé l'envoutait à chaque coup.

- Cette idée me semble parfait.

Ce qui scella en quelque sorte son idée d'aller à l'aventure tous ensemble. Il ne lui semblait pas que son fils ait eu beaucoup de contact avec les adultes féminines, Sakura allait sans doute parfaire son éducation sur ce point-là. Son coeur était gonflé. En un réflexe, il ouvrit ses bras, l'invitant une nouvelle fois à une étreinte.