Once upon a time, once again l P.V. Dhys

Dents de Roc, berceau de leurs émotions.
Dents de Roc, arène de leurs passions.

C'était là qu'elle allait si souvent avec sa sœur pour s'adonner à des cris du cœur, là où par leurs corps poussés à bout s'exprimaient leurs émotions les plus pures et intenses là où les mots peinaient à en saisir la substance.
Là aussi que seule - en l'absence de la dite sœur - ses pas avaient pris l'habitude de revenir.

Ce n'était pas autant un foyer que la Moere, c'était plutôt l'exutoire des folies qui pulsaient dans leurs veines et l'antichambre des sentiments non polis.

Souvent elle y volait et côtoyait de près l'écorce démesurée qui se hérissait sur des troncs déterminés à crever les nuages, elle courait sur les tapis d'épines tombées sous l'assaut des vents, se jetait du haut des crocs rocailleux qui avaient baptisé l'endroit.

Elle avait du se faire à l'habitude de parcourir cette forêt à l'unique son de sa propre course et sans la machinerie d'un autre corps élancé à ses côtés, le battement de leurs cœurs synchronisés, le souffle de leurs respirations haché par l'effort.

Aujourd'hui pourtant résonnait sa voix un peu plus loin à travers les pins, d'un aboiement impérieux qui commandait sa présence.
Ses hautes oreilles pivotèrent, son corps léger fit halte et s'en retourna dans la direction de l'appel.

Toujours elle y répondrait.

Sur le visage de sa sœur irradiait ce qu'elle y avait déjà si souvent vu, ce qui aujourd'hui était déformé par les cicatrices glanées loin d'ici, par la dureté d'un regard qui est de braise.

Axie était un magma bouillonnant, Axie était déchaînée - surtout, Axie était perturbée. Axie ne comprenait pas quelque chose, Axie avait été confrontée à quelque chose qu'elle ne savait vaincre d'une gerbe de flammes.

— Quoi ?

Anita a trotté jusqu'à elle, son corps svelte une brindille face à un torrent rugissant.
L'Alpha s'est postée devant la fille d'Aka, une sœur a répondu à une autre.

Et ses grands yeux mauves sont braqués dans l'attente, brillants de cette douceur attentionnée que sa famille pourra toujours extraire.

Pour avoir l'habitude d'être là, pour avoir tant de fois été témoin de ces moments de perdition, Anita sut que cela prendrait du temps.
Alors quand son grand corps fut en proie à des frissons, à des tressautements, à mille et unes expressions sauvages ; quand sa voix buta, répéta, hésita encore et encore, Anita se contenta d'attendre et d'être là.
Elle accueillit le contact de sa tête contre son cou en s'y appuyant un peu à son tour et toujours ne dit rien pour laisser naître ce qui maturait.

Elle ne tressaillit que quand Axie recula pour relâcher un mot aussi bref que violent, qui fit frémir ses oreilles et voila son regard d'un mélange de tristesse, curiosité et désappointement entremêlés.

Qu'avait encore dit Holly à sa sœur.

Mais là encore elle ne pressa rien et demeura silencieuse, ses yeux rivés dans ceux brûlants autant qu'ils étaient mouillés, le corps un peu plus figé et la poitrine un peu plus gonflée pour accuser la suite.
Il y eut un creux dans la tempête, quand plus naturellement vinrent s'imbriquer des mots dans des autres pour se dérouler dans une chaîne fluide.
Puis une nouvelle crête qui brusquement refit monter la pression et tendit les émotions d'Alexandrine à un point de rupture.

Qu'avait encore dit Holly à sa sœur ?

Le cœur d'Anita se mit à battre un peu plus vite comme s'il fut relié au sien. Ne l'était-il pas, d'une certaine manière ?
Tomba la sentence, dans un nouveau débit sauvage et incontrôlable qui déferla sur elle et dans la forêt. Tout éclata. Ses larmes, aussi ; qu'Anita vint essuyer du bout de son museau avant de laisser reposer sa tête contre sa forte encolure. Le gros de la vague avait déferlé, elle sut qu'elle pouvait s'avancer et venir appuyer leurs poitrails l'un contre l'autre.
Et que c'était à son tour d'entrer en scène, d'alléger le poids que portait sa sœur si puissante de corps mais si délicate de cœur.

Du moins, d'essayer.

— Protège toi avant tout. T'as pas à lui donner de réponse si tu sais pas encore. Et puis... T'es pas obligée de savoir un jour, non plus.

Elle soupira ; fronça les sourcils. C'était... Compliqué.
Compliqué de trouver des mots dans ce bourbier dans lequel elle avait toujours voulu aider sans réellement réussir, compliqué de donner des conseils sur des notions qu'elle possédait à peine, compliqué de s'engager à nouveau sans avoir la sensation de pouvoir faire des erreurs, plus d'erreurs, encore des erreurs.
Compliqué aussi de ne pas en vouloir à Holly, à cet instant.

— Tu dois mettre des limites.

Une première évidence qui lui sembla s'imposer.

— T'as le droit de plus l'aimer pareil. T'as le droit d'lui dire non, de pas vouloir que ce soit comme avant, et ça empêche pas que ça devienne oui plus tard, c'est juste... Tu lui dois rien Axie, pas à ce sujet, c'est elle qui a voulu que ça s'arrête parce que tes conditions lui allaient pas. Et sans doute qu'elle regrette, sans doute qu'elle te dit tout ça parce que même si elle souffrait à l'époque elle a jamais cessé de t'aimer, et elle a aussi l'droit de te dire qu'elle t'aime toujours mais... Mais t'as souffert de son choix toi aussi, beaucoup. Alors elle peut pas te demander de revenir juste parce que ça va mieux pour elle comme si... Comme si c'était facile, je sais pas.

Ses épaules se haussèrent, son regard se perdit dans le vague. Elle ne savait pas. Ni ce qu'il y avait dans le cœur de l'une et de l'autre, ni de la marche correcte à suivre, si tant était qu'il y en avait une.

— Faut juste que tu t'écoutes, que t'imposes ton rythme.

Que toi, qui fut laissée derrière, prenne les devants comme au combat.

Pour être parée à tout, à tuer la symphonie comme à la mener plus avant.