Changements et bouleversements - Prudence

Équipée de ses plantes et de ses potions, Onyx aimait exercer ici la magie.
Elle s’était trouvé, dans ces magnifiques ruines, un petit endroit un peu plus reculé et, surtout, assez abrité pour qu’elle puisse y entreposer plus de préparations que ce qu’elle avait déjà au refuge.
Cet endroit là était magique, la licorne en était persuadée : Et pour preuve, c’était ici, qu’elle avait, physiquement, perdu quelques années, après un rituel porté sur elle même.


Cette fois ci, elle espérait que sa magie toucherait ses proches.
C’était un petit rituel banal, de protection.

La licorne ferma les yeux, concentrée, et récita doucement quelques incantations. Elle était heureuse, de se retrouver seule, dans ces moments là, par ce que c’était du coup à ce qu’on se foute bien de sa gueule.
Mais soit.

Le rituel terminé, elle brisa le cercle, éteignit les bougies, rangea les poudres mais, attachée à cet endroit, décida d’y rester encore un peu.
Un sourire vint étirer ses babines lorsqu’une odeur bien connue parvint à son museau, bien qu’un peu différente qu’à l’accoutumée.

- Tiens, est ce que ce serait pas l’une de mes grandes p’tites sœurs.

Elle la connaissait bien, sa p'tite soeur, et y'avait possiblement quelque chose qui allait pas.
Ptet pas grand chose, p'tet juste un peu de fatigue, elle allait pas s'alarmer non plus : Ils vivaient tellement de trucs, dans c'foutu pays, que personne n'était vraiment à l'abri d'un petit coup de mou.
Par acquis de conscience, et réflexe, elle détailla tout de même sa p'tite sœur.

Y'avait pas que son odeur, de changée...
Ce qu'elle vit là la laissa dans un court déni, avant qu'elle ne comprenne l'incroyable et que ne soit pointé du doigt un sujet qu'elle avait abordé avec Violette.

Le temps passait et les connaissances, les amis de longue date, les petites sœurs changeaient....
Devenaient des parents.

La petite licorne battit très vite des cils pour chasser quelques larmes qui menaçaient de naitre dans ses yeux, la faute à une émotion si forte qui l'assaillait, là, sans qu'elle sache vraiment si c'était le choc (ET TU PARLES D'UN CHOC PUTAIN), ou quelque chose de bien plus beau.
Par ce que, bordel, sa p'tite soeur, sa soeur avec qui elle jouait encore innocemment, y'a quelques années, sous le regard attendri de leurs parents... Allait être maman.
Putain de merde.

... Ce qui signifiait également qu'elle allait être tata.
Oh bordel, c'était trop d'infos.

- Oh bordel Prudy-

Onyx inspira et évita de s'emballer.
P'tet que la nouvelle enjeaillait pas vraiment Prudence.

- Comment tu vas ?

Alors, c'était dramatique, ou pas ?
Elle était un peu perdue, Onyx, et complètement chamboulée par cette nouvelle.

- Tu la retrouveras, ta silhouette, t'inquiètes. Maman était toujours parfaite, même en nous ayant eues toutes les trois.

Bon, d'accord, elle n'était p'tet pas la plus objective lorsqu'il s'agissait de sa maman : Mais c'était comme ça, Leikn, ça avait toujours été la plus jolie.
Et sa sœur, elle aussi, le resterait, jolie.

- A c'qui parait, je suis pas une nounou trop dégueu, j'dis ça, j'dis rien ~ Tes plans drague pourraient n'pas être trop compromis.

C'était pas comme si Prudence aurait besoin de la prier pour qu'elle garde ses p'tits neveux et nièces, de toutes manières. L'inverse s'appliquerait peut-être.

Onyx pencha la tête sur le côté.

- Peut-être... Mais c'est pas grave, elle restait super jolie notre Maman ! Puis Papa était toujours amoureux d'elle, alors tu vois c'est tranquille, tu pourras continuer de faire chavirer des p'tits cœurs.

Elle adressa un sourire désolé à sa soeur.

- T'inquiètes, j'compte pas marcher sur vos plates bandes de daronne. C'est juuuste que si t'as besoin, j'serais pas triste tu vois.

Elle leva les yeux au ciel, innocemment.
Puis, vint la question qui lui brûlait les babines.

- Dis, ça t'embête à ce point, d'avoir des enfants ?

Ah, euh, ok.

Les muscles sous la peau d'Onyx se tendirent et et elle serra les crocs, comme pour accuser le coup des paroles de Prudence.

Le monde était décidément bien mal foutu, y'avait sa soeur, qui, du coup, clairement, aucune envie d'avoir le ou les mômes qu'elle portait dans son ventre, lorsque d'autres mourraient pour ramener les leurs.
Lorsqu'elle même avait été si malheureuse de ne pas pouvoir adopter.

Ce qui la submergea alors, à la place de la joie, fut un mélange de colère, d'injustice, de sidération et d'une intense jalousie.
Mais c'était pas bien, d'être jalouse de sa propre sœur, même quand la dite sœur n'était pas en accord avec ses convictions.

Elle aurait pu en pleurer, là, maintenant, à cause de tout ça, mais renifla simplement, à la place.
Il fallait rester forte. Mais comment rester forte, et calme, lorsque tout ce qui intéressait Prudence, c'était de continuer à enchaîner les conquêtes et de conserver sa taille de guêpe.

- Alors, tu vas l'abandonner ?

Sa voix trembla, son corps aussi.

Ses oreilles se plaquèrent sur l'arrière de son crâne, alors que ce qu'elle peinait, encore, à réaliser.

- Mais...

Elle déglutit, s'agita, leva les yeux au ciel pour retenir les larmes qui menaçaient, dangereusement, d'en couler.
La famille, c'était quelque chose de tellement important pour la petite licorne. Alors, comment Prudence qui avait élevée dans le même foyer bercé d'amour qu'elle l'avait été pouvait envisager, sans émotion, d'abandonner ses bébés, quand bien même ce serait auprès de leur autre mère.

Qui pour leur apprendre que Sang de Licorne jamais ne cogne, qui pour...

- C'est tellement injuste.

Cette fois ci, sa voix se brisa en même temps que son cœur.
Et les larmes se mirent à couler.

Onyx hocha la tête, après s'être essuyée les yeux.

- Je sais, j'm'en doute.

De toutes manières, ce serait pas très licorne, de les abandonner au beau milieu de la jungle.
Il n'empêchait que la petite licorne ne pouvait s'empêcher d'être horrifiée, par tout ce qu'elle entendait.
Elle soupira.

- C'est juste que...

Inspira.

- J'ai du mal à comprendre. Enfin je suis pas comme toi, et je sais que ton ressenti est pas moins valide que le mien mais... J'ai vu tellement de trucs et...
Et personne devrait être abandonné.

Et aussi, j'ai, y'a des années, j'ai voulu si fort adopter une gamine, mais j'ai pas pu par ce que... Enfin tu te souviens, cette histoire de monstre qui enlevait les Nakhus ? Il l'a prise, et une autre aussi.
Et ça m'a hantée, longtemps.

Au point qu'elle parcoure des dizaines de kilomètres dans l'espoir de la retrouver et qu'elle prenne sous son aile cette enfant qui n'était donc pas sienne, et avait bien grandi.

- C'est juste ça, mais t'y es pour rien. C'est juste que.. Voilà. Je trouve ça injuste et tellement mal foutu.

Nouveau hochement de tête.

- Oui, y'a eu ça, mais pas que. C'est une histoire compliquée.

Mais qui ne l'avait pas laissé indemne.
Elle n'avait, cependant, pas envie de s'étaler davantage sur ce qui avait été du rituel, de la résurrection, de son implication là dedans : Ca avait créé assez de remous comme ça, au sein de la famille, et elle craignait que sa sœur ne la comprenne pas.
Et que le sujet était à autre chose, aussi.

- Alors tu seras quoi ?

Le ton était las, plus que ce qu'elle n'aurait voulu.
Elle était fatiguée d'avance, Onyx, de voir une autre famille éclatée en devenir et se savoir, déjà, qu'elle ne pourrait pas fermer les yeux sur le sort de ses p'tits neveux et ses p'tites nièces à naître.

- C'est une cul b-... Nakhu, l'autre mère ?

- Oui, je me souviens de Nocera.

Elle était là, aussi, cette nuit là.
Ce fut à peine si elle réagit au reste des paroles de Prudence, comme plongée dans un état second, tentant de mettre un peu d'ordre dans ses idées.
Ca n'lui ressemblait pas, d'être comme ça, aussi pessimiste mais...
Mais il s'était passé beaucoup de choses, ces dernières années, peut-être un peu trop.

- C'est bien, alors.

Elle répondit d'une voix plate, le regard perdu dans le vide.
Sans savoir ce qui était bien.

P'tet qu'elle ferait mieux de s'éloigner de tout ça, finalement, même si c'était dur. De faire confiance aux culs bénis et à cette Séléné si parfaite, et à Prudence qui n'voulait pas de gamins.
P'tet même que c'était Prudence, le vrai problème, mais surtout ce qu'Onyx traînait derrière elle.

Et ce sentiment d'injustice grandira, emportant avec elle, la jalousie.
Prudence avait une chance qu'elle ne possédait pas, et la voyait comme un fardeau.

Elle resta plantée là, sans rien ajouter, perdue dans ses songes.

- J'ai rien dit.

Sa voix resta plate et elle tenta de ne pas faire attention à toute la violence que sa soeur pouvait mettre dans ses paroles, dans son interprétation.
Elle était p'tet juste fatiguée, ou soumise aux hormones, où...

- Je peux... Juste pas sauter de joie, quand tu me dis tout ça. Je comprend même pas comment ça a pu se produire, je pensais pas que... c'était possible.

Elle déglutit.

- Et je t'envie d'avoir ce que j'ai pas eu. Mais je comprend, que ce soit pas ton envie à toi, par ce qu'on est différentes, j'comprend, mais ça fait quand même mal. Et j'me dis que ce monde est quand même vachement mal foutu.

Son regard se porta enfin dans celui de sa soeur alors qu'elle tâchait, plus ou moins adroitement (mais surtout maladroitement) de lui faire comprendre ce qui la rongeait.

- Il a jamais été question, pour moi, de te tourner le dos. Au contraire, tu peux compter sur moi, si t'as besoin. Et si tu préfères que je disparaisse de ta vie par ce que les Nakhus sont plus sympas et sentent meilleurs, c'est ok aussi.

Onyx fut soulagée de sentir la tension redescendre alors que la patte de sa soeur s'abattit sur sa tête.
Oh, bien sûr, elle restait triste, et frustrée. Mais cet échange lui faisait aussi réaliser quelque chose : Elle avait envie de plus, que d'être une louve solitaire avec, pour relations, seulement sa famille et ses amis. C'était bien, tout ça, mais elle avait envie d'autre chose.
Il fallait aller de l'avant. Ao n'apprécierait pas de la voir ressasser, encore et encore, la même souffrance.

- J'ai pas critiqué, j'ai dit qu'ils sentaient meilleur que moi. Et d'après Gathou leurs culs sont mêmes bénis. C'est vrai ?

Un mince sourire vint étirer les commissures de ses babines, avant qu'elle ne prenne Prudence dans ses pattes.

Hinhin, elle perdait pas l'Nord, sa frangine. C'était sûrement pour ça, qu'elle y vivait et ptet pour les jolies filles qu'elle avait choisi de crécher chez les Nakhus.
Ca l'aurait même pas étonnée.

- Voyons, Prudy', t'sais bien que j'ai bof l'oeil pour ces choses là !

C'était pas elle qu'enchainait les conquêtes, eh ! Elle était plutôt du genre béguin secret.
Enfin, ça remontait à un paquet d'années, ça aussi.

- Mais nan, pas beaucoup d'arrivées. Ca fait longtemps que j'ai pas rencontré de Solitaires qui pourraient être intéressé, 'faut dire. Mais si j'en croise une mignonne, j'penserai à toi.