Des ronds dans l'eau [PV Auberon]

Aujourd'hui Auberon était tout seul, pour une fois Elely l'avait laissé la journée et bien qu'elle lui avait interdit de sortir de l'île aux roses, après de longues heures il avait fini par traverser le chemin qui menait à la terre grâce à la marrée basse. C'était beaucoup trop tentant pour lui en même temps, l'aventure le narguait, juste là, il lui suffisait de saisir sa chance. Et il l'avait saisit, parce qu'il n'avait peur de rien le fils de Rhaegar. Captivé par ces territoires nouveaux il s'était éloigné beaucoup plus qu'il ne l'aurait souhaité, et pour couronner le tout il s'était perdu. A cause de quoi ? Ah ! Ce foutu rongeur qui lui avait filé entre les pattes toute l'après midi. Déçu il s'était assis et, un peu triste aussi, il fixait son reflet dans une flaque. Il ressemblait beaucoup à son père Auberon, il se souvenait de ses yeux oranges, de sa taille d'ours aussi dominante qu'effrayante. Il était si fort, pourtant.. Comment avait-il pu mourir ?
Auberon soupira, quand soudain des petits cercles brouillèrent le miroir naturel et il leva le regard, alerté, aussitôt debout. A quelques pas d'adultes devant lui une louvette était là à le fixer, silencieuse. C'était presque effrayant d'ailleurs, il n'avait même pas remarqué son arrivée. Elle était toute pâle à côté de lui, blanche et tacheté, le visage encadré par une natte de couleur rousse.

Salut ! Euh.. Je m'appelle Auberon et toi ? Tu viens d'ici ? Lança-il avenant et pleins d'entrain.

Sa toute première rencontre ! Qui sait, peut être sa toute première amie aussi.

Il l'observa, seul ses prunelles suivirent l'inconnue alors que son corps lui, restait immobile comme un piquet. Qu'était-elle entrain de faire ? L'analyser ? Il ne se laissa pas intimider et leva bien haut la tête, le poitrail bombé. Ah ! Voilà qu'elle se mettait à le renifler maintenant ! Il tourna la tête pour la fixer avec un regard un peu plus contrarié.

Bah vas y dis que je pus aussi !

Peut-être sentait-il la femelle à cause de sa tante, à cause des roses ? Ça y est, il était vraiment contrarié maintenant. Elle aussi elle sentait bizarre de toute façon.

Je vis sur une île avec pleins de roses, c'est peut-être ça que tu sens.

Il renifla à son tour et comme elle, lui tourna autour un petit moment avant de s'arrêter en souriant, l'air moqueur.

Toi aussi tu sens bizarre.

C'était de bonne guerre.

Une grimace exagérément perplexe tordit la moitié de son visage.

Tu n'as jamais vu de roses ?

Il y en avait tellement sur l'île qu'il croyait que c'était quelque chose d'ordinaire, qu'il y en avait partout. Mais à bien réfléchir il constata seulement maintenant qu'il n'en avait pas croisé une seule depuis qu'il avait quitté son foyer. Déboussolé par cette découverte, il resta figé dans une sorte de phase qui dura quelques secondes, le regard ailleurs.

Woaaa mais c'est trop bizarre ça ! Articula-t-il lentement, la voix emplie d'étonnement.

Ce sont des fleurs qui ont pleins de couleurs, y'en a des roses, des.. euh.. ça ressemble au ciel la nuit mais je sais pas c'est quoi la couleur. Il y en a des rouges aussi, ce sont les préférés de ma tante ! Bon bref y'en a de toutes les couleurs quoi. Par contre faut surtout pas les toucher sinon elles te piquent avec leur dard ! Ah non euh pardon.. Avec leurs é-p-i-n-e-s..

Il lui sourit, amical.

Ah ben c'est pas trop tôt ! D'accord Dysis.

Boh, ça semblait pas vraiment l’intéresser cette histoire de roses.. Elle lui tourna le dos et il l'observa sans rien dire, un peu surpris de sa réaction.

Bah attends tu vas où !? S'exclama-t-il lorsque la silhouette de la fille disparut.

Puis finalement elle revint, ou du moins il ne vit que sa tête sortir des herbes hautes pour lui poser une question. Il haussa les épaules.

J'en sais rien, je crois.. Par la bas.. Il fit un geste du museau pour désigner d'où il arrivait.

Je pourrai t'emmener si tu veux ! Mais pas maintenant.. Moi je veux découvrir ce qu'il y a ici avant. Oh je viens d'avoir une idée !

Il s'approcha d'elle en contournant hâtivement la flaque, un sourire malin relevant ses babines.

Tu me fais découvrir ce qu'il y a ici et moi je te ferai découvrir ce qu'il y a sur l'Île !

C'était une idée du tonnerre. Non ?

Dysis semblait méfiante et pourtant elle accepta. Auberon sourit encore plus avec satisfaction puis, quand la patte blanche se tendit face à lui il la fixa l'air gêné. Il la renifla d'abord de loin, sans la toucher, puis pencha la tête sur le côté.

Pourquoi tu fais ça ?

Elle lui fit signe de le suivre et il s’exécuta, tout nerveux de la nouvelle aventure qui l'attendait. Lorsqu'elle décrivait les alentours, il l'écoutait et observait avec des yeux pétillants. Il voulait poser pleins de questions mais il les garda pour lui et se contenta de rester le plus calme possible. Le bruit de la rivière vint chatouiller ses oreilles, curieux, il s'y approcha hâtivement. Il n'en avait jamais vu des rivières, il ne connaissait que la mer et sa fougue dangereuse.

Woaa c'est trop beau ! L'eau est si calme et si clair ! Est-ce que elle pique la langue comme la mer ?

Alors qu'il trempait une patte dans l'eau il posa une autre question, abandonnant toutes résolutions de calme et de silence.

Des loirs c'est quoi ?

Les yeux rivés sur l'eau et tout ce qu'il y avait à l'intérieur, il essaya d'attraper un poisson, en vain. Sa patte était trop lourde dans l'eau alors que le poisson lui était aussi léger qu'un oiseau dans les airs. Il grimaça puis releva ses prunelles sur Dysis.

Ça veut dire qu'on peut la boire?

Elle n'eut pas le temps de répondre qu'il pencha son corps comme une larve tombant d'un rocher pour tremper sa langue.

Oh elle est si douce ! Dit-il en souriant après s'être léché la truffe.

Puis il l'écouta, un peu plus calme, redressant son corps pour ne pas tomber. Difficile à attraper. Cette phrase raisonna comme un défis dans sa tête, un jour, il lui ramènera un loirs et ça l'épatera pour sûr !

Euh.. Je ne sais pas.. Ma tante m'a toujours dit de ne jamais m'approcher de la mer parce qu'on peut s'y noyer. Une de mes tantes est morte comme ça.

Il observa l'eau quelques secondes, hésitant, impatient.

Mais, c'est pas la mer ça hein ! Alors je peux, je risque rien.

Aussitôt il se releva, prêt à sauter. Il se dandina un instant cherchant un point d’atterrissage puis finalement y alla doucement, prudemment.

Il rentra dans l'eau beaucoup plus difficilement que prévu, la température glacée attaqua son corps si fort qu'il crut qu'il deviendrait un glaçon. A côté de lui Dysis plongea entièrement, acceptant le froid mordant comme une vieille amie. Aubéron l'observa gueule pendue, impressionné, tout tremblant. Devant tel spectacle il ne se laissa plus le choix, par fierté il devait faire au moins autant qu'elle. Alors il serra les crocs très fort et d'un coup, d'un seul, il laissa échapper le sol visqueux sous ses pattes et il immergea tout son corps jusqu'à la pointe de ses oreilles. Cela ne dura pas plus d'une seconde car il remonta aussi vite qu'il était descendu. Les cheveux dégoulinant sur son visage, le poil tombant comme une serpillière et flottant à la surface de l'eau, il sourit en réponse à Dysis pour faire bonne figure. Comme si le temps avait été ralenti il s'avança hors de l'eau d'un pas extrêmement lent, frigorifié. Il ne sentait plus aucune partie de son corps, tout n'était que brûlure intense sur la totalité de sa peau. Grelottant, claquant des mâchoires, il se roula dans la terre pour se gratter, encore et encore, mais rien ne parvint à soulager cette horrible sensation de démangeaison.

Quand enfin il s'arrêta, recouvert de terre, il s'allongea museau entre ses pattes et queue rabattue sur son flanc pour essayer de se réchauffer. Le vent, pas trop fort heureusement, venait tout de même gifler sa peau à chaque contact. Il resta silencieux, ne voulant pas se ridiculiser davantage. C'était la première fois qu'il se baignait dans une rivière en hiver et peut-être la dernière.

Il n'était pas le seul à être glacé, Dysis tremblait elle aussi une fois sortie de l'eau. C'était vraiment une idée de merde mais au moins Aubéron avait affronté cette épreuve sans se défiler. Se sentait-il plus fort ? Plus fier ? En cet instant, il n'avait que des regrets alors difficile de le savoir. Lorsque la blanche lui proposa d'aller s'abriter il se leva et la suivit, toujours aussi doucement et silencieux. Chaque pas était un calvaire, il ne sentait même plus le sol sous ses pattes tant elles étaient gelées. Une fois à couvert entre les rochers il se coucha de nouveau en petite boule, repliant ses pattes sous son ventre.

T-t-tu sais fai du ffeu toi ? Demanda-il en grelottant. Même articuler était trop dur.

Heureusement il tenait de son père le sang chaud et un pelage épais.

Il l'observa sans bouger de ses prunelles ambrées, impatient de se réchauffer contre les flammes. Lorsque Dysis échoua il souffla par le nez sans montrer pour autant de déception, lui non plus n'y serait pas arrivé après tout. Lorsqu'elle s'approcha de lui et le fixa avec sa mine toute triste, il vit une autre facette de la louvette. Il comprit alors qu'elle avait elle aussi sa fierté et qu'elle regrettait tout comme lui de s'être baigné. Finalement malgré ses airs un peu condescendants elle était pareille que lui. Il sentit son épaule contre la sienne et déglutit silencieusement, il n'aimait pas trop le contact des autres cependant dans ces conditions il ne pouvait qu'apprécier la chaleur qu'ils économisaient.

C'est pas ta faute.

Il était juste trop stupide pour refuser de relever un défis. Il fixa les branches et calma un peu ses tremblements.

C'était trop bien hein, même pas froid d'abord. Rajouta Auberon en affichant un sourire exagéré, parfois pris de tremblements soudains et incontrôlés.

Au moins ils s'en rappelleraient toute leur vie de cette rencontre.