Elle est morte [Libre ?]

Nirvana avait du vérifier, de ses propres yeux. Les plantes dans la tanière, qui avaient pour but d’empoisonner. Le corps sans vie, au fond d’un ravin dans lequel nul ne pouvait pénétrer. N’avait pas pu ramener à Dairo le glowstick de sa disciple, s’était contenté de lys noirs, comme ceux que portaient sa mère.
C’était sa faute.
Quelle ironie.
Le voilà, le seul moyen de communiquer dans cette famille.
Toujours les mêmes extrêmes.
La prêtresse avance dans les couloirs. Les derniers évènements l’ont fatigué, plus qu’autre chose. Déployé autant la brume, a ravivé la douleur. De son nez continue de s’écouler les habituelles gouttes de sang. Doucement elle repousse Chay qui s’en inquiète, continue d’avancer s’arrêtant devant une tanière. Dedans, elle entend sangloter, une autre présence aussi. C’est ce qui l’empêche d’entrer.

Tu pleures enfant parfait.
Toi qu’elle a construit, me jugeras-tu autant qu’elle ?
Me dénonceras-tu aux autres, comme tu as dénoncé Désiré ?
Nirvana s’appuya contre l’un des murs à l’entrée. Elle n’était pas assez proche de son frère pour empiéter ainsi dans son espace vital, encore moins en présence d’un autre. La sirène reste ainsi, seule dans le couloir. Fermant ses paupières alors qu’entre ses pattes la brume s’échappe.

Elle avait tué Hollyhock.
Leur mère.
Et vivrait avec ça sur la conscience.

Derrière eux des bruit de pas et en se retournant Myrohino vit la prêtresse de Dairo, la soeur d'Iris. Son mentor la vit à son tour et après lui avoir offert un regard triste lourd de sens il la rejoignit pour la prendre entre ses pattes.
Myro serra les dents. Il aurait aimé comprendre, savoir, pouvoir faire quelque chose. Mais la situation n'était pas propice. Il ne pouvait pas s'immiscer entre eux. Il ignorait quoi faire ou quoi dire. Alors il prit le partit de les laisser ensemble pour l'instant. Sans demander son reste il sortit doucement. Il comptait bien rester à proximité pour veiller sur Iris comme il l'avait fait avec lui. Mais pour l'heure le frère et la soeur semblaient avoir besoin de temps seul.

Ses yeux vairon se posèrent une dernière fois sur son mentor. Il se sentait tellement impuissant une nouvelle fois. Mais ce n'était que partie remise. Il comptait bien découvrir ce qui l'avait mis dans cet état et l'aider à surmonter le problème du mieux qu'il le pouvait.

Pas de larmes. Pas de pleurs.
Nirvana fixe le mur face à elle, écoute les sanglots de son frère, espérant que le disciple à ses côtés soit d’un soutien suffisant. Pourtant, il vient jusqu’à elle. Les pattes qui se referment sur son petit corps. La prêtresse demeura immobile, le laissant se réconforter comme il pouvait.
Nous ne nous sommes jamais compris.
Du coin de l’oeil, voit Myrohino s’éclipser, aurait aimé le retenir, ne peut toutefois pas lever la patte pour lui faire signe. La disciple de la renarde repousse doucement Iris, sans pour autant croiser son regard.

« — Je dois prévenir Dairo. »

Nirvana ne voulait pas croiser la pitié dans le regard des autres.
Elle ne voulait pas de leur compassion.
Parce qu’il n’y a pas lieu d’en avoir, quand on connait la vérité.
Tout ce qu’elle souhaitait, c’était…
Voir Dairo.
Voir Nael.
Ceux qui lui étaient chers.

« — Je suis désolée Iris. »

Que tu doives affronter la mort de mère.
Une patte qui frôle l’épaule du cadet, alors que la disciple de Dairo s’arrête à l’angle d’un couloir, un nuage de brume s’échappant de sa gueule.

« — Ne restes pas seul.
Je ne suis pas la compagnie qu’il te faut. »

Tes amis, ne doivent pas être loin.
La prêtresse secoua doucement son museau, avant de laisser le loup bleu. Nirvana ne pleurerait pas à ses côtés, ne voulait pas évoquer les souvenirs concernant leur mère… ni répondre aux suppositions. Rien de tout cela. Alors elle gérerait ce deuil, cette culpabilité, à sa manière. C’était son choix. Sa manière à elle d’être égoïste pour une fois, quand tous autour d’elle le furent. Sans se retourner cette fois, elle se dirige vers le temple de sa déesse.
La reine est morte.
Longue vie au roi.

Son corps fut déposé à l'abri des regards, allongé sur une fourrure douce dont elle l'enveloppa. Ainsi masqué par les denses poils brun, son pelage rendu terne par la chute et la mort ne sautait plus tant aux yeux.
On aurait presque pu croire qu'elle se reposait, logée dans une modeste tanière reculée, pour profiter des derniers rayons du soleil qui caressaient son visage aux yeux clos.
Seule sa chevelure ébouriffée jurait sur l'image impeccable qu'elle avait toujours maintenue, alors Anita lui lissa des bouts des griffes pour en ramener des mèches derrière les oreilles, de deux doigts réarrangea les quelques fleurs qui avaient persisté à s'accrocher.

Puis l'Alpha se recula de quelques pas, le regard posé sur l'amie défunte, qu'elle déporta ensuite sur sa sœur.
Il y eut pour elle une étreinte et quelques mots avant qu'elle ne la laisse.
Peut-être voudrait-elle également dispenser d'ultimes paroles, partager un dernier instant toutes les deux.

Elle avait des vivants à retrouver, maintenant.
Un clan secoué dans ses fondations qui pourtant partirait bientôt en guerre. Des orphelins qui avaient besoin d'elle.

Alors Anita regagna l'intérieur du Castel et n'en eut pour pas longtemps avant de trouver la trace des odeurs qu'elle cherchait.
La louve remonta les couloirs, remarqua que la trace de Nirvana était venue dans cette direction avant de finalement repartir... Elle irait la voir après.
Elle pouvait sentir que Iris, lui, était toujours là. Tout proche.
Quelques pas supplémentaires lui suffirent à l'avoir en vue.

Le fils de son amie était seul, malgré les fragrances récentes qui flottaient aux alentours mais s'étaient éloignées.
Désespérément seul.

Anita, sur le moment tante plus qu'Alpha, s'approcha et s'assit à ses côtés, leurs épaules assez proches pour s'effleurer - et lui laisser le loisir de s'appuyer dessus s'il le souhaitait. Dans le même élan elle ouvrit l'un de ses antérieurs, patte levée pour se poser dans l'encolure du loup, posture ouverte pour le serrer contre elle si en venait l'impulsion.

—   Je sais que ça fait mal, Iris. Mais on finit toujours par s'en sortir.

Elle ne comptait plus les deuils passés dans sa vie, ni ceux qu'elle se savait encore devoir affronter avant que sa propre vie ne cesse.
Mais il fallait avancer avec cette douleur.

Ils n'avaient pas le choix.

La détresse qu'elle vit dans son regard lorsque leurs yeux se rencontrèrent lui serra le cœur.
Sa respiration était laborieuse, son corps crispé, tout son être bouleversé. Comment continuer à fonctionner normalement, quand de tels piliers s'effondrent ? Certains, face à ce deuil et malgré toute leur force, n'avaient pas su affronter le choc et avaient préféré le fuir. Elle repensa à Dez et à son monde qui avait éclaté à la mort de Pepper, le poussant à abandonner tout le reste pour simplement... Partir.
Mais même pour ceux qui restaient, mesurer et gérer cette douleur pour la première fois était une épreuve d'une violence rare et qui n'avait rien de comparable avec les blessures physiques qu'ils avaient appris à affronter.
Au simple mot étranglé qu'il prononça, Anita secoua légèrement la tête et relâcha un soupir, le regard triste.

Elle ne savait pas pourquoi. Pourquoi maintenant, pourquoi si soudainement.
Cette fois-ci, Holly ne lui avait pas parlé. Cette fois-ci, elle avait pris une décision unilatérale et n'avait pas cherché de l'aide, comme lors des coups de sang qui pouvaient lui prendre de son vivant.
Toujours aussi têtue.

Elle fit face au visage tiré de Iris quand il parvint à débiter plus de mots, le laissant décharger tout ce qui le traversait, conservant le silence quelques secondes en cherchant quoi répondre.
Ses lèvres étaient sèches, elle dut y passer le bout de la langue.

—  Ta mère était... Souvent triste. La vie n'a pas été tendre avec elle, et les quelques objectifs qu'elle s'était fixés n'ont pas été simples à obtenir. Ce qu'elle désirait le plus au monde, c'était une famille. Je pense pouvoir affirmer sans me tromper que vous êtes sa plus belle réussite.

La louve lui offrit un sourire doux.

—  J'imagine quand même que ça n'a pas été simple de vous voir grandir, chacun partir sur des chemins différents.

En voulant être impartiale, elle avait du bannir son propre fils de son clan. Anita ne s'imaginait pas ce que ça avait du lui coûter.

—  Elle était fatiguée, mais... Je ne sais pas pourquoi, elle a fini par se résoudre à ça. Je pensais qu'elle était suffisamment apaisée pour simplement partir dans ses vieux jours.

Malgré elle et les larmes déjà données en abondance, Anita sentit ses yeux s'humidifier.
Car face à l'incompréhension de ses enfants s'éveillaient aussi pour elle, en tant qu'amie de longue date, les interrogations et la sensation d'échec.
Peut-être qu'elle aurait pu faire quelque chose, si seulement elle avait remarqué ce mal-être qui ne s'était pas exprimé.

Mais Anita n'avait rien vu, et elle n'avait pas pu la sauver. Seulement ramasser son corps brisé au fond d'un ravin.

Plusieurs secondes s'effacèrent encore dans le silence pendant qu'Iris enregistrait ses paroles et que leurs émotions cheminaient dans leurs corps et leurs esprits.
Chaque instant laissé en proie à leurs pensées était un espace vide laissé pour un souvenir qui ne pouvait qu'être douloureux tant l'évènement était frais, pour un sentiment brut qui avait besoin de s'exprimer ou pour une interrogation qui ne trouverait pas de réponse. Anita avait au moins pour arme une forme d'habitude, à vivre pareil drame, quand bien même on ne s'habituait jamais vraiment à cette douleur qui frappait d'un coup et nécessitait du temps pour s'apaiser ensuite.
Elle le suivit du regard quand il finit par relever le museau, vint rencontrer ses yeux tristes des siens. Sa question lui fit pivoter une oreille vers l'arrière, et elle hésita.

—  Maintenant... Il faudra annoncer la nouvelle au reste du clan, et celle de la succession qu'elle avait choisi. Je serai à tes côtés.

Toi, pour marcher dans ses traces.
Bien plus tôt que prévu, bien moins préparé qu'elles ne l'auraient voulu. Comme chaque fois. Comme si une forme de malédiction était vouée à ne laisser aucun Alpha prendre le temps de se préparer à cette fonction, comme si l'ombre de la mort devait planer sur chaque succession rendue brutale.

—  Nous avons aussi une bataille à mener. Nous ferons notre deuil comme nous le pouvons.

Mais nous y arriverons.
Le regard toujours humide sans que les larmes ne finissent pourtant par tomber, Anita offrit un sourire qu'elle voulut encourageant bien qu'il fut fragile, et elle posa une patte sur son épaule.