S'ouvrir aux autres | ft. Lucian

Si un dragon avait fait irruption ici, peut-être y en avait-il déjà eu ici avant, et que des livres en parlaient, non ? Peu après avoir pansé quelques plaies, les siennes comme celles des autres qui en avaient besoin, Holzër prenait le temps d'aller serpenter dans les allées de la bibliothèque, en quête d'informations.

Est-ce que ces gros lézards fonctionnaient comme les oiseaux, ou d'autres reptiles ? Et ainsi, si migration il y avait, alors les choses feraient sens. Au mauvais endroit, au mauvais moment. Cependant, dans ses songes, il ne semblait pas très logique que personne ne soit au courant de ce genre d'évènements. Une première, alors ? Son nez se plisse un peu, agacé.

Il n'avait pas de réponse, et c'est pourquoi il cherchait de façon têtue dans les rayons de l'histoire des terres quelque chose qui pouvait mentionner une quelconque histoire, même une légende, sur un autre dragon quel qu'il soit.

Hol' claque un nouveau livre en le fermant un peu bruyamment, se sentant idiot.

Un soupire agacé, le regard vide et sombre. Voilà ce à quoi il ressemble, Holzër ennuyé, dépité. Quand soudain, un fracas le fait sursauter très haut, gonflant son poil habituellement raz et plat et montrer ses crocs noirs vers ce qui venait de tomber du ciel.

L'attitude de l'autre montre une certaine fierté dans sa connerie, ce qui fait grogner le petit loup blanc en sa direction. Un truc cependant attire son attention, l'absence d'oreilles, et ces marquages qu'il avait tant parcouru de ses griffes sans jamais blesser sur un autre corps. Un corps qu'il adorait enlacer. Alors, Hol' se calme un peu, quoi que toujours sur la défensive.

Ce regard blanc ...

- N- non ... Pas du tout.

Yurai était un bien autre sujet dont il ne se sentait pas trop légitime à aborder pour trouver des solutions. Il aimerait cependant, déesse de feu Kerguelen, la louve qui l'avait accueilli ici-même chez les Nakhus. Il aimerait, mais trouverait-il une place ?

- Sur les dragons.

Comme pour prouver ce qu'il disait, il pousse du museau le livre qu'il avait emprunter, un bestiaire ancestral où se bousculaient informations sur les monstres d'autrefois et les mythes qui avaient parcouru le temps jusqu'à presque aujourd'hui. Ses yeux se baissent, puis reviennent sur cet autre sans-oreilles.

- Stendhal ?

Il sursaute quand le malotru chipe son livre, non sans le poil de ses épaules se gonflant, frustré, et se sentant attaqué quelque part. Ses crocs noirs se montrent un peu, il se tapit un peu contre une rangée de livres jusqu'à récupérer celui convoité. Un drôle de personnage, ce loup sourd, bien différent de son meilleur ami. Ce contraste le perturbe grandement, remettant beaucoup de choses en questions.

Mais son sujet préféré devenant centre de la conversation, il fait un peu plus attention. Il sait, que son Stendhal n'est pas là aujourd'hui. Une méfiance nouvelle encore lorsque le visage de l'inconnu s'assombrit. Hol' se redresse faussement, toujours prêt à contrer une menace, une attaque.

- Rien. Tu ... vous lui ressemblez.

Et jamais il ne quitte son regard, faisant l'effort d'articuler pour être audible si ce loup sombre était aussi impacté par le handicap ne permettant pas d'entendre. Une attention toute particulière, un sujet qui tenait à coeur au petit loup blanc car son ami était grandement impacté y compris sur le plan moral.

Son nez se plisse devant tant de manières, tant d'agressivité gratuite. Jusqu'à là, il ne semblait pas à l'enfant de Cloud de s'être montré menaçant, surtout pas envers l'un des siens qui plus est, alors il se sent attaqué, en danger. Ses oreilles à moitié vers l'arrières, pendantes, à moitié tournées vers son interlocuteur sans jamais le quitter du regard. Sa façon d'être instable ne faisaient pas sens.

- Quoi ? Mais non, juste-

Avant de pouvoir finir sa phrase, Hol' se laisse impressionner, se ratatine en laissant tomber son bouquin sur le sol en un fracas mou. Un corbeau géant se dresse devant lui, toujours sonnant sec et autoritaire, une aura qui ne plaisait décidément pas.
Ses oreilles se dressent subitement. Frère de sang ? Alors, c'était lui, le fameux frère de son si doux, si attentionné Stendhal ? Cet être s'amusant à effrayer les âmes innocentes ? Le regard d'Hol se fait plus sombre aussi. Non, il disait des bêtises, ça ne pouvait pas être vrai.

L'inconnu l'agace, lui ment. On ne parlait pas comme ça de son meilleur ami. Son dos s'arrondit et sa queue se fait prolongement de celui-ci, le poil gonflé, toujours méfiant.

- Vous dites n'importe quoi.

Il n'en était qu'à moitié convaincu, du moins. Ses yeux continuent d'analyser le loup sombre, et pourtant ... Pourtant tout menait à croire que cet horrible personnage disait vrai. Des plumes timides, des tons monochromes, les symboles du pelage. Hol' recule de quelques pas, peinant à faire confiance malgré tout.

La tension descend un peu, plus de crocs sortis, des moustaches tirées vers l'arrière en une moue impatiente, quatre yeux se fusillant mutuellement. Holzër se redresse, attendant une justification, une preuve supplémentaire à tout ça. Non, il n'y pouvait rien. Mais comment dans une même fratrie, deux jumeaux pouvaient être si différents ? Son museau se plisse, se pliant aux paroles de Lucian.

Sa question soulève un tout autre sujet. Un temps de silence, cherchant les bons mots. Il se savait important aux yeux de Stendhal, il se savait pilier, tout comme le sans-oreilles l'était aussi pour lui. Un regard plus assuré, bien que pensif.

- Son meilleur ami. Holzër.

Peut-être que ce nom était connu, après tout, ça faisait 8 ans qu'ils vivaient presque ensemble, jour comme nuit. Un soupire, et sa tête se secoue en un spasme. Un début de détente bien que ses pattes restaient bandées, prêtes à courir.

C'est son égo déjà bien maigre qui prend un coup. Jamais entendu parlé ? Jamais ?! Il se sent étrangement pris de vertiges, que son ami n'ait jamais cité son existence à son propre frère. Un pic dans le coeur que l'inconnu s'amuse à enfoncer un peu plus. Donc, son air passablement méfiant et agressif se change en un air plus absent, songeur. Hol' ne prenant même plus la peine de regarder le loup noir.

Lucian.
Il avait dû l'entendre aussi, de par Stendhal. Enfin, ses pensées étaient trop brouillées pour le moment, tirant une moue dérangée et vraiment dans les nuages.

Enchanté.

Hol' sort de cette brume étrange, il en toucherait deux mots à ce loup important à ses yeux. En parlant d'yeux, les siens se rivent de nouveau sur ce Lucian, ni doux, ni plus méfiant. Un regard neutre, silencieux pendant plusieurs secondes. Un pas en arrière.

- De même. Je crois.

Son esprit saute de questions en questions en tout genre.

- Pourquoi tu ... vous n'avez jamais été croisé ? Jusqu'à ce jour ?

Connaissant une partie de sa famille, des loups plutôt avenants et allant vers les autres à bras grands ouverts, c'était curieux, à moins qu'il ne tienne bien plus du côté paternel, qui lui aussi était pas mal volatile dans ses activités, le rendant plutôt difficile à cerner.

Une toute nouvelle expression tend Holzër. Il n'y avait plus de crocs sortis, plus de sourire railleur et dédaigneux, mais une posture plus sereine et même étonnament confiante. Lucian sur le dos, Hol' pose son derrière sur le sol froid de la bibliothèque, sa queue de diablotin enroulée sur ses pattes, s'attendant à quelque chose de grave et d'important. En somme, une réponse à sa question.

Une mention à son père. Le nouveau Nakhu penche la tête sur le côté, curieux. Une voix plutôt douce embaume l'endroit désert à part eux deux. Il en avait beaucoup entendu parler, de ce père discret et invisible, sans jamais avoir eu véritablement l'occasion de le connaître. Et l'explication donnée faisait sens à cette question. Un soupire las. Il comprend. Il ne dit rien, redirige son regard sur le sol, désolé.

- Ce doit être un père vraiment bien.

Sans jamais quitter le par-terre des yeux. Se sacrifier pour les siens au point de se voir dépérir soi-même, n'était-ce pas là honorable ? Il n'était pas si absent, ce père.

- Stendhal n'en parle pas beaucoup.

Ses poumons se gonflent subitement alors que Lucian s'approche très près, presque au contact buste contre buste. D'aussi près, il peut observer un peu plus les détails qui s'offrent à lui : les yeux pensés noirs sont en fait bleutés, et ces plumes éparses qui ne font aucun doute sur ses origines.

Hol' fait un pas en arrière, définitivement intimidé par ce drôle de corbeau. La question rhétorique le laisse pensif assez peu de temps, ayant déjà une réponse et même un bon exemple en tête. Ne manquait qu'à tout mettre en forme de façon distincte.

- Un bon père, c'est comme mon papa Violette. C'est pas vraiment mon papa, mais ... C'en est un bon. Vraiment. Il m'a toujours considéré comme son fils, un peu, et sait répondre à ... plein de choses. Des questions de ses enfants. Et faire au mieux pour notre bonheur. Alors votre papa vous a aidé, avec ... l'absence de vos oreilles. C'est un bon père.

Hol' reprend sa respiration, se sentant un peu perdu après avoir sorti autant de mots d'un coup avec un inconnu. Il continue d'y réfléchir tout de même, peu sûr de la véracité de ce qu'il avait avancé. Stendhal devait avoir remarqué, c'était sûr. Son ami était un grand sensible malgré ses airs de meneur froid et réaliste.

- C'est un sujet un peu délicat. Encore plus depuis que ... depuis que madame Kerguelen n'est plus là.

Sa voix se brise un peu, faisant écho sur les rangées de la bibliothèque. Ses griffes tapotent le sol. Il serait si détruit si Cloud venait à disparaitre, elle lui semblait si éternelle. C'était déjà un brise-coeur que la maman de son adoré se soit adonnée corps et âme à Yurai, au sens littéral.

Comme une étincelle, le comportement de Lucian change radicalement. D'un loup froid et distant, il devient prédateur, comme lorsqu'il était venu à la rencontre d'Hol. Avait-il dit quelque chose de mal ? N'aurait-il pas dû parler de Kerguelen ? Hol' se sent menacé, en danger. Son poil se gonfle encore, ne quittant pas le loup sombre du regard. Pourquoi avait-il peur ?

Un non-sens absolu. Même s'il n'était pas des plus intelligent ici-bas, aucun loup un tant soit peu sensé sentirait aussi une certaine menace planer, surtout en compagnie d'une créature aussi lunatique. Par chance, Lucian ne pouvait passer dans son dos. Par réflexe surtout, Hol' lui empêche cette occasion, ni même d'être sur son flanc. Toujours faire face. Sa tête s'affole mais son corps répond tout seul, guidé par son instinct de survie.

- P-peut-être parce-qu- que je ne vous comprends pas.

On y lisait une peur certaine dans ses yeux, mais aussi une menace. Le moindre faux pas, la moindre impulsion qui irait contre lui serait répondu par une réponse simple et primitive. Il devenait difficile de faire confiance et contenir son sang froid.

- Je d- devrais partir.

Et sans quitter le regard de l'autre, Hol' recule en direction de la porte de la bibliothèque. Tant pis pour les dragons, il reviendrait plus tard, peut-être avec son bien aimé ami pour assurer sa sécurité contre ce frère complètement tordu.

Son coeur était serré, ses tripes aussi, et ça n'allait pas en s'améliorant. Lucian s'approche, fait basculer Holzër qui traduit son refus par une incapacité à se déroger à ce contact non souhaité. Hol' se trouve incapable de bouger, tétanisé, comprenant que son consentement n'était clairement pas pris en compte dans ce drôle d'échange. Alors, il lutte pour ne pas réagir, se laisse faire docilement quoi qu'une larme perle dans le coin de son oeil.

S'il laisse l'inconnu faire ce qu'il veut, ça se finirait plus vite, non ? Ainsi sous le mâle bien plus imposant que lui, c'était une douce violence. Pas de blessure, pas de douleur, juste un mutisme forcé. Jusqu'à ce qu'il sente les appendices de sa tête se faire attraper, ses yeux bleus écarquillés remarquent l'air plus sérieux de l'autre mâle. Il n'était plus question de jouer.

C'est à ce moment que tout l'air cumulé et bloqué dans ses poumons devient impossible à garder, Hol' suffoquait, son esprit aussi jusque là en prison ne pouvait plus supporter autant de pression et de restriction, ces coups de bâton à répétition ne pouvaient plus rester impunis. Et l'enfant n'était plus, la rage prend le dessus, et sa gueule vient s'ouvrir pour se refermer en un claquement sur la gorge de Lucian alors exposée.

Il n'y avait plus de pitié, plus de réflexion.
Il n'y avait plus d'innocence mais qu'une haine envers sa propre espèce peu scrupuleuse et égoïste comme l'était ce Lucian qui s'exprime.
Cette noirceur dans le coeur d'Holzër qu'il avait toujours refoulé pour attirer la sympathie des siens et sa servitude, alors qu'encore enfant, il aurait dû ne jamais exister, en témoignait son abandon.

Une gerbe de sang éclabousse son pelage immaculé, et jamais sa mâchoire ne se desserre de sa prise, au contraire se referme avec plus de force encore, ses pupilles dilatées, son âme entre reconnaissante d'avoir agit ainsi et la culpabilité de blesser ses congénères alors que jusque là, l'enseignement de Cloud et du laisser vivre avait prédominé sa vie et ses actions.

Ses pattes noires s'étaient également refermées autour du cou de son adversaire.

Son emprise se resserre ainsi qu'un sentiment de culpabilité instantané qui luttait contre la rage et la haine. Ses yeux restent humides, ses oreilles plaquées sur sa nuque, mais ses muscles ne lâchent pas et restent accrochés au cou du mâle sombre. Seules ses pattes glissent sur les épaules du loup monochrome, sa vue reste brouillée, comme dans la pénombre.

Et s'en suivi une danse avec un partenaire qui s'enroule aléatoirement, l'autre ne répondant qu'à moitié à sa propre conscience et peinant à relâcher son étreinte. Il sent pourtant le sol rouler sur son corps, le contact parfois de nouveau chaud de Lucian contre lui. Il devenait difficile de tenir, et c'est sans doute ce qui sauva l'enfant de Kerguelen, ce qui fera revenir doucement à lui Holzër qui finit par lâcher sa prise.

Si le natif Nakhu prend la fuite, le loup blanc restera en boule un temps, tremblant, encore choqué de la suite des évènements. Avoir été incommodé par la rencontre, c'était une chose. Pas agréable, intimidant, mais encore supportable. Mais le fait d'avoir été démuni de ses gestes librement, de sa capacité à fuir, et pire encore ce contact étrange sur ses cornes bien trop sensible ne serait-ce qu'à une caresse ... Non, ça n'était pas passé, et s'était actionné une défense bien propre à lui qui, malheureusement, répondait par la violence.

Il s'était passé la même chose avec le dragon.
Défendre son ami en danger par le sang et le fracas.

Une larme roule sur son visage, un sentiment d'avoir été sali par Lucian et par le sang qui barbouillait encore sa gueule. Ses yeux se rouvrent sur la bibliothèque vide, il n'y avait plus de bruit, plus aucune présence à part la sienne. Au sol, quelques gouttes rouges témoignaient d'une lutte sans intention de tuer. Hol' fut pris de nausées, non seulement de par son état émotionnel chaotique à ce moment-là que par le goût et l'odeur de fer ambiante.

Maman Cloud ne serait pas contente du tout de tout ça.
Il fallait qu'il rentre et trouve réconfort loin d'ici pour le moment.