Ambrethil et moi [Fini]

La nuit venait tout juste de tomber, et j'avais ressenti l'envie pressante de me rendre sur l'île des songes. Ce petit bout de Paradis était mon refuge depuis maintenant quelles jours. Maman m'avait appris que c'est ici qu'elle avait rencontré papa, et en pleine nuit, justement. Et alors qu'ils n'étaient encore que des connaissances l'un pour l'autre, il s'était endormis, paisiblement... Dans la confiance.

Aujourd'hui, ma mère en aimait un autre. Je ne lui en voulais pas, bien au contraire ! Je n'avais pas connu mon père, et bien que j'ai beaucoup de respect pour lui et sa mémoire, je n'en voulais pas moins qu'elle soit heureuse.
Seule ombre au tableau : j'étais toujours célibataire.

Alors, certes, je pouvais être un peu plus patient... Mais je persistais à croire que j'avais besoin d'aimer pour apprécier la vie. J'avais besoin de fougue, de passion... J'avais besoin de trouver quelqu'un à mon côté quand la nuit tombait...

Mais, à moins d'un miracle...

Encore tout humide de ma traversée à la nage, je vins m'allonger près d'une roche immense, entouré de quelques arbres. La terre se mêla à mon poil, et mon ventre ne tarda pas à être recouvert d'une fine pélicule de boue.

Je soupirais, las.

Je n'avais pas envie de m'assoupir, je n'avais pas sommeil. Je savais bien qu'une nuit blanche m'attendait... Une légére brise traversa mon pelage. Quelque-part, elle était la bienvenue : je mourrais de chaud malgré mon bain de minuit. Je fermais les yeux un instant, repensant aux événements récents... Mais une voix me sortit de cet inventaire :

J'ouvris brusquement les yeux, détournais la tête et m'aperçus que je n'étais pas seule. Il y avait une louve non loin de moi. Etait-elle arrivée avant ou après moi ? En tous cas, je ne m'étais pas aperçu de sa présence, et le nom qu'elle avait utilisé pour s'adresser à moi ne me plaisait pas vraiment... Son pelage était d'un blanc immaculé, comme celui de ma mère. Ses cheveux étaients gris, mais le bout des mèches était bleu, et je constatais que le même dégradé s'appliquait à sa queue.

Je me redressais et me mit face à elle, avant de m'assoir. Là, j'observais ses yeux bleus... Bleus comme le ciel. Je ne vis pas de glowstick, qu'importe ?

"Je m'appelle Zachin', et je suis soldat."

J'espérais qu'elle ne demeurerait pas froide à mesure que notre conversation avancerait : j'espérais que nous pourrions sympathiser.
Pourquoi toutes les louves que je rencontrais se méfaient de moi ?

Un long silence s'interposa entre nous. Nous nous observions mutuellement, et je craignais qu'elle ne soit distante ou méfiante ou apeurée... A croire que je ressemblais au grand méchant loup...

Mais, bien au contraire, sa réponse fut étonnement satisfaisante.

Tout ceci était tellement inattendu... Je souriais et m'approchais d'elle.

"Je serais ravi de vous accompagner pour cette balade, mademoiselle."

Nous commencions alors à avancer, promenade nocturne, avec la Lune et les étoiles nous suivant des yeux. La demoiselle avait une démarche élégante, et était pour le moins gracieuse. Son corps élancé ne faisait qu'accentuer cette sensation de légéreté, alors que ses cheveux ondulaient le lon de sa nuque. Je m'attardais un instant sur son regard, aussi bleu que le mien...

"Je ne connaissais pas le rang de conteuse" soufflais-je pour démarrer la conversation.

Ambrethil secoua très légérement sa tête, comme pour reprendre ses esprits, ou bien pour sortir de ses pensées. Ses grands yeux bleus se rouvrirent pour se planter dans le mien, et si j'avais du parler à cette instant, j'aurais très certainement balbutié.

Mais je n'avais qu'à écouter. Et je buvais ses paroles comme l'aurait fait un ivrogne. Cette femelle devait avoir un don, sans doute son glowstick lui conférait un pouvoir quelconque en rapport avec la séduction. Ce qui m'étonnait beaucoup fut qu'elle ne s'était pas méfiée un seul instant... Pourquoi donc ?

Alors que je me perdais dans son regard, je m'aperçus qu'elle m'avait posé une question et que c'était donc à moi de prendre la parole. Je me raclais la gorge, cherchant un peu mes mots, comme débarquant d'ailleurs... Peut-être penserait-elle que je ne l'avais pas écoutée ?
La situation était bien génante.

"Je..."

Fermant les yeux, je secouais la tête, agitant un peu ma crinière.

"J'aime le combat. Pas l'aspect violent... Tu sais, c'est un peu comme une danse..."

Il y avait de ça. Mais je ne voulais pas citer ma motivation principale... Mon père était mort pour ses convictions, bien qu'elles se soient révélées relativement mauvaise... Moi aussi je voulais me battre pour ce que je pensais. Moi aussi je voulais défendre mes idéaux...

Je regardais devant moi, m'efforçant de ne pas me détourner vers la femelle. La fixer deviendrait sûrement génant mais aussi suspect...

Je sentis Ambrethil en pleine reflection. Une nouvelle fois, elle ouvrit la gueule, et je crus sentir que notre conversation lui plaisait. La locacité de la femelle était vraiment plaisante...

"Oui, une danse... Je vois très bien où tu veux en venir. Se mouvoir, comme si on avait prévu les mouvements... C'est cela ? Et aussi, si je peux me le permettre, quelle est ton histoire ? J'adore les histoires, comme je te l'ai dit plus tôt ! Si tu ne veux pas me la raconter, tu peux le dire sans gêne, cela ne me dérange pas... C'est personnel et si tu ne veux pas que je la sache, tout est à toi de décider. C'est à ton aise..."

Parler ou ne rien dire ? Le choix était difficile... J'avais peur qu'elle ne meprenne pour un monstre, et ne veuille plus jamais m'adresser la parole...
Mais n'étais-je pas un monstre ?

Je sentis une certaine gêne s'échappait de la louve... C'était totalement paradoxal... Ca ne devait être qu'une illusion de ma part... Je ne la regardais toujours pas, toujours hésitant : "Si je vous dis la vérité... Je crains que vous ne me dépréciez..."

Je me détournais vers elle, dans une légére inflection. Là, je lui souriais, un peu honteux. "Et je n'ai pas envie que vous me dépréciez."

Constatant qu'Ambrethil se cachait elle aussi, je me détournais totalement vers elle. Là, je tentais de réhabiliter une ambiance sympathique, en m'efforçant de lui faire mon plus beau sourire...

"Comment pourrais-je faire cela ? Tu sais, ton histoire ne peut pas être si pire que cela. Et je suis tout à fait compréhensive. Je ne juge pas des actes commis dans le passé. On ne peut rien y changer…"

Puis, elle baissa la tête, un air triste collé à la truffe. Je commençais à regretter mes paroles, crayant de n'avoir ravivé des souvenirs emplies de mélancolie... Le murmure de la louve ne fit que me conforter dans mes idées. J'eu envie de me blottir contre elle, mais je ne pu que l'observer. Elle prit un air encore plus penaud et secoua la tête, avant de soupirer et de se retourner vers moi en me lançant : "Je ne t’oblige pas de me la raconter. Juste pour te dire que si, et j’ai bien dit SI, tu te décidais de me la raconter un jour, je ne commenterai pas et ne ferai aucune réaction exagérée. Déjà, notre amitié, si c’est le cas…"

Elle s'interrompit, et durant cet instant de silence, je fus collé à ses babines. Elle venait bien de parler d'amitié, là, non ? C'était une grande nouveauté pour moi, jamais personne n'avait avoué me considérer comme un ami... J'eu l'impression d'être au bord de la mer, et d'avoir reçu un grand coup de vent en pleine truffe...

J'étais littéralement bouche-bée. Même si je l'appréciais beaucoup, je ne m'attendais pas vraiment à ce qu'elle commence à me faire de si grands avoeux. Elle resta à me scruter de ses deux grands yeux bleus turquoises. Je gonflais alors ma poitrine d'une grande inspiration, avant de m'avancer tout doucement vers elle et de me placer derrière la blanche aux reflets gris. Je plaçais ma queue autour de sa cuisse et de sa propre queue, posant ma gueule dans le creux de son cou. Je ne pouvais plus soupirer qu'un seul et unique mot : "Merci..."

Lorsqu'Ambrethil sursauta, j'eu un léger mouvement de recul. Je m'attendais à ce qu'elle me repousse, ce qu'elle ne fit pas. Je pensais alors qu'elle n'osait simplement pas, mais je pu apercevoir son sourire... Alors, il ne s'agissait que de surprise. Je m'enfonçais donc un peu plus au creux de son pelage. Ses cheveux gris me chatouillaient les narines.
L'instant était inédit pour moi. Je n'avais jamais pu approcher une femelle d'aussi prêt, hormis ma mère, lorsque je n'étais encore qu'un louveteau et que je m'approchais de son ventre pour venir la têter. Je découvrais alors un parfum tout particulier, et la sensation crée par le frottement de nos deux fourrures. Nos cheveux s'emmelèrent un tant soit peu, et ce moment ne fus que douceur. J'entendis le flot des vagues, comme une berceuse, accompagnant ce moment de tendresse.

Sur un ton précipité, Ambrethil se mit à me questionner. Ce fut comme une rupture, comme si elle voulait mettre fin au geste délicat, à l'instant de clotûre, au rapprochement charnel. Je cru la sentir génée, je pensais mon acte déplacé et je ressentais sa timidité.
J'avais sûrement été trop loin.

D'un mouvement délicat, je m'éloignais de son corps svelte et de sa fourrure blanche. Au même instant, sa chevelure fut emportée par une légère brise. Toutefois, je ne me sentais pas mal, loin de là. Je venais de découvrir une chose nouvelle, et j'étais heureux de cet enrichissement personnel, de cette nouvelle expérience.
Cette étreinte n'était que la cause de l'émotion qu'elle avait provoqué en moi.

"Ou comme n'importe qui" complétais-je intérieurement. Mais savait-elle comme elle me paraissais délicieuse ? Je ne pouvais que me délecter de sa vue, et chaque approche me révélait une nouvelle surprise, un nouveau trésor.
Mais une obstination persistait en moi. Personne n'est parfait et... Il y avait quelque-chose de trop chez cette louve délicate. Je devais m'en méfier... Elle n'avait pas tardé à me charmer, ne m'avait pas repoussé... Quelcue-chose clochait.

Redressant la tête, je m'aperçut qu'Ambrethil avait détourné son regard. Je fus interpellé par cette attitude, ayant comme la sensation que quelque-chose clochait. L'observant toujours, alors que plus une parole n'était prononcée, elle me regarda de nouveau et m'adressa un sourire léger, très certainement forcé. J'aurais voulu m'approcher un peu plus d'elle, mais nous l'étions déjà suffisamment. De ma patte, je redressais totalement sa tête vers moi, délicatement, en profitant pour lui caresser la joue.

"Quelque-chose ne va pas ?" demandais-je, inquiet.

Je reposais ma patte au sol, l'observant la tête légérement penchée sur le côté. Décidemment, cette rencontre était bien ambigü. Je ne savais jamais si je faisais bien ou mal... Il fallait que je sois fixé, il fallait qu'elle me dise.
Dans un geste hésitant, je posais ma patte sur la sienne et lui souriait, cherchant à la mettre en confiance, à lui faire comprendre que je ne lui voulais pas de mal. Je n'étais pas un chasseur et elle n'était pas ma proie.

La réponse d'Ambrethil ne fit que m'inquiéter un peu plus. Elle avoua avoir été taraudée par une question, sans me révéler cependant quelle elle était et feignit que le dilemme avait cessé... Je n'y cru pas vraiment. Maintenant, la louve blanche me regardait, affichant un sourire distrait.
Je me décidais à faire un pas vers elle, et si je n'avais pas été plus grand que la femelle, nous nous serions retrouvés truffes à truffes.

J'employais un ton un peu dur, mais qui reflétait en réalité ma perplexité : "Ambrethil, tu m'as bien fait comprendre que tu me considérais comme un ami et que, si je voulais te parler, je pouvais le faire. Il en va de même pour toi ! Tu sais, je n'ai pas envie qu'il y ait une barrière quelconque entre nous et..."

Je perdis un instant mon regard dans le sien : "Et je n'ai pas envie que tu me caches quoi que ce soit."

En vérité, j'aurais aimé qu'à cet instant, elle me dise ce qu'elle attendait de moi. Est-ce que je l'incommodais ? Devais-je partir et la laisser tranquille ? Ou, au contraire, aurait-elle désiré que nous soyons plus proches ?
Je me surpris moi-même à penser à cette seconde hypothèse. Ce n'était pas sérieux. Nous ne nous connaissions que depuis deux heures, tout au plus. Et il fallait plus qu'une soirée pour lier une amitié, et donc bien plus pour penser à des sentiments plus profonds.

Je lui souris gentiment, attendant une réponse, quelle qu'elle soit.
Mais si la jolie canidée s'obstinait à garder le silence, je prendrais la décision de partir...

Le fait qu'Ambrethil ait du lever les yeux pour me regarder m'impressiona comme je devais l'impressioner. En effet, la louve se mit à balbutier, baissant le regard vers le sol. Je fus extrémement géné de la réaction que j'avais provoqué et, inconsciemment, je reculais d'un pas. J'avais l'impression de lui avoir fait peur... Et cela me dégoutait un peu de moi-même...

Je murmurais son prénom, cherchant à la réconforter, mais je compris que, quoi que je puisse dire, la situation ne changerait pas. Je me détournais alors, et aperçut l'étendue aqueuse qui faisait de cet endroit une île. Souriant sans conviction, je me mettais à courir et me jetais à l'eau, bien décidé à regagner le reste des terres punk-wolfiennes à la nage. Toutefois, je me détournais vers la louve blanche et lui criais : "Je dois m'en aller, Ambrethil, mais j'espère de tout mon coeur que l'on se reverra !"

Et tout en nageant, j'essayais de me remémorer en détail les étapes de cette rencontre. Je ne savais plus vraiment, et la tête me tournait. La journée me parut soudainement chaotique et pleine d'émotions. Je soupirais, me demandant si j'avais vraiment envie de revoir cette femelle. Quelque-part, oui, parce-que la fréquenter était agréable mais... Tout paraissait tellement compliqué...

Vraiment, j'allais finir ma vie en solitaire...