Lorsque la lune s'emballe (libre)

La nuit s'était doucement posée, à pas délicats, sur les terres du continent. Il faisait froid dans la pénombre de la forêt, et l'anthracite se fondait à la perfection dans les ombres qui s'entremêlaient et venaient dessiner au sol des entrelacs contrastés. Ou presque. La perfection n'aurait pas eu cette lueur émeraude qui scintillait à son oreille, ou ces marquages qui luisaient dans son sillage, attachés au pelage sombre de ses postérieurs. Ombre aux éclats de lumière, Anthem était revenu, presque sans le vouloir, vers cette Forêt. Cet endroit où il avait pris la décision, pour une fois dans son existence, d'aller chercher de l'aide. D'aller la demander. Il avait échangé un peu du temps de sa vie contre la Sienne. A cette ultime trace d'une romance disparue.

Il marchait en silence, les paupières plissées sur son regard vairon. Ses prunelles d'or et de feu semblaient se mêler dans le noir, et bien qu'il ne le sache pas, sa silhouette semblait à cet instant être un écho, un reflet, de ce qu'avait été un autre loup. Methushela. Mais lui n'en savait rien. Ses parents n'étaient que silhouettes floues qui s'étaient diluées peu à peu dans les vagues des souvenirs. Il marchait toujours, s'enfonçant de plus en plus profond dans les bois. Peu à peu, les effluves qui venaient chatouiller sa truffe lui indiquèrent la trace ténue, mais bien présente, de l'un de ses congénères. Il s'arrêta un instant et redressa la tête. L'odeur était celle de quelqu'un de jeune. Quelqu'un de féminin - sur ce point, il était difficile de se tromper, la saison des chaleurs avait commencé depuis quelques temps, et même s'il n'était pas du genre à se laisser beaucoup influencer par cela, il demeurait hélas un animal, que troublaient légèrement les parfums qui flottaient dans l'air. Il hésita un instant, puis reprit sa route en obliquant légèrement pour suivre cette trace.

Il avait eu une pensée soudaine, presque paniquée. Et si c'était Elle ? Il l'avait si peu côtoyée qu'il se doutait que son odeur avait changée. Elle portait sans doute le parfum léger qui émanait de son pelage lorsqu'elle était petite, mais auquel beaucoup d'autres seraient venus se greffer. Et peut-être cette odeur là aussi, qui la mettrait en danger. Son cœur battit un peu plus fort. Mais que lui arrivait-il ? Il se connaissait suffisamment pour savoir que l'instinct paternel était quasi-inexistant chez lui - quoi que, au vu de son comportement envers Raw et Hylda quand il avait amené Romance, il en doutait parfois. Pourquoi avait-il soudain cette envie d'aller s'assurer que si c'était elle, elle allait bien ? Ce désir de la mettre en garde, ou simplement de... vérifier. Elle était jeune, innocente, curieuse. Et ce n'était pas une heure pour sortir, ce n'était pas une saison pour sortir, par les dieux pourquoi avait-il soudain cette envie de mettre un coup de crocs dans la jugulaire de ceux qui l'approcheraient ?!

Il rabattit les oreilles et accéléra le pas. La piste se dessinait plus clairement. Elle menait à l'endroit où se trouvait la statue de Yuwai, déesse de la sagesse. Une visite qui ne serait peut-être pas inutile finalement. Qui sait, il trouverait peut-être auprès d'une divinité de quoi comprendre. Puisque c'étaient eux, les êtres de lumière et de couleur, qui avaient décidé que lui devait Comprendre.

Soudain, une vois résonna au sortir de la grotte. Il s'immobilisa dans les fourrés et tendit le cou. Cette voix n'était pas la sienne. Aucun doute sur la question. Il ne sut trop s'il devait en être rassuré ou non. Ce fut un rire qui résonna, un rire strident et désagréable, juste avant qu'une silhouette n'émerge de l'obscurité violacée. Aussitôt, le gris eut une étrange impression. Le genre de choses que le commun des mortels et des écrivain qualifierait de mauvais pressentiment. La jeunette n'avait pas l'air exactement normale - ou alors il n'avait absolument pas saisi sa personnalité dans les quelques moments où il l'avait observée, comme il le faisait avec la plupart des loups du clan. Les oreilles en arrière et le faciès sombre, il s'avança pour sortir du noir. histoire de mettre les choses au clair. De toute manière, il ne considérait pas risquer grand chose. Elle était plus petite que lui, sans doute plus faible physiquement.

Mais elle semblait surtout extrêmement et étrangement joyeuse.

Tout d'abord, elle ne remarqua pas sa présence, comme fascinée par l'éclat de la lune, qui baignait les alentours de sa lumière argentée. Puis enfin elle tourna le regard vers lui. Un bien étrange regard. Il le soutint en silence de ses prunelles bicolores, jaugeant de qui se trouvait devant lui. De toute évidence, ou bien la louve cachait admirablement bien son jeu en société, ou bien quelque-chose ne tournait pas exactement rond cette nuit-là. Le filet de salive qui coulait au coin de ses babines ou les pupilles étrécies au milieu de ses yeux n'auguraient rien de bon. Le mâle fronçait légèrement, imperceptiblement, le museau.

Elle lui adressa soudainement la parole, parla de la lune, se présenta en s'asseyant. Début quasi-normal d'une conversation courtoise entre deux individus qui ne se connaissaient ni d’Ève, ni d'Adam ou de tout autre être ayant participé à la Genèse du contient. Au détail près que le comportement de la jeunette laissait le mâle légèrement perplexe. Elle eut soudain comme un spasme et pencha brusquement la tête sur le côté... pour finalement venir se lécher la patte comme un chat. Il l'observa sans mot dire. La lune et leurs glowsticks créaient une atmosphère étrange, de lumière froide aux reflets violacés et émeraude. Finalement, la voix d'Anthem résonna, brisant le silence qui les avait doucement enveloppés.

"Anthem. Soldat Séide."

Réponse tout à fait caractéristique de l'anthracite. Succincte, juste le nécessaire. Histoire d'en découvrir un peu plus avant d'en laisser découvrir. Il redressa légèrement le cou, sans relever les oreilles. Un instant, il eut une hésitation. Pouvait-il - devait-il - lui demander à elle ? Elle semblait légèrement... perturbée. Ou bien étaient-ce ses méninges qui ne se faisaient pas à cette damnée odeur sucrée et envoûtante qui flottait partout et à laquelle il s'était juré d'échapper désormais. Une erreur une fois, et il avait appris. Mieux valait qu'un seul être n'aie à endurer ce qu'était de l'avoir comme père. L'image de la petite louve grise dansa brièvement devant ses yeux. C'était consternant de constater à quel point une simple effluve pouvait amener ses pensées à ce genre de réflexion. Il cilla, puis lança :

"Je cherche quelqu'un."

Il avait voulu ne pas s'y attacher, à elle. Ca valait mieux pour tout le monde. Car lorsqu'il s'attachait, lorsqu'il laissait s'entrouvrir les barrières de ce qu'il avait de coeur, il se trompait. Inévitablement. Et cette ignorance faisait plonger l'un ou l'autre dans des ténèbres dont jamais aucun ne sortirait. Et lui avait la malchance d'avoir survécu à toute cette noirceur. Une ombre passa dans son regard.

"Une louve grise, nommée Romance."

La question est sous-entendu, mais assez claire pour qu'elle comprenne - si tant était que son étrange état lui permettait d'apprécier correctement les paroles qu'on lui adressait, savait-on jamais - que si elle avait des informations, elles seraient absolument et impérativement les bienvenues.

Il n'avait pas décroché son regard du sien. L'emprise de l'or et de la glace, au milieu de cette troublante nuit.

[Aucun soucis ^^ Bon courage pour tout ça]

Alors là, on atteignait des sommets. Littéralement.
Le comportement de la louve, s'il avait été légèrement étrange, était désormais totalement perturbant. Tout commença tout à fait normalement, lorsqu'elle se présenta en tant que soldat, forçant un peu sur le enchantée qui sonnait légèrement discordant dans sa phrase. S'il n'y avait eu que cela de discordant. Elle inclina ensuite la tête avec lenteur, comme soudainement dans une réflexion profonde, dérangée, dardant sur le grand loup un regard impossible à interpréter dans des circonstances normales. Puis commença à répondre, s'interrompit soudain. Elle semblait en proie à une sorte de combat intérieur qui faisait perdre toute cohérence à son discours. L'atmosphère se tendit soudain et il sentit la tension peser, alors que la brune secouait la tête, avant de reposer le regard sur lui. Il vit luire la peur dans ses prunelles, inattendue, alors que son échine se hérissait.
Mais par tous les diables, qu'est-ce qu'il lui prenait ?

Le Glowstick du soldat s'alluma un peu plus, alors que son pouvoir venait alimenter les rouages de son esprit, tentant d'éclaircir cette purée de pois qu'était l'explication du comportement de l'inconnue. Enfin, de Plume Blanche - il ne pouvait plus vraiment la considérer comme une inconnue désormais. Mais avant qu'il n'aie pu élaborer de théorie un tant soit peu travaillée - la folie, c'était simple mais trop simple - un autre élément entra en compte. Faisant basculer dangereusement la balance vers la folie, tout compte fait, durant un instant.

La louve leva la patte et vint y donner un violent coup de crocs, le regard soudain emplit de haine et d'une lueur de fourberie. Le sang dégoulina le long de ses coussinets pour aller goutter sur le sol, et elle sembla satisfaite. Ce fut en tout cas l'impression qu'il eut lorsqu'elle relâcha son membre meurtri pour redresser la tête vers lui. A ce stade, il ne se serait même pas étonné qu'elle lui lance un grand sourire, avec ses babines ensanglantée et son regard qui oscillait entre la panique et la malfaisance.

Le mâle la considéra en silence, l'expression froide. Toutefois, ses muscles s'étaient légèrement tendus, et il demeurait plus aux aguets qu'il ne l'était quelques instants auparavant. Les vagues incohérentes d'émotions qui allaient et venaient dans les prunelles de Plume Blanche le faisaient pencher vers la schizophrénie - ou quelque-chose de ce genre - mais il s'étonnait dans ce cas qu'elle soit des Séides. Même si le tempérament des dominants s'était adouci et qu'ils s'étaient faits plus conciliants avec les années, il y avait des limites à la tolérance dans leurs rangs.
Il y en avait partout.
Il le savait mieux que quiconque.

Il redressa la tête et fit quelques pas, comme pour contourner la louve, sans cesser de l'observer. Comportement de prédateur - totalement inadapté dans une situation qui n'aurait pas impliqué ce damné comportement incompréhensible de la louve, puisqu'il était fortement déconseillé de tourner autour des individus féminins en cette période de chaleurs - mais il voulait tester ses réactions, sans toutefois aller jusqu'à l'attaquer. Il voulait savoir ce qu'elle pouvait faire. Si ce qu'il pensait était juste.

"Qu'est-ce que tu fabriques ?" Gronda-t-il.

La tête basse désormais, le pas lent et mesuré, il avait accroché à la louve ses prunelles d'or et de glace, dont l'éclat luisait doucement dans l'ombre de son pelage sombre et de ses cheveux de neige.

Il n'avait jamais beaucoup aimé les contacts physique.
Jamais.

La louve avait brusquement rejeté la tête en arrière pour crier quelque-chose, qui vint alimenter un peu plus son hypothèse qu'elle n'était pas toute seule à gérer les choses dans son esprit. Se parlait-elle à elle-même ? Très probablement. La situation en était à un tel point qu'il ne trouvait même plus cela étonnant. Pire, cela lui paraissait l'hypothèse la moins absurde parmi le panel de toutes celles qui s'offraient à lui.

Il avait pris une posture volontairement agressive, aussi s'attendait-il à ce qu'elle réagisse par la défense, ou encore par l'attaque. Mais non, voyons, ça aurait été beaucoup trop normal comme comportement. Elle s'approcha de lui en se retournant et vint fourrer son museau dans sa fourrure. Il fut pris au dépourvu par ce contact soudain et un frisson parcourut son échine. Le temps sembla s'étirer, alors que les secondes s'écoulaient, lourdes. Il sentit le souffle de la brune traverser son pelage et sa légère aura de chaleur toucha sa peau. Une myriade de souvenirs entremêlés jaillirent, sans qu'il ne s'y attende non plus, à ce simple toucher, et la méfiance vacilla dans son regard pour quelque-chose de plus sombre, de plus profond, quelque-chose qu'il aurait voulu laisser enterré et cicatrisé bien loin au fond de lui. Personne ne s'était approché comme ça de lui depuis... Depuis un temps qu'il valait mieux oublier. Oublier à tout jamais, avec tout l'espoir jeté au plus profond du puits des limbes. Et cette odeur troublante qui flottait autour de la femelle et dans sa pelisse ne faisaient rien pour arranger les choses.

Il se passa alors quelque-chose d'étrange, une note étonnement harmonieuse dans cet instant qui semblait ne pas avoir de sens. Tout deux s'arrachèrent à ce semblant d'étreinte avec une parfait synchronisation, tels deux danseurs sous les éclats de la lune. Anthem fit trois pas de côtés, elle quatre. Il ne décrochait pas son regard bicolore de sa silhouette. Maintenant que le contact était rompu, la méfiance état de nouveau de mise. Peut-être cet instant des plus troublants avait été un éclat de folie, d'ailleurs. Elle s'était mordue sans raison - il en soupçonnait une, de raison, mais il lui restait encore quelques incertitudes - et elle aurait tout aussi bien pu ficher ses crocs dans son échine, alors qu'il était à sa portée. Mais elle ne l'avait pas fait.

Alors qu'elle s'arrêtait et riait de nouveau, de ce rire qu'il avait entendu avant même de savoir à qui il allait devoir faire face, le loup la toisa en silence. Elle avait parlé de Yurai. Ce qui était cohérent, en soi, puisqu'elle arborait en pendentif le glowstick de la sagesse. Et un tantinet paradoxal aussi, mais inutile de s'attarder là-dessus, la raison en était plus qu'évidente. Un frémissement agita les babines du soldat. Et le pouvoir de son glowstick semblait étroitement lié à ce comportement complètement dérangé que la louve avait cette nuit-là. Plus il l'observait, et plus il était convaincu qu'elle n'était pas comme cela au camp. Il y avait peut-être un peu de magie derrière tout ça, ou alors une exceptionnelle maîtrise de soi. Mais non, il raya cette idée aussitôt qu'elle germa dans son esprit.

La femelle, toujours immobile, se crispa soudain et lança un grondement en direction du ciel et de la lune, dont l'éclat argenté faisait sinistrement luire ses prunelles aux pupilles agrandies. Anthem s'approcha de nouveau, d'avantage pour attirer son attention de nouveau sur leur conversation que par réel désir de proximité. La tête basse, il lança de son timbre grave.

"Qui es-tu exactement ?"

Il ne jugea pas nécessaire de préciser qu'il avait plus ou moins saisi - ceci dit, désormais la chose n'était plus si compliquée à avoir compris - qu'elle n'était pas Plume Blanche. Ou du moins, pas tout à fait.
Le regard planté dans le sien, il laissa le silence s'installer, un silence argenté sous l'astre de la nuit.

La situation devenait de plus en plus irréelle.
A la lumière de la lune, ce qui se jouait au coeur de la forêt pluviale semblait avoir été tiré et éloigné de la réalité, des soubresauts de l'histoire du continent, de toutes ces choses qui marquaient le quotidien et les vies des loups de ces terres. Anthem avait quitté son voile de froideur pour quelque-chose de plus brûlant, de plus tendu, de plus guerrier. Et celle qui lui faisait face... Son comportement semblait dépasser toute logique, folie entrant en compte ou non. Lorsqu'il lui demanda qui elle était, elle ne répondit pas la même chose qu'auparavant. Sa réponse fut comme crachée, difficilement, du plus profond d'elle même. Dragonne. Cela n'évoquait rien de plus familier pour lui que le premier. Moins de douceur peut-être. Encore quelque-chose qui avait profondément contrasté avec son comportement aux débuts de leur rencontre. Peut-être ce patronyme lui était définitivement plus adapté, tout compte fait.

A peine eut-elle répondut qu'elle eut comme un soubresaut vers l'arrière et chuta sur le sol. Anthem se figea, sans aucune volonté immédiate de lui venir en aide. Ses lourdes mèches dansaient autour de son museau. Ses yeux restaient accrochés à la louve caramel, alors qu'elle se redressait en grognant. Elle jappa une insulte, et il ne sut trop si elle lui était destinée. Etonnement, il considéra presque aussitôt que non. Non, ça ne l'était pas. Dans l'espèce de logique et d'enchaînement qu'il y avait, aussi décalé soit-il, dans les actions de la femelle, cela ne lui était pas destiné. Il se demanda un instant pourquoi il s'échinait encore à tenter de comprendre les rouages qui agitaient les méninges de son interlocutrice. Son glowstick la neutralisa en se rappelant brièvement à lui avec une lueur accrue.

Il se remit à marcher lentement autour de la louve, sans un mot, la tête baisse et les muscles tendus. Elle semblait possédée, immobile au centre de ce cercle factice, fixant la lune, les babines entrouvertes. Puis elle s'avança de nouveau vers lui. Il se campa sur ses pattes, misant sur l'intimidation. Mais ça aurait été bien trop logique, bien trop évident, bien trop décroché de cette chorégraphie dépourvue de sens qu'elle dansait sans s'arrêter depuis son arrivée. Ce fut donc une très mauvaise idée. De nouveau, elle vit se coller contre lui, fourrager du museau dans sa fourrure en marmonnant des paroles qu'il ne comprit pas.

Un grondement s'échappa des babines soulevée de l'anthracite alors qu'il la repoussait en s'éloignant d'un pas de côté. Laisse . Moi. Tranquille. Et pourtant, c'était lui qui restait ici, en sa compagnie. Une espèce d'orgueil ? Un semblant de compassion ? Une once de curiosité ? Tout cela à la fois ? Il ignorait ce qui le poussait à rester en al compagnie de cette louve des plus étranges. Mais une chose était sûre, il ne voulait.
Pas.
Qu'elle.
S'approche.

Car elle était inconnue, car il n'aimait par tous les dieux juste pas ça bon sang ! Et cette effluve des chaleurs risquaient trop de lui monter à la tête - ce n'était pas son genre, mais la nuit était trop pleine de mystère et de d’illogisme pour que l'hypothèse qu'elle ne l'attise trop soit à rejeter. Et cette idée le débecqutait complètement.
Il planta son regard dans le sien, attendant sa prochaine réaction.

Un violent coup d'épaules poussa la louve sur le côté, loin de la falaise abrupte et du précipice qu'elle couvait. La silhouette d'Anthem se dressa entre la femelle et le vide, le regard froid. Il avait cru plusieurs fois qu'elle allait l'attaquer, tant elle avait feinté, jappé, insulté, tourné en rond comme une bête sauvage dans une prison. Mais soudain, il y avait eu ce changement. Alors que les caprices des nuages cachaient la lune, soudain, le regard de la louve avait changé. Il avait de nouveau croisé son regard, et avait vu de la peur de l'incompréhension. Puis elle avait fui. Une fuite qui suintaient le désespoir, la honte, toutes ces choses qui avaient étonnement poussé le grand loup à suivre Plume Blanche, Dragonne, peu importe le nom qu'elle se donnait, jusqu'à ce grand relief au dessus de l'une des crevasses de la montagne. Ses intentions lui étaient apparues limpides, après cette absence totale de logique dans ce qu'elle faisait, et il avait décidé d'intervenir. Parce qu'au fond, qui n'interviendrait pas ?

Non, en réalité, il ne savait pas exactement ce qu'il l'avait poussé à sauver la femelle. Peut-être cette lueur toute particulière qui s'était soudain allumée dans son regard lorsqu'elle état redevenu elle-même. Car il ne doutait pas qu'elle soit redevenue elle-même à l'instant où les rayons lunaires avaient cessé de nimber son pelage de leur froide lumière. Quoi qu'il en soit, il avait décidé de l'empêche d'aller effectuer un vol plané douloureux, plongeant dans les ténèbres qui tapissaient le fond du creux. Et désormais, il se trouvait là, presque indécis, devant la silhouette caramel qu'il avait jetée au sol. Son souffle était plus court. Au-dessus d'eux, les nuages continuaient de tourbillonner, masquant l'astre de la nuit, les plongeant dans une obscurité dans laquelle son glowstick émeraude et les marquages qui brillaient sur ses postérieurs ressortaient avec plus d'ardeur encore. Il considéra la louve avec gravité, chercha son regard. Puisque de toute évidence, c'était là le seul indice qu'il avait de sa lucidité.

Il prit le risque de s'avancer vers elle - comme pour s'assurer que tout allait bien, même s'il se refusait à croire que c'était sincèrement pour cela -, vérifiant qu'elle ne sombrait pas de nouveau dans un accès de folie. L'explication à ce qui venait de se dérouler - et dont il se rappelait comme un rêve dont ils s'éveilleraient tous les deux - était claire désormais. Le glowstick, la lune, la seconde personnalité. Peut-être était-ce aussi d'avoir enfin compris qui avait apaisé soudainement l'esprit du grand loup. Toute animosité avait quitté son regard, qui était redevenu aussi froid que d'ordinaire. Ses prunelles vairon s'accrochèrent de nouveau à celui de la femelle.

"Rentrons au camp."

Sa voix au timbre légèrement grave sembla résonner, rassurante après ces concerts d'insultes et de grognements. Et sa phrase voulait naturellement dire avant que ça ne recommence. Il ne se ferait pas gardien, chevalier ou mentor officieux de la louve, mais il lui apparaissait plus sécurisé pour elle - et pour lui, ainsi que tous les autres loups qui pourraient croiser son chemin - qu'elle finisse sa nuit dans l'obscurité d'une grotte plutôt qu'à vagabonder dans la forêt et dans la folie. Il fit quelques pas en direction de la Jeune Cordillère et lui lança un regard par-dessus son épaule.
Ainsi devait s'achever la nuit.