Burning brain ~ Esterno feat. Kameo [A Archiver]

Elle découvrait à peine les lieux que déjà tout lui paraissait familier. Kameo sillonnait le canyon de long en large depuis les premières lueurs du jour sans accord parental bien sûr. A vrai dire, le retour de sa mère ensanglantée et défigurée puis la vision des plaies béantes de son père l’avaient retournée. Eux qui étaient des semi dieux à ses yeux, pourquoi étaient-ils si mal en point ? Cette idée tournait dans sa tête, ces fameux precursors lui faisaient peur, Kam ne voulait pas perdre sa famille à cause d’imbéciles du genre.

Remuant ses sombres pensées, la louvette, qui avait bien grandi, se plaça au bord d’une corniche qui formait un chemin escarpé. Ses yeux violet regardaient avec sévérité le petit torrent qui se fracassait sur les roches bouillantes en contrebas. Ne ratant bien entendu aucune mesure, le pouls de la rivière résonnait dans tout son corps et lui tirait quelques frissons. Pour un peu, la jeune louve se serait rapprochée mais les sempiternels sermons de sa famille sur les dangers avaient un peu eu raison de son audace. Alors elle restait plantée là à observer. La tête basse et une mine affreuse, rien ne serait comme avant mais bien vite l’optimisme revint.

En fait, elle ne s’en rendait pas compte mais le soleil lui frappait l’échine avec violence. De ce que la demoiselle savait, cette passe ventue était un des endroits les plus chauds mais rien n’avait changé à ses yeux, à part le paysage rocailleux et sans vie. Seul deux ou trois bestioles trainaient là. Même les loups ne s’aventuraient pas ici bas. Forte de cette observation à retardement, Kam’ leva le museau pour le pointer sur l’astre aveuglant. Etait-ce la chaleur ? Pourtant il faisait la même température partout pour elle. Mais ses conclusions n’avaient pas de sens et furent coupés par un cri ou plutôt un hurlement.

Ses oreilles tressaillirent à l’annonce de l’animal, il souffrait c’était certain. Dans un sourire malicieux, la jeune femelle blanchâtre se releva et fonça vers la source. L’escalade s’était drôle même si de temps à autres, ses pattes arrières dérapaient sur la surface lisse de certaines formations rocheuses. Son excitation de l’inconnu ne diminuait pas et au contraire, l’adrénaline envahissait tous ses mouvements. Une frénésie absolue l’habitait et trouver un autre jeune de son âge était le summum de ce qu’elle espérait. Les Brethens n’étaient pas nombreux alors sa tête lui revint instantanément mais Kam’ ne lui avait jamais parlé. Il faut dire que coller Noximilien et l’embêter c’était tordant.

La louvarde s’approcha du corps étendu au sol. Délicatement –pour elle, ce qui veut dire un bon grand coup sans réelle retenue-, elle tâta le cadavre. Il ne dormait pas mais son torse se soulevait fébrilement et son expression tourmentée sur le visage prouvait qu’il avait encore du temps à vivre. Le truc étrange, c’est qu’il ne semblait pas pouvoir bouger de là et le soleil posait sur lui des rayons bienveillants. Peut être une insolation se disait-elle. En tout cas, la jeune fille aux cheveux en pétards tira et poussa le tas de poils vers un coin plus ombrageux. Il pesait son poids celui là mais apparemment rien à faire pour qu’il se réveille.

La réflexion faisait son chemin et abandonnant l’animal à son sort derrière un amas de cailloux bien au frais, Kameo se mit à chercher un passage sûr vers le fond du canyon. Ce n’était pas simple mais c’était une réussite. La louvette se trouvait sur une portion de terrain à peu près sûre. Ne restait plus qu’à trouver de quoi transporter de l’eau. Par chance ou par un hasard fort bienvenu, une sorte de vieille coquille d’œuf gisait gentiment dans le coin. La prendre et la remplir puis la ramener avec souplesse et agilité, l’apprentie éclaireuse avait eu une veine monstrueuse malgré une petite chute bénigne suite à un mauvais calcul.

Elle prit délicatement son réservoir et imbiba la tronche du mâle en espérant qu’il se réveille. Bien sûr elle gardait de quoi boire pour qu’il puisse se réhydrater mais son état commençait à être réellement inquiétant. Kameo cala sa gourde de fortune contre la roche et secoua un peu plus doucement le corps en lui disant :

« Allez on se réveilleuh ! Fini la siesteuh ! Sinon je te jette du haut de la corniche et tu te débrouilles tout seul. »

Assises à malaxer le pauvre loupiot bordeaux, elle attendait que ce dernier daigne ouvrir un œil.

Des quintes de toux, il était en vie et peu à peu son visage s’ouvrait au monde. Kameo ne put s’empêcher de lancer une vanne un peu narcissique :

« Et une résurrection, une ! Je suis trop forte ! »

La louvette lâcha un petit rire de satisfaction mais l’autre louveteau fut de nouveau en train de tousser. Kam’ se pencha donc pour regarder le museau engourdi, arrêtant son palpé roulé par la même occasion. Elle s’assit attendant un remerciement de sa part mais elle eut d’abord le droit à un reproche, et sa mine fière limite arrogante s’effaça pour laisser place à une moue déconcerté. Ses paupières papillonnaient d’incrédulité et au moment où elle s’apprêtait à répondre, le merci fendit l’air sec et brûlant. Un léger sourire naquit aux coins de ses babines.

« T’as plutôt intérêt à être reconnaissant, je ne loue pas mes services de guérisseuse aussi facilement d’habitude. »

La demoiselle tourna la tête, les yeux clos pour essayer de se montrer hautaine mais rien que l’idée la faisait rire. Et puis elle n’avait pas besoin de mentir. Cet horrible bruit, comme si le jeune mâle crachait ses poumons, l’inquiétait tout de même. Kam’ se tourna et prit son récipient de fortune entre ses pattes avant. Essayant de ne rien renversé, elle approcha la gourde improvisée près du louveteau et dit calmement :

« Tiens, bois, sinon on va nous repérer et j’ai pas envie de tomber sur une sale bête après une si bonne action. Papa et maman devraient être fiers de moi, t’es mon premier sauvetage involontaire. »

Un petit rire malicieux s’échappa de sa gueule et son sourire éclairait son visage blanchâtre. Comme à son habitude, la jeune brethen se rappela les règles de politesse avec un temps de retard et s’empressa de reprendre la parole :

« Au fait, moi c’est Kameo, et toi ? »

Le petit loup buvait comme un damné et Kam’ n’en était que plus heureuse. Elle pourrait se la donner avec ça. Réprimant ses pulsions d’auto satisfaction, la demoiselle écouta la faible voix qui mutait sous ses oreilles. Et elle répondit tout aussi rapidement :

« Ah ça j’ai bien vu, quelle idée de se balader seul dans un canyon comme ça aussi… Hey attends moi aussi je me baladais seule non ? »

La louvette se rendait désormais bien compte qu’elle parlait tout haut et se terra dans un drôle de mutisme, presque gênée de faire une remarque stupide. Pendant ce temps là, le jeune mâle se gratta l’oreille tout en faisant onduler sa crinière. Puis elle entonna gaiement pour lui répondre :

« Oh mais y a pas de quoi Esterno ! »

Fit-elle dans un grand sourire amusé et flatté.

« Et pas qu’un peu, nous ne sommes que des hors d’œuvres pour eux ! Ma maman m’a dit qu’il fallait s’en méfier comme de la peste et… euh attends que je me souvienne, je crois qu’ils sont accourant ? Ah non écœurant, ou bien elle m’a dit pas bon, bref je sais plus trop, ça commence à dater. »

Kameo se mit à se gratter sa touffe de poil sur le crâne comme si l’idée était là mais qu’elle méritait un petit décrassage. Et un peu à la manière d’un célèbre poisson bleu nommé Dory, la demoiselle passa à tout autre chose.

« Dis tu peux te lever ? C’est pas prudent de rester ici tout seul, je suis sûre qu’il ne le faut pas. Des fois qu’un puma nous sauterait dessus, enfin tu vois le genre. »

Un peu inquiète, son museau fit quelques mouvements de gauche à droite, analysant un peu le périmètre. Même si un fauve ou un autre prédateur aurait sûrement déjà bouloter la carpette bordeaux.

Au moins il n’était pas stupide et même assez sympathique quelque part. Mais la chose passa vite au second plan, Kam’ se contenta d’acquiescer d’un hochement de la tête. Puis elle s’affaira à aider le mâle à se lever quand ce dernier se mit à grogner. Enfin non, c’était son ventre qui gargouillait. La louvette le fixa blasée et lança :

« Dans le genre discret, on fait pas mieux. »

La suite, et bien, elle fit mine de rien entendre pour ne pas avoir à rester plus longtemps derrière ce rocher. Un bien maigre abri mais il avait suffit à les cacher un peu du soleil. Kameo emboita le pas d’Esterno, vérifiant que ce dernier ne retombe pas dans les vapes.

« On devrait rentrer au squat, t’es pas en état de rester là. »

La jeune brune tentait vainement de presser le pas du malade, l’ambiance ne lui plaisait pas. Et pour une fois, elle ne voulait pas risquer bêtement sa vie, sans compter qu’elle allait bientôt obtenir son glowstick.