Ce n'est rien || Pv. Kameo

Ska n'avait pas eu à courir très longtemps.
Non seulement par ce que ses pattes longues et musclées lui permettait d'avancer rapidement mais surtout par ce que le Squat avait l'avantage de ne pas être trop éloigné du Palais. Les traces de sa demi-soeur étant encore fraîches, il n'avait pas eu trop de mal à la suivre.
Visiblement, elle s'était retranchée au Squat, ce qui était une bonne chose : On ne savait pas ce qu'il aurait pu lui arriver à l'extérieur. Oh, bien sûr, elle était adulte maintenant mais les prédateurs aussi et elle n'avait pas la chance d'avoir sa carrure.

Il ne savait pas pourquoi il l'avait suivie, en fait. Enfin si, en partie par ce que Hlynn le lui avait demandé, mais sinon ? Etait-il réellement le mieux placé pour la consoler ? Lui qui ne savait que difficilement gérer ses émotions et avait vécu bien pire que la jeune louve ? Par ce qu'elle, au moins, avait eu la chance de ne pas être larguée chez les Séides en plein hiver. Ses parents l'aimaient et elle n'avait jamais du manquer de rien. Pour ça, il l'avait autrefois jalousée. Maintenant, un peu moins. Sa famille à elle aussi était bien loin d'être imparfaite. Peut-être le haïssait-elle ? Si il n'était pas né, sa mère ne serait pas partie... Et puis pourquoi s'en allait-elle, d'abord ? A sa connaissance, son père ne l'avait jamais trompée. Suète lui avait assuré qu'Aendil et la louve bleutée s'étaient mis ensemble après sa naissance.

Il n'y comprenait tellement rien. Tout ce dont il avait réellement conscience, c'était d'être totalement remué par l'explosion qui venait d'avoir lieu sous ses yeux. Il se sentait tellement étranger à toute cette histoire...
Ska entra dans le Squat, zigzaquant entre les loups qui s'y trouvaient pour ne pas les percuter. Il s'arrêta finalement en apercevant une louve claire à quelques pas de lui.

▬ Hé, Kameo !

Il s'assit à côté de la femelle et reprit son souffle.

« Qu’est-ce que tu m’veux ? »

Les oreilles de Ska se plaquèrent sur l'arrière de son crâne.
Il ne s'attendait pas à un accueil chaleureux de la part de la louve, après ce qu'elle venait d'apprendre c'était plutôt normal, mais son tempérament faisait qu'il était très réceptif à ce genre de réactions hostiles. Il réfléchit quelques instants à la réponse à donner puisque, techniquement, il ne voulait rien, mis à part la consoler. Mais il ne pouvait pas lui dire ça. La louve se ramassa sur elle même, comme pour se protéger du monde extérieur, et reprit la parole d'un ton pitoyable.

« Qu’est-ce que je dois faire moi ? »

▬ Tu relativises.

Ska avait toujours refusé de voir la fatalité. Même lorsque tout allait mal, il s'efforçait de trouver une petite zone de lumière, un faisceau qui l'éclairerait pour lui permettre de quitter les endroits sombres. Pour le moment, cette technique s'était avérée efficace : Il était heureux, même si la vie n'avait pas été des plus tendres avec lui. Et voir son père brisé et malheureux le confortait dans son idée : il n'était pas bon d'être fataliste.

▬ Tes parents ne sont franchement pas méchants. Même papa, lui, il est juste très maladroit. Il fait mal à beaucoup de monde mais s'en rend compte qu'après et du coup il est désolé. Aujourd'hui... non, pas que aujourd'hui, je sais pas en fait... bref, ta maman a souffert à cause de lui. Et pas à cause de lui en même temps aussi. C'est compliqué comme histoire. Je crois que ta mère n'est pas contente que notre père ai eu des gamins avec une autre... pourtant c'était avant. Ma mère me l'a dit.

Il ne jugea pas utile -et surtout délicat- d'ajouter que cette même mère lui avait aussi avoué aimer son père... et affirmer que cet amour était réciproque, par ce que son but, actuellement, c'était d'arranger les choses, pas de les envenimer à coup de révélations foireuses.

▬ J'avoue que je ne comprend pas trop pourquoi tu boudes... Tu as une famille et c'est trop cool. J'ai toujours voulu en avoir une, moi. J'aurais bien voulu grandir avec mes parents aussi mais... tu connais l'histoire. J'aurais pu les bouder toute ma vie, sauf que je voulais pas rester seul et que ma mère a fait beaucoup pour moi, malgré tout. Et toi, Kaméo, toi qui a eu la chance d'avoir une famille sans comprendre la chance que ça représente, est-ce-que tu es prête à couper totalement les ponts avec tes parents pour ça ?

Avec ces propos, Ska ne souhaitait pas lui faire des reproches et encore moins la culpabiliser.
Pourtant, il ressentait bel et bien une part de jalousie envers cette gamine qui avait eu l'occasion de goûter à un bonheur qu'on lui avait en partie volé, celui de dormir contre sa maman, de jouer avec son papa et même de se faire gronder par eux lorsqu'il faisait une bêtise. Tout ça, c'était des inconnus qui le lui avait offert. Des inconnus qui en voyaient passer à la chaîne, des gosses comme Lucien et lui, et pour qui il ne représentait rien.

▬ Ta mère reviendra. Elle t'aime trop pour te laisser derrière éternellement.

Comment pouvait-elle l’envier ?
Certes, ces derniers temps, il avait passé beaucoup de temps avec son père sans vraiment laisser le choix à ce dernier puisque il venait lui-même le réveiller pour aller chasser. Mais il avait tant souffert avant de pouvoir profiter de tout cela. Alors les mots de la petite louve bleue le heurtèrent et il s’arracha brutalement à son étreinte sans même s’en rendre compte. Son regard bleu de planta dans celui, vairon, de la femelle et il resta quelques secondes à la fixer sans rien dire, la gueule entrouverte. Lorsqu'il s’exprima, ce fut d’un ton amer et un brin accusateur.

▬ Il n’est pas venu à ma remise de glowstick.

Ska était en colère.
Contre cette gamine, née avec une cuillère en argent dans la gueule, qui versait des larmes de crocodile pour des raisons qui lui échappaient. Contre ce père qui la favorisait, la préférait peut-être à lui.
Un grognement sourd s’échappa de sa gueule et les poils de son échine se hérissèrent. Il était loin, l’adorable ours blanc que l’on pouvait cajoler sans crainte de se faire mordre. A présent, seule la colère animait Ska et il devait se raccrocher à ce qui lui restait de bon sens pour ne pas envoyer l’une de ses pattes musclées dans le visage de la femelle.

▬ Il n’avait pas le droit d’avoir d’autres gosses. Pas après nous avoir jetés chez les Séides… Il n’avait pas le droit d’avoir une petite vie tranquille après tout ça. Et pourtant, il l’a fait. Tu aurais voulu qu’il fasse quoi ? Qu’il nous oublie pour passer toutes ses journées avec toi ? Qu’il te considère comme sa seule et unique petite princesse pendant que nous n’avions pas le droit à d’autres égards que celui d’être largué contre le flanc d’une inconnue ?

Sa voix se brisa.

▬ Tu ferais mieux de suivre ta mère. Je veux plus tremper dans votre putain de drama familial… J’veux juste avoir mon père près de moi, j’veux juste que mes parents m’aiment, mon frère et moi. J’ai pardonné à mes parents et j’ai tout fait pour recréer des liens avec eux… Ce n’est pas pour avoir à gérer leurs histoires de famille. Je veux être heureux et tranquille, c’est si difficile à comprendre ? J’veux pas de sœur, pas comme ça, pas d’une gamine tout juste destinée à nous remplacer. Dis toi que mon frère, mon pauvre frère, ne connaîtra jamais le bonheur d’avoir une famille. Si il y a quelqu’un qui aurait le droit de pleurer, maintenant, c’est bien lui.

Il reprit son souffle.

▬ Mon père a fait des conneries. Des grosses conneries, et il s’en est bien rendu compte. Il n’aurait jamais dû nous abandonner. C’était bien trop simple de nous oublier, d’oublier ma mère, pour construire une petite famille parfaite. Mais j’y suis pour rien, moi, j’ai pas demandé à exister… C’est pas à moi de recoller les morceaux. Si t’as un truc à régler, à reprocher, va voir ton père et dis lui tout ce que tu as sur le cœur. Moi j’abandonne.

Il avait cru pouvoir balayer son passé tragique en quelques secondes, le jour ou il avait pardonné Suète. Mais hélas, il avait beau prendre les choses avec un certain optimisme, les cicatrices étaient toujours là et il suffisait parfois d’une simple secousse pour que les blessures de rouvrent. Maintenant, si il n’en voulait plus à sa mère dont il comprenait l’erreur et les regrets, ce n’était pas tout à fait le cas pour son père : il continuait de le percevoir comme un traître qui, au lieu de leur rester fidèle, à Suète et à eux, avait préféré s’envoyer en l’air avec la première jolie louve qu’il avait croisé pour tout oublier. Et il ne ressentait pour ces rivaux que de la jalousie.

▬ J’ai dit tout ce que j’avais à dire. Je te protégerai par ce que c’est mon devoir en tant que conseiller mais… ça s’arrêtera là. J’en ai ma claque de vos histoires.

Sur ces mots, il tourna le dos à la jeune louve et marcha rapidement vers sa sortie du Squat. Vu son état, mieux valait ne pas rester ici au risque de peiner, voir même de blesser, davantage la petite éclaireuse. Au fond, Ska savait que sa haine n’était pas justifiée : La gosse n’avait pas demandé à venir au monde. C’était juste plus qu’il ne pouvait avaler pour le moment.