Intense tristesse - Pv. Nemesis

Tristesse. Intense tristesse. Douleur impénétrable.

Sh'Eym était furieux, et des larmes de rage perlaient doucement au coin de ses yeux. Il l'avait ressenti au plus profond de son être, il savait. Il savait que quelque chose n'allait pas, il ne savait pas quoi. Il savait que quelque chose avait eu lieu, mais impossible de comprendre... Des bruits avaient alors commencé à courir. Des bruits doux, des bruits violents, portés par les voix, le vent. Des bruits avaient commencé à courir que la statue de Yurai avait été détruite, et que sa présence avait déserté la forêt pluviale.

Sh'Eym se sentait mal, pour la première fois depuis des années, il se sentait mal dans sa peau, mal dans son monde, et se trouvait même confus de se sentir mal pour si peu de choses... Ca avait été son seul désir profond, son seul moteur sur les dernières années : réussir à approcher la fontaine de la déesse violette, lui demander un glowstick. Entrer dans ses rangs, elle dont l'idéologie lui plaisait tant. Il avait hésité, pendant des années. Tourné autour du pot. Attendu. Observé.

Et maintenant c'était trop tard, et il regrettait. Lui qui avait toujours encouragé les autres à aller de l'avant, à faire ce qu'ils souhaitaient, et qui se targuait d'être patient mais de maitriser sa vie, ses désirs, ses délires, le voilà qui était bien marri. Triste. Enervé. A la fois contre les personnes qui avaient détruit la fontaine, mais surtout contre lui-même, parce qu'il se rendait compte qu'il avait eu tout le temps qu'il avait pu avoir, tout le temps dont il avait eu besoin, et il n'avait jamais rien fait en ce sens.

Erreur.

Il pleuvait. Comme si le temps lui-même se moquait de lui et de ses tribulations. Le loup gris et vert marchait lentement dans la forêt, se rapprochant inexorablement de la fontaine. Il savait qu'elle était proche. Enfin, l'ancienne fontaine, plutôt. Il marchait depuis plusieurs heures dans cette forêt où se déplacer était difficile, quand il lui sembla apercevoir enfin l'orée de cette dernière. Enfin non, ça n'était pas vraiment l'orée du bois, mais plutôt exactement ce qu'il cherchait : un lac de taille respectable dans lequel s'écoulaient des centaines de cascades plus ou moins impressionnantes, trombes d'eau qui arrosaient les arbres tout autour. L'environnement était humide, et de l'eau perlait sur le pelage du loup gris. Ce dernier prit une longue inspiration, les yeux fermés, se laissant envahir par la senteur lourde des plantes grasses, avant d'expirer longuement, vidant totalement ses poumons. Il rouvrit les yeux, beaucoup plus calme, et s'approcha du lac pour laper doucement l'eau qui naviguait vers d'autres horizons.

Calme.

Sh'Eym était en train de laper doucement l'eau du lac lorsqu'un léger bruissement de feuille lui indiqua l'arrivée de quelqu'un. A l'odeur, il s'agissait d'un de ses congénères, mais il ne ressentait aucune animosité de la part de ce dernier. Il continua à boire sans faire un bruit. La louve, car s'en était une, se rapprocha de lui jusqu'à se trouver juste à côté. Son pelage était dans les tons rouges et blancs, avec quelques traits de noir. Une large aile carmin était accrochée à l'un de ses côtés, mais il n'en avait qu'une seule. Ses yeux étaient de glace mais sans malice, et le fixaient discrètement. Sh'Eym releva la tête et le regarda de ses yeux vert pomme, alors que la pluie coulait autour d'eux, les entourant de son atmosphère feutrée.

"Bonjour. On m'appelle Sh'Eym, et la majorité de mon temps je le passe dans ces forêts. Et toi, qui es tu ? Cherches tu quelque chose en ces bois ?"

Les cascades faisaient un bruit mouillé en arrière plan, le soleil se cachait dans les ramures, et on entendait des centaines d'insectes crisser dans les hautes herbes. Sh'Eym observa le loup en face de lui plus en détail, sans en éprouver la moindre gêne. Un bandana de couleur sable retenait de longs cheveux noirs en arrière, alors qu'une mèche glissait le long de son fin visage, sur ses oreilles couraient quelques pics. Au bout d'un fil soyeux couleur des ombres se tenait un pendentif en forme de croix, enfermé dans un cercle. Il eut un léger sourire à cette vision, il lui semblait être un mélange de croix et d'un A anarchiste comme on en voyait parfois sur les punks du coin. Un papillon prenait son envol sur son épaule, et une chaussette emprisonnait sa patte avant droite. Son aile, immense, se devinait emplie d'un camaïeu de rouges et de noirs. Sa queue semblait coupée et recousue, de deux tons : du noir et du blanc.

Sh'Eym revint planter son regard dans celui bleuté de la louve.

[Désolée de l'attente ( : ]

HRP:

Elle passait par là. Très bien... Ces bois étaient grands, et il doutait qu'on puisse juste "passer par là"... Sh'Eym secoua la tête. Bien sûre qu'elle passait par là ; pourquoi en serait-il autrement ? Elle s'approcha un peu de lui, réduisant l'espace qui les séparait, avant de lui demander la raison de sa présence ici. Non, plutôt s'il y avait un hasard à sa venue ou pas. Il hésita quelques secondes. Il n'avait pas vraiment envie de parler de cela. Il n'était pas du genre à épancher ses pensées et ses volontés aux yeux de tous. A la place il ravala sa tristesse, ravala sa douleur, ravala sa volonté de s'écraser au sol et d'y rester sans bouger et afficha un franc sourire, de ceux que vous voyez sur le visage de ces loups qui aiment tellement la vie et aiment tellement à le montrer autour d'eux.

Sh'Eym s'allongea sur le sol spongieux, mouillant son pelage gris et vert de boue sombre mais sans s'en soucier, et plongea une patte dans l'eau claire où s'écrasaient des milliers de gouttes d'eau. Son sourire ne semblait pas le moins du monde factice, il avait passé tant d'années à le travailler après tout... Ses paroles étaient claires et même enjouées :

"Je passe la majeure partie de ma vie dans ce coin, et il s'agit du point d'eau le plus joli dans les environs. Donc oui et non, c'est un hasard mais pas trop non plus.
Tu passes souvent dans le coin ? "

Il ne savait pas trop comment relancer la conversation, et n'avait pas envie non plus de trop chercher. Alors il choisit de rester sur un dialogue très anodin. Il hésita sur ce qu'il voulait ajouter. Les clans ? Le temps ? La pluie ? La chasse ? Les dieux ? Aucun de ces sujets ne lui plaisait. Trop communs. Trop plats. Il choisit donc plutôt de s'intéresser à la louve en face de lui. Après tout, on aime toujours répondre aux questions que l'on nous pose lorsqu'elles portent sur notre vie, n'est-ce pas ? Sauf si le sujet fâche, bien entendu.

"N'hésites pas à ne pas me répondre, mais as tu perdu ta seconde aile ou es tu née avec ? C'est la première fois que je vois cela."

Il s'agissait donc d'un trait familial. La louve en face de lui s'assit sur le sol. Elle parla aussi de son frère, qui devait avoir l'aile complémentaire. Un voile passa sur son visage qui s'assombrit, comme si le simple fait de penser à cette personne l'attristait. Peut être était-il mort ? Ou peut être parti. Elle parlait d'un atout design, qui ne lui servait à rien. Etait-elle frustrée de ne pas pouvoir parcourir le ciel comme un énorme oiseau ? Ceci dit, elle devait sûrement avoir besoin d'autre chose que de juste des ailes pour pouvoir voler. Ses os étaient sûrement trop épais et lourds pour lui permettre un envol, son poil n'avait pas l'air parfaitement adapté non plus. Tout ceci n'était pas critique, bien entendu, mais les os creux des oiseaux étaient ce qui les rendaient si fragiles. Avoir des ailes, à part couplé à un pouvoir, ne devait pas être une chose facile à vivre ; telle personne devait sûrement éviter nombre d'interactions dangereuses.

Le loup laissa son regard s'enfuir dans les profondeurs. Le cours d'eau ici était profond et très calme, surtout en comparaison de l'amont, où plongeaient les cascades, ou de l'aval où les deux berges se rapprochaient et où le débit de l'eau augmentait considérablement. Ce fut non sans surprise cependant qu'il aperçut une large bête aquatique ramper doucement sous ses pattes, loin, très loin de lui. Il estima qu'il existait des conduites assez larges, sous l'eau, pour laisser passer des monstres de cette envergure. Cette idée à elle même le faisait légèrement frémir. Que de telles bêtes puissent exister. Mais aussi que de telles bêtes puissent être découvertes, enrichir la culture des loups existants.

Sh'Eym ne se rendait pas compte qu'il se détachait lentement de la réalité alors qu'il laissait son esprit s'emplir de la vision du mastodonte aquatique qui effectuait des volutes loin de la réalité des êtres terrestres. De quoi pouvait-il bien s'agir ? Il en finit par oublier la présence à côté de lui.

[Je suis un peu bloquée par la situation, j'utilise un dé de hasard ( : ]

Sh'Eym était toujours les yeux perdus dans les profondeurs de l'eau. Quelques vagues remous semblaient l'appeler, mais il n'avait pas envie d'y répondre. Pas maintenant. Pas comme ça. Un jour, peut être, lorsqu'il se sentirait trop vieux pour continuer, trop fatigué, il pourrait peut être plonger, rejoindre une autre vie, un autre monde... Peut être les monstres qui nageaient sous l'eau l'accueilleraient-ils à bras ouverts ? Dans leur monde de remous, de froideur, sombre et glacial. Le loup plongea le bout d'une patte dans l'eau. Plus qu'alors qu'il la lapait doucement, il la sentit glacée. La saison se réchauffait peu à peu, mais un micro-climat semblait entourer cet endroit.

Le bruissement des feuilles lui sembla changer doucement, d'une note qu'il ne connaissait que trop bien mais mis quelques secondes cependant à analyser.

On les voyait.

On les pistait.

On s'apprêtait à les attaquer.

Sh'Eym n'était pas taillé pour l'attaque. Petit gringalet de loup, beaucoup plus agile que menaçant, il ne se serait pas mesuré à un carcajou s'il avait pu l'éviter (ces bêtes là sont vraiment des sales putes, hargneuses comme pas deux). Alors il n'avait pas encore reconnu l'odeur sombre et musquée de la bête qui les observait, mais il n'avait pas l'intention non plus de s'y frotter ; il bondit sur le côté et heurta Némésis, la renversant sur le sol...

Trop tard. Beaucoup trop tard, leur attaquant n'était pas un de ces gros ours lascifs ou un de ces cochons sauvages aux défenses d'ivoire plus grandes que leur cerveau. Il s'agissait d'une bête bien plus grande, importante, délicate... Un tigre. Un énorme tigré orange strié de noir qui les avait pisté depuis sûrement un moment maintenant. Une femelle étriquée, maigre comme si elle avait jeuné depuis des jours, ce qui devait être le cas. D'un coup d'oeil, la seule pensée de Sh'Eym fut qu'elle devait avoir des petits à allaiter, pour s'attaquer ainsi impunément à deux loups en bonne forme.

Ce fut tout ce à quoi il put penser avant que la douleur ne s'empare de lui. Une patte griffue, presque aussi grande que sa tête, s'abattit sur sa cuisse arrière droite, déchirant les tissus fragiles. Sh'Eym hurla de rage et de douleur, montrant les dents, plaquant les oreilles en arrière. Cette douleur lui rappelait d'autres temps, d'autres moments...

Les griffes étaient largement plantées dans sa chair et il se débattit d'un coup de rein. Ca n'était pas la douleur qui allait l'arrêter dans ses mouvements. Il n'allait pas se prostré comme un louveteau effrayé, s'arrêter, se tapir. Il était solitaire, libre, et jamais à l'abri du danger ; et c'était loin d'être la première fois qu'il était en danger. Il choisit de riposter d'un coup de patte en direction des yeux de la tigresse, qui l'esquiva d'un léger mouvement en arrière. Utilisant ce répit, Sh'Eym d'un bond se mit hors de portée. Il n'avait normalement pas l'avantage dans cette jungle face à un prédateur de ce type, mais il la connaissait comme le fond de sa poche et était particulièrement agile.

Il allait s'enfuir, quand son attention se reporta son son compagnon.

Il ne pouvait laisser quelqu'un mourir, fut-ce à sa place.