Abandon [Némésis]

Agravain

Perdu entre les plantes, protégé par d'épaisses feuilles tropicales, Agravain est couché sur le flanc, il ronfle. Il fait doux, et une humidité salée sature l'air, les plantes frémissent, et autour de cette petite cave naturelle, le roulis des vagues tinte régulièrement, la pression s'écrasant contre les parois de terre. L'endroit est étonnant, sur une petite île aux allures de mirage, il faut emprunter une sorte d'escalier en terre pour rejoindre le cœur de l'île. Près d'Agravain, une biche mange docilement quelques brins d'herbe. Malgré le froid ambiant au-dehors de cette réserve naturelle, les proies sont ici toute l'année, et il fait toujours une chaleur moyenne, alors pour fuir le froid de l'hiver, Agravain a traîné sa carcasse ici la veille. La biche s'approche peu à peu du corps roux inerte, elle commence à attraper quelques mèches du chevalier et les mâchouille, mais étonnée par la résistance de ce brin d'herbe, elle tire doucement, au début, puis plus fort par la suite. Agravain ouvre un œil, il geint sous l'effet de la souffrance et grogne. Il passe sa patte avant sur son visage puis sur ses cheveux en maugréant contre celui ou celle qui lui tire les cheveux. La biche prend peur et fuit en courant, apeurée mais surtout vexée d'avoir été ainsi trompée. Agravain reste sur le sol, les yeux mi-clos, sa gueule est pâteuse, sa langue semble plus grosse qu'à l'accoutumée, il a l'impression d'être un cocon de vapeur, son crâne lui fait mal. Il se redresse peu à peu, et observe autour de lui.

Il voit les végétaux en double, et au moindre mouvement, il sent une nausée l'envahir, sa tête menace d'exploser. Il se met debout puis s'écarte rapidement pour vomir toutes ses tripes. Il a un goût amer dans la gorge, il se sent mal, et surtout pitoyable. Il se redresse pour de bon, et s'écarte de la flaque de vomi, dégoûté. Devant lui, des cadavres de bouteilles jonchent le sol, mais il n'a aucun souvenir de qui les a bu, de la raison pour laquelle il est là, et surtout ce qui s'est passé. Il s'approche d'un petit ruisseau solitaire, se penche et trempe le bout de son museau, cherchant un peu de fraîcheur. Soudain, il plonge sa tête entière dans l'eau froide, et lape à grandes gorgées l'onde pure. Il se relève, et sent l'eau perler le long de son cou, ses cheveux noirs sont trempés. Il se recule et retourne près de l'endroit où il dormait. Il ramasse ses dagues, sa ceinture, les harnache prudemment et regarde autour de lui. Avec une vive douleur, il se rend compte qu'il est seul, une fois de plus. Il baisse la tête, ne prenant même pas la peine de sécher ses cheveux, et finit par se coucher plus loin, la gueule sur le sol, les yeux dans le vide. Il n'aurait pas dû autant boire, et il se sent minable de noyer sa peine dans l'alcool. Triste, la gueule de bois lui paraît plus amère que jamais, et le faible réconfort de l'alcool lui semble dérisoire. Il devrait boire à nouveau pour soigner son mal, replonger dans cette apathie sans pensée ni sentiment mais il n'a plus aucune bouteille. Dans un soupir, il ferme les yeux, et une larme acide coule le long de son museau pour atterrir sur le sol terreux. Il repense à tous ceux qu'il a connu, qu'il ne voit plus. Méléagant lui manque terriblement, et rien que son regard bleu glacial pourrait lui remonter le moral, ou alors juste l'accompagner dans une beuverie sans avenir, mais il sait qu'à présent, plus rien ne compte pour Méléagant à part sa famille. Agravain esquisse une moue déçue, puis repense à Némésis. Il ne l'a pas vu depuis l'Apocalypse, et il n'avait même pas réussi à accrocher son regard. Il soupire, las, et se glisse sur le flanc, il laisse aller ses pattes, sa tête, et regarde dans le vague, sa vision est légèrement trouble, et il attend. Il ne sait même pas ce qu'il attend, mais il est patient. Peut-être un signe ? Dairo l'a laissé tomber, peut-être va-t-elle apparaître et lui ordonner de se ressaisir ? Non, impossible, elle a d'autres loups à fouetter. Il ferme peu à peu les yeux, la fatigue l'envahit, et gueule ouverte, il finit par sombrer à nouveau dans une mort artificielle.

Les Raeders se portaient bien et grandissaient de jour en jour. Leur puissance était d'autant plus importante mais leur effectif ne faisait que grossir également. Heever avait donné naissance à Spleen et Thyara et Hyozan venaient d'avoir une deuxième portée. Tout allait pour le mieux du côté des pirates en général, mais pouvait-elle en dire autant d'elle personnellement ? Elle était la seconde des Raeders, tous étaient ses amis, mais qu'en était-il de sa famille ? Son frère était sans aucun doute mort depuis bien longtemps aussi bien que ses demi-frères et sœurs même si elle ne les avait pas connu pour la plupart. Du début à la fin elle avait été réellement seule au fond d'elle, elle n'avait jamais eu personne pour la soutenir du début à la fin. Les enfants n'étaient pas ce qui lui manquaient bien évidemment étant donné qu'elle ne s'était jamais vraiment remise de l'abandon de sa mère qui avait changé sa vision de la maternité à vie, mais elle aurait au moins aimé avoir quelqu'un sur qui compté. Il faut croire qu'à force de ne jamais montrer son mal être, elle avait finit par se convaincre elle-même qu'elle n'avait besoin de personne, alors que c'était faux...
Alors, comme terrassée par la solitude, elle avait décidé de retrouver le seul loup qu'elle considérait vraiment en ce moment. Le seul loup qui, même éloigné d'elle depuis le combat contre Cronos, n’avait pas quitté ses esprits. Et comme guidée par une étrange chaleur dans son poitrail, elle avait quitté les Raeders pour aller sur les terres des meutes.

Némésis n'avait plus l'habitude de faire autant de trajet, elle qui restait sur la plage jour et nuit en ce moemnt, trop faible pour faire quoique ce soit. Elle ne voyait plus très bien, mais distinguait encore les visages et l'environnement qui l'entourait. En tout cas, encore bien mieux que son frère lorsqu'il était encore en vie.
La vieille pirate ne savait pas directement dans quel meute s'était réfugié, mais elle avait supposé qu'il avait suivi Dairo chez les Etelkru dans le cas le plus logique, elle avait donc pénétré dans les terres Etelkrus, sur une île un peu particulière.

Déjà exténuée par le trajet, la louve à aile unique s'est assise lentement, ses articulations étant douloureuses et sa respiration saccadée. Les yeux clos, elle prit quelques secondes pour reprendre son souffle et lorsqu'elle les rouvrit, elle distingua une tâche orangée non loin. Son cœur se remplit d'espoir.

"Agravain..." tenta-t-elle.

Mais sa voix était trop faible et mourut au fond de sa gorge, n'atteignant pas le loup qui se trouvait là-bas. Elle recommença alors :

"Agravain !"

C'était mieux, mais toujours pas de signe de la part de l'individu en face. Pas le choix, il fallait qu'elle se déplace pour en avoir le cœur net.
Difficilement, elle se releva et marcha maladroitement en direction du loup. Ce dernier devint de plus en plus net, bientôt assez pour que ses espoirs se confirment : cheveux noirs, pelage fauve, pattes noires, glowstick orange sur l'épaule... Il n'y avait plus de doute.
Mais alors qu'elle était désormais très près, elle constata que l'Etelkru était allongé sur le sol, immobile. Il avait presque l'air... Mort.... Non impossible.
Son cœur rata un battement et, toujours essoufflée, elle ne trouva pas la force de l'appeler de nouveau. Alors elle posa doucement une patte sur son épaule et commença à secouer cette dernière.

Agravain

Dans son inconscient, Agravain courrait. Poursuivi par une bouteille géante dotée d'une bouche béante, le chevalier roux était terrifié. Malgré qu'il essayait de fuir, il ne bougeait pas d'un centimètre. Il voulait crier mais aucun son ne sortait de sa gueule. Alors qu'il s'apprêtait à abandonner, il entendit une faible voix l'appeler. Il n'y prêta pas attention, jusqu'à ce qu'un léger mouvement secoua son épaule. Il se réveilla en sursaut, les yeux grands ouverts, haletant, il bondit sur ses pattes en observant autour de lui afin de se cacher de la bouteille géante. Mais à la place d'une terrible vision, il vit Némésis, son aile unique, ses yeux bleus affolés. Agravain mit un temps fou à réaliser qu'elle était réelle, droite devant lui, en chaire et en os. Il s'approcha d'elle, prudemment, vacillant légèrement.

"D-Dame Némésis ?"

Il baissa les yeux un instant, prenant soudainement conscience de l'état dans lequel il devait être. Ses cheveux longs ondulés étaient emmêlés, ses yeux cernés, son pelage fauve sali, certaines touffes de poils grasses et collées par l'alcool ou la sueur. Il baissa la tête, sentant une chaleur lui piquer les joues.

"Pardonnez mon allure, belle Dame. Je... Je suis heureux de vous voir, vous êtes..."

Il baissa la voix un instant, ne sachant que dire. Il se sentit soudainement pris d'une étrange faiblesse, tel un louveteau pris sur le fait d'une grande bêtise. Il acheva sa phrase dans un soupir.

"Toujours aussi magnifique."

Comme revenu d'entre les morts, Agravain bondit de son sommeil de plomb, affolé. Némésis se crispa, à la fois rassurée par ce signe de vie et inquiété par cette réaction et cet odeur d'alcool qui planait autour de lui comme s'il sortait d'une soirée fortement alcoolisée. Pourquoi aurait-il eu besoin de se mettre dans cet état ? Est-ce que Agravain cachait quelque chose qui le rongeait autant que l'âge et la maladie rongeait la pauvre Raeder ?
Il l'avait reconnue, d'une façon quelque peu originale puisqu'elle s'est rapidement retrouvée sous une pluie de compliment. Ça ne devait pas l'étonner, à vrai dire, elle avait toujours su que le chevalier la voyait d'une manière bien plus profonde qu'une simple amie, mais Némésis avait toujours été confuse à ce propos...

Elle baissa les yeux vers une flaque d'eau sur le sol, observant son reflet. Elle, tout ce qu'elle voyait, c'était une louve au pelage terne, ébouriffé et aux yeux rongés par les cernes et ternis par la vieillesse. Elle ne pouvait pas croire que Agravain voyait bien plus que cela, il n'y avait rien à voir de plus.
Et d'un autre côté, elle ne le repoussait pas, mais elle ne l'avait jamais accueillit à bras ouvert non plus. Le souvenir de sa mère se retrouvant avec des louveteaux sur les bras et refusant de s'en occuper jusqu'au bout la terrassait toujours. Depuis le jour où elle a été abandonnée jusqu'à aujourd'hui. Elle avait depuis toujours eu du mal à se voir avec un mâle, la peur de reproduire l'erreur idiote de sa mère planant toujours au dessus de sa tête.

Mais aujourd'hui, elle en avait assez d'avoir peur.

"Agravain... Je suis venue des Côtes de Nacres jusqu'ici pour te retrouver et... Et te dire que..."

Aussitôt, elle fut interrompu par l'arrivée d'un petit être bleuté qui bondissait gracieusement sur le sol gelé. Némésis l'observa arriver vers elle et fit un pas en arrière, un peu surprise de voir une telle créature. Pourtant, celle-ci ne semblait pas craintive et est venue immédiatement toucher de son oreille la Raeder ailée qui, d'une seconde à l'autre, a vu son pelage devenir aussi blanc qu'un manteau de neige. Seuls ses cheveux, ses quelques marquages et son aile unique se démarquaient légèrement d'un bleu pâle.

"Mais... Mais qu'est-ce que..."

Des nuages blanc s’échappaient de sa bouche pour former des formes harmonieuses. Étrange mais amusant... Elle souffla de nouveau et dessina un papillon dans les airs qui semblait prendre vie au fur et à mesure qu'il s'estompait. Elle sourit et se tourna vers Agravain.

"Je n'ai jamais vu une telle créature capable de faire des dons de la sorte..." souffla-t-elle. "D'où venait-elle ?"

Elle regarda de nouveau son reflet dans la flaque d'eau avant de replonger ses yeux azur dans ceux noisettes de Agravain.

Agravain

Agravain dressa ses oreilles sur son crâne avec difficulté, le sang battait à ses tempes, l'empêchant de réfléchir convenablement. Tandis que la belle Némésis regardait une flaque d'eau, Agravain en profita pour la détailler avec douceur. Elle était si belle, si rebelle, son air sauvage et indomptable. Il finit par s'asseoir, les fesses sur le sol, le regard planté sur la femelle. Si douce, si belle. Si fragile alors qu'elle a l'air d'une guerrière. Elle se mit à parler et l'écho de sa voix donna à Agravain l'occasion de rater quelques battements de cœur. Il l'observa, et son rythme cardiaque menaça d'exploser quand elle annonça qu'elle avait quelque chose à lui dire. Mais les Dieux étaient bien fourbes, car une petite créature blanche sortit de nulle part, gambada vers la belle pirate et la toucha du bout de son oreille étrangement longue. Agravain écarquilla les yeux, et se demanda si ce n'était pas l'alcool qui lui faisait de nouvelles choses. Il s'apprêta à se lever pour débarrasser la jolie louve de cette bête mais d'un coup, le pelage de Némésis vira au blanc, de simples nuances bleutées remplaçaient ses marquages bruns et noirs. Il leva la tête, étonné et s'approcha de la belle, tournant autour, pour vérifier si elle n'était pas blessée par cette drôle de créature. Une fois la vérification faite, il s'assit, plus proche d'elle qu'avant, et l'observa, les yeux remplis de tendresse. Elle n'avait rien perdu de sa beauté, cette blancheur pure et inattendue lui donnait l'air d'un ange tombé du ciel. Et une flamme s'alluma dans le cœur d'Agravain. Flamme qui s'allumait parfois, mais qui était vite éteinte par un refus, ou un quiproquo sur les intentions de la demoiselle responsable de l'incendie. Il fit une moue discrète, il en avait marre de ressentir ça alors que ça n'avait jamais été réciproque. Il baissa les yeux, et un papillon de brume passa sous son museau. Il leva les yeux encore une fois et vit que les papillons sortaient de la gueule de Némésis, telles des volutes de fumées glaciales. Il pencha la tête sur le côté. Décidément, l'alcool lui donnait de drôles d'hallucinations. Quand elle demanda d'où venait la créature, Agravain resta un instant complètement coi.

"Je... Je l'ignore, ma dame. Quelle étrange chose que celle-ci."

Il la regarda et son regard le troubla. Il sentit une chaleur diffuse se répandre dans son corps. Se plonger dans l'océan des yeux de Némésis remplaçait toute envie d'alcool et de sieste. Son bandeau jaune tranchait avec sa nouvelle couleur blanche, son aile, d'habitude rouge, était d'une pâleur de neige. Il la regardait, et d'un coup, il sentit qu'il devait avoir l'air trop insistant. Il baissa les oreilles, quelque peu gêné, et toussota. Il ne voulait pas la fuir, bien qu'avec son apparence négligée, elle aurait pu prendre ses pattes à son cou depuis longtemps. Il releva la tête, et ferma un instant les yeux. Il voulait lui dire tant de choses.

"Douce Némésis, vous... tu voulais me dire quelque chose ?"

Aussi étonnant soit-il, il la tutoya, se souvenant qu'à leur dernière rencontre, ils se tutoyaient aisément, les barrières de la politesse tombant avec douceur. Il ne voulait pas être impoli, mais ce qu'elle dira sera sans doute décisif pour lui. Il se dit intérieurement qu'une fois qu'elle lui aura dit ce qu'elle voulait, il lui dira également ses pensées, ses sentiments, peut-être ses craintes. Il repensa à l'étrange rencontre avec une inconnue au bord d'une plage avec laquelle il s'était saoulé. Il avait eu l'impression qu'un petit quelque chose s'était crée entre eux, le désespoir donnant naissance à un flirt. Mais elle s'était moquée de lui quand il avait eu une petite faiblesse. Il fronça les sourcils, vexé, et se dit qu'il ferait mieux de tenir sa langue au lieu de passer pour une "fiotte" comme l'avait joliment qualifié l'inconnue. Il baissa les yeux, laissant à Némésis l'intimité nécessaire pour parler, mais il ne put s'empêcher de remonter le regard, cherchant ses prunelles bleues, synonyme d'une immense tendresse et d'un calme paisible.

Malgré l'état pitoyable d'Agravain et cette odeur d'alcool qui émanait de ses poils négligés,
Némésis sentit comme une douce chaleur au fond de son cœur lorsqu'elle posait les yeux sur lui. Elle sentait sa détresse et elle avait envie de l'aider, elle voulait qu'il se sente mieux, elle voulait voir son sourire. En même temps, elle voulait être près de lui,
ne jamais le quitter de nouveau. Le fait de s'imaginer se séparer d'Agravain lui fendait le cœur et elle détestait cette sensation autant qu'elle l'adorait, car c'est aussi grâce à ça qu'elle se sentait plus que bien à ses côtés. Elle baissa les yeux, un peu honteuse de se sentir ainsi. Elle devait voir les choses en face : elle était maintenant vieille et faible et elle ne pouvait plus lutter, pas même contre ses sentiments. Et puis, pourquoi devrait-elle lutter contre quelque chose qui lui faisait se sentir bien.

Elle dressa les oreilles lorsque Agravain la relança, lui demandant ce qu'elle avait à dire. Prenant de nouveau son courage à deux main, elle se lança de nouveau.

"Et bien j-je..."

Mais sur un tremblement, sa voix disparu dans la brume étincelante qui émanait d'entre ses crocs. Pourquoi était-ce si dur ?
Pourquoi les mots avait-il parfois tant de mal à sortir ?
Elle soupira et redressa les yeux.

"J'ai perdu assez de temps comme ça... J'ai l'impression de n'avoir jamais rien accompli dans ma vie qui m'a vraiment satisfaite... Du moins avant que j'ai pu faire quoique ce soit qui me plaise vraiment, Everbloom m'a attrapée pour me transformer en légume jusqu'à la fin de mes jours. Mon rôle de bêta au sein des Séides ne m'a jamais rendue heureuse et lorsque les Raeders ont été créés, j'avais déjà perdu une grande partie de mes capacité et j'étais déjà condamner à restée allongée jour et nuit sur le sable alors que ce n'était pas ce que je voulais... J'ai longtemps essayé de repousser cette idée, de faire tout ce que je pouvais pour ignorer la douleur et rester aussi forte que les jeunes Raeders... mais Everbloom... m'a toujours rattrapée..."

Elle prit quelques instants pour reprendre son souffle.

"Aujourd'hui, je me suis enfin rendue à l'évidence en me faisant comprendre que ce n'était plus la peine de lutter... Mais je me suis aussi rendue compte qu'il y avait quelque chose qui restait dans un coin de ma tête depuis un moment déjà, quelque chose que j'essayais d'ignorer mais qui était en réalité... la solution ? Je suppose..."

Elle fit un pas vers le chevalier, ses yeux toujours plongés dans les siens.

"Agravain, je sais que tu es le seul loup qui me fait ressentir ce... Ce bien être en moi... C'est assez étrange, mais je n'ai jamais pu effacer ton image de mon esprit et à chaque fois que je revoyais ton visage, c'était comme si une décharge électrique venait animer tout mon corps. J'ai envie d'être avec toi, je me déteste pour ça mais j'ai envie d'être à tes côtés chaque jour, chaque nuit... Je..."

Elle ne put continuer, fermant les yeux, détournant la tête et baissant les oreilles. Elle sentait quelque chose lui chatouiller la gorge et lui remonter jusqu'aux yeux et pas un mot de plus ne sortit de sa bouche...
Pour la première fois, elle venait de se mettre à nu devant un autre loup, désormais totalement vulnérable.

Agravain

Pendant un instant, le cœur d'Agravain se serra de peur. Peut-être venait-elle lui annoncer son départ vers une terre inconnue ? La simple pensée de ne plus jamais croiser son regard lui donna la nausée. Il baissa la tête et quand elle se mit enfin à parler, il releva la tête et l'écouta avec attention, ses yeux ambrés plongés dans les siens, son cœur battant à tout rompre, au fur et à mesure que sa voix s'étrangler dans une mue émotionnelle. Il voulait l'interrompre, lui dire qu'elle n'était pas cette vieille louve dont elle semblait parler. Il fit une moue triste, le simple nom d'Everbloom lui donna des frissons. Il avait eu la chance d'arriver après les dégâts, il en avait entendu parler, surtout par feu Esterno. Il baissa les oreilles sur son crâne, son discours ressemblait à des paroles d'adieu. D'un coup, elle s'avança vers lui. Il ne recula pas, il esquissa un faible sourire, honteux d'être ainsi négligé auprès d'une aussi ravissante dame. Et quand sa voix se perdit dans les limbes de ses pensées, il n'écouta que sa petite voix de la conscience et les effets de l'alcool se dissipèrent presque aussitôt. Il se sentit alerte, clair et surtout, sûr d'une chose : Némésis était celle qui hantait ses rêves. Il s'approcha d'elle et sans la brutaliser, il passa sa tête au-dessus de la sienne et la serra contre lui. Une étreinte chaste mais pourtant, les tempes d'Agravain battaient à tout rompre. Il s'éclaircit la gorge et se recula pour la regarder.

"Tu... C'est réciproque, je ne pense qu'à toi et je l'ai réalisé lors de l'Apocalypse... Cronos m'importait peu, je n'avais d'yeux et d'inquiétude que pour toi."

Il se tut et l'endroit se transforma en une sorte de confessionnal silencieux. Il ferma les yeux et prit une longue inspiration. Il fallait qu'il se lance.

"Je t'aime Némésis, je t'aime tellement. Tu es tout ce qu'il me faut, tu es la plus belle entre toutes, et je donnerais tout ce que j'ai juste pour te voir sourire."

Il posa une patte sur sa joue et s'assit de façon à être face à elle, près d'elle. Il déposa un doux baiser sur sa truffe, puis une délicate léchouille à la commissure de ses babines. Peut-être se prendrait-il une baffe pour s'être montré aussi entreprenant, mais peu lui importait. Il recula sa tête et plongea son regard d'agate dans le sien. Il se sentait si bien à ses côtés, il ressentait un calme infini, et quelque chose en lui gigotait. Le chevalier roux ne se l'était jamais avoué mais il avait trouvé sa Winnifred, la douce Némésis avait pris plus de place dans son cœur qu'il ne l'aurait jamais pensé. Son cœur battait à tout rompre, et un étau de chaleur engloba son crâne, il sourit d'une façon quelque peu niaise et attendit la réaction de la louve qu'il aimait du plus profond de son âme. Pour elle, il pourrait tout donner, tout faire. Il pourrait même abandonner ses bouteilles et leurs effluves sucrées et enivrantes. De toute façon, songea-t-il, elle m'enivre bien plus que toutes ces fichues bouteilles d'absinthe.

Agravain s'approcha, brisant la barrière invisible qui las séparait jusqu'à présent en un douce étreinte. Némésis se crispa d'abord, peu habituée à un tel contact, puis il se relâcha, gardant cependant toujours un petit malaise en elle. Pourtant ce contact chaleureux était étonnamment agréable... Ça faisait une éternité qu'elle n'avait pas eu un contact à tel point rempli d'émotions avec quelqu'un, pour ne pas dire qu'elle pensait ne jamais en avoir eu.

Et puis il parla, dévoilant ses sentiments à son tour. Alors c'était en train d'arriver ? Némésis n'allait plus être seule désormais ? Elle l'aimait et il l'aimait, quelque chose qu'elle avait du mal à concevoir... Et si elle n'y arrivait pas ? La pirate n'avait jamais aimé de la sorte, qu'en était-il si elle faisait trop d'erreur ? Est-ce que ça fonctionnerai ? Elle se sentait à la fois gênée et heureuse de recevoir tout ces compliments. Comment Agravain pouvait-il voir tout ça en elle ? Y avait-il vraiment des choses si belles en elle ?
Pourtant elle n'en voyait aucune...

Mais chaque contact avec Agravain et c'était comme si tout ces doutes s'évadaient. Quelle sorte de magie était-ce ? Pourquoi ressentait-elle cette tendresse et cet chaleur dans sa poitrine lorsqu'elle le regardait ? Elle le regardait, confuse, se sentant si faible de ressentir cela mais si bien à la fois. Totalement mise à nue, à la merci de Agravain, elle s'approcha du mâle et plongea sa tête dans son torse, le roux et le blanc de leur pelage se mélangeants. Et puis elle pleura, elle sentit les larmes chaudes couler sur ses joues. Il y avait une éternité qu'elle n'avait pas pleuré, mais étrangement c'était agréable. Comme si elle lâchait toute la pression, comme si elle s'abandonnait à Agravain. Il n'y a plus rien qui compte à présent, plus rien. Elle pouvait tout oublier désormais, elle ne voulait plus rien, plus personne. Elle ne voulait que Agravain, Agravain pour elle seule et à jamais dans son cœur. Peu importe si elle était faible, peu importe si elle faisait le mauvais choix, ce sentiment était plus puissant que toute les raisons du monde. Pour le peu de temps qu'il lui restait à vivre, elle voulait la passer avec lui...

Avec Agravain...