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| Sujet: La Brisure | Défi RP | Libre Mer 27 Jan 2016, 14:26 | |
| Depuis quelques jours, Tatsu pleurait beaucoup.
Il n'y avait pas vraiment de raison à cela, si ce n'est une avancée de plus en plus marquée vers cette période ingrate et déstabilisante qu'est l'âge adolescent. Et en sa qualité de jeune fille prépubère, Tatsu ne parvenait pas à expliquer ces changements d'humeur violents qui lui retournaient l'esprit, ces accès de colères et de tristesse inexpliqués, ce désintérêt grandissant pour tout ce qui l'entourait, et tout le reste. Ces derniers jours n'avaient pas non plus été très brillants pour elle. Sa mère était constamment introuvable, toujours dans un temple ou dans un autre, toujours à s'occuper de tous les malheurs du monde, sauf des siens. Et puis, il y avait Tequeela. L'Alpha n'était jamais disponible. Ses entraînements étaient de plus en plus espacés dans le temps, et au final, Tatsu se retrouvait à apprendre seule, espionnant les autres Savants et essayant d'identifier les plantes lorsqu'elle partait seule dans les Bois de l'Oubli pour progresser.
Ce matin-là, comme tous les matins, elle avait attendu, seule, au milieu du plateau rocheux. Elle était sortie alors que le soleil pointait un oeil incertain au-dessus de l'horizon et s'était repue de la très légère chaleur qui se dégageait de ses premiers rayons. Jamais l'Alpha n'était venue. Jamais Valka n'était apparue. Alors, sa patience atteignant des limites, elle était partie.
Seule.
Pour la seconde fois de sa vie, la première étant lorsqu'elle avait essayé de rattraper sa mère partie pour la Grève Gelée sans l'avoir prévenue. Cette fois, elle ne comptait pas aller très loin, mais elle ressentait un immense besoin de mettre le plus de distance entre le Creux et elle. Et surtout, elle ne voulait voir personne. Elle était trop remontée pour tenir une discussion amicale avec qui que ce fut. Agile, elle descendit la montagne avec précaution et galopa à fond de train sitôt que ses pattes furent reçue par l'herbe recouverte de givre. Les oreilles plaquées contre son crâne, elle fila sans un bruit en direction du couvert des arbres, à quelques kilomètres de là. Lorsqu'elle se retrouva dessous, elle poussa un soupir et s'arrêta net, avant de prendre un pas tranquille. Le calme des environs lui faisait un bien fou. Et cette solitude, qui malgré tout commençait à lourdement lui peser sur les épaules, lui faisait à ce moment-là comme l'effet d'une thérapie. Oubliée, la mère ingrate et l'institutrice absente. Il n'y avait plus que la nature et elle. Elle ferma un bref instant les yeux, marchant à l'aveugle, avant de les rouvrir. Les branches des arbres commençait à se teinter d'argent, sous les pâles rayons du soleil naissant. Elle put constater qu'elles étaient elles aussi recouvertes par le givre. Par endroit, l'accumulation était si grande que de minuscules stalactites s'étaient formées. L'herbe sous ses pattes ne pliait pas : elle était solide, et glaciale. C'était très curieux de marcher dessus. Par moments, la jeune louve s'arrêtait et pressait le sol de tout son poids, mais cela ne suffisait pas à faire céder les brins. Sous le froid, ils étaient aussi robustes que du bois. C'était vraiment intéressant à voir.
A mesure que le jour avançait, le bois lui apparaissait comme de plus en plus beau. Il n'y avait pas beaucoup de bruit, seulement quelques pépiements d'oiseaux. La plupart des petites proies hibernaient encore, et celles qui risquaient un coup d’œil à l'extérieur retournaient aussitôt dans leurs terriers, alertée par l'odeur forte du prédateur. Tatsu ne leur prêtait pas grande attention - elle ne savait pas encore très bien chasser, et de toutes façons, elle n'avait pas faim. En général, elle n'avait pas très grand appétit et se contentait de très peu - et, chose qu'elle n'avait encore admis à personne, elle préférait voir les proies courir et êtres libres plutôt que de les tuer. Elle savait que le jour viendrait où elle devrait le faire, c'était dans sa nature. Mais elle n'en prendrait aucun plaisir. C'était une certitude.
Une souche d'arbre massive lui barrait le passage. Elle sauta dessus et s'y assit. Le bois était froid, il pénétrait jusqu'à sa peau malgré son pelage épais. Elle l'ébouriffa pour se tenir plus chaud et contempla les alentours. Malgré leurs branches à nu, les arbres protégeaient la forêt des chutes de neige. Il y en avait au sol, mais très peu, et puisqu'il n'avait pas neigé depuis un jour ou deux, tout avait gelé. Les alentours étaient brillants, étincelants, silencieux, magnifiques. Tatsu prit une grande inspiration qui la revigora entièrement. Ses yeux vairons glissaient d'une branche à l'autre, observant le spectacle pourtant immobile et silencieux de la forêt, mais tellement beau à regarder.
Ses oreilles frémirent lorsqu'un bruit distinct lui parvînt. Il ne venait pas de très loin. Elle se figea, ne bougeant que ses yeux, qu'elle fit glisser d'arbre en arbre. Il y eut un nouveau raffut, bien plus prononcé, comme une branche qui se brise, et un léger cri, très aigu. Tous les sens en alerte, Tatsu attendit, guetta, et finalement, en trouva la source. Un animal était pris au piège de la glace. C'était assez étonnant, et au premier abord, Tatsu ne comprit pas pourquoi il n'arrivait pas à se dégager. Visiblement, il avait voulu passer sous une branche qui croulait sous la glace, et puisque celle-ci s'était accumulée aussi par dessous, le passage était très étroit. Il ne pouvait plus ni reculer, ni avancer. Lentement, très lentement, Tatsu se remit d'aplomb sur ses quatre pattes, sans faire de bruit. L'animal gesticulait toujours dans tous les sens au risque de se tordre une patte, voire même le cou. Elle plissa les yeux, puis baissa la tête et jeta quelques coups d’œil furtifs sur les côtés en se mordant la lèvre inférieure.
Que devait-elle faire ? Ce n'était au final qu'une proie. Oui, mais c'était aussi un animal, identique à ce qu'elle était, qui devait avoir bien froid et qui devait aussi et surtout avoir vraiment très peur ... Elle leva de nouveau les yeux vers lui et sentit son cœur se serrer. Elle ne pouvait pas le regarder mourir comme ça. Elle jeta un regard derrière, puis autour d'elle, s'assurant que personne n'était là. Puis elle s'approcha de l'arbre. Il était assez massif. Des branches assez basses, alourdies par la neige gelée qui s'y était accumulée, lui permettrait d'y grimper. En haut, les branches étaient plus fines, mais Tatsu était petite et très légère. Elle n'avait encore jamais tenté l'expérience de l'escalade, mais après tout, aujourd'hui était un excellent jour pour se lancer. Surtout que c'était pour la bonne cause. Elle se dressa sur ses pattes arrières et posa ses antérieurs contre le tronc. L'écureuil se figea. Elle devina qu'il n'avait jusqu'alors pas remarqué sa présence, mais que les vibrations causées par l'impact pourtant doux de ses pattes contre le tronc avaient du l'alerter. Elle prit une grande inspiration, puis bloqua sa respiration et se propulsa en l'air. Elle rata son premier essai et retomba au sol, les griffes raclant l'écorce. Elle répéta l'opération en y mettant plus de vigueur et réussit à se réceptionner maladroitement sur la branche visée. Elle prit du temps pour retrouver son équilibre, puis leva la tête.
L'ascension allait être un peu plus complexe que prévu. Bizarrement, d'en bas, ça paraissait très simple. Une fois dans le feu de l'action, ça l'était un peu moins. L'écureuil avait recommencé à s'agiter, mais Tatsu ne pouvait pas aller plus vite. En s'exhortant à ne pas déjà commencer à regarder en bas, elle bondit sur la deuxième, puis sur la troisième branche, qu'elle faillit manquer. Elle se rattrapa avec ses pattes antérieures, les pattes arrières et la queue dans le vide, et se hissa de toutes ses forces pour se mettre d'aplomb dessus, s'aidant du tronc pour trouver l'appui nécessaire à y grimper. Là, elle marqua une pause, hors d'haleine. Les battements soutenus de son cœur lui martelaient les tympans. Le petit animal ne se trouvait plus qu'à une ou deux longueurs de queue de la louve. Mais c'était là que tout se compliquait. Il n'y avait pas de branche assez épaisse pour supporter son poids - du moins en doutait-elle fortement, et elle préférait ne pas tenter le diable. Elle élabora un plan dans sa tête. Si elle parvenait à trouver assez d'équilibre sur ses pattes arrières, elle pourrait se hisser dessus, s'étendre le plus possible et arriver à saisir l'écureuil entre ses crocs. Elle pourrait facilement briser la glace qui le retenait. Après quoi elle n'aurait qu'à reprendre appui sur la branche avec ses quatre pattes et faire le chemin inverse, tout doucement.
Facile ! En théorie.
Tatsu déglutit, et fit basculer toute sa masse vers son arrière-main. Une fois qu'elle se fut correctement stabilisée, elle planta le plus profondément ses griffes dans l'écorce gelée et se souleva lentement. En équilibre très précaire, elle s'étendit le plus possible et posa finalement ses pattes contre le tronc. Là, elle tendit la tête, étendant l'encolure un maximum jusqu'à ce que sa truffe n'effleure le petit animal. Il était secoué par des tremblements extrêmement violents. Son corps était égratigné à plusieurs endroits et l'un de ses yeux était fermé et gonflé. Ses yeux noirs minuscules plongèrent dans les iris bleu et jaune de la louve l'espace d'un instant, et à nouveau, il se figea, rendu muet par la terreur. Très lentement, Tatsu approcha son museau de la petite créature. Il poussa un hurlement suraigu alors que la truffe de la louve se posait sur son petit corps. Elle ouvrit la gueule, et pinça la glace pour la faire céder. Elle voulut ensuite attraper l'écureuil, mais celui-ci, alors libéré de sa prison, détala à une vitesse déroutante, bondissant sur une branche plus loin et disparaissant en une fraction de seconde. Surprise par son mouvement très brusque, et qu'elle n'avait absolument pas prévu puisqu'elle pensait qu'il ne pouvait plus se déplacer, Tatsu sursauta. Son équilibre sur la branche s'en trouva compromis. Son réflexe fut de s'appuyer sur ses pattes arrières, alors qu'elle était précisément en train d'en perdre la maîtrise. Elle voulut alors rebasculer vers l'avant pour reprendre appui sur le tronc avec ses antérieurs, mais c'était trop tard. Sa patte arrière gauche glissa vers l'arrière. L'extrémité de sa patte rencontra le vide. Elle serra les mâchoires, et lâcha un gémissement crispé. C'était trop tard. Elle se sentait déjà happée par le vide.
Un long hurlement lui échappa, alors qu'elle basculait vers l'arrière, se contorsionnant vainement sur les côtés pour rattraper sa chute. Elle allait s'écraser dos contre le sol. Sa colonne vertébrale serait pulvérisée sous le choc. Elle ne pourrait plus se relever, plus marcher, plus rien faire. Et tout ça pour quoi ?
Tout ça pour quoi ?
Parce qu'elle avait été assez conne pour vouloir aider son prochain. Parce que, depuis toute petite, elle ne vivait que d'amour et d'eau fraîche. Parce qu'elle avait commit l'erreur Ô combien lamentable de faire confiance à autrui, et d'aimer les autres, de toutes les fibres de son petit cœur innocent, avant d'être rattrapée par la dure réalité. Il n'y a nulle foi à avoir envers les autres. Donner un peu de soi pour le bien d'un autre, c'est lentement, mais sûrement se laisser consommer. Elle ne le réalisait que maintenant, et pas seulement à cause de lui. Tout se mettait lentement en place, alors qu'elle chutait lentement vers l'irréversible. Sa mère. Son mentor. Ceux qu'elle avait aidé, ceux qu'elle avait écouté, ceux qu'elle avait soigné. Jamais elle n'avait cherché à récolter quelque chose en échange de ses actes : seulement le plaisir de prendre soin de quelqu'un. Ce qu'elle avait obtenu en retour, c'était de l'indifférence, de l'ignorance. Probablement avait-on déjà oublié son existence. Dans cet écureuil blessé qui se sauvait sans un regard en arrière pour sa sauveuse, elle voyait toute l'atrocité des trahisons, des indolences, des avidités communes à tous ceux qui jusque là avaient croisé sa route. Ils ne la méritaient pas. Et elle ne méritait pas ça.
Comme elle aurait aimé en prendre conscience plus tôt ! Sa courte vie aurait été si différente !
Les branches qui dépassaient fouettaient son corps et son visage, sans ralentir suffisamment sa chute pour qu'elle en soi moins lourde en conséquences. Sa gueule s'ouvrit alors tout grand, dans un hurlement de terreur et de rage. Son âme se retourna à l'instar de son corps et elle eut l'impression d'être soulevée vers le haut, ce qui était aussi surprenant qu'impossible. S'ensuivit la sensation que sa colonne explosait, ce qui était là bien plus possible, que chacune de ses cotes cédait et que son corps atteignait les hautes limites de la tolérance à la souffrance.
C'était fait. Tatsu était morte.
Elle ouvrit alors les yeux. Curieux ! Jamais elle n'aurait cru qu'il fut possible de voir une fois les frontières du royaume des Morts franchies, et pourtant ... Pourtant, elle voyait clairement la forêt s'étendre sous elle à perte de vue, délicatement enveloppée dans son écrin de givre, elle distinguait même les rares oiseaux qui étaient de sortie et cinglaient répétitivement l'air glacé de leurs ailes. Elle s'absorba dans une profonde réflexion. Comment se faisait-il qu'elle fut si haut ? En reprenant ses esprits, Tatsu se rendit compte qu'elle n'avait pas succombé à sa chute. En fait, elle ne se trouvait pas au sol. Elle baissa les yeux, observant le faîte des arbres, à seulement quelques longueurs de queue. Ses pattes ne touchaient pas le sol. Son cœur se déchira en deux. Elle tourna vivement la tête sur le côté et beugla de terreur lorsque quelque chose la toucha C'était doux, mais atrocement glacé, plus froid que la neige, le givre et le blizzard réunis, plus froid que tout. Et c'était accroché à elle. Du coin de l'oeil, elle vit ce qui l'attaquait : ça n'avait pas vraiment de forme, mais c'était bleu, très pâle, presque de la même couleur que son œil droit. En se retournant pour essayer de l'en déloger, Tatsu chuta à nouveau. Elle se rendit alors compte qu'une autre de ces choses était accrochée à son flanc droit. Plus elle essayait de se dégager, plus cela fouettait ses flancs. Elle s'écrasa au sol, roula plusieurs fois avant de se stabiliser, et poussa un profond geignement de douleur. Même si elle était étendue au sol de tout son long, sa tête n'en finissait pas de tourner et tout son corps criait grâce. Elle fut emportée par l'évanouissement et ne put rien faire pour lutter contre lui.
Elle se réveilla bien des heures plus tard. Le jour avait beaucoup avancé. Elle ouvrit les yeux, remua, et grimaça aussitôt. Son dos était en miettes. Ses cotes lui faisaient si mal qu'il était périlleux de respirer. Procédant par ordre, elle agita d'abord ses griffes, puis l'avant de ses pattes. Ça fonctionnait. Elle prit une inspiration progressive, et fut stoppée net au milieu à cause de la douleur irradiant ses flancs. Elle expira et serra les mâchoires. Lentement, très lentement, elle essaya de rouler sur le dos. Impossible. Elle retomba sur le flanc et sentit la panique monter en elle. Levant les yeux, elle avisa une forme bleue, très fine, et complètement inerte. Ses sourcils se froncèrent. C'était ... C'était ce qui l'avait attaquée ... Elle ferma les yeux si fort que des larmes perlèrent en leurs coins. Il fallait qu'elle remette les événements en place. Elle était tombée de l'arbre, elle s'en souvenait parfaitement. Mais y avait-il eu un choc ? Elle avait eu cette impression étrange d'être retournée brutalement, puis soulevée dans les airs ... Elle avait cru mourir à cet instant-là. Elle avait prit cela pour la fin de sa chute, sa réception désastreuse. Mais elle avait ensuite ouvert les yeux. Et elle avait vu la forêt d'en-haut, juste au-dessus de la cime des arbres. Et puis, l'attaque de la chose.
Ça n'a absolument ... Aucun foutu sens !!
Maintenant, c'était la colère qui la submergeait, sans que les autres émotions ne l'aient désertée pour autant. Elle tourna la tête sur la droite, et vit la deuxième étrangeté bleue étendue au sol. Et sur elle. Elle fit lentement glisser son regard dessus, jusqu'à son extrémité, où elle rejoignait le flanc de la louve. Du sang coulait abondamment de la plaie. Elle posa le regard sous elle. Le sol givré se teintait, là aussi, petit à petit de rouge.
En prenant conscience de ses blessures, Tatsu céda à un calme olympien. Il n'y avait personne aux alentours. Il faisait froid. Elle ne pouvait pas se relever, ni marcher. Et ces choses pouvaient se réveiller à tout moment et achever de la dévorer, si c'était bien là ce qu'elles avaient essayé de faire. Elle ne pouvait qu'attendre que l'inévitable se passe.
Ou pas.
Elle ferma les yeux et se concentra sur le contact très froid du sol contre elle. Elle se rendit compte qu'en fin de compte, ça lui était bénéfique. Son flanc gauche était complètement inhibé et si elle n'avait pas vu son sang teinter le sol, elle n'aurait jamais remarqué être blessée de ce côté là aussi. Elle patienta jusqu'à ce que l'anesthésie ne touche aussi son ventre et que le froid ne ralentisse son cerveau - ce qui somme toute n'était pas plus mal. Alors, millimètre par millimètre, elle roula sur le ventre, lentement, incroyablement lentement, jusqu'à parvenir à la position souhaitée. Elle étendit ses antérieurs devant elle, posa le menton au sol, et s'évanouit de nouveau. Dans son sommeil, elle eut une image d'elle bondissant au-dessus des arbres, exactement comme ce qu'elle avait ressenti un peu plus tôt. Mais dans ce mirage, sa propulsion dans les airs provenait d'une grande paire d'ailes luminescentes accrochée à ses flancs.
Elle se réveilla en sursaut. C'était le crépuscule. Trois corneilles passèrent au-dessus d'elle en croassant.
Elle se redressa un peu, et avec moins de difficulté. Ses cotes la faisaient néanmoins toujours autant souffrir. Elle tourna la tête des deux côtés et constata que les deux étrangetés étaient toujours là. Elle fit glisser sa mâchoire inférieure sur le côté et fronça le nez, comme à chaque fois que quelque chose lui échappait. Puis son visage se détendit et adopta un masque de profonde incrédulité. Du bout de la patte, elle toucha l'extrémité de la toile bleue. Elle était toujours aussi froide, et s'illumina un peu à son contact. C'était aussi complètement lisse et très doux, à sa façon. Tatsu laissa retomber sa patte et fixa la chose avec lassitude.
Dégage.
Elle remua légèrement et ses flancs crièrent grâce. Ivre de frustration, Tatsu se mit à s'agiter en tous sens. Très brutalement, elle bondit sur ses pattes, tout en hurlant sa douleur infernale. Elle tournait frénétiquement sur elle même pour essayer d'attraper ce qui la rongeait, mais systématiquement, elles lui filaient entre ses griffes, jusqu'à ce que celles-ci ne trouvent finalement une prise et qu'elle puisse ramener son extrémité jusqu'à sa gueule pour y mordre avec toute la puissance de ses crocs.
A nouveau, elle eut mal. Elle tomba brusquement assise et céda aux larmes. C'était impossible ! Impossible ! Ce genre de choses ne pouvait pas se produire ! Elle rejeta la tête en arrière et hurla son désespoir. Les larmes coulaient sur ses joues sans s'arrêter. Du coin de l'oeil, elle vit la chose s'agiter lentement, et sa jumelle faire de même de l'autre côté. Tatsu se concentra. Un rayon de soleil se fraya un chemin entre les branches pour venir l'éblouir. Le vent se leva et caressa son pelage. Elle le ressentit, par toutes les fibres de son corps, et en ressentit aussi la fraîche caresse sur ce qui semblait être devenu des extensions de son propre corps. Elle plissa les yeux face à l'éclat fourbe du rayon diurne, et se concentra davantage.
Lève. Toi.
Petit à petit, la chose s'élevait, jusqu'à lui masquer la lumière du soleil. Tatsu avait comprit depuis un moment maintenant, mais elle n'arrivait pas à avaler ce qu'elle venait de saisir. La douleur oubliée, trop choquée pour s'attarder à la subir, elle tourna la tête vers l'autre et fit de même. Elle parvînt à les dresser au-dessus de sa tête et à les décaler derrière elle. Les mouvements étaient atrocement douloureux et précipitaient l'hémorragie de ses flancs, mais elle n'en tenait plus compte. C'était trop incroyable. Incompréhensible. Et pourtant, tellement réel. Ou alors, cela voulait-il dire qu'elle était bel et bien morte, et qu'elle était devenue un ange ?
Car c'était bien une paire d'ailes qui, subitement, lui avait poussé de chaque côté du corps.
Rattrapée par l'épuisement et la souffrance, Tatsu glissa à nouveau contre le sol, se roula en boule, et laissa son aile droite retomber sur son corps, l'enveloppant dans une froide mais douce étreinte. Elle essaya de lutter, mais l'inconscience la rattrapait petit à petit. Elle était si épuisée, elle avait eu si peur, elle avait si froid.
Vie, mort, songe, réalité, ça avait très peu d'importance. Elle ne pouvait pas lutter contre ce qui lui arrivait, quoique ce fût.
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